Courrier du 31 mars 2021, adressé par Enrique Muñoz, à partir de la page « nous contacter » du site.
Bonjour chers camarades,
Tout d’abord bravo pour votre persévérance dans ce travail militant d’historien du mouvement ouvrier.
J’ai une demande de précision auprès de Frank La Brasca.
Page 81 du CMO 86 vous attribuez à Gramsci, « silencieux à Livourne » la phrase suivante :
« La scission de Livourne a été sans aucun doute le plus grand triomphe de la réaction dans la mesure où elle a détaché la majorité du prolétariat italien de l’Internationale communiste. »
Voulez-vous dire que Gramsci, au moment où il aurait rédigé cela, considérait que la scission de 21 a été une erreur ?
N’ayant pas accès à toutes vos références de la note 108 page 81, j’ai cherché dans l’article du 15 mars 1924 de L’Ordine Nuovo.
Je n’y trouve rien d’équivalent à l’idée exprimée dans cette citation. Certes mon italien est sommaire !
Gramsci constate l’incapacité de la section italienne de l’Internationale communiste à gagner la majorité du prolétariat italien, la responsabilité historique et politique de cet échec dans » la dissolution générale de la société italienne« .
Mais je n’y trouve pas la formulation citée plus haut.
Auriez-vous l’amabilité de m’apporter quelques précisions sur le sens du paragraphe en question ?
Salutations communistes.
Enrique Muñoz, Paris.
Réponse de Frank Labrasca du 01/04/2021.
Cher M. Muñoz,
Je tiens tout d’abord à vous remercier d’être un lecteur aussi attentif et scrupuleux de nos CMO et d’avoir relevé en particulier un point qui ne vous a pas semblé parfaitement clair dans l’article que j’ai donné sur le Congrès de Livourne du PCd’I dans le n°86 en ligne de notre revue.
Jean-Jacques Marie et Odile Dauphin qui président aux destinées de ce site à mes yeux si précieux pour la transmission de l’histoire du mouvement ouvrier international aujourd’hui si malmenée par certains historiens de profession mais aussi par de vulgaires propagandistes de telle ou telle obédience réactionnaire ou contre-révolutionnaire, m’ont à fort juste titre transmis votre demande de clarification à laquelle je réponds bien volontiers.
Dans la note 44 de mon article que je reproduis ci-dessous, je donne toutes les références que je connais de ce jugement, il est vrai assez surprenant, émis par Antonio Gramsci à propos de l’opportunité de la scission de Livourne et qui est par ailleurs corroboré dans un article postérieur signé du même A. Gramsci.
On pourrait m’objecter que certaines des sources (courant de la gauche italienne dite « bordiguiste », écrit d’Onorato Damen issu de ce courant avec lequel il a rompu ultérieurement) sont le fait d’adversaires politiques déclarés de Gramsci au sein de la minorité qui participa à la fondation du PC d’I à Livourne, mais le fait est que son authenticité est également confirmée par l’historien Paolo Spriano, qui fut longtemps membre du CC du PCI (qui est bien sûr une organisation très différente de ce qu’avait été le PC d’I de 1921) et qu’on ne peut pas soupçonner de sympathies « bordiguistes ». C’est également P. Spriano qui signale un article de l »Ordine Nuovo » du 15 mars 1924 dans lequel Gramsci réitère la teneur de ce jugement probablement antérieur puisque Spriano le date de 1923.
Il n’était ni dans l’intention de mon article ni dans la conduite qui guide à fort juste titre la ligne éditoriale que se sont donnée les CMO dès leur co-fondation en 1998 par J.-J. Marie et le regretté historien russe Vadim Rogovine, de prendre parti dans les dissensions politiques qui ont opposé la gauche « italienne » à Gramsci mais surtout à ce « gramscisme » qui a été, à l’origine, fabriqué de toute pièce par la direction stalinienne du PCI à partir de 1943-1945 puis entretenu par ses héritiers plus ou moins honteux jusqu’à nos jours, mais simplement de signaler une curieuse réaction d’une des principales figures du mouvement ouvrier communiste non seulement italien mais international à cette fondation d’une organisation qui, comme je crois le démontrer dans mon article, fut soutenue à son époque de manière presque unanime par les principaux représentants de l’IC dans toute leur diversité (à cet égard, la position de Paul Levi, peu suspect lui aussi de déviation « gauchiste », que je rappelle dans mon article est, je crois, éclairante).
J’espère avoir répondu de façon satisfaisante à votre interrogation, mais si cela n’était pas le cas, n’hésitez pas à me solliciter et je serais ravi de poursuivre avec vous une discussion sur ces questions comme sur d’autres.
En vous remerciant encore de votre attention, je vous prie de bien vouloir accepter, cher lecteur, mes plus cordiales salutations
F. La Brasca
P.S :
44] Il s’agit d’une note non formellement datée mais qu’on considère comme de 1923 (P. Spriano, Storia del Partito comunista italiano. I. Da Bordiga a Gramsci, op. cit., p. 120 et note 1) qui est également évoquée dans l’article Le Parti communiste d’Italie face à l’offensive fasciste (1921-1924), 5e partie, in « Programme communiste », Revue théorique du parti communiste international, n° 50, cit., p. 7-22 : 9 et dans l’ouvrage d’Onorato Damen (1893-1979) membre avec Bordiga de la gauche communiste qui rompra avec lui à partir de 1952, Gramsci tra marxismo e idealismo, Milano, Edizioni Prometeo, 1988, p. 84. Par ailleurs Gramsci renouvellera la même étonnante critique de la scission de Livourne au processus et aux conséquences immédiates de laquelle il avait pourtant participé de bout en bout dans un article de « L’Ordine Nuovo » du 15 mars 1924 intitulé « Contro il pessimismo » [Contre le pessimisme] cité par P. Spriano, Storia del Partito comunista. I. Da Bordiga a Gramsci, op. cit., p. 120-121.
Réponses d’Enrique Muñoz
Le 01/04/2021
Cher camarade,
Je vous remercie pour la célérité de votre réponse.
C’est en effet une remarque très étonnante. Je continue à m’interroger sur le sens précis que Gramsci lui attribuait.
En souhaitant une bonne continuation aux CMO, recevez mes salutations cordiales.
Enrique Muñoz
Le 09/04/2021
Bonjour,
En fouillant au sujet de l’énigmatique « Gramsci le silencieux » j’ai trouvé ceci :
Ordine Nuovo, 18 octobre 1919 dans un article intitulé « L’Unita del Partito » Gramsci se réjouit de la conclusion unitaire du congrès de Bologne (octobre 1919) et réaffirme la nécessité que les différentes tendances du PSI préservent son unité. Il y écrit que diviser le parti c’est affaiblir le meilleur instrument dont dispose les opprimés pour leur émancipation.
Gramsci changera d’avis l’année suivante en se rapprochant, sur la question de la nécessité d’un PC, de Bordiga.
En tous les cas, je vous remercie d’avoir signalé un point, sans doute peu connu, sur l’évolution politique de Gramsci au sujet de la question du parti.
Cordialement, salutations communistes.
Enrique Muñoz