Pascal Colard
Le 27 janvier 2023
à Christophe LEHOUSSE,
Quelques réflexions à propos de votre article « Paul Eluard, J’écris ton nom », paru dans Seine-Saint Denis n°113 (Novembre-Décembre 2022).
Qualifiant Eluard de trésor « du patrimoine littéraire », vous y allez vraiment très fort. Trésor du patrimoine patriotique me paraît plus adéquat. A ce propos je vous recommande plutôt le livre Pamphlet de Benjamin Péret (qui, lui, a combattu durant la guerre d’Espagne en 1936) le Déshonneur des Poètes paru en 1945 à Mexico. Péret, poète et militant révolutionnaire a écrit : « Paul Eluard qui de tous les auteurs de cette brochure (L’Honneur des Poètes), seul fut poète, à qui l’on doit la litanie civique la plus achevée ».
Vous écrivez ensuite « Le poète de l’Amour et du Surréalisme ». Certes de 1924 à 1938 Eluard a été surréaliste, mais après être passé par une litanie de « résistance », il s’est (ses « poèmes politiques » étant déjà dans le genre débile) révélé, avec son « poème » Joseph Staline paru dans l’Humanité du 8/12/1949, le lamentable scribouillard stalinien.
En apothéose, si l’on peut parler ainsi, son refus d’intervenir pour sauver Zavis Kalandra, (procès stalinien de Prague) de la mort en 1950 malgré la demande de son ancien ami et camarade André Breton (lettre du 13/06/1950). Comme on le sait, Eluard a répondu qu’il avait « trop à faire avec les innocents qui clament leur innocence pour (s’) occuper des coupables qui clament leur culpabilité ».
Kalandra qui avait pourtant noué des liens d’amitié et de compréhension envers Breton et Eluard lors de leur séjour à Prague à l’invitation des surréalistes tchèques en 1935, et dont Breton dans la même lettre rappelle « cette assistance, cette générosité fut alors pour nous d’un immense prix ».
Vous publiez une photo prise à cette occasion où l’on voit en dehors d’Eluard et de Nusch, deux surréalistes tchèques Nezval et Toyen. Nezval qui a écrit Rue Git-Le-Cœur, livre émouvant et passionnant, a préféré après son voyage à Paris en 1935 pour participer au « Congrès International des Ecrivains pour la Défense de la Culture » en accord de pensée et d’action avec André Breton, s’en détacher en 1938 pour devenir stalinien.
Eluard, devenu poète officiel du PCF se rend à Prague en 1946, rend visite à la peintre Toyen (dont il « avait été un de ses meilleurs amis parmi les surréalistes »), a cette réponse rapportée par Toyen au poète Radovan Ivsik :
- Eluard : « Breton c’est fini, il faut choisir entre lui et moi »
- Toyen : « C’est tout choisi »
- Eluard : « Alors je ferai tout pour vous casser ! »
Voilà qui éclaire mieux le personnage dont vous louez l’œuvre.
Aragon (dont Eluard a condamné l’abandon du surréalisme en 1932 pour aller sombrer dans le stalinisme), Nezval, Tzara, Eluard, tous ont passé avec armes et bagages au stalinisme.
C’est Léon Trotsky qui a qualifié ce dernier de syphilis du mouvement ouvrier mais celui-ci a contaminé également des intellectuels novateurs en poésie.
Pour terminer cette lettre, je vous recommande vivement de lire, entre autres ouvrages :
- Benjamin Péret : Le Déshonneur des Poètes
- André Breton : Entretiens, La Clé des Champs
- Jean-Louis Bédouin : Vingt ans de surréalisme 1939-1959 (où figure le « Poème » d’Eluard sur Staline)
- Viteslav Nezval : Rue Git-le-Cœur
- Radovan Ivsic : Cascades
J’irai certainement voir l’exposition Eluard-Picasso car ils ont été jadis des novateurs.
Bonnes lectures et salutations.