Auteur/autrice : cmo
Lettre à un ouvrier poumiste
La Voz Leninista n° 3. Barcelone, 5 février 1938.
Source : Augustin Guillamón, Espagne 37 Josep Rebull, la voie révolutionnaire.
Spartacus édit.
Lettre à un ouvrier poumiste
Le drapeau de la IVéme Internationale
est l’unique drapeau
de la révolution prolétarienne
G. Munis
5 février 1938
Il y a cinq mois, lors de la répression, comme il y en a dix, alors que le POUM était expulsé de la Généralité, tu as répété le même argument qu’aujourd’hui. D’après toi, le POUM se verrait obligé, par la pression des évènements, de se mettre à la tête de la révolution prolétarienne. Révolutionnaire sincère et croyant dans la force révolutionnaire potentielle du Parti, tu n’as pas cessé de voir ses erreurs avec une certaine clarté, mais tu hésitais quant aux remèdes, te plaçant dans cette double perspective fausse : d’une part, entraîner sur le terrain révolutionnaire le Parti dans son entier – y compris les opportunistes récalcitrants – et d’autre part démarquer ce terrain et la IVe Internationale. Reconnaître les erreurs les plus criantes du POUM (collaboration, complicité avec le Front populaire, lutte contre les organes de pouvoir ouvrier, Gouvernement ouvrier et paysan, etc.) mène nécessairement à fouiller ses sources idéologiques, ses affinités avec d’autres courants dans l’histoire du mouvement ouvrier international et leur influence sur les cadres et les hommes du Parti. Sous-estimer leur signification et leurs conséquences, ne pas désigner du doigt les responsables, c’est une carence qui se traduit en hésitations, en passivité complice et en impuissance à trouver le chemin du salut. Il me paraît absolument indispensable d’attirer l’attention sur ce dernier point, parce qu’au sein du POUM, la section de Madrid a toujours été désignée comme l’aile gauche, et au printemps dernier a surgi à Barcelone un autre « courant de gauche ». Aujourd’hui, les deux végètent comme le reste du Parti. La raison en est autre que leur fragilité politique, manifestée à de très nombreuses reprises dans leur incapacité à se donner un programme, dans la peur de l’affrontement avec la direction et de mener à la base de l’organisation la lutte contre elle. La section de Madrid, comme l’aile gauche de Barcelone, étaient les représentantes de cette «force révolutionnaire potentielle» dans laquelle tu places ta confiance. La transformer en énergie active n’était pas possible sans une rupture radicale avec la politique catastrophique de Nin-Andrade-Gorkin. C’est précisément sur ce point que l’un et l’autre groupe de gauche demeurèrent paralysés, n’osant pas aborder de front le problème. En toute occasion, ils s’efforcèrent de minimiser les erreurs du Parti – qu’ils aidèrent bien des fois à commettre – et jamais ils ne pointèrent du doigt les leaders responsables. Même l’aile droite de Portela [1], ouvertement stalinisante, a pu vivre jusqu’à présent sans que l’aile gauche exige son expulsion. Dès la naissance du POUM, celui-ci apparaît parfaitement uni dans tous les moments importants. Même durant et après les Journées de mai, quand les éléments de gauche arrivèrent à acquérir le plus de poids et de détermination, les résolutions du CC, dans lequel il y a des représentants de Madrid et de la cellule 72 de Barcelone [2], sont votées à l’unanimité. Et il n’est pas utile de parler de la passivité honteuse observée alors que la répression se déchaînait. De cette unité du POUM, les crétins et les opportunistes peuvent s’enorgueillir, ils en bénéficient. En réalité c’est ce qui a permis à la direction centriste d’étouffer la « force révolutionnaire potentielle » des travailleurs poumistes et cela nous donne une preuve désolante de l’incapacité des éléments de gauche. Pour certains d’entre eux, le gauchisme n’a pas cessé d’être une misérable justification personnelle. Non, ce n’est pas un problème de personnalités qui a empêché les éléments de gauche de se réunir et de se développer. C’est un problème de programme. Seule la lutte systématique pour un programme révolutionnaire peut former de bons leaders. Il ne s’agit pas tant de son contenu que de la tendance historique sur laquelle il prend appui. Ni la cellule 72 de Barcelone, ni la section de Madrid ne se décidèrent jamais à adopter cette perspective. Leurs critiques envers la direction furent vagues, limitées et superficielles parce qu’elles ne considéraient pas le POUM comme un courant centriste, comme ses ramifications internationales, mais comme un courant révolutionnaire faisant des erreurs occasionnelles. Cette appréciation ne se basait sur aucune analyse objective si ce n’est sur la peur d’être confondus avec les trotskistes. Fuyant les points de vue de la IVéme Internationale, elles se rapprochaient du centrisme. Les préventions anti-trotskistes empêchèrent la création et le développement d’une véritable aile gauche qui sauverait de la décomposition la majorité des militants révolutionnaires du POUM. La section de Madrid et la cellule 72 de Barcelone, se situant sur un terrain positif par rapport à la direction centriste, étaient menées par nécessité, pour leur propre formation comme avant-garde révolutionnaire, à adopter le programme de la IVéme Internationale. Mais au lieu de se laisser guider objectivement par la dialectique des évènements, leur seule boussole fut d’éviter le trotskisme. De là leur incapacité à tracer énergiquement une ligne de séparation entre les centristes et les révolutionnaires, et à guider ceux-ci vers la création d’un parti bolchevik et vers la conquête des masses. Je ne peux m’étonner de l’asphyxie de la fameuse gauche qui éveilla tant d’illusions. La section de Madrid a laissé filer le temps en projetant de grandes choses, tandis que ses actes réels, quotidiens, l’ont mise à la remorque du CE, et certains de ses hommes se convertirent en dénonciateurs des trotskistes au service du centrisme. Avant les Journées de mai, la cellule 72 adopta des positions propres, une tentative de mouvement fractionnel aux prolongements politiques et organisationnels incertains mais avec un grand avenir. Depuis lors elle a eu l’occasion d’accélérer sa formation et de conquérir des positions en prenant en charge la lutte contre la réaction stalinienne, que la direction observait avec une passivité criminelle. Cependant les faits ne laissent pas de place aux illusions. Après avoir refusé avec un silence dédaigneux les propositions bolcheviques-léninistes [3] tendant à conclure un accord de lutte contre la réaction et le stalinisme, nous avons constaté que même la gauche de Barcelone a disparu et qu’il ne reste qu’un homme pour la représenter [4]. Cette réduction, proportionnelle à celle de tout le Parti, n’a pas la répression [5] pour unique cause. Malgré la violence vile et sadique des méthodes mises en œuvre, la répression, surtout durant ses premiers mois, pouvait seulement annihiler des organismes manquant de l’énergie et du contact effectif avec les masses qui sont indissociables des principes d’un parti révolutionnaire. L’état d’esprit et l’organisation des masses, la coordination générale des forces, la mobilisation extrême de celles-ci, l’importance des positions occupées par le prolétariat et l’abondance de ressources pour la propagande illégale lui auraient permis, armé d’un programme et de mots d’ordre immédiats combatifs, de ramener l’illégalité à une courte période et de se renforcer à travers elle. En réalité, l’élément qui a le plus contribué à réduire à l’insignifiance « un parti de 40.000 membres », plus que les emprisonnements, la suppression de sa presse légale et les assassinats, c’est que ces 40.000 membres étaient déjà à moitié réduits à l’impuissance par la politique de leur propre direction. Le représentant – appelons-le ainsi pour éviter les noms – de la cellule 72 le confesse un peu désespérément dans un document adressé au CC qui s’est tenu récemment à Barcelone [6]. Comme dans le projet que le même camarade élabora pour le Congrès [7] qui n’eut pas lieu, on trouve dans celui-ci des critiques très justes de la direction sur lesquelles, évidemment, on peut et doit s’appuyer, comme tu le penses. Mais il est beaucoup plus important de prendre en compte les erreurs que ses pages renferment. Les bolcheviques-léninistes peuvent souscrire à sa partie critique quasiment dans sa totalité. Pour la première fois, quelqu’un, depuis l’intérieur du POUM, qualifie de centrisme la politique de la direction et essaie de donner à cette notion son véritable caractère. Je dis « essaie » parce que l’auteur du document, après avoir désigné comme centriste sa propre direction, affirme que « le POUM était un parti révolutionnaire avant le 19 juillet ». Ceci est si éloigné de la vérité que cela ne nécessite quasiment pas de réfutation. Quand et comment s’effectua la conversion à droite ? Le centrisme peut caractériser des éléments révolutionnaires de passage vers le réformisme ou vice versa, dans tous les cas cette évolution demande du temps, au fil des évènements. Personne ne se couche révolutionnaire et se lève centriste. Cependant, pour que le POUM se réveille un matin dans le malheureux « Gouvernement ouvrier », aucune solution de continuité ne fut nécessaire. Sans le moindre heurt, à l’unanimité, le même Comité central qui la refusait avant le 19 juillet approuva la collaboration et s’enfonça allègrement dans le « programme socialiste » qui consista à livrer la révolution socialiste aux Comorera, Prieto [8], etc. Cette politique sortit sans obstacles du cœur du POUM parce qu’elle était dans la moelle de sa constitution et existait déjà, développée dans l’ancien Bloc ouvrier et paysan [9], et, dans son principe, mais retenue par la discipline internationale, dans ce qui fut la Gauche communiste. Si l’auteur du document mentionné prenait la peine de confronter la politique qu’il qualifie de centriste avec celle pratiquée par le POUM avant le 19 juillet, il va sans dire qu’il ne pourrait nous montrer aucune différence fondamentale, il éviterait de trébucher en commençant à marcher et il ne se verrait pas obligé, pour remplir les lacunes de son analyse et voiler ses erreurs, d’idéaliser le passé et les morts [10]. Le Front ouvrier révolutionnaire est présenté dans le document comme la panacée suprême et la source de toute régénération à l’intérieur du POUM et du mouvement ouvrier. Après avoir fait une critique sévère et juste de la direction, il retombe dans la conception officieuse, sinon officielle, de celle-ci. Les illusions que cette formule éveille exigent de mettre au clair qu’il ne s’agit pas de la notion bolchevique du front uni de classe : « Marcher séparément, frapper ensemble ! », sans confusion de programmes, avec une complète liberté critique, mais en établissant des compromis de lutte pratique et immédiate contre l’ennemi de classe. Dans le numéro de La Batalla du 5 août passé, il est dit qu’il est nécessaire « d’aller vers le Front ouvrier révolutionnaire, qui groupe tous les secteurs qui sont d’accord pour donner à la guerre un caractère révolutionnaire qu’elle n’aurait jamais dû perdre et pour conquérir le pouvoir pour la classe travailleuse »… Conquérir le pouvoir pour la classe travailleuse ! Belle perspective sur laquelle les dirigeants du POUM espèrent se mettre d’accord avec la CNT et la FAI (Largo Caballero y était aussi candidat jusqu’à il y a quelques jours), tandis que les leaders de ces dernières espèrent également arriver au pouvoir en livrant le prolétariat confédéral à la merci du Gouvernement. La thèse du Front unique est transformée en un leurre ronflant qui cache l’idée fixe de revenir à un ministère semblable à celui de septembre 1936. La conquête du pouvoir par le prolétariat ne peut être l’objet d’alliances, si ce n’est à travers ses organes de pouvoir (comités, juntes, soviets). Même sous cet aspect, théoriquement admis¬sible, se présenterait dans la pratique des difficultés innombrables. Le front unique, indispensable pour la défense des libertés et des intérêts ouvriers les plus immédiats, c’est la voie qui conduit à la construction des organes de classe, et par conséquent l’unique manière de placer le prolétariat en situation de lutter pour le pouvoir. S’allier avec toutes les organisations disposées à défendre ces libertés et ces intérêts, fustigeant énergiquement ceux qui préfèrent l’alliance avec les matons et les bourreaux du prolétariat, c’est la véritable tactique révolutionnaire du front unique que la Section bolchevique-léniniste poursuit depuis sa fondation. Mais rechercher une alliance de « tous les secteurs qui sont disposés à conquérir le pouvoir pour la classe travailleuse », n’est rien de plus que de la démagogie opportuniste de la part de gens qui n’ont pas renoncé à des blocs politiques de triste mémoire, mais qui pour donner le change utilisent la revendication du front unique d’une manière mensongère, pour calmer le mécontentement de leurs propres militants. Le FOR [Front ouvrier révolutionnaire] n’a servi, en effet, qu’à concilier entre elles les différentes tendances. Gorkin, Andrade, ce qui reste de la cellule 72 et de la section de Madrid résolvent toutes leurs divergences au sein du FOR À l’instar de son confrère centriste, le SAP [11], avant l’arrivée du fascisme, le POUM tue les tendances centrifuges, qui, si elles se développaient, joueraient un rôle très positif dans la formation du parti révolutionnaire, en les immobilisant sur le bouchon flottant du FOR. La différence repose sur le fait que le SAP remplissait cette fonction en n’ayant que le front unique pour tout programme, tandis que le POUM se réduit au FOR, qui ne va pas au-delà de la rupture avec le stalinisme. Et la question est restée indécise au Comité central ! Il n’est pas exclu, cependant, surtout devant la déviation évidente des anarchistes vers le stalinisme, que le POUM passe par un état identique au SAP, faisant du front unique une devise générale. Ce sera un progrès dans la mesure où il contribuera à entraîner d’autres fractions du mouvement ouvrier, mais le problème du programme, c’est à dire du parti de l’avant-garde ouvrière, restera posé avec d’autant plus d’acuité et d’urgence. En ce qui concerne le programme, tu ne te fais toi-même pas d’illusions sur ce que la direction officielle peut donner. D’ailleurs, que peut-on espérer des éléments appelés « de gauche » ? Le plus grand respect envers leur évolution idéologique réelle ou supposée ne peut les exonérer de la responsabilité de tout ce qui ne s’est pas fait en plus d’un an d’hésitations et de vaines menaces de passage à l’action. Le document du représentant de la cellule 72 auquel je me suis référé [12] est complètement nul sur cet aspect, malgré son appel à la dictature du prolétariat. On ne trouve pas la moindre référence aux questions fondamentales du mouvement ouvrier : nouveau parti ? Nouvelle Internationale ? Cependant, qui admet que le POUM est centriste est encore plus obligé d’y répondre, à moins d’espérer convertir par son éloquence les centristes en bolcheviks. La triste réalité est que l’absence de ces questions, ainsi que de toutes critiques envers les honteux alliés internationaux du POUM, a pour origine le jeu de balance interne dont l’aiguille est le FOR. C’est seulement en évitant de se prononcer sur ces questions que l’équilibre se maintient et que nos bons gauchistes ne se voient pas contraints à l’action. La force révolutionnaire potentielle des ouvriers du POUM, je le répète, se trouve ainsi stérilisée. Mais, malgré le temps perdu, il ne peut y avoir d’autre chemin que celui de la lutte irréductible et organisée contre la direction centriste. Argumenter sur la légitimité ou l’illégitimité des fractions est du philistinisme méprisable. Le premier devoir d’un révolutionnaire entouré de centristes est de constituer une fraction. Se croiser les bras ou se limiter à crier, c’est succomber à la contagion de la peur. Les travailleurs révolutionnaires poumistes ont besoin d’un programme, d’une arme idéologique pour conquérir la confiance des masses. Ce programme ne peut qu’être celui de la IVe Internationale, déjà en marche dans l’ensemble du monde. Les éléments les plus conscients ont le devoir politique de hisser ce drapeau. Ce n’est qu’ainsi qu’ils contribueront à la création du parti révolutionnaire et à la résolution au final des grands problèmes de la conquête du pouvoir.
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Notes
[1] Luis Portela (1902-1983), ancien dirigeant des Jeunesses socialistes, fut l’un des fondateurs du PCE, puis du BOC. Secrétaire de la fédération du Levant du POUM et directeur d’El Comunista, il critiqua la participation du POUM aux Journées de mai de Barcelone. (NdE) [2] Josep Rebull assista à la réunion du CC de décembre 1937 comme secrétaire du Comité local de Barcelone. [3] Munis fait référence à une lettre, datée du 26 juin 1937, dans laquelle la Section bolchevique-léniniste d’Espagne lançait un appel à la gauche du POUM et aux Amis de Durruti pour établir une plate-forme d’action commune face à la répression. [4] Munis fait allusion à l’isolement de Josep Rebull, qui n’obtint même pas l’aide du reste des membres de la cellule 72. [5] Munis se réfère à la persécution politique des militants du POUM par le stalinisme, commencée le 16 juin avec la mise en détention du CE du POUM et la disparition de Nin. [6] Il s’agit de la Résolution presentada al Comité Central del POUM datée du 27 octobre 1937. [7] Il s’agit des contre-thèses politiques de Josep Rebull publiées les 23 avril et 29 mai 1937. [8] Joan Comorera : le secrétaire général du PSUC ; Indalecio Prieto (1883-1962), dirigeant du PSOE, plusieurs fois ministre, dans les gouvernements républicains puis dans ceux de Largo Caballero et de Juan Negrin ; ministre de la Défense, il est exclu du gouvernement en avril 1938 sous la pression des staliniens. (NdE) [9] Josep Rebull n’acceptait pas ces critiques envers le BOC. Josep Rebull lui-même s’était de plus présenté en février 1936 sur les listes électorales du POUM pour la province de Tarragone en février 1936. [10] Munis fait certainement allusion à la politique du BOC et à son leader Maurin, que l’on croyait décédé en juillet 1936. [11] Le Sozialistische Arbeiter Partei, fut fondé en 1931 par l’union de différents groupes de socialistes de gauche et de communistes oppositionnels allemands. Il fit campagne sans succès pour un front uni des organisations de gauche contre le nazisme. Le SAP, comme le POUM, était adhérent du Bureau de Londres. (NdE) [12] Josep Rebull. ________________________________________
Petite (mais grossière) ruse d’un bon stalinien
Jean-Jacques Marie
Le nom d’André Wurmser, dont les billets et articles ont empli les colonnes de l’Humanité chaque jour ou presque pendant un bon quart de siècle, avait publié en 1979 ses mémoires sous le titre Fidèlement vôtre. Après avoir chanté la gloire impérissable de Staline et affirmé la solidité du régime stalinien, pourtant confronté au moment où meurt Staline à une immense grève à l’Italienne de la majorité des ouvriers et plus encore des paysans soviétiques, acharnés à refuser de travailler pour des nèfles, il s’adapte aux changements imposés à et par l’appareil du Kremlin pour maintenir sa domination, voire simplement survivre. Ainsi écrit-il page 412 de ses Mémoires :
« Malheureusement la tendance est générale à retreindre l’existence et l’histoire de l’Union soviétique à la non-démocratie socialiste, au stalinisme… C’est suivre l’adversaire, c’est l’excuser, c’est oublier que l’Union soviétique de Lénine et de Trotski, l’Union soviétique de Trotski et de Staline, l’Union soviétique de Staline seul furent et que l’Union soviétique de Brejnev demeure la cible de tout Etat capitaliste, libéral ou dictatorial. »
Ainsi, pour défendre le stalinisme, Wurmser tentait de lui donner une légitimité. A cette fin il affirme une continuité imaginaire entre d’un côté Lénine, qui, la dernière année de sa vie consciente, engagea le combat contre la bureaucratie naissante et son protecteur Staline, puis Trotsky, qui développa un combat impitoyable contre cette bureaucratie parasitaire, un moment triomphante sous la houlette de son maître Staline, qui compensait la faiblesse de son soutien populaire par le règne de la terreur permanente et de l’autre côté ce maître bourreau terroriste et ses successeurs, surtout Brejnev, qui remplacèrent la terreur permanente par un simple régime totalitaire soucieux de défendre les intérêts de la bureaucratie dirigeante. Cette continuité imaginaire est une constante de l’historiographie bourgeoise à la Stéphane Courtois et autres gentlemen douteux de même idéologie…
ARCHIVES 2021 2022 2023
III. ARCHIVES DES ANNEES 2023, 2022, 2021
Articles et documents mis en ligne EN 2023
A la page « STALINISME, complaisants ou trompés ? «
« Injuriant Staline, le traitant de « bâtard grêlé ». Le sort de l’artiste réprimé Alexei Gan »
A la page UKRAINE, à la rubrique « Et pendant ce temps-là en Russie »
Arrêté fin décembre 2022, le mathématicien Mikhail Lobanov, libéré après une campagne internationale, raconte
Dans « POINTS D’HISTOIRE » / « Mouvement ouvrier »
Quelques éléments sur la grève des « penn sardin », par Pierre Saccoman
Dans « POINTS D’HISTOIRE »/ « Guerre civile espagnole »
BARCELONE, MAI 1937, d’Agustín Guillamón
A la page « UKRAINE » :
- L’UKRAINE HIER ET AUJOURD’HUI (suite)
- URGENT, FAIRE CIRCULER :
- Prisonnier de conscience russe, IGOR KUZNETSOV
- Liberté pour AZAT
Dans « STALINISME : complaisants ou trompés ? » :A propos de Paul Eluard, lettre de Pascal Colard
Dans la page « POINTS D’HISTOIRE », création d’une nouvelle rubrique « La guerre civile espagnole », qui regroupe des articles déjà parus et
un nouvel article sur ce thème : « Un moment de la guerre d’Espagne : le POUM face à l’infiltration d’un agent du NKVD« , Leon Narwicz et Julian Grimau, Agustín Guillamón
Dans « POINTS D’HISTOIRE », « Lénine et la révolution russe » : Vendus contre des obus
A la page « Falsifications » : Quelques falsifications sur Trotsky
Dans la page UKRAINE, et la rubrique » ET PENDANT CE TEMPS, EN RUSSIE … : la liste des articles sur la Russie post-soviétique dans les CMO, et des articles récents, une présentation et quelques pages choisies de « La Russie sous Poutine » de Jean-Jacques Marie.
Une nouvelle « Perle » : La philosophie politique et morale mène décidément bien loin…
A la page « Notes de lecture » :
par Jean-Jacques Marie, sur Cronstadt 21
par Bernard Trinquet, sur Le vrai destin de Kurt Landau. Les révélations d’un agent stalinien, de Paolo CASCIOLA
par Jean-Jacques Marie, sur ALEXANDRE SUMPF, Okhrana. La police secrète des tsars 1883-1917
par Odile Dauphin, sur Une histoire de la manipulation par les chiffres de l’Antiquité à nos jours ou le théorème d’Hypocrite. Antoine HOULOU-GARCIA et Thierry MAUGENEST
A la page « STALINISME : complaisants ou trompés »,
Quand Alexandre Soljenitsyne répond aux auteurs du film sur le goulag
A la page « POINTS D’HISTOIRE« , dans la rubrique « Staline et le stalinisme« , A propos de NOVOTCHERKASSK,
Dans « Perles et falsifications » / « Falsifications » : Ukraine-Pologne : une histoire trafiquée.
Dans « POINTS D’HISTOIRE » / « Staline et le stalinisme » : La lutte contre le trotskysme dans le PC de Yougoslavie
Articles et documents mis en ligne en 2022 :
LES JEUX INTERDITS DES ENFANTS SOVIÉTIQUES , présentation de Guillaume Malaurie (dans Historia, juin 2022), du dernier livre de Jean-Jacques Marie : « Des gamins contre Staline«
Septembre 2022 : Une nouvelle rubrique est ouverte sur le site : « STALINISME. Complaisants ou trompés ? »
2 premiers exemples :
- Les médecins assassins de Moscou…, article du Monde, 18-19 janvier 1953 Présentation et 1er exemple
- Staline, la cour du tsar rouge, Simon Sebag Montefiore, 2003 Un historien ou un bouffon ?
15 juillet 2022 : après une interruption de plusieurs semaines (due à des problèmes techniques), nous reprenons l’alimentation du site :
Une « perle » de Boris Cyrulnik :
Boris Cyrulnik tel qu’en lui-même…
Dans « POINTS D’HISTOIRE » :
- un jugement du leader des mencheviks sur les bolcheviks
« Les bolcheviks suivent les masses »
- un article de Agustín Guillamón sur « les incontrôlés » en 1936 en Espagne
- La brochure publiée en 1945, « La lutte des trotskystes sous la terreur nazis », est entièrement mise en ligne dans la rubrique « Documents »: LA LUTTE DES TROTSKYSTES SOUS LA TERREUR NAZIE
- Quelques remarques sur le livre de Q. Duluermoz sur La Commune de Paris et son histoire par Emmanuel Brandely
- La page consacrée à l’historien russe Vadim Rogovine
- Une page consacrée à l’histoire de l’Ukraine.
-
A la demande de lecteurs réguliers du site, nous avons créé cette rubrique afin de lister au fur et à mesure les nouveautés mises en ligne. Cette page est donc « alimentée » par le haut de façon à mettre en évidence les dernières parutions.
– En I. : Les parutions de 2024 et du début 2025
– En II : Les autres informations concernant les CMO : conférences, bibliothèque du mouvement ouvrier, dossiers spéciaux…
– En III : les articles et documents parus en 2021, 2022, 2023
I. NOUVEAUX ARTICLES ET DOCUMENTS
Articles et documents mis en ligne EN 2025 :
A la page « STALINISME : COMPLAISANTS OU TROMPES ? » :
Aragon, du caviar Belouga à la police des lettres soviétiques…
Hannah Arendt apologète de Staline (et d’ Hitler) par Jean-Jacques Marie
A la page « POINTS D’HISTOIRE » dans la rubrique « STALINE ET LE STALINISME »:
Staline et un spécialiste de Hegel. à propos du « Staline » de Losurdo : le débat entre Jean-Jacques Marie et Domenico Losurdo
A la page « POINTS D’HISTOIRE » dans la rubrique » TROTSKY ET LE TROTSKISME » :
La REVOLUTION TRAHIE revisitée par Jean-Jacques Marie
A la page « POINTS D’HISTOIRE » dans les rubriques « STALINE ET LE STALINISME » et « LA GUERRE CIVILE ESPAGNOLE » :
Un mythe stalinien parmi tant d’autres : les prétendus volontaires
A la page « FALSIFICATIONS » :
Souvenirs plus que douteux.
Articles et documents mis en ligne EN 2024 :
A la page « Points d’histoire », dans la rubrique « Mouvement ouvrier » : UN NOBLE A LA TETE DU LABOUR PARTY par Jean-Jacques Marie
A la page « Points d’histoire », dans la rubrique « Autres thèmes » et à la page « Notes de lecture » : L’OCCUPATION AMERICAINE D’HAÏTI de Suzy CASTOR Notes de lecture par Odile Dauphin
A la page « Points d’histoire », dans la rubrique « Mouvement ouvrier » : Les historiens contre la Commune d’EMMANUEL BRANDELY par Michèle Audin
A la page « Points d’histoire », dans la rubrique « Staline et le stalinisme » : Dans l’URSS de Staline… LES MUTINS DU GOULAG ET DU QUOTIDIEN. par Jean-Jacques Marie
A la page « Points d’histoire », dans la rubrique « Staline et le stalinisme » : Les voix des bourreaux. Des officiers du NKVD discutent des préparatifs des massacres…
A la page « Trotsky et le trotskisme » Si le régime bourgeois sort de cette guerre impuni, tous les partis révolutionnaires dégénéreront
A la page « Notes de lecture », Chostakovitch et Staline, de SOLOMON VOLKOV, par Jean-Jacques Marie
A la page « Stalinisme. Complaisants ou trompés ? » : ARAGON STALINE et TROTSKY
A la page Section Varlam CHALAMOV « , Réédition de la première édition française des Récits de Kolyma (1969)
A la page UKRAINE / rubrique « Et pendant ce temps, en Russie… », Ils l’avaient prévu il y a 30 ans
A la page « Stalinisme. Complaisants ou trompés ? » : Churchill défenseur acharné de l’Empire colonial britannique… et de Staline
A la page « Notes de lecture », et à la page « LE CENTENAIRE DE LA MORT DE LENINE » : Lénine, d’Alexandre SUMPF par Jean-Jacques Marie
A la page « POINTS d’HISTOIRE », à la rubrique « Lénine et la révolution russe », et à la page « LE CENTENAIRE DE LA MORT DE LENINE » : Les derniers mois de la vie de Lénine, par Charles Dupuy
A la page « POINTS D’HISTOIRE », à la rubrique » Mouvement ouvrier »
Jacques Delors, des origines à l’adhésion au Parti Socialiste : l’artisan de l’Europe néo-libérale par Robert Duguet
A la page « POINTS D’HISTOIRE », à la rubrique « Guerre civile en Espagne »
Un an après le 19 juillet 1936 : la note infâme de la CNT-FAI et le sectarisme du POUM, par Sergi Rosés Cordovilla
A la page « UKRAINE » dans la rubrique « Et pendant ce temps-là en Russie »
Des centaines de personnes sont venues sur la place centrale d’Oufa, certaines ont été arrêtées
II. AUTRES INFORMATIONS CONCERNANT LES CMO
La nouvelle version de la Bibliothèque du mouvement ouvrier est en ligne, ainsi que la liste des ajouts :
Bibliothèque du mouvement ouvrier – octobre 2024
Liste des nouveautés pour octobre 2024
La vidéo de la conférence organisée par les CMO le 2 mars 2024 est en ligne: LE CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE L’OPPOSITION DE GAUCHE par Jean-Jacques MARIE
suivie du DOSSIER : la naissance de l’opposition de gauche
Nouvelle page sur le site : Vente de CAHIERS en ligne
Des nouvelles d’Azat :
« Le FSB est le principal terroriste » Azat Miftakhov, mars 2024
URGENT : Ouverture du procès d’Azat Miftakhov
Une nouvelle page, que nous vous invitons à consulter de temps en temps :
LE CENTENAIRE DE LA MORT DE LENINE
Le 15 janvier 2024 a eu lieu : Une conférence sur LENINE à l’ENS rue d’ULM le 15 janvier à 18 heures 30.
La vidéo de la conférence de Jean Numa Ducange, La République ensanglantée, est en ligne dans l’espace « vidéos de conférence » : https://cahiersdumouvementouvrier.org/videos-de-conferences/
LES ECRITS MILITAIRES de TROTSKY
Les CMO organisent une souscription qui permet de les commander dès maintenant avec un rabais de 30 % du prix public : SOUSCRIPTION pour « COMMENT LA REVOLUTION S’EST ARMEE » de Léon Trotsky
LA COLLABORATION STALINE HITLER
APPEL A SIGNATURE : Il n’appartient à aucune autorité politique de définir la vérité historique.
III. ARCHIVES DES ANNEES 2023, 2024, 2025
Articles et documents mis en ligne EN 2023
A la page « STALINISME, complaisants ou trompés ? «
« Injuriant Staline, le traitant de « bâtard grêlé ». Le sort de l’artiste réprimé Alexei Gan »
A la page UKRAINE, à la rubrique « Et pendant ce temps-là en Russie »
Arrêté fin décembre 2022, le mathématicien Mikhail Lobanov, libéré après une campagne internationale, raconte
Dans « POINTS D’HISTOIRE » / « Mouvement ouvrier »
Quelques éléments sur la grève des « penn sardin », par Pierre Saccoman
Dans « POINTS D’HISTOIRE »/ « Guerre civile espagnole »
BARCELONE, MAI 1937, d’Agustín Guillamón
A la page « UKRAINE » :
- L’UKRAINE HIER ET AUJOURD’HUI (suite)
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Dans « STALINISME : complaisants ou trompés ? » :A propos de Paul Eluard, lettre de Pascal Colard
Dans la page « POINTS D’HISTOIRE », création d’une nouvelle rubrique « La guerre civile espagnole », qui regroupe des articles déjà parus et
un nouvel article sur ce thème : « Un moment de la guerre d’Espagne : le POUM face à l’infiltration d’un agent du NKVD« , Leon Narwicz et Julian Grimau, Agustín GuillamónDans « POINTS D’HISTOIRE », « Lénine et la révolution russe » : Vendus contre des obus
A la page « Falsifications » : Quelques falsifications sur Trotsky
Dans la page UKRAINE, et la rubrique » ET PENDANT CE TEMPS, EN RUSSIE … : la liste des articles sur la Russie post-soviétique dans les CMO, et des articles récents, une présentation et quelques pages choisies de « La Russie sous Poutine » de Jean-Jacques Marie.
Une nouvelle « Perle » : La philosophie politique et morale mène décidément bien loin…
A la page « Notes de lecture » :
par Jean-Jacques Marie, sur Cronstadt 21
par Bernard Trinquet, sur Le vrai destin de Kurt Landau. Les révélations d’un agent stalinien, de Paolo CASCIOLA
par Jean-Jacques Marie, sur ALEXANDRE SUMPF, Okhrana. La police secrète des tsars 1883-1917
par Odile Dauphin, sur Une histoire de la manipulation par les chiffres de l’Antiquité à nos jours ou le théorème d’Hypocrite. Antoine HOULOU-GARCIA et Thierry MAUGENEST
A la page « STALINISME : complaisants ou trompés »,
Quand Alexandre Soljenitsyne répond aux auteurs du film sur le goulag
A la page « POINTS D’HISTOIRE« , dans la rubrique « Staline et le stalinisme« , A propos de NOVOTCHERKASSK,
Dans « Perles et falsifications » / « Falsifications » : Ukraine-Pologne : une histoire trafiquée.
Dans « POINTS D’HISTOIRE » / « Staline et le stalinisme » : La lutte contre le trotskysme dans le PC de Yougoslavie
Articles et documents mis en ligne en 2022 :
LES JEUX INTERDITS DES ENFANTS SOVIÉTIQUES , présentation de Guillaume Malaurie (dans Historia, juin 2022), du dernier livre de Jean-Jacques Marie : « Des gamins contre Staline«
Septembre 2022 : Une nouvelle rubrique est ouverte sur le site : « STALINISME. Complaisants ou trompés ? »
2 premiers exemples :
- Les médecins assassins de Moscou…, article du Monde, 18-19 janvier 1953 Présentation et 1er exemple
- Staline, la cour du tsar rouge, Simon Sebag Montefiore, 2003 Un historien ou un bouffon ?
15 juillet 2022 : après une interruption de plusieurs semaines (due à des problèmes techniques), nous reprenons l’alimentation du site :
Une « perle » de Boris Cyrulnik :
Boris Cyrulnik tel qu’en lui-même…
Dans « POINTS D’HISTOIRE » :
- un jugement du leader des mencheviks sur les bolcheviks
« Les bolcheviks suivent les masses »
- un article de Agustín Guillamón sur « les incontrôlés » en 1936 en Espagne
- La brochure publiée en 1945, « La lutte des trotskystes sous la terreur nazis », est entièrement mise en ligne dans la rubrique « Documents »: LA LUTTE DES TROTSKYSTES SOUS LA TERREUR NAZIE
- Quelques remarques sur le livre de Q. Duluermoz sur La Commune de Paris et son histoire par Emmanuel Brandely
- La page consacrée à l’historien russe Vadim Rogovine
- Une page consacrée à l’histoire de l’Ukraine.
LA QUESTION UKRAINIENNE texte de Léon Trotsky du 22 avril 1939
ARTICLES ET DOCUMENTS PARUS DANS LES CMO SUR L’HISTOIRE DE L’UKRAINE
ET PENDANT CE TEMPS, EN RUSSIE …
- Dans la page « Documents », référence de la publication des cahiers de Verkhnéouralsk
- Nouveaux articles
« Le vrai destin de Kurt Landau. Les révélations d’un agent stalinien », article de Paolo Casciola
Le vrai destin de Kurt Landau. Les révélations d’un agent stalinien.
« La collaboration Staline-Hitler » :
Quelques nostalgiques des grandioses réalisations de Staline (le Goulag, la peine de mort pour les petits larcins et pour les enfants de plus de douze ans, l’interdiction de l’avortement, les procès truqués, les purges à répétition, les déportations de peuples entiers, la traque des « cosmopolites »… etc), s’acharnent à rédiger, reproduire, imprimer et diffuser des pamphlets immondes visant à salir des acteurs de la révolution, en particulier Trotsky, qu’ils tentent de déguiser en complices ou agents d’Hitler et des nazis.
Ces déjections, dont les producteurs, privés de leur seul argument réel, les tueurs du NKVD, paraissent de grotesques perroquets, visent aussi à escamoter et à camoufler une réalité historique trop souvent gommée ou travestie : l’étroite collaboration politique, commerciale et même, à un moment, militaire entre Staline et Hitler pendant les 22 mois qui s’étendent du 23 août 1939 au 22 juin 1941. En voici les moments les plus importants et les plus significatifs :
La collaboration Staline-Hitler
Ajouts et modifications réalisés en 2021 :
- SURTOUT DE NOUVELLES RUBRIQUES :
- la « Section Varlam Chalamov »
- la « Bibliothèque (numérique) du mouvement ouvrier« ,
- Et « Les nouveaux Cahiers » pour les CMO qui paraîtront uniquement sur le site. Le CMO n° 86 a été mis en ligne en février, suivi par un « courrier de lecteur » en avril, ainsi que la discussion qu’il a occasionnée.
- enfin une nouvelle page (le 30/12/20) : « Documents » où sont mis en ligne des documents inédits ou rares. Le dernier « Un inédit de Vychinsky : juger un accusé (et en général le condamner à mort…), en une minute ! »
- ET DE NOUVEAUX ARTICLES DANS LES ANCIENNES RUBRIQUES :
- dans « Falsifications », « Un téléfilm russe sur Trotsky« .
- dans « Points d’histoire« , « Quand Joseph Staline démolit Grover Furr », « La démocratie est morte au parti travailliste de Starmer » (Ken Loach), « Vivre dans la Russie de Lénine » « Retour sur la défaite soviétique en Pologne il y a 100 ans », « L’âge d’or stalinien : … 1949 une année de déportations massives », « Quand le parti socialiste (SFIO) apportait son soutien aux procès de Moscou ».
Staline et un spécialiste de Hegel.
En 2011 une collaboratrice des éditions Delga a fait circuler le petit dossier ci-dessous formé de ma critique du livre de Domenico Losurdo, philosophe italien spécialiste de Hegel intitulé Staline, histoire et critique d’une légende noire, et, la réponse de Losurdo, rédigée en 2011. A l’époque je n’ai pas jugé utile de répondre à cette réponse. Au printemps de cette année on m’a demandé de le faire pour traduire en anglais et diffuser en Inde les deux premiers textes et ma réponse. Losurdo est mort en 2017. Des esprits pervers et malintentionnés affirmeront peut-être que craignant les foudres de l’hégélien j’ai prudemment attendu sa mort pour répliquer. Il n’en est rien, mais chacun croira ce qu’il voudra.
Jean-Jacques Marie
A propos du « Staline » de Losurdo : le débat entre Jean-Jacques Marie et Domenico Losurdo
« Socialisme du Goulag ! » écrit Jean-Jacques Marie. « Pensée primitive » répond Losurdo.
Nous publions une critique de Jean-Jacques Marie (collaborateur à La Quinzaine littéraire et animateur du Centre d’études et de recherche sur les mouvements trotskistes et révolutionnaires internationaux) du livre « Staline, histoire et critique d’une légende noire », et la réponse de Domenico Losurdo, auteur du livre. Une version courte du texte de Jean-Jacques Marie a été publiée dans le n° 1034 de La Quinzaine littéraire, paru le 15 mars 2011. Domenico Losurdo a donc adressé au journal des extraits de sa réponse à cet article, au ton très polémique. A ce jour, le journal ne l’a pas portée à la connaissance de ses lecteurs. Nous donnons quant à nous accès à l’intégralité des échanges entre Jean-Jacques Marie et Domenico Losurdo.
Le texte de Jean-Jacques Marie : « LE SOCIALISME DU GOULAG ! »
A cœur vaillant rien d’impossible, si l’on en croit les scouts. Domenico Losurdo dément cette mâle devise. Cœur vaillant il l’est sans aucun doute pour tenter de réhabiliter Staline. Mais l’inanité d’une telle entreprise, dont l’ambition est sans doute démesurée, saute vite aux yeux.
Vade retro, Khrouchtchev !
Il vitupère le rapport prononcé par Khrouchtchev contre certains crimes de Staline lors d’une ultime séance à huis clos du XXème congrès du PCUS en février 1956. Il en déforme d’abord la portée. A l’en croire, ce rapport serait un « réquisitoire qui se propose de liquider Staline sous tous ses aspects ». Or Khrouchtchev affirme d’emblée : « Le but du présent rapport n’est pas de procéder à une critique approfondie de la vie de Staline et de ses activités. Sur les mérites de Staline suffisamment de livres, d’opuscules et d’études ont été écrits durant sa vie. Le rôle de Staline dans la préparation et l’exécution de la guerre civile, ainsi que dans la lutte pour l’édification du socialisme dans notre pays est universellement connu. Chacun connaît cela parfaitement. » Et pour qui n’aurait pas compris il ajoute : « Le Parti a mené un dur combat contre les trotskistes, les droitiers et les nationalistes bourgeois (…) Là Staline a joué un rôle positif ». Khrouchtchev n’a donc rien à dire sur les procès de Moscou, dont Domenico Losurdo reprend nombre d’inventions présentées par lui comme autant de vérités. Merci donc à Staline pour la liquidation des opposants de toute nuance ! Khrouchtchev précise en effet « Staline avait toujours tenu compte de l’opinion de la collectivité avant le XVIème congrès » qui se tint en janvier 1934. Jusque là Staline a donc été un excellent dirigeant communiste. Staline ne devient mauvais que lorsqu’il commence à liquider ses propres partisans à partir de 1934. Losurdo gomme cette précision pour mettre sur le même plan Khrouchtchev et Trotsky.
Direction collective contre « culte de la personnalité »
Je dis Khrouchtchev mais Domenico Losurdo semble ignorer (ou dissimule) que Khrouchtchev n’est en réalité pas l’auteur du dit rapport. Ce dernier a été rédigé par Piotr Pospelov, sur la base des travaux d’une commission du Praesidium du comité central dirigée par lui. Ce Pospelov avait été le principal rédacteur de la biographie officielle de Staline publiée au lendemain de la guerre et longtemps rédacteur en chef de la Pravda. Un bon et authentique stalinien donc. Khrouchtchev s’est contenté d’ajouter au texte de Pospelov quelques saillies de son cru comme le détail (inventé et grotesque) selon lequel Staline aurait dirigé les opérations militaires de la seconde guerre mondiale sur un globe terrestre. Deux ou trois plaisanteries du même acabit ne modifient qu’à la marge la nature et la portée d’un rapport produit collectif d’une commission formée de partisans de Staline.
Ces staliniens ont un seul souci traduit par le reproche de “culte de la personnalité” adressé à Staline. Son sens très simple échappe complètement – malgré l’aide de Hegel – à Losurdo. Il signifie que le pouvoir est maintenant entre les mains, non du Guide suprême et Père des peuples, mais du Comité central que Staline n’avait convoqué que quatre fois de 1941 à sa mort en 1953. C’est ce que Khrouchtchev avait promis au Comité central lors de sa réunion de juin 1953 pour juger Beria. Et c’est ce que les membres du comité central réduits au silence les treize dernières années de la domination de Staline veulent entendre « Maintenant nous aurons une direction collective (…) Il faut convoquer régulièrement les plenums du comité central. » Le rapport lu par Khrouchtchev au nom du Praesidium du comité central est l’expression de cette volonté collective.
La déportation des peuples… « une carence de bon sens » !
Les arguments de Losurdo se résument en général à un schéma simple : tous les Etats, tous les gouvernements font la même chose ! Alors que reprocher à Staline ? Il cite ainsi le passage où le rapport Khrouchtchev dénonce les déportations de certains peuples en 1943-44 : « Non seulement un marxiste-léniniste, mais tout homme de bon sens ne peut comprendre comment il est possible de tenir des nations entières responsables d’activité inamicale, y compris les femmes, les enfants, les vieillards, les communistes et les komsomols (la jeunesse communiste) au point de recourir contre elles à la répression massive et de les condamner à la misère et à la souffrance en raison d’actes hostiles perpétrés par des individus ou des groupes d’individus ».
Khrouchtchev énumérait seulement cinq peuples déportés sur la douzaine qui subirent ce sort et que Losurdo – qui ne lui reproche nullement ce choix sélectif – se garde bien d’énumérer. Losurdo évoque en quelques mots « l’horreur de la punition collective », mais, une fois faite cette concession humanitaire à une tragédie qui vit périr en moyenne un quart des déportés -au premier chef vieillards et enfants – au cours de leur interminable transfert, il ajoute cyniquement « Cette pratique caractérise la Seconde guerre de trente ans [1] à commencer par la Russie tsariste qui, bien qu’alliée à l’Occident libéral, connaît au cours du premier conflit mondial “une vague de déportation” de “dimensions inconnues en Europe” ( surtout d’origine juive ou germanique) ». Il évoque ensuite l’expulsion des Hans du Tibet par l’ultra- réactionnaire Dalai Lama qui flirta un moment avec les nazis, puis l’internement dans des camps de tous les citoyens américains d’origine japonaise par le président américain démocrate Roosevelt en 1942. Donc conclut benoîtement notre philosophe italien : « si elle n’était pas distribuée de façon égale la carence de “bon sens” était bien répandue chez les leaders politiques du XXéme siècle ». Et passez muscade !
Donc dans la patrie triomphante du socialisme (car pour Losurdo le socialisme s’est épanoui en URSS) et qui a réalisé l’unité des peuples il est normal que l’on utilise les mêmes procédés que les chefs des pays capitalistes ou un obscurantiste féodal et même que le Tsar Nicolas II. Ce dernier, en 1915, en réponse à l’avance allemande, fit effectivement, déplacer vers l’Est un demi-million de juifs, soupçonnés officieusement d’espionnage au profit des Allemands. Mais la référence justificatrice est malencontreuse, car si barbare que fut ce transfert, il fit beaucoup moins de morts que celui des coréens soviétiques en 1937 (en l’absence de toute guerre) qualifiés collectivement d’espions potentiels au compte du Japon… dont ils avaient fui la terreur que le Japon déchaînait dans leur pays, ou que celui des Tatares de Crimée, des Kalmouks, des Tchétchènes et des Ingouches en 1944. Ajoutons que la déportation de ces deux derniers peuples est l’une des causes de la tragédie que vit leur région depuis près de vingt ans. L’héritage de Staline fait couler le sang encore aujourd’hui.
Losurdo utilise la même argumentation lorsqu’il évoque le Goulag en faisant défiler toutes les horreurs concentrationnaires des pays coloniaux…
Un héritier des procès de Moscou.
Losurdo reprend à son compte les falsifications des procès de Moscou, mais sans se référer directement à ces derniers tant la source est polluée. Il affirme ainsi, par exemple : en 1918 « Lénine, accusé ou soupçonné de trahison semble être la cible d’un projet, si vague fût-il, de coup d’Etat envisagé par Boukharine ». Ce projet fabriqué par le procureur Vychinski lors du troisième procès de Moscou de mars 1938 est ici présenté d’abord comme hypothétique, avant de devenir une certitude par un coup de baguette magique : « Pour déjouer la paix de Brest-Litovsk, qu’il avait vécue comme une capitulation devant l’impérialisme allemand et une trahison de l’internationalisme prolétarien, Boukharine cultive un instant l’idée d’une sorte de coup d’Etat, visant au moins pour quelque temps à écarter du pouvoir celui qui jusque-là était le leader indiscutable des bolcheviques » (référence : supra 2.2… c’est-à-dire la phrase précédente, l’invention se servant à elle-même de preuve !). Pensant sans doute qu’une fable plusieurs fois répétée accède par là même au statut de vérité, il écrit plus loin : « Nous avons vu Boukharine à l’occasion du traité de Brest-Litovsk caresser un instant le projet d’une sorte de coup d’Etat contre Lénine, à qui il reproche de vouloir transformer le “parti en un tas de fumier” ». En réalité nous n’avons rien vu du tout, sinon les pirouettes de Losurdo.
Pourquoi Losurdo qui multiplie les références à n’importe qui y compris à Sir Montefiore, promu du statut de romancier à celui d’historien ou au romancier Feuchtwanger que Staline fit venir exalter le deuxième procès de Moscou en échange de la publication de ses œuvres en URSS et du paiement d’honoraires juteux, n’en donne aucune à cette invention de Vychinski ? C’est que la vérité est fort simple : pendant le discours de Lénine au Comité exécutif des soviets du 23 février 1918 sur le traité de Brest-Litovsk, le Socialiste-Révolutionnaire (S-R) de gauche Kamkov – dont le parti était encore alors au gouvernement – s’approche des “communistes de gauche” Piatakov et Boukharine hostiles à la signature, et leur demande ce qui se passera s’ils ont la majorité dans le parti contre la paix de Brest-Litovsk. A son avis, leur dit-il, « dans ce cas-là Lénine s’en ira et vous et nous nous devrons installer un nouveau Conseil des commissaires du peuple » que Piatakov pourrait présider. Les deux hommes n’y voient qu’une plaisanterie. Quelques jours plus tard, le S-R de gauche Prochian suggère à Radek qu’au lieu d’écrire des résolutions interminables les communistes de gauche feraient mieux d’arrêter Lénine vingt-quatre heures, de déclarer la guerre aux Allemands puis de réélire à l’unanimité Lénine président du gouvernement, car, dit-il, contraint de réagir à l’offensive allemande, « tout en nous insultant nous et vous, Lénine mènera néanmoins une guerre défensive mieux que n’importe qui ». Six mois plus tard Prochian meurt. Radek répète alors sa phrase à Lénine, qui éclate de rire.
Au début de décembre 1923, en pleine campagne de l’Opposition de gauche pour la démocratisation du parti, Boukharine, alors allié de Staline contre elle, transforme pour les stigmatiser ces anecdotes en propositions sérieuses que les « communistes de gauche » de l’époque auraient, affirme-t-il malgré les dénégations de tous les intéressés, discutées. L’Opposition, conclut-il, fait donc le jeu des ennemis du parti. Zinoviev s’indigne : les communistes de gauche ont alors dissimulé ces propositions ignobles au Comité central qui ne l’apprend que six ans plus tard ! Staline va plus loin : certains opposants de 1923 étaient déjà, selon lui, des membres potentiels du prétendu gouvernement anti-léniniste de 1918. Boukharine paiera de sa vie ce trafic politicien de la mémoire. Au troisième procès de Moscou, en mars 1938, le procureur Vychinski, utilisant ses déclarations démagogiques de 1923, l’accusera d’avoir négocié avec les S-R de gauche le renversement et l’arrestation de Lénine. Boukharine sera condamné à mort.
Ignorantus, ignoranta, ignorantum…
Domenico Losurdo ne connaît pas l’histoire sur laquelle il brosse des commentaires ornés parfois de références à Hegel qui n’y peut mais. Il qualifie ainsi de « dirigeant menchevique » le chef du gouvernement provisoire de 1917 Alexandre Kerenski. Or Kerenski, proche des socialistes-révolutionnaires, ne fut jamais menchevique de sa vie… Evoquant l’assassinat de Serge Kirov le 1er décembre 1934 à Leningrad, il écrit « Au départ les enquêtes des autorités se tournent vers les Gardes blanches » (p. 102). Les autorités ont eu une étrange façon de se tourner vers eux. Dès le lendemain du meurtre Staline fait fusiller une centaine de gardes blancs… déjà en prison et que nul n’interroge avant puisqu’ils ne pouvaient de leur cellule organiser le moindre attentat.
Voulant confirmer la perfidie de Trotsky, il affirme plus loin « Lénine voit déjà peser sur la Russie soviétique un péril bonapartiste et exprime ses préoccupations même au sujet de Trotski » (p 127). L’absence de référence, là encore, cache un trucage : en 1924, l’année de la mort de Lénine, Gorki, alors en Italie, publie Lénine et le paysan russe où il ne cite que des phrases élogieuses de Lénine sur Trotsky. Six ans plus tard, en URSS, Gorki réédite son livre et y ajoute une phrase prêtée à Lénine ainsi revenu d’outre-tombe six ans après sa mort pour exprimer une crainte bien tardive sur les ambitions bonapartistes imaginaires de Trotsky. Plus stupéfiant encore, il évoque à maintes reprises une prétendue «conspiration dirigée par Trotsky » et confirme cette fable reprise (sans qu’il le dise) des procès de Moscou … en citant Curzio Malaparte. Or aucun historien n’a jamais considéré Malaparte comme une source autre que littéraire. Qui ira citer Kaput dans une Histoire de la seconde guerre mondiale ? Ecrivain de talent, il ne considérait l’histoire que comme une servante de la littérature et fabulait à qui mieux mieux.
Ah le bon Goulag !
Il faut bien s’arrêter un moment dans le trop facile démontage des fantaisies de Losurdo. Mais l’on ne saurait passer sous silence ses divagations sur le Goulag. Certes il souligne à bon droit que le Goulag stalinien n’est pas globalement le camp d’extermination que furent les camps nazis destinés aux Juifs. Cela dit, on ne peut lire sans surprise l’affirmation que « aux tentatives de réaliser dans la “totalité” du pays la « démocratie soviétique », « le démocratisme socialiste » et même “un socialisme sans la dictature du prolétariat” (comme si le prolétariat opprimé exerçait alors la moindre dictature !) correspondent les tentatives de rétablir dans le Goulag la “légalité socialiste” ou la “légalité révolutionnaire ». Enfin Losurdo, trouvant dans le Goulag “une préoccupation pédagogique”, s’extasie : « le détenu du Goulag est “un camarade” potentiel obligé de participer dans des conditions particulièrement dures à l’effort productif de tout le pays ». Particulièrement dures, certes mais le mot “camarade” même très potentiel n’a pas de prix. Et, Losurdo nous le jure, « jusqu’en 1937 les gardes appelaient le prisonnier “camarade”. Et d’ailleurs la réclusion dans le camp de concentration n’exclut pas la possibilité de promotion sociale ». Quel ascenseur social ce socialisme du goulag !
Texte reçu par M-A Patrizio via M. Barbe, le 21 février 2011
La réponse de Domenico Losurdo : La pensée primitive et Staline comme bouc émissaire
On n’appréciera jamais assez la sagesse du mot attribué à Georges Clemenceau : la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier à des généraux ! Même dans son chauvinisme et anticommunisme aigu, le premier ministre français gardait une conscience assez lucide du fait que les spécialistes (dans ce cas les spécialistes de la guerre) sont souvent capables de voir les arbres mais pas la forêt, et se laissent déborder par les détails en perdant de vue le tout ; en ce sens, ils connaissent tout sauf l’essentiel. On est immédiatement porté à penser à ce qu’a dit Clemenceau quand on lit le démolissage que Jean-Jacques Marie voudrait réserver à mon livre sur Staline. A ce qu’il semble, l’auteur est l’un des plus grands experts de « trotskismo-logie », et il tient à le démontrer en toute circonstance.
1. Staline liquidé par le Rapport Khrouchtchev, le Rapport Khrouchtchev liquidé par les historiens
Marie commence tout de suite par contester mon affirmation selon laquelle Khrouchtchev « se propose de liquider Staline sous tous ses aspects ». C’est pourtant le grand intellectuel trotskiste Isaac Deutscher qui souligne que le Rapport secret dépeint Staline comme un « énorme monstre humain, sombre, capricieux, dégénéré ». Et, cependant, ce portrait n’est encore pas assez monstrueux aux yeux de Marie ! Mon livre poursuit ainsi : dans le réquisitoire prononcé par Khrouchtchev « celui qui était responsable de crimes horribles était un individu méprisable sur le plan moral comme sur le plan intellectuel. Le dictateur était non seulement impitoyable mais aussi risible ». Pensons seulement à un détail sur lequel s’arrête Khrouchtchev : « Il y a lieu de noter que Staline dressait ses plans en utilisant un globe terrestre. Oui, camarades, c’est à l’aide d’un globe terrestre qu’il établissait la ligne du front » (p. 27-29 de l’édition française). Il est clair que le portrait ici tracé de Staline est caricatural : comment l’URSS a-t-elle fait pour vaincre Hitler en étant dirigée par un leader à la fois criminel et imbécile ? Et comment ce leader à la fois criminel et imbécile a-t-il réussi à diriger depuis un « globe terrestre » une bataille épique comme celle de Stalingrad, combattue quartier par quartier, rue par rue, étage par étage, porte par porte ? Au lieu de répondre à ces objections, Marie se préoccupe de démontrer qu’en tant que plus grand expert de « trotskismo-logie », il connaît de mémoire le Rapport Khrouchtchev et se met à le citer en long et en large, sur des aspects qui n’ont rien à voir avec le problème en question !
Je démontre que cette liquidation totale de Staline (sur le pan intellectuel en plus de moral) ne résiste pas à l’enquête historique, en réclamant l’attention sur deux points : d’éminents historiens (dont aucun ne peut être suspecté d’être pro-stalinien) parlent de Staline comme le « plus grand leader militaire du vingtième siècle ». Et vont plus loin encore : ils lui attribuent un « talent politique exceptionnel » et le considèrent comme un homme politique « extrêmement doué » qui sauve la nation russe de la décimation et de la mise en esclavage auxquelles la destine le Troisième Reich ; et ceci grâce non seulement à son accorte stratégie militaire mais aussi à des discours de guerre « magistraux », parfois véritables « morceaux de bravoure » qui arrivent dans des moments tragiques à stimuler la résistance nationale. Ce n’est pas tout : des historiens fervents anti-staliniens reconnaissent la « perspicacité » avec laquelle il traite de la question nationale dans son écrit de 1913 et l’« effet positif » de sa «contribution » sur la linguistique (p. 409).
En second lieu je fais noter que Deutscher dès 1966 exprimait de forts doutes sur la crédibilité du Rapport secret : « Je n’arrive pas à accepter sans réserves les présumées « révélations » de Khrouchtchev, en particulier son affirmation que pendant la Seconde Guerre mondiale [et dans la victoire sur le Troisième Reich). Staline n’eut qu’un rôle pratiquement insignifiant » (p. 407). Aujourd’hui à la lumière du nouveau matériel à notre disposition, les chercheurs qui accusent Khrouchtchev d’avoir eu recours au mensonge sont loin d’être rares. Donc : si Khrouchtchev procède à la liquidation totale de Staline, l’historiographie plus récente liquide la crédibilité du dit Rapport secret.
Comment Marie répond-il à tout cela ? Il synthétise non seulement mon point de vue mais celui des auteurs que je cite (y compris le trotskiste Isaac Deutscher) avec la formule : « Vade retro Khrouchtchev ! ». C’est-à-dire que le grand expert de « trotskismo-logie » croit exorciser les difficultés insurmontables dans lesquelles il se débat en prononçant deux mots de latin (ecclésiastique) !
Voyons un second exemple. Au début du deuxième chapitre (« Les Bolcheviques du conflit idéologique à la guerre civile »), j’analyse le conflit qui se développe à l’occasion de la paix de Brest-Litovsk. Boukharine dénonce la « dégénérescence paysanne de notre parti et du pouvoir soviétique » ; d’autres bolcheviques démissionnent du parti ; d’autres encore déclarent désormais dépourvu de valeur le pouvoir soviétique lui-même. Sur le versant opposé Lénine exprime son indignation pour ces propos « étranges » et « monstrueux ». Dès les premiers mois de son existence, la Russie soviétique voit se développer un conflit idéologique qui est d’une extrême âpreté et sur le point de se transformer en guerre civile. Et se transformera d’autant plus facilement en guerre civile -dis-je dans mon livre- quand, avec la mort de Lénine, « vient à manquer une autorité indiscutée ». Et même -j’ajoute- selon un illustre historien bourgeois (Conquest), à cette occasion déjà Boukharine avait caressé l’idée d’un coup d’Etat (p. 71). Comment Marie répond-il à tout cela ? A nouveau, il exhibe toute son érudition de grand et peut-être le plus grand expert de « trotskismo-logie », mais ne fait aucun effort pour répondre aux questions qui s’imposent : si le conflit mortel qui lacère ensuite le groupe dirigeant bolchevique n’est la faute que de Staline (la pensée primitive ne peut se passer du bouc émissaire), comment expliquer le dur échange d’accusations qui voit Lénine condamner comme « monstrueuses » les phrases prononcées par ceux qui fustigent la « dégénérescence » du parti communiste et du pouvoir soviétique ? Et comment expliquer le fait que Robert Conquest, qui a dédié toute son existence à démontrer l’infamie de Staline et des procès de Moscou, parle d’un projet de coup d’Etat contre Lénine cultivé et caressé par Boukharine ?
Ne sachant que répondre, Marie m’accuse de manipulation et écrit même que, dans ma référence à l’idée de coup d’Etat de Boukharine, je ne renvoie qu’à moi-même. Je n’ai pas de temps à perdre avec les insultes. Je me limiterai à faire remarquer que p. 71, à la note 137, je renvoie à un historien (Conquest) qui n’est inférieur à Marie ni par l’érudition ni par le zèle anti-stalinien.
2. Comment les trotskistes à la Marie insultent-ils Trotski ?
Avec la mort de Lénine et la consolidation du pouvoir de Staline, le conflit idéologique se transforme de plus en plus en guerre civile : la dialectique de Saturne, qui se manifeste d’une façon ou d’une autre dans toutes les grandes révolutions, n’épargne malheureusement pas non plus les bolcheviques. Je développe cette thèse dans la seconde partie du second chapitre, en citant une série de personnalités assez différentes entre elles (qui révèlent l’existence d’un appareil clandestin et militaire mis sur pied par l’opposition), et en citant surtout Trotski. Oui, c’est Trotski en personne qui déclare que la lutte contre « l’oligarchie bureaucratique » stalinienne « ne comporte pas de solution pacifique ». Et c’est lui encore qui proclame que « le pays se dirige manifestement vers une révolution », vers une guerre civile et que « dans les conditions d’une guerre civile, l’assassinat de certains oppresseurs cesse d’être du terrorisme individuel », mais est partie intégrante de la « lutte à mort » entre les factions opposées (p. 104). Comme on le voit, dans ce cas au moins c’est Trotski lui-même qui met en crise la mythologie du bouc émissaire.
On comprend l’embarras tout particulier de Marie. Et alors ? Nous connaissons déjà l’étalage d’érudition comme écran de fumée. Allons à la substance. Parmi les nombreuses et plus diverses personnalités que je cite Marie en choisit deux : il considère l’une (Malaparte) comme incompétente, l’autre (Feuchtwanger), il la stigmatise comme agent soudoyé au service du criminel et imbécile qui siège au Kremlin. Et ainsi les jeux sont faits : la guerre civile a disparu et de nouveau le primitivisme du bouc émissaire peut célébrer son triomphe. Mais, refuser de prendre en considération les arguments adoptés par un grand intellectuel tel que Feuchtwanger, pour se borner à le qualifier d’agent soudoyé au service de l’ennemi : n’est-ce pas le mode de procéder généralement considéré comme « stalinien » ? Et surtout : que devons-nous penser du témoignage de Trotski, qui parle de « guerre civile » et de «lutte à mort » ? N’est-ce pas un paradoxe que le grand spécialiste et éminent desservant de la «trotskismo-logie » ne contraigne au silence la divinité qu’il vénère ? Oui, mais ce n’est pas le seul paradoxe ni même le plus criant. Voyons : Trotski non seulement compare Staline à Nicolas II (p. 104), mais va plus loin : au Kremlin siège « un provocateur au service d’Hitler » voire « le majordome de Hitler » (p. 126 et 401). Et Trotski, qui se vantait d’avoir de nombreux disciples en Union Soviétique et qui même, selon Broué (biographe et hagiographe de Trotski), était arrivé à infiltrer ses « fidèles » à l’intérieur de la GPU, Trotski n’aurait rien fait pour renverser le pouvoir contre-révolutionnaire du nouveau tsar, ou domestique du Troisième Reich ? Marie finit par peindre Trotski comme un simple phraseur qui se limite à des tirades de comptoir ou même comme un révolutionnaire dépourvu de cohérence voire peureux et vil. Le paradoxe le plus criant est que je sois de fait contraint de défendre Trotski contre certains de ses apologètes !
Je dis « certains de ses apologètes » car tous ne sont pas aussi démunis que Marie. A propos de l’ « impitoyable guerre civile » qui se développe entre les bolcheviques, j’observe dans mon livre : « Nous sommes en présence d’une catégorie qui constitue le fil conducteur de la recherche d’un historien russe (Rogowin) d’obédience trotskiste sûre et avérée, auteur d’une œuvre monumentale en plusieurs volumes, dédiée justement à la reconstruction minutieuse de cette guerre civile. On y parle, à propos de la Russie soviétique, de « guerre civile » déchaînée par Staline contre ceux qui s’organisent pour le renverser. Même hors de Russie, cette guerre civile se manifeste et par moments se diffuse dans le cadre du front qui combat contre Franco ; et, de fait, faisant référence à l’Espagne de 1936-39, on parle non pas d’une mais de « deux guerres civiles ». Avec une grande honnêteté intellectuelle et mettant à profit un matériel documentaire nouveau et riche, disponible grâce à l’ouverture des archives russes, l’auteur cité ici arrive à la conclusion : «Les procès de Moscou ne furent pas un crime immotivé et de sang-froid mais bien la réaction de Staline au cours d’une lutte politique aÏgue » ».
Dans une polémique avec Alexandre Soljenitsine, qui dépeint les victimes des purges comme un ensemble de « lapins », l’historien trotskiste russe rapporte un tract qui appelait, dans les années trente, à balayer hors du Kremlin « le dictateur fasciste et sa clique ». Et commente ensuite : « Même du point de vue de la législation russe en vigueur aujourd’hui, ce tract doit être jugé comme un appel au renversement violent du pouvoir (plus exactement de la couche supérieure dominante) ». En conclusion, bien loin d’être l’expression d’« un accès de violence irrationnelle et insensée », la terreur sanguinaire déclenchée par Staline est en réalité l’unique façon par laquelle celui-ci arrive à plier « la résistance des vraies forces communistes » (p. 117-8).
Ainsi s’exprime l’historien trotskiste russe. Sauf que Marie, pour ne pas renoncer à son primitivisme et à la recherche du bouc émissaire (Staline) sur lequel faire converger tous les péchés de la Terreur et de l’Union Soviétique dans son ensemble, préfère suivre le sillon tracé par Soljenitsine et représenter Trotski comme un « lapin ».
3. Trahison ou contradiction objective ? La leçon de Hegel
Dans le cadre que j’ai tracé, les mérites de Staline restent acquis : il a compris une série de points essentiels : la nouvelle phase historique qui s’ouvrait avec l’échec de la révolution en Occident ; le danger de colonisation esclavagiste qui menaçait la Russie soviétique ; l’urgence de la récupération du retard par rapport à l’Occident ; la nécessité de l’acquisition de la science et de la technologie les plus avancées, et la conscience que la lutte pour y parvenir peut être dans certaines circonstances un aspect essentiel voire décisif de la lutte de classe ; la nécessité de relier patriotisme et internationalisme et la compréhension du fait qu’une lutte de résistance et de libération nationale victorieuse (comme l’a été la Grande guerre patriotique) constitue en même temps une contribution de premier plan à la cause internationaliste de la lutte contre l’impérialisme et le capitalisme. Stalingrad a fondé les prémisses de la crise du système colonial à l’échelle planétaire. Le monde d’aujourd’hui est caractérisé par les difficultés croissantes du système néo-colonialiste, par l’émergence de pays comme la Chine et l’Inde et plus généralement des civilisations à l’époque assujetties ou anéanties par l’Occident, par la crise de la doctrine Monroe et par l’effort de certains pays sud-américains de relier lutte contre l’impérialisme et construction d’une société post-capitaliste. Eh bien, ce monde est impensable sans Stalingrad.
Et cependant, ayant dit ceci, il est possible de comprendre la tragédie de Trotski. Après avoir reconnu le grand rôle qu’il a joué au cours de la révolution d’Octobre, mon livre décrit ainsi le conflit qui va se profiler avec la mort de Lénine : « Dans la mesure où un pouvoir charismatique était encore possible, celui-ci tendait à prendre corps dans la figure de Trotski, le génial organisateur de l’Armée rouge et le brillant orateur et prosateur qui prétendait incarner les espoirs de triomphe de la révolution mondiale, et qui en faisait découler la légitimité de son aspiration à gouverner le parti et l’Etat. Staline était par contre l’incarnation du pouvoir légal- traditionnel, qui cherchait laborieusement à prendre forme : au contraire de Trotski arrivé tard au bolchevisme, il représentait la continuité historique dans le parti protagoniste de la révolution et, donc, détenteur de la nouvelle légalité ; de plus, en affirmant la faisabilité du socialisme même dans un seul (grand) pays, Staline conférait une nouvelle dignité et identité à la nation russe, qui dépassait ainsi la crise épouvantable, qui n’était pas seulement matérielle, subie à partir de la défaite et du chaos de la Première guerre mondiale : et la nation retrouvait sa continuité historique. Mais à cause de cela justement, les adversaires criaient à la « trahison », tandis que, aux yeux de Staline et de ses disciples, apparaissaient comme traîtres ceux qui avec leur aventurisme, en facilitant l’intervention des puissances étrangères, mettaient en danger, en dernière analyse, la survie de la nation russe, qui était en même temps le département d’avant-garde de la cause révolutionnaire. L’affrontement entre Staline et Trotski est le conflit non seulement entre deux programmes politiques mais aussi entre deux principes de légitimité. » (p. 150).
A un certain moment, face à la radicale nouveauté du cadre national et international, Trotski se convainc (à tort) qu’il y a eu une contre-révolution à Moscou et agit en conséquence. Dans le cadre tracé par Marie, par contre, Trostki et ses disciples, bien qu’ils aient réussi à s’infiltrer dans la GPU et dans d’autres secteurs vitaux de l’appareil d’Etat, se laissent abattre et massacrer, sans combattre, par le contre-révolutionnaire criminel et idiot qui est au Kremlin. Pas de doute, c’est cette lecture qui ridiculise en particulier Trotski, en rapetissant et en rendant mesquins et méconnaissables tous les protagonistes de la grande tragédie historique qui s’est développée sur l’onde de la révolution russe (comme de toute grande révolution).
Pour comprendre de façon adéquate cette tragédie, il faut s’appuyer sur la catégorie de contradiction objective chère à Hegel (et à Marx). Malheureusement par contre – comme je l’observe dans mon livre- autant Staline que Trotski partagent la même pauvreté philosophique, et n’arrivent pas à aller au-delà de l’échange réciproque de l’accusation de trahison : « De part et d’autre, plutôt que de s’engager dans l’analyse laborieuse des contradictions objectives et des options opposées, et des conflits politiques qui se développaient sur cette base, on préfère invoquer la catégorie de trahison, et, dans sa configuration extrême, le traître devient l’agent conscient et mercenaire de l’ennemi. Trotski n’a de cesse de dénoncer « le complot de la bureaucratie stalinienne contre la classe ouvrière », et le complot est d’autant plus méprisable que la « bureaucratie stalinienne » ; n’est rien d’autre qu’un « appareil de transmission de l’impérialisme ». Le moins qu’on puisse dire est que Trotski sera largement payé de sa pièce. Il se plaint d’être stigmatisé comme « agent d’une puissance étrangère » mais stigmatise lui-même Staline comme « provocateur au service de Hitler » » (p. 126).
Moins que jamais disposé à problématiser la catégorie de trahison, Marie ironise sur mon fréquent renvoi à Hegel. Dans le débat en cours ici, qui est donc le « stalinien » ?
4. Le comparatisme comme instrument de lutte contre les falsifications de l’idéologie dominante
Nous avons vu jusqu’ici chez le grand expert de « trotskismo-logie » un étalage d’érudition comme fin en soi ou utilisé comme écran de fumée. Et, pourtant, il faut reconnaître à Marie un raisonnement, ou du moins une tentative de raisonnement. Alors que je confronte les crimes de Staline, ou attribués à Staline, à ceux perpétrés par l’Occident libéral et par ses alliés, Marie objecte : « Donc dans la patrie triomphante du socialisme (car pour Losurdo le socialisme s’est épanoui en URSS) et qui a réalisé l’unité des peuples il est normal que l’on utilise les mêmes procédés que les chefs des pays capitalistes ou un obscurantiste féodal et même que le Tsar Nicolas II ». Examinons cette objection. Laissons de côté les imprécisions, forçages ou véritables méprises. Je ne parle nulle part de l’URSS ou d’un autre pays comme « la patrie triomphante du socialisme » ; dans mes livres j’ai écrit, au contraire, que le socialisme est un « processus d’apprentissage » difficile et bien loin d’être conclu. Mais concentrons-nous sur l’essentiel. A partir de la révolution d’Octobre jusqu’à nos jours, on trouve de façon constante dans l’idéologie dominante la tendance à diaboliser tout ce qui a quelque rapport avec l’histoire du communisme. Comme je le fais remarquer dans mon livre, pendant quelque temps c’est Trotski qui est stigmatisé (par Goebbels, par exemple) comme celui qui « a peut-être sur la conscience le plus grand nombre de crimes qui ait jamais pesé sur un homme » (p. 343) ; ce peu glorieux primat a été attribué ensuite à Staline, puis aujourd’hui à Mao Zedong ; et sont aussi criminalisés Tito, Ho Chi Minh, Castro etc. Devons-nous subir cette «diabolisation» qui, comme je le soutiens dans le dernier chapitre, n’est que l’autre face de l’« hagiographie » du capitalisme et de l’impérialisme ?
Voyons comment Marx réagit à cette manipulation manichéenne. Alors que la bourgeoisie de son époque, partant de l’exécution des otages et de l’incendie allumé par les Communards, dénonce la Commune de Paris comme synonyme d’infâmes barbaries, Marx répond que les pratiques de la prise (et de l’éventuelle exécution) d’otages et du déclenchement d’incendies avaient été inventées par les classes dominantes et que, en tous cas, pour ce qui concerne les incendies, il fallait distinguer entre «vandalisme d’une défense désespérée » (celle des Communards) et « vandalisme du triomphe ».
Marie me fait trop d’honneur quand il polémique sur ce point avec moi : il ferait mieux de s’en prendre directement à Marx. Ou bien, il pourrait s’en prendre à Trotski, qui procède lui aussi de la façon qui m’est reprochée à moi : dans le petit livre Leur morale et la nôtre Trotski se réclame du Marx que j’ai déjà cité et, pour réfuter l’accusation selon laquelle les bolcheviques et seulement eux s’inspirent du principe selon lequel « la fin justifie les moyens » (violents et brutaux), il met en cause le comportement non seulement de la bourgeoisie des 19ème et 20ème siècles mais celui déjà…de Luther, protagoniste de la guerre d’extermination contre Müntzer et les paysans.
Si ce n’est que, pris comme il l’est dans le culte de l’érudition, Marie ne réfléchit même pas sur les textes des auteurs qui lui sont le plus chers. Et en fait il ironise sur moi en donnant à son intervention le titre : « Le socialisme du Goulag ! ». On pourrait, évidement, avec cette même ironie, se gausser de la Russie soviétique de Lénine (et Trotski) : « Le socialisme (ou la révolution socialiste) de la Tcheka » ou bien « Le socialisme (ou la révolution socialiste) de la prise d’otages » (en ayant à l’esprit que, dans Leur morale et la nôtre, Trotski est contraint de se défendre même de l’accusation d’avoir eu recours à cette pratique). En réalité, avec cette ironie chère à Marie on peut liquider n’importe quelle révolution. Nous aurions alors : « La Commune des otages fusillés », « La liberté et l’égalité de la guillotine », etc. etc. Il ne s’agit pas, au demeurant, d’exemples imaginaires : c’est de cette manière que la tradition de pensée réactionnaire a liquidé la Révolution française (et surtout le jacobinisme), la Commune de Paris, la révolution russe, etc.
Marx a synthétisé la méthodologie du matérialisme historique dans l’affirmation selon quoi « les hommes font eux-mêmes leur histoire, mais dans des circonstances qu’ils n’ont pas choisies ». Au lieu de partir de ces leçons pour interroger les erreurs, les dilemmes moraux, les crimes des protagonistes de toute grande crise historique, Marie formule cette simple alternative : ou les mouvements révolutionnaires sont souverainement supérieurs et même miraculeusement transcendants par rapport au monde historique, et aux contradictions et aux conflits du monde historique, dans lequel ces mouvements se développent ; ou bien ces mouvements révolutionnaires sont un échec complet et une tromperie totale. Et ainsi l’histoire des révolutions dans son ensemble se configure comme l’histoire d’un échec unique, ininterrompu et misérable, et d’une tromperie. Et Marie, une fois de plus, se place dans le sillon de la tradition de pensée réactionnaire.
5. Le socialisme comme processus d’apprentissage laborieux et inachevé
J’ai dit que la construction du socialisme est un processus d’apprentissage laborieux et inachevé. Mais c’est justement pour cela qu’il faut s’atteler à formuler des réponses : le socialisme et le communisme comportent-ils la disparition totale des identités et jusque des langues nationales, ou bien Castro a-t-il raison quand il dit que les communistes ont eu tort de sous-évaluer le poids que la question nationale continue à exercer même après la révolution anti-impérialiste et anti-capitaliste ? Dans la société de l’avenir prévisible n’y aura-t-il plus de place pour aucun type de marché et pas même pour l’argent, ou bien devons-nous tirer profit de la leçon de Gramsci, selon qui il ne faut pas oublier le caractère «déterminé » du « marché » ? A propos du communisme, Marx parle parfois d’« extinction de l’Etat », d’autres fois d’ « extinction de l’Etat dans le sens politique actuel » : ce sont deux formules sensiblement différentes entre elles ; de laquelle des deux peut-on s’inspirer ? Ce sont ces problèmes qui provoquent entre les bolcheviques d’abord un âpre conflit idéologique puis la guerre civile ; et c’est à ces problèmes qu’il faut répondre, si l’on veut redonner une crédibilité au projet révolutionnaire communiste, en évitant les tragédies du passé. C’est dans cet esprit que j’ai écrit d’abord Fuir l’histoire ? La révolution russe et la révolution chinoise aujourd’hui, puis Staline. Histoire et critique d’une légende noire. Si l’on n’affronte pas ces problèmes, on ne pourra ni comprendre le passé ni projeter l’avenir. Si l’on n’affronte pas ces problèmes, apprendre par cœur même les plus minimes détails de la biographie (ou de l’hagiographie) de tel ou tel protagoniste d’Octobre 1917 ne servira qu’à confirmer une fois de plus la profondeur du mot cher à Clemenceau : de même que la guerre est une chose trop sérieuse pour la confier aux généraux et aux spécialistes de la guerre, ainsi l’histoire de la tragédie de Trotski même (sans parler de la grande et tragique histoire du mouvement communiste dans son ensemble) est une chose trop sérieuse pour la confier aux spécialistes et aux généraux de la trotskismo-logie.
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
http://domenicolosurdo.blogspot.com/
Staline, Histoire et critique d’une légende noire de Domenico Losurdo, traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio, éditions Aden, Bruxelles, 532 pages, 30 euros.
Voir sur le site quelques extraits du livre ainsi que la critique de Baptiste Eychart, Retour sur un Dieu déchu, et un texte d’André Tosel.
Notes : [1] De la première guerre mondiale aux lendemains de la seconde, note de Jean- Jacques Marie Losurdo ignore manifestement ou efface un fait pourtant significatif sur sa portée :le rapport Khrouchtchev est l’oeuvre ,non de ce dernier, mais d’une commission du comité central dirigée par Piotr Pospelov, ancien co-auteur de la biographie officielle de Staline publiée après la guerre et rédacteur en chef de la Pravda à cette période… Khrouchtchev a ajouté quelques saillies très douteuses- comme l’affirmation, moqueuse mais absurde, que Staline de 1941 à 1945, dirigeait ses opérations militaires à l’aide d’un globe terrestre .
Hannah Arendt apologète de Staline (et d’ Hitler)
Jean-Jacques Marie
Dans sa présentation d’Hannah Arendt le site Babelio écrit : « Ses ouvrages sur le phénomène totalitaire sont étudiés dans le monde entier et sa pensée politique et philosophique occupe une place importante dans la réflexion contemporaine. » Le premier des trois livres cités par ce site, qui, dans les lignes citées ci-dessus, reflète l’opinion dominante dans l’intelligentsia sur la politologue américaine, est Les origines du totalitarisme, présenté comme son « ouvrage fondamental » sur le site Les philosophes.fr
Staline simple « fonctionnaire des masses qu’il conduit » ?
Dans son livre Le système totalitaire, troisième partie de son livre The origins of Totaliarism révisé et republié en 1958 et 1966, après donc le rapport Krouchtchev au XXème Congrès du PCUS en 1956 puis de nombreuses révélations sur la réalité de l’URSS stalinienne, livre où elle présente l’Allemagne nazie et l’URSS stalinienne comme les deux exemples de ce système, Hannah Arendt, cette idéologue américaine longtemps célébrée par de nombreux plumitifs de l’intelligentsia occidentale écrit :
« Le totalitarisme élimine la distance entre gouvernants et gouvernés (…) le chef totalitaire n’est, en substance, ni plus ni moins que le fonctionnaire des masses qu’il conduit ; ce n’est pas un individu assoiffé de pouvoir qui impose à ses sujets une volonté tyrannique et arbitraire. Etant un simple fonctionnaire, il peut être remplacé à tout moment et il dépend tout autant de la « volonté » des masses qu’il incarne que ces masses dépendent de lui ».
Un fonctionnaire est inséré dans un certain nombre de règles qu’il doit observer et faire appliquer. Son initiative personnelle est en général très limitée. Aussi Hannah Arendt enrichit-elle cette vision de Staline (et d’Hitler) comme deux fonctionnaires en les dotant l’un et l’autre d’un atout dont les fonctionnaires, en général, bénéficient fort rarement : « Ni Hitler ni Staline n’auraient pu maintenir leur autorité sur de vastes populations, survivre à de nombreuses crises intérieures et extérieures, et braver les dangers multiples (?) d’implacables luttes intestines s’ils n’avaient bénéficié de la confiance des masses. » Et elle précise : « Ni les procès de Moscou ni la liquidation de Röhm n’auraient été possibles si les masses n’avaient pas soutenu Staline et Hitler ». Quel argument peut-elle avancer en faveur de cette affirmation ? Elle n’ose manifestement pas évoquer les actualités soviétiques qui montrent des réunions dans des usines (avec présence obligatoire) où les ouvriers sont invités à voter à main levée la résolution présentée par un cadre du parti dénonçant les condamnés comme des traîtres et saboteurs trotskystes agents de diverses puissances étrangères. L’ouvrier sait ce qui l’attend s’il ne la vote pas : la prison ou le goulag. Arendt invente donc un fondement théorique : « L’attraction qu’exercent le mal et le crime sur la mentalité de la populace n’est pas nouvelle. » Les masses seraient donc… la populace, c’est-à-dire les couches rejetées aux marges de la société capitaliste par les besoins du profit, ceux que Marx qualifiait de lumpen-prolétaires.
Mais où sont passés les parasites ?
Malgré son extraordinaire perspicacité, ci-dessus soulignée, Hannah Arendt ne s’est pas aperçue que l’ascension de Staline était étroitement liée à l’ascension, au surlendemain de la victoire de la révolution, d’une couche de parasites dont le cœur est l’appareil même du parti et dont Christian Rakovski dessinera un portrait dans sa célèbre lettre à Valentinov du 2 août 1928. Rappelons-en l’essentiel. Il évoque d’abord les mœurs de l’appareil : « Vols, prévarications, violences, extorsions, abus de pouvoir inouïs, arbitraire illimité, ivrognerie, débauche : de tout cela on parle comme de faits connus, non seulement depuis des mois, mais depuis des années » mais qui apparemment paraissent sans importance à notre grande intellectuelle américaine.
Rakovski continue : « La bureaucratie des soviets et du parti est un fait nouveau. Il ne s’agit pas de cas isolés, de bavures dans la conduite de camarades individuels, mais bien d’une catégorie sociale nouvelle », différente de la bureaucratie bourgeoise qui n’est, en règle générale, qu’une excroissance plus ou moins parasitaire tentaculaire de l’Etat bourgeois lui-même, instrument politique du pouvoir de la bourgeoisie capitaliste, et non la couche dirigeante de cet Etat … Arendt, ignorant cette réalité sociale fondamentale ne peut dès lors rien comprendre au stalinisme. Ce qui lui permet d’avancer la superbe thèse suivante « En Union soviétique les révolutions devinrent, sous la forme des grandes purges, une institution permanente du régime stalinien après 1934. » Ainsi, pour la grande politologue Hannah Arendt, le massacre systématique d’opposants politiques déclarés (de plus en plus rares) ou repentis et surtout de centaines de milliers d’opposants imaginaires, dont l’exécution massive vise à terroriser la masse de la population ouvrière et paysanne, serait … une révolution ! Pour elle donc le signe d’une révolution serait le massacre ? On est à peu près là au niveau de la vision de la Révolution française donnée par Joseph de Maistre. Et puis quel bond en avant de l’analyse du régime stalinien présenté non comme le liquidateur mais comme le continuateur d’octobre 1917 !
1. Hannah Arendt, Le système totalitaire, p 49. Souligné par moi. 2. Ibid, p. 28 3. Ibid, p. 29 4. Cahiers Léon Trotsky n° 18, p. 82 5. Ibid, p. 89 6. H. Arendt, op. cit, p. 120
La REVOLUTION TRAHIE revisitée
par Jean-Jacques MARIE
En 1936 Trotsky publie son œuvre magistrale Qu’est-ce que l’URSS ? Où va-t-elle ? Titre traduit dans l’édition française par La Révolution trahie.
Il donne, dans un sous-chapitre intitulé « La question du caractère social de l’URSS n’est pas encore tranchée par l’histoire » une définition de la nature de l’URSS, qui subordonne cette dernière à la lutte des classe, à son développement et à son issue donc une définition transitoire : « L’URSS est une société intermédiaire entre le capitalisme et le socialisme dans laquelle : a) les forces productives sont encore trop insuffisantes pour donner à la propriété d’État un caractère socialiste ; b) le penchant à l’accumulation primitive, né du besoin, se manifeste à travers tous les pores de l’économie planifiée ; c) les normes de répartition, de nature bourgeoise, sont à la base de la différenciation sociale ; d) le développement économique, tout en améliorant lentement la condition des travailleurs, continue à former rapidement une couche de privilégiés ; e) la bureaucratie, exploitant les antagonismes sociaux, est devenue une caste incontrôlée, étrangère au socialisme ; f) la révolution sociale, trahie par le parti gouvernant, vit encore (1) dans les rapports de propriété et dans la conscience des travailleurs ; g) l’évolution des contradictions accumulées peut aboutir au socialisme ou rejeter la société vers le capitalisme ; h) la contre-révolution en marche vers le capitalisme devra briser la résistance des ouvriers ; i) les ouvriers marchant vers le socialisme devront renverser la bureaucratie. La question sera tranchée en définitive par la lutte de deux forces vives sur le terrain national et international ». (2)
En écrivant dans le point f, moins de 20 ans après la révolution, que la révolution sociale vivait « ENCORE » « dans les rapports de propriété et dans la conscience des travailleurs », Trotsky, par ce mot « encore », soulignait que cet état de choses n’avait, loin de là, rien d’éternel. J’ai plus d’une fois entendu citer cette phrase… débarrassée ou épurée de cet adverbe « encore », ce qui suggérait que « la révolution sociale » vivrait éternellement « dans les rapports de propriété », ce que l’histoire démentira.
Dès que la guerre civile s’acheva et que la révolution brisée par la social-démocratie commença à refluer à travers l’Europe, et qu’alors l’État ouvrier en Russie, isolé, puis soumis à la dictature politique d’une couche dirigeante pillarde et parasitaire que Trotsky désigne, faute de mieux sous le nom de « bureaucratie », fut confronté aux problèmes de sa survie jusqu’à la prochaine vague de la révolution mondiale, la question de la « nature de l’URSS », se posa, brûlante, dans le mouvement communiste, et au sein même du Parti bolchevique…
- Trotsky définit les bases sur lesquelles doit reposer la discussion :
1) Quelle est l’origine de l’URSS ?
2) Quels changements a subi cet État au cours de son existence ?
3) Ces changements sont-ils passés du stade quantitatif au stade qualitatif, c’est-à-dire ont-ils fondé la domination historiquement nécessaire d’une nouvelle classe exploiteuse ?
Repoussant la théorie du capitalisme d’État qu’il juge fallacieuse puisqu’elle assimile un régime où la classe capitaliste n’est pas expropriée à un régime où elle est expropriée, niant que la bureaucratie soit une classe « parce qu’elle n’a pas créé de base sociale à sa domination sous la forme de conditions particulières de propriété » et donc n’a pu donner de base stable et permanente à ses privilèges énormes.
Trotsky prône alors, en 1936, la défense de l’URSS parce que la révolution russe, bien que trahie et dénaturée par la bureaucratie parasitaire et pillarde qui dirige l’URSS, constitue encore un acquis – très déformé, mais encore un acquis quand même – pour la classe ouvrière du monde entier, même si cette dernière souvent ne le sait pas, il insiste en même temps sur la fragilité de cet acquis , – ce qui est trop souvent oublié et cela vaut pour bien d’autres acquis déformés et menacés par le règne de la bureaucratie. Il explique dans la Révolution trahie :
« Des « théoriciens » superficiels peuvent se consoler en se disant que la répartition des biens est un facteur de second plan par rapport à la production. La dialectique des influences réciproques garde pourtant toute sa force. Le destin des moyens nationalisés de production sera décidé en fin de compte par l’évolution des différentes conditions personnelles. »
Et Trotsky illustre cette vérité, qui se manifestera avec toute sa force en 1991, en expliquant : « Si un paquebot est déclaré propriété collective, les passagers restants divisés en première, deuxième et troisième classes, il est bien compréhensible que la différence des conditions réelles finira par avoir aux yeux des passagers de troisième une importance beaucoup plus grande que le changement juridique de propriété ». (3)
« Les passagers de première au contraire exposeront volontiers entre café et cigare que la propriété collective est tout, le confort des cabines n’étant rien en comparaison. Et l’antagonisme résultant de ces situations infligera de rudes secours à une collectivité instable » (4) … jusqu’au moment où les passagers de première classe considéreront que le meilleur moyen de conserver leurs privilèges est de transformer l’utilisation de la première classe en propriété personnelle. A ce moment-là les passagers de troisième classe, bien que beaucoup plus nombreux accorderont, comme le souligne Trotsky ci-dessus, une importance plus grande à leurs conditions réelles d’existence qu’au changement juridique de propriété, comme on le constatera à la fin des années 1980 lorsque les quelque 90 millions de travailleurs soviétiques, manifestement las de leurs conditions d’existence, ne lèveront pas le petit doigt pour défendre la propriété d’Etat que des groupes de la bureaucratie, ou nomenklatura, allaient se partager à très, très bas prix !
Ce constat n’enlève pas sa portée à l’affirmation de Trotsky dans son article du 25 avril 1940 sur le bilan de la guerre déclenchée par Staline contre la Finlande : « Les révolutionnaires sont obligés de défendre toute conquête de la classe ouvrière, si déformée soit-elle par la pression des forces ennemies. Celui qui ne sait pas défendre les vieilles conquêtes n’en fera jamais de nouvelles ». (5)
Aussi, dans « L’URSS dans la guerre », Trotsky souligne : « Ce serait une absurdité monstrueuse que de faire scission avec des camarades qui ont un autre avis que nous sur la nature sociologique de l’URSS, pour autant qu’ils s’affirment solidaires de nous sur les problèmes politiques. Mais à l’inverse, ce serait pur aveuglement que d’ignorer des différences purement théoriques, même terminologiques ; car dans le développement ultérieur elles peuvent prendre chair et sang et aboutir à des conclusions politiques tout à fait différentes » (6). La constitution des « démocraties populaires » en Europe de l’Est illustre la justesse des analyses élaborées par Trotsky. L’avancée de l’Armée rouge suscite dans les territoires sur lesquels elle pénètre un mouvement émietté mais profond du prolétariat et de la paysannerie vers le renversement des rapports privés de production. En Allemagne orientale et même occidentale, les ouvriers constituent des conseils qui prennent en main le contrôle de nombreuses entreprises. Sous la même impulsion – l’avancée de l’Armée rouge – les conseils ouvriers couvrent la Pologne et la Tchécoslovaquie.
La bureaucratie se dresse aussitôt contre le mouvement de la classe ouvrière qu’elle impulsait involontairement par son origine historique. La veille du jour où l’Armée rouge devait entrer en Roumanie, Molotov déclare à Radio Moscou que les armées soviétiques libéraient des territoires occupés par l’armée allemande, mais n’avaient nullement l’intention d’y imposer le régime social soviétique. Et partout l’appareil du parti et ses diverses ramifications ainsi que l’Armée rouge tentent de mater le mouvement des masses. Ainsi en Allemagne le haut-commandement soviétique dissout les groupes communistes ou socialistes qui se constituaient dans les usines à l’approche des troupes soviétiques et interdit d’arborer les drapeaux rouges. En même temps, cependant, la réforme agraire prend son élan et les paysans se partagent les terres. L’affrontement entre la bureaucratie et le mouvement de la classe ouvrière s’étend sur près de trois ans : en Allemagne orientale la conférence de Bitterfeld dissout les conseils ouvriers le 25 novembre 1948 ; en Tchécoslovaquie, il faut à peu près trois ans aussi pour permettre à l’appareil des syndicats de vider les conseils ouvriers de leur contenu et les absorber. En Pologne, le même processus s’opère et la deuxième conférence des syndicats condamne les conseils ouvriers autonomes en juin 1949.
La bureaucratie tente d’abord d’instaurer dans les pays d’Europe de l’Est une forme spécifique de démocratie bourgeoise, reposant sur le maintien de la propriété privée des moyens de production et sur le contrôle politique du Kremlin et de ses agences, bref une variante de la démocratie bourgeoise dont les partis communistes italien ou français sont les meilleurs maintiens. C’est en effet le PCF qui a écarté la « menace du bouleversement qui pesait sur la nation » dont parle le général de Gaulle, et qu’attendait craintivement la bourgeoisie italienne…
Le stalinien hongrois Martin Horvath définit alors la « démocratie populaire » comme « la forme la plus progressive de la démocratie bourgeoise ou, plus exactement, comme sa seule forme progressive » (7). La bureaucratie remet en selle le roi Michel de Roumanie, fait pression sur Tito pour qu’il remette sur le trône Pierre II de Yougoslavie, constitue des gouvernements de « coalition » à majorité bourgeoise, chargés de maintenir le régime social bourgeois, en acceptant la subordination politique au Kremlin et le pillage de leur économie.
La remise en selle de la bourgeoisie aboutit cependant à des résultats différents en Europe occidentale et en Europe de l’Est. « Qui pouvait dire si les communistes, grandis dans la résistance et n’ayant devant eux que des lambeaux de partis et des débris de police, de justice, d’administration, ne s’empareraient pas du pouvoir ? », se demande de Gaulle dans ses « Mémoires » (8). Au nom de la reconstruction de la France, les staliniens ont, selon le mot de Maurice Thorez, reconstruit « un seul État, une seule armée, une seule police » et remis en selle la bourgeoisie française aux abois. En Europe de l’Est, la tentative, qui reposait sur l’outrecuidante croyance de la bureaucratie qu’elle pourrait geler la lutte des classes, a échoué : chevauchant la lutte des classes et le mouvement des masses qu’elle croyait pouvoir contenir et dont, en tant que dirigeante de l’État ouvrier dégénéré, elle avait été l’un des facteurs, la bureaucratie n’a pu faire autrement que d’exproprier le capital. C’est cette victoire politique du prolétariat à travers sa domination qui explique la vague des procès qui déferle sur l’Europe de l’Est de 1948 à 1954. On ne saurait imaginer meilleure illustration de l’analyse que Trotsky donne de la bureaucratie dans les textes de sa polémique avec Burnham et Shachtman.
Et encore, la bureaucratie ne peut contenir et disloquer le mouvement des masses, qui l’avait poussée au-delà de ce qu’elle voulait, que dans la mesure où elle réussit à maintenir l’ordre bourgeois dans les pays capitalistes avancés. Ainsi s’exprimait l’unité mondiale de la lutte des classes. Les « démocraties populaires » ne sont donc nullement le produit d’une « assimilation militaro-bureaucratique » à froid subie par les masses. La réalité démontre l’inverse…
C’est en Tchécoslovaquie, sans doute – parce qu’elle était, de tous les pays de l’Est, celui qui possédait la classe ouvrière la plus nombreuse, la plus vieille, la plus expérimentée et la plus politisée –, que la bureaucratie stalinienne est allée le plus loin dans sa politique militaro – bureaucratique de « démocratie populaire » bourgeoise, « une révolution nationale et démocratique » qui ne devait en aucune manière toucher au régime de l’appropriation privée de moyens de production.
L’historien tchécoslovaque Paul Barton note : « L’expérience tchécoslovaque a démontré que même en cas d’occupation militaire Staline s’oppose à la prise du pouvoir aussi longtemps qu’on peut constater une effervescence révolutionnaire sérieuse dans le pays visé… La population nourrissait de telles illusions au sujet des staliniens en mai 1945 qu’ils auraient pu prendre le pouvoir sans coup férir » (9). Mais comment va se manifester la désillusion des masses ? Sous une forme que Paul Barton cite sous la rubrique des « échecs de la conception primitive de la révolution nationale et démocratique » :
« Pour rétablir l’autorité de la police et de l’armée, les ouvriers furent incités à rendre les armes dont ils s’étaient emparés pendant l’insurrection ; seules quelques entreprises d’importance secondaire y consentirent. Pour arracher les usines aux ouvriers, nombre d’officiers reçurent l’ordre d’assurer la gestion des plus grandes fabriques métallurgiques ; les conseils d’établissement leur montrèrent la porte. Et le régime se heurtait un peu partout à la revendication d’une vaste expropriation du capital ». (10)
Cette revendication, les bourgeoisies italienne et française, remises en selle par les partis staliniens français et italien, s’y opposent de toute leur force et lui font barrage avec l’aide de ces derniers. Contre sa propre politique, le Parti communiste tchécoslovaque, organe de la bureaucratie, dut finalement céder et donner satisfaction sous une forme déformée à cette revendication et exproprier le capital. Il conduisit cette expropriation contre son gré, de la manière la plus militaro-policière possible, et le prix qu’il fit payer à la classe ouvrière pour cette défaite qu’elle lui infligea fut fort lourd : l’organisation systématique de la terreur et des procès.
Ainsi, comme l’écrivait Trotsky dans les lignes citées plus haut, la bureaucratie étouffe brutalement l’action des masses que sa double fonction peut impulser. C’est pourquoi Trotsky se hâtait d’ajouter : « C’est là un aspect de la question. Mais il y en a un autre. Pour avoir la possibilité d’occuper la Pologne au moyen d’une alliance militaire avec Hitler, le Kremlin a depuis longtemps trompé et continue de tromper les masses en URSS et dans le monde entier et a, de ce fait, provoqué la décomposition complète des rangs de sa propre Internationale communiste. Le critère politique essentiel pour nous n’est pas la transformation des rapports de propriété dans cette région ou une autre, (11) si importants qu’ils puissent être par eux mêmes, mais le changement à opérer dans la conscience et l’organisation du prolétariat mondial, l’accroissement de sa capacité à défendre les conquêtes antérieures et à en réaliser de nouvelles.
De ce seul point de vue décisif, la politique de Moscou, considérée globalement, conserve entièrement son caractère réactionnaire et demeure le principal obstacle sur la voie de la révolution internationale ». (12)
Oublier l’une des deux données mène soit à considérer la bureaucratie comme une formation sociale historiquement nécessaire, le facteur d’une transition inévitable, soit à voir en elle une nouvelle classe exploiteuse, plus féroce encore que ses devancières, mais en tout état de cause, tout aussi inévitable et nécessaire.
Et il revient pour la centième fois sur l’analyse de la bureaucratie « tumeur ou nouvel organe ? » en se refusant à faire dépendre la réponse à cette question de la signature du pacte germano-soviétique. La nature de l’URSS ne dépend pas du fait que la bureaucratie s’allie avec les démocraties bourgeoises ou avec le fascisme. Il faut poser la question en dehors de tel ou tel aspect contingent : « La bureaucratie constitue-t-elle une excroissance temporaire sur l’organisme social, ou bien cette excroissance s’est-elle déjà transformée en un organe historiquement nécessaire ? » Bref la bureaucratie est-elle « la porteuse ou non » d’un nouveau système d’économie « qui lui serait propre et qui serait impossible sans elle » ? Non. Dès lors elle ne peut être qu’une « excroissance parasitaire sur le corps de l’État ouvrier », et qui se définit d’abord par la fonction qu’elle remplit, à son profit, dans le cadre de l’État ouvrier, fonction qui découle de son origine historique : « La pénurie de produits de consommation et la lutte générale pour leur possession engendrent le gendarme qui prend sur lui d’assurer les fonctions de répartition. La pression hostile exercée de l’extérieur attribue au gendarme le rôle de “défenseur” du pays, ce qui lui donne une autorité nationale et lui permet ainsi de piller le pays deux fois plus. » (13)
La discussion sur la « nature de l’URSS » engagée dès 1939 dans le Socialist Workers Party n’est que l’un des aspects de la discussion générale sur la IVéme Internationale, sa fonction, sa réalité, son programme. On en trouve une illustration – comme inversée – dans la façon dont Isaac Deutscher la présente dans son Trotsky. Pour lui, la fondation de la IV eme Internationale est « un geste vide de signification », une « folie ». Et la représentation qu’il donne de la discussion interne au Socialist Workers Party, et en particulier de la position de Trotsky, est parfaitement caricaturale, voire grotesque. Ce n’est pas là un hasard…
Deutscher affirme en effet, contrairement aux textes et à l’évidence : « Dans La Révolution trahie, Trotsky avait soutenu que les groupes directoriaux de l’Union soviétique se préparaient à dénationaliser l’industrie et à devenir ses propriétaires actionnaires, en d’autres termes que la bureaucratie stalinienne couvait une nouvelle classe capitaliste. Des années s’étaient écoulées et il n’y avait toujours aucun signe d’une telle éventualité. Alors Trotsky ne s’était-il pas trompé dans sa conception de la société soviétique ? Il voyait la bureaucratie stalinienne couvant une nouvelle classe bourgeoise et un nouveau capitalisme, mais cette bureaucratie même n’est-elle pas précisément la nouvelle classe couvée par la révolution d’Octobre et déjà dotée de tous ses attributs ? » (14)
Et surtout, l’interprétation que donne Deutscher de l’analyse de La Révolution trahie est fausse. Trotsky y écrit en effet : « Les moyens de production appartiennent à l’État. L’État “appartient” en quelque sorte à la bureaucratie. Si ces rapports encore tout à fait récents se stabilisaient, se légalisaient, devenaient normaux sans résistance ou contre la résistance des travailleurs, ils finiraient par la liquidation complète des conquêtes de la révolution prolétarienne. Mais cette hypothèse est encore prématurée. » (15) Prématurée… mais pas fausse ! Si elle est prématurée cela signifie qu’elle est en germe dans les rapports sociaux alors existant et peut fort bien se traduire plus tard dans la réalité. Pour le moment, « le prolétariat continue ». Les tentatives faites pour présenter la bureaucratie soviétique comme une classe « capitaliste d’État » souligne Trotsky, « ne résistent visiblement pas à la critique. La bureaucratie n’a ni titres ni actions. Elle se recrute, se complète et se renouvelle grâce à une hiérarchie administrative, sans avoir de droits particuliers en matière de propriété. Le fonctionnaire ne peut pas transmettre à ses héritiers son droit à l’exploitation de l’État. Les privilèges de la bureaucratie sont des abus. Elle cache ses revenus. Elle feint de ne pas exister en tant que groupement social. Sa mainmise sur une part du revenu national est un fait de parasitisme social. Voilà ce qui rend la situation des dirigeants soviétiques au plus haut point contradictoire, équivoque et indigne […].
En tant que force politique consciente, la bureaucratie a trahi la révolution. Mais la révolution victorieuse fort heureusement n’est pas seulement un programme, un drapeau, un ensemble d’institutions politiques, c’est aussi un système de rapports sociaux. Il ne suffit pas de la trahir, il faut encore la renverser. Ses dirigeants ont trahi la révolution d’Octobre, mais ne l’ont pas encore renversée » (16). Pas encore…c’est très clair ! Aux yeux de Trotsky la domination de la bureaucratie, si elle perdure, débouchera finalement sur le renversement de l’héritage abîmé de la révolution. Elle peut tenter de la renverser et y parvenir ! Trotsky écrit ainsi dans « L’URSS dans la guerre » : « L’alternative historique élaborée jusqu’à son terme se présente ainsi : ou bien le régime stalinien n’est qu’une rechute exécrable dans le processus de la transformation de la société bourgeoise en société socialiste ou bien le régime stalinien est la première étape d’une nouvelle société d’exploitation. Si le deuxième pronostic se révèle juste, alors, bien entendu, la bureaucratie deviendra une nouvelle classe exploiteuse. » (17)
Mais tant que ce dénouement reste virtuel il faut défendre ce qui reste des conquêtes – certes de plus en plus abîmées au fil des années – de la révolution, qui peuvent, dans une situation révolutionnaire, aider pendant une certaine période le mouvement des masses à combattre la domination du capital. C’est ce qui se passera lorsqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale une vague révolutionnaire secouera l’ordre bourgeois. En l’absence d’une direction mondiale, c’est-à-dire d’une IV éme Internationale assez puissante, les efforts conjoints de la bourgeoisie, de ses soutiens sociaux-démocrates et de la bureaucratie stalinienne parviendront à la contenir au prix d’importantes concessions, allant de nombreuses conquêtes sociales au démantèlement progressif des empires coloniaux.
Ce mouvement des masses, contenu mais pas étouffé, libéré par la mort de Staline et qui trouva son expression la plus haute en 1956 dans la révolution hongroise écrasée par les chars de Khrouchtchev et dans la révolution polonaise, avortée parce que confisquée par une aile de la bureaucratie, retrouva, sous des formes plus ou moins achevées, l’analyse que donne Trotsky de la nature de l’URSS et donc du rapport entre la bureaucratie et l’État ouvrier.
Le rapport dénonçant certains crimes de Staline et son « culte de la personnalité » lu par Khrouchtchev au XX éme Congrès du PCUS en février 1956, puis communiqué oralement à tous les membres du PCUS et des Komsomols, donc à des millions de Soviétiques, provoque une onde de choc qui ébranle l’URSS, la Hongrie et la Pologne et y ressuscite la discussion des questions soulevées par Trotsky dans La Révolution trahie et dans Défense du marxisme, dont nul dans ces pays n’avait évidemment lu la moindre ligne. Ainsi, l’historienne Anna Pankratova – veuve du dirigeant trotskyste Grigori Iakovine, fusillé en 1938 pour avoir organisé une grève de la faim massive à Vorkouta –, élue au comité central en 1952, est envoyée présenter le rapport à Léningrad. Ses neuf conférences rassemblent 5.930 personnes qui lui posent par écrit 825 questions dont elle présente une synthèse à la direction.
Anna Pankratova souligne : « Toute une série d’auteurs de billets avancent l’idée que dans notre pays s’est constituée une large couche de bureaucratie soviétique (18) et vont même jusqu’à s’accorder pour mettre en doute l’essence socialiste de notre régime social et étatique. »
Ainsi, l’un d’eux s’indigne : « Pourquoi n’explique-t-on pas la conduite de Staline comme étant le reflet des intérêts d’une couche sociale définie qui s’est développée sur le terreau du bureaucratisme soviétique ? » (19). « Toute une série » … cela dépasse donc la réflexion individuelle.
L’écrivain hongrois Gyula Hay écrit, en septembre 1956, dans Trodalmi Ujsag, un portrait du « bureaucrate » qu’il représente sous le nom conventionnel de Kucser : « Kucsera est un parvenu… Grâce à sa voiture, à son traitement, à son appartement, aux magasins spéciaux où il fait ses achats, aux maisons de repos qui lui sont réservées, il s’écarte de la vie du peuple, de son parti et se transforme en une sorte de parasite, placé au-dessus du peuple et du parti et régnant sur ceux-ci… De quoi vit donc Kucsera ? Sans aucun doute de l’appropriation de la plus-value…
Pourtant Kucsera n’est pas le pharaon pour lequel mouraient des millions d’esclaves. Si nous voulons construire la démocratie, le socialisme, le communisme, nous devons nous débarrasser de Kucsera ». (20)
Le communiste polonais Lipski qui, lui, désigne le bureaucrate sous le nom du « docteur Faul », écrit dans le même sens : « Peu importe le degré de conscience du docteur Faul. En théorie, il n’est pas sûr de représenter un groupe qui tend à se constituer en classe. Mais le but de son activité est clair : cet homme profite des privilèges qu’il s’est créé à son avantage, pour se séparer de la classe ouvrière. Le docteur Faul, c’est l’homme qui s’approprie une part du revenu social disproportionnée avec son travail ; c’est l’homme qui se bat contre l’égalitarisme pour défendre ses privilèges tout en dissimulant à l’opinion publique sa situation privilégiée (…) et qui entre en conflit permanent avec les bases démocratiques du régime ». (21)
Le polonais Mieczyslaw Bibrowski, dans un article rédigé en réponse à un article du folliculaire soviétique Azizjan s’attache à dégager la contradiction entre les fondements sociaux de l’URSS (ou de la Pologne) et le pouvoir politique de la bureaucratie ; et il résume cette contradiction en la comparant à l’unité chez le cancéreux entre l’organisme et le cancer…
« Ce qu’Azizjan appelle les fautes de Staline s’est constitué en une pratique définie et conséquente, en un système déterminé d’exercice du pouvoir, étranger au léninisme (…). Je considère que ce système fut l’antithèse du régime soviétique avec lequel il cohabita et sur lequel il vécut en parasite. L’homme qui souffre d’un cancer forme avec lui une unité. Mais cette unité se développe d’une manière telle que ou l’homme triomphe de la maladie et se rétablit ou c’est le cancer qui le dévore ». (22)
La même analyse réapparaît au cours du « printemps de Prague » en 1968. Jiri Hochman, par exemple, dénonce le 31 juillet 1968 dans Reporter, « le pouvoir absolu de la caste bureaucratique. Mais la bureaucratie, bien qu’elle n’ait pas encore les dimensions d’une classe, révèle ses traits distinctifs dans tout ce qui concerne l’exercice du pouvoir (…). Nous sommes en train d’approcher de la destruction du pouvoir de cette caste, maintenant presque héréditaire ». (23) « Caste parasitaire, compradore et bureaucratique, lâche, incapable, brutale, menteuse, antinationale, antisocialiste et contre-révolutionnaire » (24), reprend-il dans une lettre au comité central en février 1970.
Ce problème devait se retrouver au centre des discussions soulevées par les thèses proposées en 1951 par la direction de la IVéme Internationale. Trotsky affirmait que, pareille à la Première Guerre mondiale, la Seconde, exprimant plus profondément encore l’alternative socialisme ou barbarie, déboucherait sur la révolution.
Auréolée de la victoire des travailleurs soviétiques sur le nazisme et s’appuyant sur la confiance que des millions de travailleurs lui attribuaient, en la confondant ainsi avec l’État ouvrier et avec les masses soviétiques, la bureaucratie put contenir tant bien que mal la vague révolutionnaire dans les limites de l’Europe de l’Est et de la Chine, et s’entendre à Yalta avec l’impérialisme pour partager le monde en deux. Le pronostic semblait démenti. À dire vrai, il se vérifiait sous une forme inattendue. Tout comme le reflux de la révolution n’avait pas renversé l’État ouvrier mais l’avait fait dégénérer, de la même façon les forces conjointes – et pourtant antagonistes de par leurs fondements sociaux – de l’impérialisme et de la bureaucratie avaient réussi à canaliser la vague révolutionnaire sans pouvoir empêcher que près d’un milliard d’hommes échappent au joug de l’impérialisme.
Le doute s’insinua alors peu à peu dans la direction et dans la majorité de la IV éme Internationale, de plus en plus encline à considérer le partage du monde à Yalta en prétendus « blocs » comme une superstructure dominant, disloquant et se subordonnant la lutte des classes mondiale. Pour sa majorité, dont le représentant le plus éminent est Michel Pablo, ce que la bourgeoisie appelle « la guerre froide » n’est pas un bref moment de relative stabilisation mais une nouvelle période de l’histoire qui investit la bureaucratie d’une mission historique, celle que le prolétariat s’avère incapable de remplir.
« Nous ne confions aucune mission historique au Kremlin », affirme Trotsky dans le premier texte « L’URSS dans la guerre », qu’il écrit en 1939 (25). En 1951, la direction de la IV éme Internationale jugera possible de lui confier cette mission historique en écrivant, sous la plume de Michel Pablo : « La réalité sociale objective, pour notre mouvement, est composée essentiellement du régime capitaliste et du monde stalinien. Du reste, qu’on le veuille ou non, ces deux éléments constituent la réalité objective tout court, car l’écrasante majorité des forces opposées au capitalisme se trouvent actuellement dirigées ou influencées par la bureaucratie soviétique.(…) la transformation de la société capitaliste en socialisme (…) occupera probablement une période historique entière de quelques siècles, qui sera remplie entre-temps par des formes et des régimes transitoires entre le capitalisme et le socialisme (26), nécessairement éloignées des formes “pures” et des normes ». (27)
Bref, la réalité sociale objective n’est plus l’exploitation capitaliste et la lutte des classes, mais « le régime capitaliste » et « le monde stalinien », ce dernier représentant une forme historique progressiste, une forme transitoire destinée à durer pendant une période historique entière, celle des « formes et des régimes transitoires entre le capitalisme et le socialisme ». La bureaucratie n’est plus le produit d’une circonstance historique déterminée (la défaite de la révolution mondiale au lendemain de la victoire de la révolution russe), mais le produit d’une nécessité historique, une phase de l’histoire.
Les thèses de Pablo adoptées par la majorité de la IV éme Internationale, qui accordait ainsi à la bureaucratie soviétique la mission historique que Trotsky lui déniait en 1940, représentent une exacte application du deuxième pronostic à cette seule différence près que le « régime stalinien » n’y est pas la première étape d’une « nouvelle société d’exploitation », mais la première étape d’une nouvelle société d’émancipation !!!
On peut et on doit appliquer la méthode de Trotsky dans la discussion sur la nature de l’URSS à toute conquête politique ou sociale, grande ou petite : d’où vient-elle, quels changements (négatifs, destructeurs, etc.) a-t-elle subis ? Ces changements qui l’ont altérée l’ont-elle totalement dénaturée voire transformée en son contraire ? Ainsi, lorsque des directions syndicales passent de la négociation sur les revendications avancées par leurs mandants à la concertation sur les mesures destructrices élaborées par l’État, ils dénaturent la négociation et sa portée. Mais même dénaturée, le principe doit en être défendu sous peine d’accepter le diktat des décrets-lois.
Qu’un droit soit si dénaturé qu’il se transforme en son contraire et ne doive donc plus être défendu est un cas rarissime. L’un des exemples les plus caractéristiques de l’histoire universelle est le deuxième amendement de la Constitution américaine sur le droit pour chaque citoyen américain d’être armé. Lors de sa promulgation, cet article visait à permettre aux colons américains de former des milices pour combattre l’armée d’occupation britannique ; il avait donc une fonction libératrice et supprimait aussi un privilège nobiliaire : en Europe, seul le noble avait le droit d’être armé, droit absolument interdit au roturier. Au fil des années, ce droit s’est transformé en instrument de massacre des Indiens, puis en partie constituante d’un gigantesque marché de la mort qui brasse des centaines de milliards de dollars au profit de l’industrie d’armement américaine.
On le voit, la méthode définie par Trotsky dans Défense du marxisme a une valeur universelle. Elle débouche sur la conclusion politique largement confirmée par l’histoire et plus valable que jamais par laquelle Trotsky concluait son article daté du 25 avril 1940 sur le bilan de la guerre déclenchée par Staline contre la Finlande : « Les révolutionnaires sont obligés de défendre toute conquête de la classe ouvrière si déformée soit-elle par la pression des forces ennemies. Celui qui ne sait pas défendre les vieilles conquêtes n’en fera jamais de nouvelles. » (28)
La bourgeoisie s’attache en effet à reprendre tout ce qu’elle a dû concéder. Toute conquête de classe, si déformée soit-elle, doit être défendue ; tout droit, même mineur, même grignoté, amputé, plus ou moins dénaturé, tout statut même insuffisant et même, lui aussi, grignoté ou amputé doivent être défendus bec et ongles car l’objectif de la bourgeoisie est de liquider tout droit du travail, tout acquis social, d’imposer une ubérisation de tous les rapports sociaux, disloquant l’existence même de la classe ouvrière comme classe, bref de revenir en arrière sur un siècle et demi de droits même partiels, même mineurs, même abîmés, arrachés par la classe ouvrière. C’est, pour la bourgeoisie, la condition première du maintien de sa domination. Dès lors, les défendre, c’est défendre l’existence de la classe ouvrière comme classe et donc préserver la condition première de la révolution prolétarienne.
La même majorité de la IV éme Internationale avait écrit, avant la brochure de Pablo, mais dans la même ligne : « La défense de l’URSS constitue la ligne stratégique de la IV éme Internationale » (29), en contradiction avec l’analyse de Trotsky qui souligne « Les conditions qui fondent la puissance de la bureaucratie (l’arriération du pays et l’encerclement capitaliste) ont, cependant, un caractère temporaire, transitoire et doivent disparaître avec la victoire de la révolution internationale . » (30)
1. Mot souligné par moi. 2. Léon Trotsky, La Révolution trahie, Plon, 10-18, 1969, pp. 256-257. 3. Souligné par moi. 4. Léon Trotsky, La Révolution trahie, p 241. 5. Léon Trotsky, Défense du marxisme, p.261 6. Ibid, p.105. 7. Quatrième Internationale, vol 9, n° 1, janvier 1951, p.47. 8. Charles de Gaulle, Mémoires, tome III, p.53. 9. Paul Barton, Prague à l’heure de Moscou, p.120. 10. Idem. p.126. 11. Souligné par moi. 12. Léon Trotsky, op.cit, p.121. 13. Ibid. p.108. 14. Isaac Deutscher, Trotsky, t. 3, Le prophète hors la loi, p 562. 15. Souligné par moi. 16. Idem. 17. Léon Trotsky, op.cit, p. 110. 18. Idem. 19. J.J. Marie, Le rapport Khrouchtchev, p.34. 20. Les temps modernes, n° 129, janvier 1957, p. 909. 21. P.Broué, J.J Marie, Balasz Nagy, Pologne-Hongrie 1956, p.10 . 22. Ibid, p.14. 23. Pierre Broué, Le printemps des peuples commence à Prague, p. 207. 24. Svedectvi, n° 39, pp. 438-439. 25. Léon Trotsky, Défense du marxisme, p 122. 26. Souligné par moi. 27. Michel Pablo, Où allons-nous in Quatrième Internationale, volume 89, n° 2-4 février-avril 1951, pp. 46-47. 28. Léon Trotsky, Défense du marxisme, p 261. 29. Quatrième Internationale, volume n° 1, janvier 1951, p. 47 30. Léon Trotsky, Défense du marxisme, p 108.
Souvenirs plus que douteux.
par Jean-Jacques Marie
L’histoire du goulag stalinien est plus ou moins encombrée de légendes, entre autres sur les évasions.
La tentative d’évasion est un signe de rébellion, d’une portée politique en posant l’aspiration à la liberté face à l’ordre policier. Elle est donc brutalement sanctionnée et engendre des légendes héroïques. Deux d’entre elles ont connu jadis un vif succès, celles fabriquées par le général communiste espagnol El Campesino et le polonais Slavomir Rawicz ? Les deux exemples particulièrement fleuris qu’ils donnent doivent pousser à lire les souvenirs-surtout héroïques -avec la plus grande méfiance.
El Campesino, arrêté et déporté à Vorkouta en 1946, présente pourtant d’abord l’évasion comme un exploit surhumain, dans ses souvenirs transcrits par Julian Gorkin publiés en 1950 sous le titre La vie et la mort en URSS, 1939-1949 : « On a dressé les chiens de garde à haïr férocement les déportés. Si l’un de ces derniers essaye de s’évader, on lâche les chiens afin qu’ils les dévorent. De toute façon on applique automatiquement la peine de mort à ceux qui essayent de s’évader », ce qui ne l’empêchera pas de s’évader dans des conditions d’un romanesque échevelé.
Après avoir aisément obtenu au camp six mois d’incapacité de travail, il séduit la jeune responsable de la commission médicale qui lui accorde « un certificat d’incapacité de travail de six mois et une autorisation légale d’aller se reposer quatre mois dans une ville du Sud. Il choisit Samarkand. Les papiers qu’on lui a remis à Vorkouta lui permettent de s’arrêter pendant 24 heures dans toutes les grandes villes situées sur le parcours de Moscou à Samarkand. A Moscou il obtient sans peine la carte de réfugié politique qui lui permettra de ne pas être interpellé pendant le trajet, puis passe deux nuits à Kharkov avec une jeune étudiante prostituée, part ensuite à Rostov, puis à Bakou, bien sûr dans le compartiment de la contrôleuse.
Hélas, à 130 kilomètres de la frontière iranienne, il tombe entre les pattes du NKVD, qui l’emprisonnent à Achiabad, capitale du Turkestan ; il est condamné à deux ans de travaux forcés, traîné successivement dans 11 camps différents puis ramené à Achiabad !
Coup de chance, le soir du 6 décembre 1948, un tremblement de terre ébranle la région d’Achiabad et « rase tout à cinquante kilomètres à la ronde ». El Campesino échappe au massacre des survivants perpétré par les miliciens des villes et des camps environnants. « Par bonheur, ajoute El campesino, le bâtiment contenant tous les dossiers avait été détruits et de tout le personnel il ne restait personne. » Il se présente au chef du camp de Krasnovosdk qui le remet en liberté. Avec un vieux communiste ouzbek, il s’enfuit vers la frontière avec l’Iran, mais le NKVD découvre les deux fuyards juste avant la frontière, abat l’ouzbek mais rate El Campesino, qui arrive enfin, affamé, épuisé, à la frontière iranienne qu’il franchit sans peine. (1)
L’évasion de Slavomir Rawicz, racontée dans A marche forcée, récit publié en 1956, traduit en 25 langues, au succès mondial, porte à l’écran en 2010 par Peter Weir, est d’autant plus réussie qu’elle est entièrement inventée, Rawicz, libéré du goulag en 1942 ayant alors rejoint l’armée polonaise du général Anders formée en URSS même.
A l’en croire, la charmante et complaisante femme du commandant du camp lui demande s’il n’a pas envie de s’évader. Il répond oui et recrute six associés. Un soir ils s’enfuient et se dirigent dans la neige vers le lac Baïkal, rencontrent en chemin une jeune évadée polonaise, puis deux aimables paysans, arrivent à la frontière avec la Mongolie, puis foncent au Tibet. La traversée du désert brûlant du Gobi coûte la vie à la jeune polonaise et à trois des sept évadés. Les survivants arrivent en Inde après avoir paisiblement marché pendant 4.000 kilomètres, dont 2000 dans la Sibérie royaume du goulag ! Un exploit d’autant plus superbe qu’il est totalement inventé.
S’évader du goulag était, en effet, un exploit à peu près irréalisable. Alexandre Morozov, rescapé du goulag, souligne : « Dans un pays où tout le monde, du plus modeste au plus important, vivait dans la terreur des mouchards il était impossible de compter réussir une évasion. » (2)
Pour Chalamov, détenu à Kolyma, l’évasion relève à la fois du rêve impossible et de la tentation permanente : « De nombreux détenus, écrit-il, s’évadaient de Kolyma et chaque fois sans succès ». Il insiste : « On ne s’évade pas de Kolyma. Mais l’illusion demeure et se paye cher (…). Mais où le fugitif qui a grand besoin d’être aidé et caché irait-il se réfugier ? Chalamov ajoute : « En 1938, pour les détenus politiques, personne n’eût pris ce risque. » Cet obstacle dressé par la répression s’affaiblira au lendemain de la guerre où le renforcement de la répression peine à contenir une protestation croissante. L’envoi au goulag de centaines de milliers d’Ukrainiens et de Baltes, de prisonniers de guerre soviétiques, considérés comme traîtres, et des rescapés de l’armée collaborationniste de Vlassov modifie l’atmosphère des camps en y introduisant des éléments à la fois combattifs et animés d’un désir de vengeance.
Chalamov souligne enfin un autre aspect : « L’évasion exige une grande force de caractère, de l’endurance physique et morale, beaucoup de volonté. Choisir un compagnon d’évasion est plus difficile que de choisir un compagnon de route pour une expédition polaire. » La menace constante de la faim fait en effet peser sur l’évadé le danger d’« être mangé par ses propres camarades. Ces cas sont rares, ajoute Chalamov, mais existent. Les vieux Kolymiens qui ont vécu une dizaine d’années dans le Grand Nord connaissent tous des cannibales condamnés pour avoir tué et mangé un compagnon de fuite. » (3) El Campesino et Slavomir Rawicz ont, bien entendu, évité de déflorer le caractère héroïque de leur « évasion » romancée ou, chez Rawicz, entièrement fabriquée, en la souillant par des détails aussi vils.
1. El Campesino, La vie et la mort en URSS, pp. 201-218. 2. Anne Applebaum, Le goulag, p. 438. 3. Chalamov, Récits de Kolyma, poche, Maurice Nadeau, pp. 69,71,103,105.
Un mythe stalinien parmi tant d’autres : les prétendus volontaires soviétiques !
Les volontaires soviétiques en Espagne : du « volontaire » involontaire à « l’emprunt volontaire obligatoire » et au « séjour volontaire obligatoire » inventés par Joseph Staline.
par Jean-Jacques Marie
De nombreux auteurs évoquent la présence de « volontaires soviétiques » pendant la guerre civile et y voient l’un des signes de la solidarité de l’Union soviétique de Staline avec « le camp républicain ». Ainsi David Diamant, dans son ouvrage sur les volontaires juifs des Brigades Internationales, cite un nombre impressionnant de « volontaires » soviétiques : « 772 aviateurs, 351 tankistes, 100 artilleurs, 22 conseillers, 77 marins, 339 spécialistes de toutes sortes, 204 interprètes. » « Total 2 065 spécialistes ». (1) Cette liste ainsi formulée suggère plus des militaires de métier, donc désignés par leurs supérieurs hiérarchiques sur ordre d’en haut, que des « volontaires ».
La source qu’indique Diamant est le texte d’un général soviétique, Vetrov, auteur du livre Problemy ispanskoï istorii, (Problèmes de l’histoire d’Espagne), publié à Moscou en 1972. Pierre Broué dans Staline et la Révolution reprend ces chiffres, mais parle à juste titre de « militaires soviétiques » et n’utilise pas l’expression « volontaires soviétiques. » (2)
Artur London, qui participa aux Brigades Internationales et au Servicio de Investigacion militar (le SIM), donc bien placé pour connaître les chiffres, reprend dans son livre Espagne l’expression de « volontaires soviétiques »… mais donne, des chiffres quatre fois inférieurs à ceux de David Diamant. « A l’aide morale et matérielle s’ajoute encore l’aide des volontaires soviétiques. L’aide militaire comprend 557 volontaires dont 23 conseillers, 49 instructeurs, 29 artilleurs (y compris pour la DCA), 141 aviateurs, 107 tankistes, 29 marins, 106 radio-télégraphistes, soldats du génie et médecins, 73 interprètes et autres spécialistes. » (3)
Mais voir en eux des « volontaires », partis de leur plein gré combattre en Espagne c’est ou ignorer ou vouloir camoufler la situation qui règne alors en URSS. Il est impossible d’imaginer un instant que Staline puisse, en plein déchaînement de la terreur en URSS, laisser partir des étudiants, des ouvriers, des paysans ou des intellectuels soviétiques dans un pays où existent plusieurs partis qui discutent, débattent, polémiquent les uns contre les autres, et parfois même dans leurs propres rangs. De simples citoyens soviétiques assister à un tel spectacle politique alors qu’ils n’assistent chez eux qu’à de rituels votes unanimes obligatoires ! Impensable car dangereux d’autant plus que l’un des partis qui s’affrontent, le POUM, est qualifié par Moscou de « trotskyste » ; les agents du NKVD arrêteront, tortureront et assassineront son secrétaire général, Andrès Nin tout en collant dans Barcelone des affiches proclamant : « Où est Nin ? A Berlin » … chez Hitler, dont il est ainsi présenté comme un agent ! La calomnie et la terreur sont deux fondements du stalinisme.
Tout étudiant, ouvrier, ou paysan soviétique sait que son sort est scellé si lors d’une réunion convoquée dans sa faculté, son usine ou son kolkhoze ou sovkhoze, pour faire voter n’importe quelle résolution présentée par les instances du parti, à commencer par l’approbation de la condamnation à mort des seize accusés du premier procès de Moscou d’aout 1936 il ne lève pas la main pour, ce qui permet à la pauvre Hannah Arendt, célébrée par tant d’intellectuels douteux, de prétendre : « les procès de Moscou n’auraient pas été possibles si les masses n’avaient pas soutenu Staline. » (4)
Pendant l’ère du tueur Iejov…
Staline se décide à « aider » le camp républicain en Espagne à partir de la fin septembre 1936 au moment même où il remplace à la tête du NKVD Iagoda par Nicolas Iejov, chargé d’aggraver encore la terreur organisée depuis janvier 1935 et de déchaîner sur le pays une répression sanglante qui va entraîner, pendant les deux ans où il dirige le NKVD, en gros 1.500.000 arrestations, 750 .000 exécutions capitales, deux procès de Moscou publics, la décapitation de l’armée rouge, le massacre de membres de minorités nationales (polonais, finnois, lettons, allemands soviétiques, etc.) pour leur seule appartenance ethnique ou nationale, la déportation en Ouzbekistan des 180.000 coréens soviétiques tous considérés comme de potentiels espions japonais alors qu’ils avaient tous, eux ou leurs parents, fui la sauvage occupation de la Corée par l’impérialisme japonais. Deux ans plus tard Staline fera arrêter Iejov et lui fera avouer qu’il était un espion allemand… mais ne pourra le lui faire confirmer lors d’un procès public – comme il l’avait fait avouer à son prédécesseur, Iagoda lors du dernier procès de Moscou – il préparait alors, en effet, un accord avec Hitler qui allait déboucher sur sa lettre du 22 août 1939 au chef nazi où il proposait à ce dernier « la collaboration des deux peuples » qu’Hitler allait bien entendu accepter et utiliser pendant 22 mois.
Espions en stock.
A cette époque il suffisait d’avoir un parent à l’étranger, d’avoir été envoyé quelques années plus tôt en mission à l’étranger par le gouvernement soviétique lui-même, pour être accusé d’être un espion. Imaginer dans cette situation qu’un étudiant, un ouvrier ou un paysan soviétique puisse se présenter à l’ambassade d’Espagne ou dans une institution de son propre pays, dire « je veux partir me battre en Espagne »… et y être envoyé relève de la chimère ou du royaume de Perlimpinpin.
Le cas ne s’est jamais produit… même si, sous Khrouchtchev, a été créée une éphémère Amicale des volontaires soviétiques en Espagne… qui ne comprenait que des militaires professionnels.
En 1962, sous la direction de l’ancien ambassadeur soviétique en Angleterre Ivan Maïski, a été publié un volume intitulé Le peuple espagnol contre le fascisme (Ispanski narod protiv faschisma). Dans le collège rédactionnel on trouve un certain Ivan Nesterenko envoyé en Espagne pour implanter le système des commissaires politiques dans les Brigades Internationales et plus largement dans l’armée régulière. Le dit Nesterenko publie dans le recueil un article consacré à cette implantation …
Un « volontaire » chargé de transporter l’or de la République espagnole à Moscou ?
Trois autres individus cités dans ce volume se présentent comme des volontaires soviétiques : le « marin » Nicolaiev, et les généraux Batov et Rodimtsev.
Un premier trait commun aux souvenirs de ces trois « volontaires soviétiques » : on ne sait jamais ni comment s’est manifesté leur « volontariat » ni quand et d’où ils partent d’URSS. Le plus maladroit dans sa tentative de se faire passer pour un volontaire est sans doute « le marin » (puisque c’est ainsi qu’il se présente sans aucun grade !) Nicolaiev, qui commence ses souvenirs par une information peu compatible avec sa présentation comme volontaire : « Ma participation à la guerre d’Espagne en qualité de marin volontaire a commencé en août 1936 alors que j’étais à Paris. Il me fallait aller à Madrid. » (5) Et il embarque à Orly. Il était donc à Paris en plein premier procès de Moscou ! ne peut être qu’un membre de l’ambassade, du NKVD ou d’une autre institution soviétique, évidemment pas un simple citoyen soviétique en promenade ou en vacances à l’étranger. Malgré cela Nicolaiev évoque un moment l’activité de « chaque marin soviétique volontaire » (6), sans citer un seul nom. La tâche est trop difficile.
On apprend d’ailleurs soudain au détour de ses souvenirs que ce brave marin a été chargé d’organiser le transport en URSS de l’or espagnol. Promotion fulgurante pour un simple homme d’équipage. Il précise : « C’est à peu près dans la seconde moitié d’octobre 1936 qu’il m’est arrivé d’organiser une opération de transport (…) d’Espagne en URSS. Le gouvernement républicain, qui procédait à de grands achats d’armes et de munitions dans notre pays, décida de transférer à Moscou une grande quantité de sa réserve d’or. Je n’étais pas au courant de toutes les négociations entre Madrid et Moscou sur ce point ». Ce pauvre marin n’était donc au courant que d’une partie des négociations entre Madrid et Moscou sur ce transfert délicat à tous les points de vue et d’abord au point de vue politique.
Malgré cette restriction, le « volontaire » soviétique Nicolaiev prend lui-même des décisions ; à l’en croire il décide alors de confier les premières opérations de transport à deux navires soviétiques « Neva » et « Kouban ». Negrin, alors ministre des finances du gouvernement Caballero, arrive à Carthagène ; le « volontaire » Nicolaiev nous apprend qu’il le connaît déjà : « Je le connaissais un peu l’ayant rencontré plusieurs fois à Madrid. Il m’invita à venir le voir et me présenta ses collaborateurs chargés d’accompagner l’or espagnol en URSS. Parmi eux se trouvait ma vieille connaissance, José Lopez, avec qui j’avais fait le trajet en avion de Paris. » (7) Un volontaire invité régulièrement par le ministre des Finances (et futur premier ministre) de la République d’Espagne… Quoi de plus banal ?
Les deux autres volontaires, Batov et Rodimtsev, ne disent pas du tout, eux non plus comment ils s’engagent… parce qu’ils ne s’engagent pas. Batov, qui répète toutes les calomnies staliniennes contre le POUM, commence ses souvenirs par son arrivée à Toulouse et Rodimtsev par son arrivée à Albacete.
Ce dernier ose écrire : « A la fin de 1936, moi, commandant de l’Armée soviétique, je suis arrivé d’Albacete à Madrid avec quelques volontaires pour aider les unités de l’armée populaire à maîtriser le maniement de l’armement moderne ». (8) Il arrive donc, mais parti comment il n’en dit mot ! Qu’un « commandant de l’armée soviétique » puisse se présenter à son supérieur hiérarchique avec quelques soldats et dire : nous voulons partir nous battre en Espagne… et y être envoyé avec ses hommes de troupe c’est du mauvais roman feuilleton ! Rodimtsev a bien entendu été désigné et envoyé avec un groupe de militaires désignés comme lui. Le système mis en place par Staline ne fonctionne pas autrement.
Le NKVD décide.
De plus à cette époque où se prépare la purge de l’armée rouge que le deuxième procès de Moscou (janvier 1937) annonce déjà publiquement, la hiérarchie militaire n’a aucun pouvoir réel pour envoyer qui que ce soit en Espagne. C’est le NKVD qui décide et contrôle tous les envois. Chaque militaire soviétique envoyé en Espagne l’est après accord et sur décision du NKVD, ce qui ne veut pas dire bien entendu qu’ils sont pour autant des agents du NKVD, mais qu’ils sont jugés sûrs. A tort ou à raison, car ils peuvent par ailleurs être jugés sûrs et, à l’épreuve des faits, ne pas l’être autant qu’il le devrait. Ainsi le consul soviétique à Barcelone, Antonov-Ovseenko, a été envoyé exercer cette mission parce qu’il était jugé sûr. Il s’avérera ne pas l’être vraiment, puisqu’il soutiendra la demande du « Comité d’action » marocain de promettre l’indépendance au Maroc espagnol en cas de victoire de l’armée républicaine en échange d’un soulèvement sur les arrières des troupes maures de Franco. Il sera bientôt rapatrié à Moscou et fusillé.
Des « volontaires » … futurs maréchaux !
La revue soviétique Voprossy Istorii avait publié dans son numéro de juillet 1956 un article signé José Garcia, consacré en particulier aux prétendus « volontaires soviétiques ». Ce José Garcia écrivait : « Leur nombre n’était pas grand, mais, affirme-t-il, l’aide qu’ils apportèrent dans les questions militaires fut immense » et il cite les noms du « général soviétique Stern (connu en Espagne sous le nom de Grigorovitch ») (…) de « Jacob Smouchkevitch (connu sous le nom de Douglas) » qui sera promu général, élu membre suppléant du comité central (pour un volontaire ce n’est pas mal !) en 1939 puis fusillé en 1941. Et il évoque ensuite « les chefs militaires soviétiques Malinovski, Meretskov et Rodimtsev ». (9)
Le premier, Rodion Malinovski, sera nommé Maréchal en 1944 et sera membre du comité central du PCUS de 1956 à 1967 ; le second, Kirill Meretskov, sera élu membre suppléant du comité central en 1939, arrêté l’année suivante, torturé, puis sauvé par la guerre, qui lui évitera d’être fusillé, il sera nommé Maréchal en 1944. Rodimtsev se contentera lui, du grade de général. Des « volontaires » partis en 1937… puis promus Maréchaux sept ans plus tard, ou au pire général, c’est du roman feuilleton. Ces officiers de carrière sont envoyés en mission par le gouvernement. Les divers instructeurs, conseillers, interprètes et autres spécialistes, sont, eux, des agents du NKVD, chargés en particulier d’organiser la chasse aux trotskystes réels et plus encore supposés.
De l’emprunt volontaire-obligatoire et du séjour volontaire-obligatoire… au volontaire désigné.
Le 25 juin 1938 Iejov, saisi par on ne sait quel prurit humanitaire inhabituel, propose au présidium du soviet suprême de libérer avant la fin de leur séjour au goulag les détenus qui ont bien travaillé et méritent donc d’être récompensés. Staline le même jour s’y oppose : il propose qu’on les décore mais qu’on les maintienne au camp… comme travailleurs libres, autorisés à faire venir leur famille (quelle perspective exaltante que la vie de famille au goulag !) et conclut cyniquement : « On disait déjà ; chez nous il y a l’emprunt volontaire –obligatoire, là il y aurait le séjour volontaire obligatoire. » (10)
Dans le droit fil de cet emprunt et de ce séjour volontaires-obligatoires, Staline a donc inventé le «volontaire obligatoire ». Ce sont les seuls « volontaires » qu’il peut accepter.
1) David Diamant, Volontaires juifs en Espagne, Paris, 1977, p.330 2) Pierre Broué, Staline et la révolution Le cas espagnol, Paris, Fayard, 1993, pp.97-98 3) Artur London, Espagne, Bruxelles, Tribord 2003, p.166 4) Hannah Arendt, Le système totalitaire, Seuil,1972, p.28 5) Ispanski Narod protiv Fascisma, Moscou, Academia Naouk,1962, p.7 6) Ibid, p.71. 7) Ibid, p.45 8) Ibid, p.26 9) Cité par Artur London, op.cit, p.166 10 ) Goulag 1918-1960, Moscou, Materik, 2000, p.113
Aragon, du caviar Belouga à la police des lettres soviétiques…
Jean-Jacques Marie
Lily Brik, veuve de Maiakovski, et alors membre docile du cercle des intellectuels choyés et largement financés par Staline, décide en janvier 1949, évidemment avec l’agrément, voire sur décision, du Kremlin, d’aider Louis Aragon et à Elsa Triolet à combattre une famine pourtant beaucoup moins aigue en France qu’en URSS au même moment, en leur envoyant deux colis : celui de Triolet contient plusieurs kilos de sucre, du foie de poisson, du café, des gâteaux secs, du thé de Ceylan, plusieurs tablettes et boîtes de chocolat, du riz, du saucisson, du salami. Le colis pour Aragon renferme du sucre, du caviar Belouga (le plus cher !) du café, des boîtes de crabe, du riz (1). En mars elle ajoutera des sprats, du crabe, du caviar Belouga, puis onze pots de caviar (2), tous produits accessibles seulement dans les magasins spéciaux des privilégiés. Aragon, reconnaissant, saluera en Staline « le plus grand philosophe de tous les temps, l’ouvrier de la transfiguration de l’homme et de la transformation de la nature, celui qui proclama l’homme comme le souci central des hommes » (3).
Aragon remplira jusqu’à la fin de ses jours son rôle de larbin intellectuel du stalinisme. Un petit détail peu connu éclaire l’ampleur de son activité dans ce rôle. En janvier 1962 Maurice Nadeau publie dans Les Lettres nouvelles, revue éditée alors par René Julliard un numéro spécial consacré à la littérature soviétique, préparé et traduit par Claude Ligny ancien membre du PCF et par moi (sous le pseudonyme de Pierre Forgues). Ce numéro ne reproduit certes pas la vision officielle de la littérature soviétique et donne la parole à quelques voix dissidentes plus ou moins étouffées mais le tableau qu’il trace correspond à la réalité dans son ensemble. Quelques jours après la sortie du numéro, René Julliard reçoit un coup de téléphone d’Aragon, qui lui déclare : « Puisque vous avez publié cela, vous n’aurez plus un seul écrivain soviétique ». Bref il fait la police de la littérature soviétique. René Julliard se hâte d’en informer Nadeau qui se hâte de communiquer cette peu poétique déclaration à Claude Ligny et à moi…
Plus tard Aragon mettra sur le même plan Staline… et Trotsky. Dans son Histoire de l’URSS, il cite d’abord une phrase d’Ilitchev, conseiller de Khrouchtchev dans les années 1960 « Le culte de la personnalité en théorie est, dans le fond, la tentative de résoudre les problèmes théoriques à coups de décrets, par des méthodes bureaucratiques. C’est un abus de pouvoir dans le domaine de la théorie ». Puis il ajoute le commentaire suivant : « Cette remarque d’Ilitchev établit ici une analogie, que devait peu après formuler en France Maurice Thorez, la ressemblance entre le culte de la personnalité de Staline et le trotskisme, qui réglait également les questions par voie bureaucratique, par voie d’autorité. » (4)
Les larbins trouvent toujours un emploi à chaque changement de maître.
1 Lili Brik- Elsa Triolet Correspondance 1921-1970, p. 289 2 Ibid, p. 293 3 Lettres françaises, 5 février 1953 4 Aragon, Histoire de l’URSS, tome 2 p. 202