Le 28 mars 2023, l’Assemblée nationale a adopté une résolution « portant sur la reconnaissance et la condamnation de la grande famine de 1932-1933 connue sous le nom d’holodomor » comme « génocide », bref une nouvelle loi mémorielle. Les élus socialistes et écologistes ont voté ce texte. Les considérants font référence à des résolutions ou lois du même type, adoptées en Ukraine le 28 novembre 2006, par la commission de coopération parlementaire UE-Ukraine le 27 février 2008, à la résolution du Parlement européen le 23 octobre 2008 et à une seconde, du 15 décembre 2022 intitulée « 90 ans après l’Holodomor : reconnaître que le massacre par la famine constitue un génocide », toutes résolutions et lois reprises dans un considérant selon lequel « cette « grande famine » a été reconnue par le Parlement européen, les parlements ou d’autres institutions nationales représentatives de plus de vingt pays comme un génocide ou comme un crime contre le peuple ukrainien ou contre l’humanité ». Ainsi les députés de diverses assemblées prétendent dicter une vision officielle définitive de l’Histoire ayant force de loi. A quelle fin ? De quel droit ? Au nom de quelle compétence ?
En quoi cette prétention exorbitante se distingue-t-elle de la pratique des régimes totalitaires, qui écrivent l’Histoire dont ils ont besoin pour camoufler leur réalité ? Certes, bien entendu, à la différence de ces derniers, ni le Parlement européen, ni l’Assemblée nationale ne recourront à la terreur pour imposer cette vision officielle d’une Histoire transformée en dogme. Mais leur ingérence politique dans l’écriture même de l’Histoire n’en est pas moins totalement inacceptable. L’historien Pierre Nora, président de l’association Liberté pour l’histoire, dénonçait dans le Monde du 28 décembre 2011 la volonté des « responsables élus de la communauté nationale » de donner « à chacun des groupes qui pourraient avoir de bonnes raisons de la revendiquer la satisfaction d’une loi. » Il ajoutait : « c’est l’histoire qu’il faut protéger », et citait l’appel d’un millier d’historiens européens en 2008, qui affirmait : «Dans un Etat libre il n’appartient à aucune autorité politique de définir la vérité historique. » On ne saurait mieux dire. L’Histoire n’appartient même pas aux historiens, mais eux ne prétendent pas la dicter et eux seuls ont les connaissances et les compétences nécessaires pour l’écrire, voire la réécrire.
Jean-Jacques Marie
Premiers signataires :
Sonia Combe, Historienne, Centre Marc Bloch, Berlin
Frédérique Longuet Marx – Anthropologue
Jacques Sapir – Directeur d’études à l’EHESS, économiste
Jacques Girault – Professeur émérite d’Histoire, Université de Paris 13
Sonia Dayan-Heizbrun – Sociologue, professeure émérite à l’Université de
Paris-Cité
Nicole Abravanel – Chercheuse associée EHESS
Jean Numa Ducange – Professeur des Universités (histoire contemporaine, Rouen)
Eric Aunoble – Historien, spécialiste de l’Ukraine (Université de Genève)
Jean-Guillaume Lanuque
Laurent Henninger
Julien Papp
Jean-Pierre Molenat – Historien, directeur de recherche honoraire, CNRS
Avshalom J. Bellaïche
Sebastian Budgen – Directeur éditorial, Verso Books
Denis Collin – Philosophe
Jean-François Chalot
Jean Paul Salles
Christian Delrue
Pascal Polisset – Enseignant, écrivain
Jean-Pierre Cassard
Jacques Châtillon – Professeur d’Histoire-Géographie
Rémy Janneau
Michael Maschek
Jacques Cotta – Journaliste-réalisateur
Bruno Neullas
Dominique Ferré – Rédacteur
Jean-Pierre Plisson – Photographe, comité de rédaction de la revue d’histoire MOLCER
Paul Klein – Enseignant retraité
Michel Barbe – Professeur d’Histoire-Géographie
Michel Joly
Pascal Buhot
Pierre Salvaing
Philippe Marcelé
Roger Revuz – Professeur d’Histoire-Géographie
Marcel Lamotte – Enseignant retraité
Katia Dorey – Comité de rédaction des CMO
Jacqueline Trinquet – Comité de rédaction des CMO
Bernard Trinquet – Comité de rédaction des CMO
Claudie Lescot – Comité de rédaction des CMO
Colette Hublet – Comité de rédaction des CMO
Odile Dauphin – Comité de rédaction des CMO
Si vous souhaitez, vous aussi, signer ce texte, vous pouvez écrire à : rédaction@cahiersdumouvementouvrier.org
D’autre part, les CMO ont publié plusieurs articles sur la famine des années 1932-1933, notamment en Ukraine. Vous en trouverez mention sur la page UKRAINE, et pourrez les lire et les télécharger à la page LES CAHIERS
N° 4 L’écrivain Mikhail Cholokhov et la collectivisation stalinienne
Le livre de Grover Furr «Iejov contre Staline», sous-titré modestement «La vérité sur les répressions de masse en URSS, baptisées la Grande terreur», vient d’être publié en français. Furr raconte n’importe quoi. Réfuter ce n’importe quoi aurait d’autant moins de sens que Joseph Staline l’a fait magistralement sur la question centrale de la répression, comme on le verra ci-après. Furr invente un Staline partisan fanatique de la démocratie, brimé par ses secrétaires régionaux. Engagé dans une très peu matérialiste introspection du cerveau de Staline, Furr prétend que, pour ce dernier, «le Parti devait diriger les organisations, mais pas les organes législatifs ou exécutifs de l’Etat. Une fois le Parti privé du contrôle direct de la société, Staline pensait que son rôle devait se limiter à l’agitation et à la propagande» (p 19). Hélas, au plenum du Comité central de juin 1936 «les délégués avaient approuvé à l’unanimité le projet de Constitution. Mais aucun d’entre eux n’avait pris position en sa faveur. Cette omission de donner au moins un acquiescement du bout des lèvres à une proposition de Staline indiquait certainement une opposition latente» (p 22). Il répète : «Beaucoup d’éléments (mystérieusement tus par Furr !) suggèrent que la direction centrale-(Staline)- voulait (…) continuer à mettre en oeuvre les élections ouvertes et à bulletin secret de la nouvelle constitution» (p 59). Il insiste : «Staline et ses proches du gouvernement soviétique central et du Parti se sont battus pour de telles élections mais n’ont pas réussi à amener le comité central à les approuver» (p 61). Résultat tragique : «Le plenum du comité central d’octobre 1937 vit l’annulation définitive du projet d’élections ouvertes aux soviets (…). Cela représentait une défaite sérieuse pour Staline et ses partisans du Politburo» (p 79). Curieux ! Staline ne peut pas imposer au Comité central la démocratie à laquelle il aspire si profondément mais il peut, au plenum de juin 1937 de cet organe censé diriger le parti, en exclure 31 membres, arrêtés, puis fusillés dans les mois suivants ! Lorsque le plenum se réunira en janvier 1938, il ne rassemblera que 28 des 71 membres élus en janvier 1934. Les prétendus vainqueurs de Staline ont été liquidés. Certaines victoires ont un curieux goût de défaite ! Selon Furr, enfin, Iejov a «effectué une répression massive d’innocents et trompé Staline ainsi que les dirigeants soviétiques en leur faisant croire à une bataille contre la subversion» (p 132) afin de susciter le mécontentement de la population. Il le répète plusieurs fois comme si la répétition d’une affabulation devait, par une mystérieuse alchimie étrangère au matérialisme historique la transformer en vérité. La répression déchaînée en juillet 1937 a fauché jusqu’à la fin de 1938 près de750.000 hommes, femmes et enfants. Furr prétend : «Les aveux mêmes de Iejov prouvent que Staline et les dirigeants soviétiques n’étaient pas responsables de ses exécutions massives» ( p 107). Tel est le dernier service que Iejov doit rendre à Staline. Furr ajoute «Dès que Iejov a démissionné, pour être remplacé par Béria, les ordres ont été donnés d‘arrêter immédiatement toutes les répressions, d’abroger tous les ordres opérationnels du NKVD» (p.100). Staline le réfute. En mars 1939, au XVIIIe congrès du parti communiste, il déclare : «Nous n’aurons plus à employer la méthode de l’épuration massive» (compte-rendu sténographique du XVIIIe congrès, p 28). Le sens de cette déclaration est clair : Staline assume la responsabilité de la répression déchaînée en 1937 et la justifie en la qualifiant d’«épuration» c’est-à-dire d’élimination d’éléments déclarés nuisibles ou hostiles; il la maintient pour l’année 1938 en cours, mais en en réduisant l’ampleur : de «massive» elle deviendra plus ciblée ou plus sélective, mais ne disparaitra pas contrairement-aux dires, une fois de plus, mensongers de Furr.
Partisan affirmé de Staline, Furr a certainement lu ce discours, mais, pratiquant ainsi l’art du camouflage, il le dissimule à son lecteur.
Furr, enfin, a découvert que Iejov, arrêté le 10 avril 1939, avait été un agent allemand… Mince découverte. Iejov, connaissant mieux que personne les méthodes utilisées par le NKVD pour faire avouer les accusés et certainement peu désireux de les subir jusqu’à ce qu’il craque, a vite «avoué» qu’il travaillait pour les Allemands depuis 1932. Furr juge ses aveux parfaitement sincères. A tout hasard les enquêteurs ont laissé une preuve (?) que Iejov avait toute liberté de confirmer ou d’infirmer ce qu’on lui reprochait. Lorsque l’enquêteur Bogdan Koboulov, le 11 mai 1939, lui rappelle qu’il a battu sa femme lorsqu’il a découvert qu’elle couchait avec l’écrivain Mikhail Cholokhov, Iejov le nie. Koboulov lui lit alors un témoignage qui le confirme. Furr comprend le message et jubile : «ces deux passages sont la preuve que (…) l’enquête était authentique» (p 184). Iejov pouvait donc nier ce qu’il voulait ! Tout ce que l’enquêteur lui a dicté et qu’il a finalement signé est donc vrai. Mais, au regard de l’accusation d’être un agent allemand depuis 1932, d’avoir envoyé des hordes d’innocents à la mort, préparé l’assassinat de Staline et de Molotov et un coup de force pour le 7 novembre 1938, qu’importe donc que Iejov, mécontent d’être cocufié, ait giflé et cogné sa femme et se voit accorder le droit de le nier pour mieux présenter ses aveux comme volontaires ?
La marque de Furr, au comique toujours involontaire, est le grotesque. Rappelons-nous les contorsions auxquelles il aboutissait dans Khrouchtchev a menti, où il affirmait sans rire «l’existence d’une série de complots antigouvernementaux droitiers-trotskistes», puisajoutait «Il existe beaucoup de preuves circonstancielles pour suggérer (sic ! des preuves qui se contentent de suggérer ne prouvent évidemment rien !) que Khrouchtchev lui-même pourrait (resic!) bien avoir participé à cette conspiration droitière trotskiste (…). L’hypothèse (reresic !) que Khrouchtchev peut (rereresic !) avoir été un membre d’une branche secrète (qui, secrète, n’a donc laissé aucune trace !) de la très ramifiée «conspiration trotskiste-droitiére» est renforcée par le fait qu’il a certainement (rerereresic!) été impliqué dans un certain nombre d’autres complots», ignorés de tous, mais dont Furr établit une liste consistant surtout en accusations de dissimulation et de destruction de documents, liste truffée de formules choc du type «Khrouchtchev devait (?) diriger une autre conspiration (…) suivies d’une litanie de «On peut supposer que», «sans doute», «probablement», «il semble probable que», sans parler de la superbe formule : « Un grand nombre de chercheurs et de fonctionnaires, y compris bien sûr les fonctionnaires du Parti fidèles à Khrouchtchev, mais encore inconnus de nous (sic !) ont dû (resic !) être impliqués ». (Khrouchtchev a menti pp. 34-35 et 220-221). Ces «inconnus qui ont dû être impliqués » représentent… sans doute l’un des sommets de la recherche historique. En gros Furr dit à ses lecteurs : je n’en sais rien mais j’en suis certain.
Ainsi, en résumé, pour lui, il semble sans doute peut-être probablement probable que Khrouchtchev ait été membre d’un grand nombre de complots mal, peu, mal ou pas connu mais détectés par Furr et grâce auxquels monsieur K est devenu premier secrétaire du PCUS. C’est la méthode du prestidigitateur, à une nuance près : le prestidigitateur réussit ses tours, Furr les rate tous. Ainsi, dans son Iejov contre Staline Furr oublie de poser une question gênante (parmi bien d’autres). Si toute l’action de Iejov, en tant qu’agent allemand, avait visé à dresser la population soviétique pour la soulever contre Staline et son gouvernement, pourquoi ne lui a-t-on pas fait avouer ce sinistre plan – et ainsi exonérer les dirigeants soviétiques et Staline de ses conséquences douloureuses – dans un procès public comme Staline l’avait fait pour son prédécesseur Iagoda ? Or Iejov est condamné à mort le 4 février 1940 et fusillé aussitôt. ?
La réponse est d’une simplicité enfantine, même s’il est, pourrait commenter Furr, sans doute peut-être probablement probable qu’elle ne figure dans aucun des documents sur l’affaire Iejov. Le 23 juin 1939, Hitler et Staline avaient signé un pacte de non-agression de dix ans et un protocole secret de partage de la Pologne. Comment organiser le procès public d’un prétendu «agent allemand» dans cette période, qui, de plus, a vu, par une aimable collaboration pratique, Staline livrer à la Gestapo des dizaines de communistes allemands réfugiés en URSS parmi lesquels Margarete Buber- Neumann, femme de l’ancien dirigeant du PC allemand, et rédacteur en chef de son quotidien Die Rote Fahne, Heinz Neumann. Ce dernier a, par un miracle typiquement stalinien, échappé à cette manifestation touchante de l’amitié germano-soviétique, dont Furr, incapable, malgré les multiples contorsions de sa maigre pensée, de l’attribuer ni, d’un côté, à Trotsky ni, de l’autre, à Iejov, alors emprisonné, ne dit évidemment pas un mot. Staline a fait arrêter puis fusiller Neumann en 1937, quelques mois plus tard. Le tueur Iejov n’y est pour rien. Dès le 2 mai 1934, en effet, alors que Iagoda était à la tête du NKVD pour deux bonnes années encore, Staline déclarait à Dimitrov : «Neumann (…). C’est un dégénéré politique ». (Journal de Dimitrov p. 123). Son sort était donc déjà scellé. Seule la date restait en suspens.
Mieux valait donc abattre Iejov discrètement, loin des bruits de la rue, dans une de ces discrètes caves qu’il connaissait si bien…
Les Cahiers du mouvement ouvrier publient ci-dessous la lettre rédigée par Ken Loach à propos de son exclusion du Labour Party et de la véritable chasse aux sorcières menée par le secrétaire du Labour Party, Keir Starmer, admirateur de Tony Blair, contre tous ceux qui tentent d’affirmer des positions et des propositions différentes de l’alignement complet sur la bourgeoisie britannique mis en œuvre par la direction actuelle du Labour.
Il faut bien avouer que l’itinéraire de Keir Starmer n’est pas exactement celui d’un militant ouvrier. Ses principaux faits d’armes sont éclairants : en 2002 Keir Starmer est nommé conseiller de la Reine par cette dernière, qui voyait manifestement en lui un élément prometteur, en 2008 il est nommé procureur général de Grande Bretagne, en 2014 la Reine l’anoblit.
Certes il se refuse, paraît-il, à se faire appeler Sir, mais c’est bien la seule marque d’une très mince indépendance à l’égard des institutions de la monarchie, dont il est un rouage.
La démocratie est morte au Parti travailliste de Starmer.
Toute critique du chef est interdite alors que des milliers de militants ont été exclus, ou, dégoûtés, ont quitté le parti.
Depuis quelques semaines, j’ai l’honneur d’avoir rejoint le rang des exclus et suspendus du Parti travailliste. Mon crime ? Avoir soutenu une tendance, récemment proscrite, d’opposition aux exclusions injustifiables. Voilà la réalité des purges starmeriennes.
Bien avant de s’attaquer à l’influence de la base militante du Parti, Starmer a mené la guerre aux dissidents et poussé des milliers de membres à quitter le parti. Un de ses acolytes au parlement a admis sans vergogne : « Lui, a su se débarrasser de l’extrême gauche ».
La démocratie est morte au Parti travailliste. Avec Starmer de nouvelles règles ont été inventées et de manière rétroactive infligées aux instances locales dont les élus ont été remplacés par des fidèles de droite. Des candidats centristes sont alors imposés indépendamment de la volonté des instances locales. Les motions opposées à Starmer ou qui soutiennent son prédécesseur Corbyn sont déclarées irrecevables et les dirigeants locaux qui les autorisent sont suspendus. La critique de Starmer est interdite et même la critique de cette intolérance est interdite.
Nombre de vieux militants ont été harassés, et, découragés, enragés, exténués, sont partis. Une telle brutalité dans ce Parti est sans précédent. Pourtant les médias qui normalement se délectent des divisions dans le Parti travailliste sont silencieux. Les éditorialistes nous disent que Starmer « remet de l’ordre dans la maison ». Quel ordre ! Entre 100 000 et 150 000 militants ont quitté le parti depuis l’avènement de Starmer : beaucoup ont été exclus, la majorité s’en est allée dégoûtée.
En 2019 il a soutenu Corbyn pour les élections avant de le trahir à la première opportunité. Quand Corbyn est élu à la tête du Parti travailliste, la droite du parti n’a d’autre objectif que de le renverser. Et quand, avec John Mc Donnell et leurs alliés, il développe un programme de transformation de la société au bénéfice de la classe ouvrière, elle est apoplectique. Les élites sont horrifiées. Quand en 2017, le Parti travailliste de Corbyn remporte presque les élections sur un programme radical, il leur faut faire quelque chose ; le Parti doit être remis en ordre. L’arme de destruction utilisée sera l’accusation toxique d’antisémitisme, que Corbyn aurait banalisé dans le Parti. Les assassins sont assis à ses côtés sur les bancs du parlement, ce sont ses collègues députés travaillistes.
Starmer a promis l’unité sachant très bien qu’il déclarait la guerre à la gauche. Quelques uns ont cru à ses dix promesses de poursuivre les engagements du Labour Party en particulier sur les nationalisations. Il est vite revenu sur ces promesses de nationalisation des six plus grosses compagnies énergétiques du pays.
C’est sous prétexte de nettoyer le Parti de son antisémitisme que Starmer et ses conseillers Nouveau Labour ont abusé des règlements intérieurs du Parti pour harceler et exclure à tout va. Le courant « Jewish Voice for Labour », lui, dénonce une purge des militants juifs de gauche et assure que ces derniers sont quatre fois plus nombreux que les militants non juifs à faire face à des mesures disciplinaires. Leur propre plainte pour mauvais traitement est ignorée par le Parti. Quelle ironie ! Aujourd’hui tout souvenir du radicalisme récent du Parti travailliste est à éradiquer. Corbyn est peu entendu alors que les aides et rédacteurs de discours de Tony Blair sont présentés comme de grands sages malgré leur apologie des privatisations et d’une guerre illégale.
Pour la droite du Labour, les succès électoraux découlent de la confiance que peut lui accorder la classe possédante quant à la préservation de ses richesses et de son pouvoir entre les mains du Parti travailliste. La gauche doit se satisfaire de son second rôle traditionnel de protestataire. Rupert Murdoch va adouber Starmer ou son successeur comme il avait adoubé Blair. Que peut répondre la gauche ? Comment accomplir les changements structuraux nécessaires ? Tous ceux qui ont été inspirés par Corbyn sont toujours là, à l’intérieur comme à l’extérieur du Parti. Il y a un retour de la gauche dans les syndicats. Il y a tant de campagnes à mener – contre le racisme et l’austérité, pour protéger la sécurité sociale et pour l’environnement – la liste est longue qui montre l’ampleur de l’insatisfaction dans notre société.
Nous sommes si nombreux à vouloir un monde où le bien commun prévaut sur la cupidité, et où tous peuvent jouir de la sécurité et de la dignité. Nous sommes à un moment charnière mais si nous n’agissons pas maintenant, la gauche se fragmentera de nouveau et retombera dans le sectarisme. Des centaines de milliers se retrouveront sans domicile politique.
Un nouveau parti aurait les mêmes difficultés que par le passé. Mais nous avons besoin d’une nouvelle initiative – un mouvement, grand, inclusif, indépendant, qui unit ceux dans et à l’extérieur du Parti travailliste. Il devrait être dirigé par des personnes reconnues, de principe, de confiance et le soutien des syndicats de gauche serait essentiel.
Nous avons des tonnes de talents : de jeunes militants, des hommes politiques émergents, des universitaires, des médecins, des économistes et aussi de grands leaders dans les communautés et les associations. Ils comprennent très bien ce qui se passe et parlent avec clarté et passion. Un tel mouvement doit s’établir sur des principes qui vont à la racine de nos problèmes. J’ai rejoint le Parti travailliste en 1964 et les mots inscrits sur ma première carte de parti sont toujours d’actualité : « Pour assurer aux travailleurs manuels ou intellectuels le juste fruit de leur labeur… sur la base de la propriété commune des moyens de production, de distribution et d’échange ». Qu’attendons nous ?
L’article du Populaire de mars 1938 reproduit ici reprend à son compte, on le voit, sans la moindre réserve, les accusations de trahison, validées par des aveux arrachés au moyen de multiples techniques de pression morale et physique, au nom desquels Staline liquide alors de vieux dirigeants bolcheviques. Son auteur, Jean-Baptiste Séverac, était alors l’adjoint et le bras droit du secrétaire général de la SFIO, Paul Faure. Il exprime donc le point de vue de l’appareil dirigeant de la SFIO.
Ajoutons que deux ans plus tard Paul Faure se ralliera à Pétain qui le nommera ministre d’Etat. Séverac lui se réfugiera dans le silence jusqu’en 1945, date à laquelle il se ralliera au Parti socialiste démocratique fondé par Paul Faure avec une brochette de députés socialistes ralliés à la collaboration, donc démonétisés à la libération et exclus de la SFIO à cette date.
La revue Europe était une revue culturelle officieuse du Parti communiste français comme le souligne la composition de son comité de rédaction en 1949, l’année où est publié l’article de Francis Cohen qui porte le titre grandiose, souligné, que l’on peut lire sur la reproduction de la couverture.
Si le directeur est Jean Cassou, compagnon de route non membre du PCF la majorité des membres du « comité de direction », flanqués de quelques compagnons de route complaisants comme André Chamson ou Vercors, en sont membres comme le montre la liste : Jean-Richard Bloch, Pierre Abraham, Aragon, René Arcos, Claude Aveline, André Chamson, Paul Eluard, Georges Friedmann, Louis Martin-Chauffier, René Maublanc, Vercors.
Que l’article programmatique de Francis Cohen sorte en 1949 ajoute à son côté grotesque un aspect répugnant car l’année 1949 est marquée par trois exploits du stalinisme :
la déportation en Sibérie de milliers d’habitants des pays baltes .
le déclenchement d’une campagne de répression massive qui renvoie au goulag de milliers de déportés libérés les années précédentes.
le début de la campagne antisémite qui va culminer en 1952 dans l’exécution de la majorité des dirigeants du comité antifasciste juif, arrêtés en décembre 1948 et janvier 1949.
Il y a 100 ans se déroulait la dernière phase de la Guerre Civile et des interventions étrangères anticommunistes sur le territoire de l’ancien empire russe : la guerre soviéto-polonaise conclue par une paix de Riga (mars 1921) qui sanctionnait l’amputation des territoires occidentaux de la Biélorussie et de l’Ukraine soviétiques ; et la déroute de Wrangel en décembre. En Août 1920, l’Armée Rouge a subi une très lourde défaite sous les murs de Varsovie. Les circonstances, causes et conséquences de cette défaite ont fait couler beaucoup d’encre : le numéro d’Août 2020 de la revue populaire « Guerres et histoire », dirigée par un bon spécialiste d’histoire militaire Jean Lopez (co-auteur d’un « Joukov » et d’un « Barbarossa » remarqués) y consacre un dossier intitulé « Miracle sur la Vistule-la Pologne ressuscitée humilie l’Armée Rouge ».
Ce dossier est plaisant à lire, mais laisse le lecteur sur sa faim, car la présentation de faits en grande majorité bien établis est influencée par les préjugés politiques et nationaux des différents auteurs, et un peu brouillée par des titres et intertitres racoleurs. Dans son éditorial/synthèse, Jean Lopez énonce de façon correcte les principales causes militaires et surtout politiques du retournement spectaculaire de la situation en Août 2020 : « [Lénine] a sous-estimé le facteur national. (…) Le prolétaire et le paysan pauvre polonais ne cessaient pas d’être polonais et voyaient dans ces soldats rouges à bonnets pointus non pas des libérateurs mais des avatars du Russe oppresseur». Mais aussitôt, les interrogations qu’il formule reflètent un certain conformisme anti-communiste : « Jusqu’où comptait aller l’Armée rouge, quant à elle, une fois la Pologne jetée à terre ? (…) L’idée de Moscou était-elle de donner la main aux soulèvements ouvriers qui se produisaient dans l’Allemagne vaincue et désarmée ? L’objectif était-il d’amarrer la révolution russe aux 25 millions d’ouvriers allemands dont la conscience de classe avait été aiguisée par un demi-siècle de social-démocratie (cette appréciation aurait certainement éberlué les communistes d’alors) ? ou bien s’agissait-il déjà de faire en 1920 ce que fera Staline en Aout et septembre 1939 : partager avec le Reich la Pologne « enfant illégitime du traité de Versailles » ?(…) [il y a] de bonnes probabilités pour ce dernier scénario, si l’on fait fond sur le pragmatisme de Lénine ». Les dernières formulations sont à mon avis erronées. Le point de vue de J. Lopez est celui d’un géopoliticien cynique. Ce n’était sûrement pas celui des bolchéviks.
A cet égard, il convient de mentionner un document fondamental[1] (connu mais négligé par « Guerres et Histoire »), tenu sous le boisseau en URSS pendant 70 ans : le rapport et la conclusion « à chaud » de Lénine lors de la IXe conférence (sorte d’inter-congrès) du Parti Communiste Russe (bolchévik), le 22 septembre 1920, en pleine retraite de l’Armée rouge… Ce texte – comme bien d’autres – ne correspondait pas à l’image que les propagandistes staliniens voulaient donner de Lénine ! Ce qui leur était impossible d’admettre, c’est non seulement l’analyse impitoyable de la situation, mais sans doute l’internationalisme résolu et la conviction éclatante que « le socialisme dans un seul pays est impossible » … Au point de susciter de la part de Lénine une « erreur » qui amène Trotsky à écrire : « Oui, Lénine était génial, de toute la génialité humaine (…) cependant, quand il commettait des erreurs, elles étaient très grosses : elles étaient à l’échelle du plan colossal de tout son travail »[2]. Avant de passer en revue rapidement ce que l’on peut tirer du dossier de « Guerres et histoire », il convient de se pencher sur ce rapport, où tout n’est pas dit, mais qui lève à mon avis pas mal de faux mystères sur cette grande affaire.
Le rapport de Lénine à la IXème Conférence du Parti Communiste Russe, le 22 septembre 1920.
Il comprend essentiellement trois parties :
Le contexte international et national. Lénine souligne à plusieurs reprises que l’affrontement avec la Pologne fait partie de la lutte contre les Blancs (guerre civile) et les interventions étrangères visant à renverser le pouvoir soviétique. Au moment où Pilsudski déclenche son attaque sur Minsk et Kiev en mars 1920, l’Armée rouge vient de vaincre successivement Koltchak à l’Est, Ioudénitch à l’Ouest (devant Petrograd), et Dénikine au Sud – celui-ci a démissionné en faveur de Wrangel, soutenu à fond par la France. La contre-offensive foudroyante contre l’agression polonaise a débuté la veille même du Deuxième Congrès du Komintern (IIIème Internationale), auquel la direction bolchévique a consacré toute son attention. Congrès qui est le véritable acte fondateur de grands partis communistes (voir l’adoption des 21 conditions d’adhésion), tant en Allemagne avec notamment l’immense portée de la fusion des spartakistes avec le parti des « Indépendants » qu’en Italie, qu’en France ; ce Congrès s’est réuni du 26 juillet au 8 août. Il s’est séparé avant le retournement du 16 Août devant Varsovie. L’atmosphère d’euphorie des premières victoires sur Pilsudski a plané sur ce Congrès, et a visiblement exercé une pression sur le gouvernement soviétique.
Lénine, dans son rapport au Congrès, avait consacré une grande partie à dénoncer le traité de Versailles, félicitant John M. Keynes (le célèbre économiste, représentant du Trésor britannique !) qui indiquait combien il était porteur de la ruine de l’Allemagne et donc de l’Europe entière. Cette fois-ci il expose longuement comment toute l’Allemagne continue de « bouillir » après l’échec du coup d’état d’extrême droite de Kapp et von Luttwitz au mois de mars[3]. Non seulement la population laborieuse est révoltée par l’étranglement économique de l’Allemagne, mais les « kappistes-korniloviens » sont prêts, par désespoir, à suivre les bolchéviks. C’est là bien sûr la clé des mystérieuses tractations avec « des Allemands » dont parle l’article des Dossiers (voir plus loin) ; il s’agit certainement de responsables militaires allemands ! En deuxième lieu, Lénine montre comment la « nouvelle Pologne » constitue une « pierre angulaire »[4] de l’ordre de Versailles, parmi la chaîne d’Etats mis en place par l’Entente pour contrôler l’Allemagne et la Russie bolchévique. Enfin, Lénine se livre à des développements très enthousiastes sur les syndicalistes anglais qui refusent résolument que leur gouvernement aide la Pologne contre les républiques soviétiques : ils ont mis en place un « Comité d’action » et des comités d’ateliers (shop stewarts) que Lénine n’hésite pas à qualifier de « double pouvoir de fait ». C’est ainsi d’ailleurs qu’il explique la position très en retrait dans l’Entente du gouvernement britannique, et en particulier le rôle du ministre des affaires étrangères, lord Curzon, qui est à l’origine d’une fameuse proposition de frontière de la Pologne avec ses voisins orientaux (fédérés avec la République Russe), « très convenable pour nous », répète Lénine à plusieurs reprises.
Et donc la deuxième partie est consacrée à la genèse et à la nature de l’erreur qui a été commise par le Comité Central (dès le mois de mai ?). Nous étions devant un choix crucial, dit en substance Lénine : nous avions gagné la guerre défensive (contre les Blancs et contre la Pologne) en repoussant l’agression de Pilsudski au niveau de la « ligne Curzon ». Devions-nous nous contenter de cette situation, et accepter l’ultimatum de lord Curzon ? ou devions nous « obéir à notre devoir internationaliste, continuer notre offensive sur son élan, et aider les ouvriers et paysans pauvres polonais à prendre le pouvoir ? » Nous avons décidé la deuxième option. Nous avons essayé de « tâter de la pointe de nos baïonnettes[5] » les dispositions du prolétariat polonais. Nous avons, dit Lénine, certainement commis une grosse faute : elle peut être de nature politique, ou de nature « stratégique » [nous dirions simplement « militaire »]. Après s’être référé à l’expérience de la guerre civile, il conclut que la « stratégie » est subordonnée à la politique, que ce sont les « politiques » (ne connaissant éventuellement rien à la « stratégie » [de l’art militaire] !) qui décident-même si la « stratégie » n’est pas identique à la politique, concède-t-il. L’erreur politique, Lénine le dit clairement, c’est que le prolétariat urbain et agricole polonais « ne s’est pas soulevé à notre approche », et que c’est la « petite bourgeoisie » polonaise, suivant les propriétaires et les capitalistes, qui a « sauvé » la Pologne par son « élan patriotique ». Lénine précise plus loin : ce n’est pas l’Entente qui a sauvé la Pologne, c’est cet élan patriotique. S’agissant de (des) erreur(s) « stratégiques », Lénine se refuse catégoriquement – au nom du Comité Central – à nommer une commission d’enquête. Il prétexte que « nous n’avons pas de forces à consacrer à cela, laissons-le aux historiens de l’avenir ». Argument plutôt étrange ; en fait il est clair que Lénine ne veut pas de règlement de comptes, notamment entre Toukhatchevsky et Trotsky d’une part, Staline et Egorov d’autre part (voir plus loin le déroulement des opérations). Cela n’a pas empêché des empoignades dans la discussion (on le sait par ailleurs), on en trouve des échos dans la réponse de Lénine, qui réprimande à ce sujet tant Boukharine que Staline (« ils ont franchi la ligne »).
La dernière partie du rapport est consacrée aux pourparlers en cours à Riga, et aux perspectives de paix. Lénine explique longuement que les énormes concessions territoriales prévues en faveur de la Pologne (tout l’ouest de la Biélorussie et de l’Ukraine) sont nécessaires. Bien que « la Pologne soit aussi épuisée », il développe une argumentation circulairement répétitive, typique de son style, sur le thème « il faut absolument éviter une campagne d’hiver », c’est-à-dire empêcher l’Armée rouge de céder à la tentation de la revanche immédiate ! Son insistance est probablement à la mesure de la frustration des chefs militaires… Mais la raison est simple : le pays est absolument épuisé, il faut « consacrer nos efforts à construire la paix ». Dans son « Lénine »[6], Jean-Jacques Marie développe longuement sur la crise du « communisme de guerre » et l’impasse du système de réquisitions de blé auprès de la paysannerie. L’automne et l’hiver verront d’ailleurs se développer dans le PCR de très âpres débats sur la « militarisation du travail », et des « syndicats », alors que flambent les révoltes paysannes, comme à Tambov : comme on sait, la révolte de Cronstadt en mars 1921 mettra un terme aux controverses, en imposant la «retraite» (Lénine) de la fameuse Nouvelle Politique Economique NEP.
Le dossier de « Guerres et Histoire »
Le premier article « Que la Pologne meure pour que la révolution vive, et inversement », prétend dessiner le contexte historique et international de la guerre de l’été 1920. L’apparente symétrie de ce titre parait fallacieuse. La « nouvelle » Pologne nationaliste prétend retrouver les frontières de la « République des deux-nations », union des Etats féodaux de Pologne et Lituanie avant les fameux partages de la fin du XVIIIème siècle entre la Prusse, l’Autriche et l’Empire russe. La carte présentée si significative[7], correspond bien aux objectifs de la caste dirigeante du nouvel Etat : la noblesse héréditaire des chevaliers (Szlachta) qui régnaient en maîtres, y compris dans toute la zone orientale, peuplée majoritairement de Biélorusses, Lituaniens, Ukrainiens et… juifs. Pilsudski est le chef d’un Parti Socialiste Polonais à base ouvrière réelle. Sa politique est moins brutalement réactionnaire que celle de cette caste, mais il en est membre ! Donc sa russophobie proclamée se double logiquement d’un anticommunisme tout aussi convaincu. La remarque suivante des auteurs apparait dès lors des plus contestables : « il est d’ailleurs notable que Varsovie soit vue à Moscou avant tout comme une « marionnette de l’Entente », c’est-à-dire un pays stipendié par les Alliés pour écraser ou contenir le bolchévisme, ce qui est largement faux (voir encadré, « les alliés très réservés sur Pilsudski » -souligné par moi. Avec ces quelques mots s’introduit un grave biais affectant l’ensemble du dossier : les auteurs prennent prétexte de frictions et contradictions réelles, mais secondaires, entre Français et Américains, Britanniques, Russes Blancs, pour nier le rôle central de la « nouvelle Pologne » dans la croisade antibolchévique et la consolidation du traité de Versailles. Et pour minimiser surtout l’engagement de la bourgeoisie française, dont les preuves évidentes sont diluées dans les différents articles.
Les buts de guerre soviétiques sont décrits de façon pour le moins réductrice : « si les bolchéviks répudient l’impérialisme grand-russe des tsars, ils lui substituent l’idée de l’extension indéfinie du système soviétique(…) leur objectif est (…) de disposer de planches d’appel [terminologie typiquement militariste, note CD] en vue d’une entreprise beaucoup plus importante, l’exportation de la révolution vers l’ouest… Dès leur prise du pouvoir en novembre 1917, les bolcheviks ont eu en tête de susciter, dès que possible, la révolution dans l’Europe développée, et avant tout en Allemagne ». Plus loin, les auteurs indiquent « pour Lénine et les bolchéviks, une petite Pologne réduite aux frontières qu’elle avait au sein de l’empire tsariste serait un temps tolérable, à condition qu’elle soit débarrassée de ses éléments « réactionnaires et chauvins, grands propriétaires fonciers, industriels et clergé ». L’impression est donnée que cette politique se ramène à une pure suite de conquêtes territoriales. C’est bien mal comprendre Lénine, qui fondait sa politique sur le mouvement des masses, et non sur la possession de territoires !… Très curieusement, les auteurs ne mentionnent pas l’ordre du jour fameux, attribué à Toukhatchevsky mais publié dans l’officielle « Pravda » dès le 9 mai 2020. Ils doivent, probablement, le ranger parmi « les slogans » éphémères et, pour eux, sans importance réelle. Pourtant, on ne peut qu’être frappé par la maladresse de ses formulations vis-à-vis du sentiment national polonais, à peine atténuée par la restriction « Pologne blanche » :
« Ouvriers et paysans, à l’Ouest ! Contre la bourgeoisie et les propriétaires terriens, pour la révolution internationale, pour la liberté de tous les peuples ! Combattants ouvriers de la révolution ! Tournez vos regards vers l’Ouest ! C’est à l’Ouest que va se décider le sort de la révolution mondiale ! La route de l’incendie mondial passe sur le cadavre de la Pologne blanche ! Au bout de nos baïonnettes nous apporterons le bonheur et la paix à l’humanité laborieuse ! A l’Ouest ! Vers des batailles décisives, vers des victoires éclatantes !»[8].
Sur le deuxième article « Pilsudski joue et perd en Ukraine », il y a peu à dire, sinon que l’article est bien discret sur le rejet par la population ukrainienne des troupes polonaises venues évidemment rétablir les prérogatives des « pans » (seigneurs). Jean-Jacques Marie dans son « Lénine » note : « la haine de l’ancien maître polonais suffit à faire sortir des bois quelques centaines de milliers de déserteurs [au profit de l’Armée rouge] ». De même qu’est passé sous silence l’« exploit » des troupes pilsudskistes faisant sauter à Kiev la cathédrale, la gare et la centrale électrique au moment de la retraite.
Le troisième et le cinquième articles sont solides, concernant des aspects essentiellement techniques. L’article « deux armées de bric et de broc » donne une description presque impartiale des deux armées en présence. Encore que… En ce qui concerne l’Armée rouge, l’insistance mise à souligner le nombre des anciens officiers tsaristes – les spetsy -, ainsi que l’hommage ambigu à Léon Trotsky montrent une nouvelle fois le mépris de « la politique » de la part des auteurs : « … Si l’Armée rouge, en effet, est une force organisée, c’est au seul Trotski qu’elle le doit… Elle sort victorieuse de la guerre civile grâce à son Vojd [leader], qui s’est montré très pragmatique en choisissant de s’appuyer sur le savoir-faire des officiers tsaristes… ». Plus loin, les auteurs notent « … la persuasion par le discours politique ne suffisant pas toujours, Trotski réintroduit la discipline la plus rude. Pour être sûr qu’une offensive prévue se déclenche réellement, il faut bien souvent injecter dans les unités des ouvriers communistes, acheminer du pain, des bottes, quelques trains blindés et … des détachements de la Tchéka ». Tout est mis sur le même plan, l’engagement illimité des Soviets passe inaperçu !
S’agissant de l’armée de la nouvelle Pologne, les auteurs rappellent l’hétérogénéité bien connue de l’encadrement (venu des armées prussienne, russe, autrichienne … et française dans le cas du corps Haller), des difficultés dues également à la diversité des sources d’armement. Ils ne peuvent manquer de souligner l’importance des fournitures de guerre par l’Entente – surtout la France et, pour l’aviation, les USA – et insistent à juste titre sur celles fournies par la Hongrie contre-révolutionnaire. On lit : « L’aide hongroise, à travers la Roumanie, a été cruciale. (…) Il ne faut pas oublier qu’à Budapest, qui a connu (!) la république des conseils en 1919, la guerre russo-polonaise était aussi vue comme une guerre pour l’indépendance de la Hongrie ». Son caractère de croisade anticommuniste apparaît ici limpide ». Enfin les auteurs évoquent très (trop) sobrement la contribution très importante de la France en matière « d’organisation et de matériel ». La mission militaire française du général Henry aurait été forte, dès avril 1919, de 1500 officiers ! – à distinguer de la mission d’« urgence », célèbre mais non décisive (y participait le capitaine Charles De Gaulle), du général Weygand envoyé en Août 1920 à Varsovie.
Le cinquième article porte lui sur le « renseignement radio et aérien ». C’est peut-être le plus intéressant. Il insiste à juste titre sur le déséquilibre complet en la matière entre l’Armée Rouge et l’Armée polonaise. Cette dernière bénéficiait non seulement d’une suprématie aérienne quasi incontestée, mais surtout du « cassage » intégral des [radio]cryptogrammes soviétiques échangés entre unités et avec l’Etat-major, ainsi qu’entre les services diplomatiques du gouvernement soviétique. Sous réserve que l’on puisse faire confiance à l’authenticité de ces décryptages et à l’interprétation qu’en donne l’historien Grzegorz Nowik – mais elle recoupe, on va le voir, le rapport de Lénine -, ils jettent une vive lumière sur la politique et les hésitations stratégiques du pouvoir soviétique :
« Beaucoup de ces cryptogrammes se référaient aux négociations entre Allemands [qui donc ?] et soviétiques, qui visaient à conclure un traité anti-polonais (…)
« (…)L’état-major polonais connaissait par exemple le plan originel du 10 mars, qui prévoyait une invasion simultanée de la Biélorussie et de l’Ukraine (…) les deux Fronts soviétiques devaient attaquer Varsovie ensemble et concentriquement. (…). [Le rejet sur ses frontières au printemps de l’armée polonaise passée à l’offensive] a amené Lénine à changer ses plans (…) Le second plan de guerre envoyait Toukhatchevsky seul vers Varsovie puis vers le corridor de Poméranie, et redirigeait le front d’Egorov vers le sud-ouest et non plus vers Varsovie. L’intention de Lénine était de capturer le corridor et en violation du traité de Versailles, de rendre cette province à l’Allemagne : un joli cadeau pour sceller une alliance ! [je souligne]. Au Sud, en envoyant Egorov à Lwow et vers les cols des Carpates, Lénine espérait exporter la révolution en Hongrie et en Autriche, dans les Balkans et jusqu’en Italie (…) Il a ainsi écartelé les deux fronts et un trou est apparu entre eux, à l’ouest de Brest[Litovsk]. (…) Ces informations ont servi de base au plan [de Pilsudski] : défendre Varsovie et Lwow, concentrer un groupe de frappe dans le trou entre les deux Fronts soviétiques, et attaquer également au Nord les forces de Toukhatchevsky qui partaient vers la Poméranie [Dantzig] ». Nous avons là l’explication de l’offensive extrêmement risquée de Toukhatchevsky (point commun des « deux plans »), longeant la frontière lituanienne et surtout celle de la Prusse Orientale, bastion de l’armée allemande. Il exposait son flanc droit à n’importe quelle attaque de ce côté. G. Nowik dénonce la « violation » du traité de Versailles, accusation vide de sens puisque les soviets ont stigmatisé dès sa signature ce Traité comme une entreprise archi-réactionnaire ! De ce point de vue, la « restitution » du couloir de Dantzig à l’Allemagne était logique; mais cela ne règle pas la question de la nature de l’« accord », avec qui ? Avec quels « Allemands » ? Le rapport de Lénine à la IXe conférence répond clairement à cette question : ce sont les «kappistes», pas le gouvernement social-démocrate « pro-Versailles » ! …
De plus les indications très claires sur les manœuvres de l’été 1920[9] permettent de passer rapidement sur l’article éponyme du dossier, le fameux « Miracle de la Vistule juillet-Aout 1920 ». Il est très détaillé, abondamment illustré, et pourra fournir la base d’un Kriegspiel d’Etat-Major (« tout ce qu’il ne faut pas faire »). Malgré le luxe des informations, il tourne court sur deux points :
•la véritable asphyxie des divisions de l’Armée Rouge en terre polonaise, une fois leurs lignes de retraite et de communication coupées. Cela renvoie bien sûr à leur isolement politique !
•le sort final des divisions internées en Prusse Orientale, et surtout des 70 000 prisonniers en Pologne même, jetés dans des camps de concentration où un grand nombre périrent, ou octroyés comme main d’œuvre quasi-servile aux paysans polonais. La littérature soviétique s’est beaucoup penchée sur leur sort déplorable (voir Wikipedia russe, lien en note 8).
Enfin, la dernière pièce du « Dossier » est savoureuse : ce sont les réponses parallèles, à un même questionnaire de la rédaction, de deux conseillers de l’équipe Lopez : le soi-disant spécialiste occidental, soviétophobe et philopolonais enragé, Norman DAVIES d’une part, l’historien russe Andreï GANIN d’autre part. Leurs réponses arrachent ce titre édifiant aux éditeurs « A peu près d’accord sur rien ! ». En effet, mais la comparaison des réponses montre que c’est le Russe qui, par la précision et la cohérence de ses références, est le plus proche de la vérité historique. Les éditeurs ne s’y trompent pas, mettant en valeur ses propos dans un encadré : « D’un point de vue politique, la Pologne a été l’instrument d’une agression de la Russie soviétique dirigée par la France ».
A l’issue de cette revue, il me semble que certaines conclusions s’imposent.
S’agissant de la politique internationale du Pouvoir soviétique, la volonté de « soviétiser la Pologne » parait établie, comme but de guerre immédiat. Mais « soviétiser » n’avait pas le sens que lui a donné la propagande occidentale au vu des exploits ultérieurs de Staline. Les Conseils (sens du mot russe courant de « soviet ») étaient bien vivants, c’étaient l’âme et les nerfs de l’Armée rouge ; « soviétiser » c’était bien aider à l’établissement du pouvoir de vrais conseils ouvriers – comme les Conventionnels français, en abolissant la féodalité, « républicanisaient » l’Italie, les Pays-Bas, la Suisse. Il est très clair dans les discours de Lénine qu’il n’était pas question d’imposer des Soviets en Allemagne à cette étape : le Parti Communiste était en pleine formation par la fusion des Spartakistes et des Indépendants, alors que de dures défaites avaient marqué l’année 1919 (assassinats de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, écrasement des « gouvernements ouvriers » de Saxe et de Bavière, etc.). Noter aussi que c’est en Mai 1920 que Lénine a publié « le gauchisme, maladie infantile du communisme », dirigé entre autres contre le putchisme et l’aventurisme !
En revanche, la formation d’un « bloc de fait » (Lénine) de l’extrême gauche à l’extrême droite contre le diktat de Versailles devait permettre de neutraliser la Reichswehr allemande – affaiblie par l’échec du putsch de Kapp. Il est donc implicite que le gouvernement soviétique a bien dû faire la promesse de « rendre » le couloir de Dantzig. L’interception des communications cryptées du gouvernement soviétique a donc joué un rôle non seulement « militaire » dans le développement de l’attaque de flanc contre les colonnes de Toukhatchevsky, mais a probablement alimenté une propagande et l’émoi des Polonais (classe ouvrière comprise), confrontés à la perspective d’une nouvelle amputation du territoire national, certes « octroyé » par l’Entente, mais fournissant au nouvel Etat son seul débouché vers la mer.
Pour ma part, je pense qu’en effet la plus grave erreur des bolchéviks – et manifestement de Lénine, qui l’a reconnu – est d’avoir fait « temporairement l’impasse » sur le sentiment national polonais. Ceci est d’autant plus paradoxal que Lénine lui-même a bataillé des années durant contre Rosa Luxembourg – hostile à mettre au premier plan l’indépendance de son pays natal – et a montré, notamment vis-à-vis de l’Ukraine, de la Géorgie et autres, à cette époque et encore lors de son « dernier combat » contre les « argousins grand-russes » (Staline, …) l’extrême importance qu’il attachait au respect des sentiments nationaux des peuples de l’ex-Empire russe.
L’« aventure polonaise »de 1920 a pesé lourd dans les relations polono-soviètiques en général, c’est incontestable. Elle n’a pas empêché ni le développement de puissants partis communistes, ni n’a marqué un coup d’arrêt décisif à la vague révolutionnaire en Europe. Celui-ci n’est intervenu qu’en Octobre 1923 en Allemagne. Et le communisme polonais est resté un courant vivant et actif, jusqu’à ce que la bureaucratie soviétique ne décide de l’étrangler (voir les « Cahiers du Mouvement Ouvrier » n°4, 17…).
Enfin, il y a un dernier aspect » que « Guerres et Histoire » passe pudiquement sous silence (à cause probablement de ses amis polonais…), c’est le martyre infligé dès cette époque au « Yiddishland », toute cette vaste zone (la « zone de résidence » selon les tsars)[10] aux confins de la Pologne et de la Russie, où existaient de denses communautés juives urbaines et même paysannes. Communautés victimes de pogromes à répétition, de la part de « Russes », d’« Ukrainiens », de « Polonais » (et même à l’occasion de la « cavalerie rouge » de Boudienny) . Communautés qui, faut-il s’en étonner, ont constitué des pépinières inépuisables de révolutionnaires internationalistes, bundistes ou communistes.
[1] Publié en russe (rapport et conclusion de Lénine) d’après les sténogrammes par : https://imwerden.de/pdf/istorichesky_arkhiv_1992_1__ocr.pdf
[2] Léon Trotsky « Ma vie » Gallimard 1963, page 466.
[3] « dans un journal allemand anti-bolchévik il est dit que toute l’Allemagne orientale « bout », et que tous les kappistes ( ceux qui ont soutenu Kapp – [l’équivalent de] notre Kornilov -), tous ces kappistes sont pour les bolchéviks. En parlant avec un gars quelconque, ignorant et apolitique celui-ci montre son désarroi, il dit à la fois qu’il faudrait que Guillaume [II] revienne, parce que c’est le chaos, et aussitôt qu’il faudrait suivre les bolchéviks !»
[10] Voir «L’antisémitisme en Russie de Catherine II à Poutine » de Jean-Jacques Marie. Et l’admirable « Voyage en Pologne » du social-démocrate berlinois d’origine juive Alfred Döblin.
CARTES
Les partages de la Pologne au XVIIIe siècle
L’Europe au XIXe siècle
La paix de Riga
Opérations militaires d’août 1920 (en Pologne)
PARTAGE DE LA POLOGNE AU XVIIIe SIECLEL’EUROPE AU XIXe SIECLEPAIX DE RIGAOPERATIONS MILITAIRES D’AOÛT 1920 (« Guerres et Histoire » aout 2020 p 47).
Pour bien comprendre comment la commune a éclaté, il faut essayer d’analyser ce qui se passait alors : 18 ans d’empire et de répression des oppositions démocratique et ouvrière.
Loin d’être «Napoléon le petit» comme l’appelait Victor Hugo, ou «Badinguet» dont l’affublait l’opposition démocratique et républicaine, Napoléon III a su imposer à la France une véritable «révolution économique» et des réformes profondes, dont le premier résultat est une classe ouvrière naissante et dont le poids commence à compter, particulièrement à Paris.
Quelques éléments de réflexion :
L’Empire est né sur la base de la répression féroce de juin 1848 : après la révolution de février 48 qui allait mettre fin au royaume «orléaniste» de Louis Philippe, les ouvriers parisiens qui furent à l’avant garde de cette révolution représentaient une force non négligeable. Une provocation des dirigeants républicains (la suppression des ateliers nationaux, seule source de revenu de dizaines de milliers de travailleurs parisiens) allait déclencher une répression féroce : plusieurs milliers de fusillés, des dizaines de milliers de proscrits (Guyane, Algérie). Sur cette base, Louis Napoléon Bonaparte, neveu de l’empereur Napoléon Ier se fait élire -massivement- président de la République en décembre 1848. En 1851, plutôt que de respecter la constitution (le président ne peut faire deux mandats), il fomente le coup d’état du 2 décembre et se fait proclamer Napoléon III, empereur.
Cet Empire était en état de crise permanente, surtout dans ses dernières années où l’Empereur, diminué par une santé défaillante, cédait le vrai pouvoir à une camarilla de généraux et de barons, autour de l’impératrice Eugénie de Montijo.
Les résultats des élections au « corps législatif » de mai 1868 donnaient 4 438 000 voix aux candidats bonapartistes et 3 550 000 aux oppositions libérales et républicaines. Une gifle. L’Empereur décidait alors de « libéraliser » un peu le régime. De plus, le 10 janvier 1870, intervient l’assassinat du journaliste Victor Noir par un cousin de l’Empereur, Pierre Bonaparte. L’enterrement du journaliste mobilise plus d’un million de personnes, on est au bord de l’émeute.
On est à deux doigts de la catastrophe. Aussi l’entourage de l’Empereur se met à préparer une guerre contre la Prusse. Un référendum le 8 mai 1870 sur un «nouvel empire» dit «libéral» donne 7 350 000 voix pour et 1 538 000 voix contre : c’est un échec de la mobilisation démocrate et ouvrière qui commençait à monter. Les souvenirs de Jules Vallès, de Louise Michel, de Maxime Vuillaume nous montrent la déception du monde militant de l’époque. Les préparatifs de la guerre mobilisent le peuple qui conspue les alliés des prussiens (Jules Vallès se fait rudement molesté car il refusait de crier «à Berlin»). Une grande partie des «républicains» modérés se rallie à l’Empire.
L’espoir d’une révolution, fort en 1869, s’éloigne rapidement.
Mais la guerre ne se passe pas comme prévu. L’armée française, qu’on disait invincible parce qu’elle s’était surtout manifestée dans des guerres coloniales (Algérie, Indochine, Mexique), n’était pas prête à combattre contre une armée moderne et bien organisée : la Prusse mobilise très rapidement 500 000 combattants utilisant à fond le transport ferroviaire et se dotant d’une artillerie puissante. La France tarde à mobiliser et n’oppose aux Prussiens que 280 000 hommes car l’administration et le transport de troupes et de matériel prennent du retard. On parle de l’excellent fusil «Chassepot» mais l’artillerie est déficiente. Les obus français sont «fusants» et éclatent en l’air, les obus des canons Krupp sont «percutants» et explosent à l’impact, provoquant plus de dégâts. L’État Major n’a pas tiré les leçons de la guerre de Crimée, de la guerre du Mexique, alors que les généraux prussiens sont à l’avant garde de la modernité et s’inspirent de la guerre de Sécession américaine.
Le maréchal Bazaine se laisse enfermer dans Metz avec 180 000 hommes, puis se rend le 20 août 1870. L’Empereur et le maréchal Mac Mahon sont capturés avec 85 000 hommes le 1er septembre 1870.
L’armée française est battue à plate couture et les Prussiens arrivent à Paris dont ils font le siège.
A Paris, l’insurrection gagne la population et le 4 septembre est proclamée la déchéance de l’Empire et la naissance de la IIIe République, dirigée par les «républicains» Jules Ferry, Jules Simon, Jules Favre et Gambetta. Thiers qui a des ambitions cachées se propose pour négocier avec les puissances étrangères Angleterre, Italie, Espagne, Autriche et Russie.
Les tentatives de mobilisations populaires de Blanqui le 14 août et de Flourens le 31 octobre sont des échecs.
Dans Paris, une force s’impose : la Garde nationale. Normalement c’est une garde bourgeoise (il faut payer des impôts et payer son équipement) mais pour «soulager» l’armée officielle, bien diminuée par les défaites, on décide en août d’ouvrir la Garde à toute la population et de rémunérer les volontaires à 30 sous par jours : une aubaine pour les nombreux ouvriers condamnés au chômage par le siège mais en même temps un danger de voir 500 000 parisiens armés de fusils et de canons !
Aussi, malgré des déclarations tonitruantes, les «Jules» et les généraux Crochu, Vinoy, Lecompte et Clément-Thomas ne cherchent qu’à gagner du temps. La grande bourgeoisie, l’aristocratie, les banques d’affaires, Thiers ne souhaitent qu’une chose : traiter avec la Prusse quel qu’en soit le prix !
Tous ont une peur bleue du peuple de Paris, tous ne souhaitent qu’une chose : avoir les mains libres pour réprimer la «racaille» !
L’exemple le plus fort : sous l’égide de l’Angleterre, qui craignait une hégémonie prussienne sur l’Europe continentale, s’ouvre une conférence, dite de Londres, avec l’Italie, la Belgique, l’Autriche, qui obtient de Bismark de renoncer à Metz et à la Lorraine. Cependant, Thiers, pressé de «conclure», accepte les prétentions prussiennes. Metz sera allemande !
Il faut ajouter que l’État major et les généraux sont restés profondément bonapartistes et ne veulent pas d’une victoire républicaine. On comprend ainsi pas mal de choses :
1. Quand Gambetta décide de se battre malgré tout, on l’envoie en ballon à Tours pour s’en débarrasser, mais ce «fou furieux» (dixit Thiers), réussit à monter et à mobiliser plusieurs armées bien équipées pour dégager Paris. Malgré quelques succès dûs au nombre et à l’audace, ces armées sont trahies par les généraux, parmi lesquels : d’Aurelle de Paladines, qui, avec l’armée de la Loire (150 000 hommes) aurait pu battre les régiments bavarois (40 000 hommes, moins motivés que les Prussiens) mais prétexte la pluie pour retarder l’assaut alors que la même pluie ne gène pas l’ennemi qui attaque et le bat ! Faidherbe et Bourbaki se laissent surprendre et vaincre, malgré plusieurs succès, remportés par les troupes de Chanzy et de Garibaldi, qui restent ainsi sans lendemain.
2. Pendant que Gambetta et la Garde nationale de Paris veulent se battre, Jules Favre et Thiers négocient en secret avec Bismarck et sont prêts à abandonner l’Alsace et la Lorraine et cinq milliards de francs-or d’indemnité !
3. A Paris les généraux bonapartistes refusent d’utiliser la Garde nationale pour faire une trouée, et de guerre lasse tentent des «sorties» mal organisées (pas de ravitaillement, pas de couvertures pour passer la nuit ) qui se finissent par des déroutes : Champigny et surtout Buzenval, le 19 janvier.
On prétend qu’il n’y a plus de vivres, de nourriture, pour imposer un armistice alors que les restaurants chics de Paris ne ferment pas. Or, le lendemain de l’Armistice, comme par hasard, tout se vend à Paris et cher.
Tout est organisé pour contraindre à une paix humiliante, on organise à la va vite des élections générales pour une assemblée nationale le 8 février 1871, car Bismark ne veut traiter qu’avec des représentants élus. Ces élections sont une mascarade : la paysannerie vote pour la paix à n’importe quel prix, car la plupart des 500 000 prisonniers de guerre sont paysans, la terre réclame leur retour rapide. Ils votent massivement pour les royalistes : 360 députés sont royalistes, contre 150 républicains. C’est une chambre introuvable ! Le seul bémol c’est que les royalistes sont divisés entre légitimistes (le fils de Charles X) et orléanistes (le fils de Louis Philippe). Thiers louvoie et s’impose en se présentant comme la seule alternative contre Paris qui n’a envoyé à l’Assemblée que des députés républicains et rouges.
La situation est explosive : à Paris, 215 bataillons de la garde nationale sur 242 s’organisent et élisent un comité central de la Garde nationale qui s’avère la seule force organisée dans Paris que désertent les bourgeois, les réactionnaires et les «démocrates» modérés, les Jules.
C’est alors que l’Assemblée Nationale décide de «décapitaliser» Paris et s’installe à Versailles sous la protection de l’armée allemande et donnent l’ordre de «désarmer» la Garde nationale.
Une tentative d’insurrection le 31 janvier échoue. Le moral des militants est de nouveau à la baisse.
Les généraux pensent que c’est le moment d’agir : ils envoient la troupe – les divisions Subvielle, Faron et Maud’huy – pour récupérer 271 canons et 146 mitrailleuses ; bien que le Comité central de la Garde nationale prône le «calme», les femmes de Montmartre se mobilisent, font sonner le tocsin, se placent entre la troupe et les canons. Les gardes nationaux les rejoignent et les soldats du 88e bataillon de marche mettent la crosse en l’air.
On est le 18 mars 1871 les soldats massacrent les généraux Lecompte et Clément Thomas qui avaient donné l’ordre de tirer sur la foule.
Quelques notes sur la convergence manquée entre le communisme « officiel »[1] et les mouvements anticapitalistes dans l’Italie des années Soixante
Alessandro Barile (Université de Rome « La Sapienza »)
Traduction : Frank Labrasca
Le mouvement de 68 met un terme au processus de séparation au sein de la gauche qui couvait depuis quelques années déjà. Les rapports entre la « tradition » communiste du PCI et la Nouvelle gauche des mouvements révolutionnaires seront marqués au cours des années Soixante-dix par la conflictualité la plus aiguë. Pourtant, on ne peut résumer à ce constat ces mêmes années Soixante-dix, une époque où les portes d’un dialogue difficile, mais non pour autant fermé à toute conclusion originale, pouvaient sembler encore ouvertes. Le marxisme critique des années Soixante-dix se présente en substance sous la forme d’une réponse à deux questions de fond auxquelles la tradition communiste commençait à ne plus pouvoir apporter de réponses convaincantes : d’un côté les caractéristiques de ce qu’on appelait le « néo-capitalisme », à savoir de ce processus d’auto-rationalisation des facteurs productifs – une possibilité qui avait toujours été nié par les doctrines d’inspiration traditionnelle (soviétique mais pas seulement) ; de l’autre la stabilité globale d’un modèle économique qui, après la Seconde guerre mondiale, au lieu de déboucher sur l’enchaînement de crises redouté comme « inévitable », semblait au contraire se poursuivre de façon irrésistible, sans déséquilibres de nature à remettre en cause l’ensemble du système lui-même.
Ainsi se structurait un contexte objectivement négatif qu’il fallait déstabiliser. La réponse du PCI allait se traduire par une parlementarisation rapide du parti et de ses stratégies politiques, qui reléguait sa force sociale (adhérents, militants, liaison avec la classe) au rang d’une masse de manœuvre pour des tactiques parlementaires ayant pour seul horizon la réforme. La révolution sortait ainsi progressivement de la scène, non seulement dans sa version léniniste-putschiste [2], mais également dans celle démocratique et radicale de la bataille pour les « réformes de structure » [3]. Pourtant, entre la fin des années Cinquante et tout au long des années Soixante, la perspective de la révolution, y compris dans les rangs du communisme « officiel », n’avait pas complètement disparu, nourrissant même un débat qu’on peut d’une certaine manière qualifier de « politiquement vivant » et pas seulement d’académique. C’est là que gisaient les possibilités d’un dialogue. Un dialogue qui connaîtra son point culminant lors d’un colloque organisé par le PCI à l’Institut Gramsci de Rome en 1971, sur le thème suivant : Il marxismo italiano negli anni Sessanta e la formazione teorico-politica delle nuove generazioni [4]. Ce fut peut-être là la dernière tentative que fit le communisme « officiel » pour capter – tout en en critiquant les « dérives » idéologiques – la dynamique politique des années qui suivirent l’« Automne chaud » [5].
Que ce débat pût être fondé sur certains points d’accord politique, est confirmé par certains accents critiques sur le contexte politique que nous avons évoqué plus haut. Lucio Libertini, par exemple, qui était alors (en 1971) député du PSIUP [6], mais qui allait devenir bientôt l’un des dirigeants du PCI, caractérisera ainsi les raisons fondamentales du renforcement que connut l’extrême-gauche au cours de ces années – là : « Nous devons nous demander pourquoi ont fleuri de telles conceptions (celles de la gauche radicale, A.B.), pourquoi la gauche a laissé s’ouvrir un espace à ces errements. […] Cet espace s’est ouvert en raison d’un grave retard des partis ouvriers dans l’analyse du capitalisme avancé.[…] Ce ne sont pas les groupes minoritaires mais une hypothèque néo-réformiste qui ont été la caractéristique dominante des années 60.
Mais si le contexte se présentait objectivement comme non révolutionnaire, si c’était le principal parti ouvrier qui accréditait une vision qui liquidait de fait toute hypothèse de rupture, si même de l’extérieur du marxisme, ou du moins du marxisme « orthodoxe », au sein d’élaborations révolutionnaires comme celles issues de l’École de Francfort, on créditait de plus en plus le capitalisme d’avoir su atteindre une « totalité » réalisée ou en cours de réalisation, si enfin, cette « totalité » rationalisatrice était affirmée même par les thèses opéraïstes [7], tous ces facteurs ne pouvaient que provoquer une distorsion du marxisme qui mettait au centre le sujet révolutionnaire, en l’allant chercher ailleurs, non plus dans les « contradictions objectives » du mode de production (et donc dans le rapport entre capital et travail salarié, usine et classe ouvrière), mais dans la volonté de rupture de nouveaux sujets sociaux, abstraction faite de leur véritable rôle dans l’organisation de la production. Comme le dira Giuseppe Vacca [8] en critiquant la conception subjectiviste typique de la Nouvelle Gauche, sur la base de ces formulations « la seule contradiction antagonique devient donc ‘extérieure’ à au rapport entre forces productives et rapports de production, elle devient donc une contradiction subjective, une rébellion des exclus » [9].
Ce fait, même s’il faut l’interpréter en relation avec l’« espace clos » constitué par le capitalisme en Occident, ne pouvait être accepté par le PCI et par les milieux intellectuels proches de lui. Les exclus-rebelles étaient caractérisés comme des produits du processus de prolétarisation de la société italienne issue du boom économique de la période allant des années Cinquante au début des années Soixante. La massification de l’instruction et de manière plus générale de la culture, avait produit de nouveaux sujets intellectuels qui étaient néanmoins dépourvus du rôle social, du prestige et d’une fonction reconnue, mais plongés de force dans le circuit de dépendance propre au salariat, ce qui ne pouvait que générer une frustration qui débouchera sur une disponibilité à la rébellion. Une rébellion qui était théorisée bien sûr, mais aussi mise en pratique avec courage. Mais si les problèmes de classe pouvaient trouver un écho – ou du moins une audience – dans le PCI, cela ne pouvait être le cas pour les problèmes que connaissaient les couches intellectuelles, même si elles se trouvaient socialement déclassées. Arcangelo Leone de Castris [10], célèbre critique littéraire et représentant prestigieux du PCI, analysera ainsi la révolte de ces « intellectuels-plébéiens » :
Licencié et déclassé par la vieille organisation sociale, l’intellectuel des années 60 finissait par revendiquer – sous des formes terroristes et rebelles, grosses d’angoisses et de contradictions – des choses analogues à celles qui dérivaient des besoin et de l’essence même de l’intellectuel traditionnel, à savoir un mandat propre, un privilège, l’autogestion des institutions culturelles ; mais il exprimait à la fois une conscience anticapitaliste confuse qui avait mûri dans la phase la plus récente et la plus aiguë du processus qui exigeait justement la mort de la figure sociale et du rôle productif de l’intellectuel traditionnel. [11]
Voilà quelle était la position d’un militant du PCI, pourtant de premier plan. Malgré cela, elle reflétait fidèlement un sociologisme courant inhérent à la logique du communisme « officiel », à savoir la tentative de disqualifier les positions radicales en les réduisant au rang de manifestations de mécontentement petit-bourgeois.
La prolétarisation des couches moyennes intellectuelles du pays était le point de convergence entre les diverses interprétations du marxisme des insurrections de la société italienne de l’époque. Gian Mario Cazzaniga, représentant du courant opéraïste (toujours en 1971) et qui deviendra par la suite membre de la Direction nationale du PCI déclarera en effet à ce propos [12] :
Je crois qu’il peut y avoir un large consensus sur le fait que la base sociale de la gauche extra-parlementaire doit être recherchée dans les processus de prolétarisation de toute une série de fonctions sociales autrefois relativement indépendantes et autonomes, et dans certains cas y compris dans l’effilochement d’un tissu social de caractère populaire que le développement capitaliste lui aussi rend désuet. Dans ce sens, la force de travail intellectuelle en tant qu’élément prédominant et dans certains cas le sous-prolétariat urbain deviennent donc les éléments sociaux qui caractérisent la gauche extraparlementaire. [13]
Dans le cadre que nous venons d’évoquer ce qui disparaît c’est l’idée-force de la pensée marxiste de la nécessité conçue comme présence objective, au sein de stades de développement bien précis, de contradictions qui, au moment même où elles exposent le système de production à des crises « inévitables », préparent dans le même temps son dépassement.
Nous pouvons donc dire que la rencontre du mouvement ouvrier organisé par le PCI avec les forces de la Nouvelle gauche, apparaît par la force des choses vouée à l’échec qui se matérialisera par la suite au cours de la décennie qui suivra. L’affrontement opposait en premier lieu deux compositions sociales différentes : d’un côté la classe ouvrière traditionnelle qui, à travers le Parti communiste, s’imposait en tant que sujet hégémonique autour duquel devait se réaliser le front social entre couches et classes différentes, ayant pour objectif une réforme progressive du capitalisme italien, et éventuellement même son dépassement définitif (c’était le fameux « bloc historique » élaboré par Gramsci) ; de l’autre, toute une série de nouveaux sujets sociaux en voie de prolétarisation rapide, qui refusait toue hégémonie « objective » (c’est-à-dire découlant des « contradictions objectives » inhérentes au capitalisme lui-même) qui ne fût pas issue de l’unification des volontés révolutionnaires exprimées par les différentes avant-gardes. Au moment où « ces pointes avancées » de la lutte de classe atteignaient leur sommet le plus élevé de visibilité et de popularité, le cadre d’ensemble se brouilla (comme le rappellera Luigi Bobbio dans son livre de souvenirs de l’expérience du groupe Lotta Continua[14]), en laissant derrière lui les retards et les résistances de la société italienne et surtout de sa partie ouvrière ou plus généralement salariée. Cependant la crise se produisait dans des moments de reflux et de stagnation, en disloquant l’articulation entre les avant-gardes politiques et la classe (ainsi qu’entre la classe et la société) qui constituait pourtant un élément central du mouvement communiste historique.
Bien que au sein de l’opéraïsme des années Soixante certains aient œuvré eux aussi en faveur d’un rétablissement des canaux de dialogue entre les divers mouvements et le PCI, les présupposés théoriques radicalement différents du PCI et de la Nouvelle gauche empêchaient toute alliance stable entre eux. C’était en effet toute une vision du monde et du marxisme qui se voyait en effet être structurellement remise en cause. Pour Marx comme pour le marxisme « classique » – et encore plus pour l’historicisme gramscien propre au PCI – le prolétariat était l’« héritier » du développement capitaliste, lequel devait être dépassé dialectiquement en intégrant ses potentialités et en le soumettant au contrôle social des richesses et de la culture déjà accumulées, pour pouvoir en permettre une jouissance collective. L’anticapitalisme marxien se présentait donc comme une « négation déterminée » du capitalisme lui-même, un point de départ en vue de son dépassement. L’anticapitalisme de la Nouvelle gauche tendait toujours plus – à la faveur des fermetures réciproques avec la « tradition » marxiste – à se faire « négation indéterminée », volonté de rupture avec tout l’ensemble des rapports politiques, sociaux et culturels d’un capitalisme vu comme totalité, et donc capable d’englober en lui tout l’ensemble des rapports sociaux, en les intégrant et donc en normalisant leur fonction critique. C’était là une volonté de rupture radicale qu’on pouvait comprendre, dans la mesure où elle trouvait des équivalents dans d’autre époques et d’autres mouvements révolutionnaires : le refus total des rapports traditionnels, qu’ils soient politiques ou culturels, caractérise en effet tout mouvement qui se présente comme radicalement nouveau et clivant. Qu’on songe, en particulier, à l’expérience de ce qu’on appelle le populisme russe de la seconde moitié du XIXe siècle (qu’on a, précisément pour cette même raison, essayé de caractériser en lui appliquant le terme erroné de « nihilisme »). Pourtant, l’existence préalable d’un sujet politique déjà constitué et qui incarnait cette négation – le Parti communiste – empêchait la formation de deux négations concurrentes, sans que justement ni l’une ni l’autre puissent trouver leur marque distinctive dans le degré de détermination de la critique radicale propre à chacune. Si la lutte anticapitaliste du XIXe siècle s’était déroulée sans le préalable de cette expérience de lutte accumulée et sédimentée sur le plan organique – le parti ouvrier -, au cours du XXe siècle, et surtout dans sa seconde moitié qui a été en quelque sorte pétrifiée par les relations internationales imposées par la Guerre froide -, ce problème ne pouvait être contourné sans provoquer des courts – circuits politiques qui déterminent effectivement les configurations de la politique révolutionnaire italienne depuis la fin des années Soixante jusqu’à aujourd’hui, du moins, en Occident, c’est-à-dire là où apparaissait comme plus improbable – pour ne pas dire impossible – une alliance populaire entre des classes différentes socialement antagoniques telle celle qui s’était au contraire produite au cours des luttes anticoloniales du Tiers monde. A partir de 1969, la révolution italienne se présente donc comme un communisme impossible, étant donné la présence contemporaine de « deux communismes » antithétiques et pour le plus grand bénéfice de cette raison d’État à laquelle, volontairement ou non, se cantonna le communisme « officiel », laissant ainsi au communisme « hérétique » le rôle de « bonne conscience » politiquement impuissante.
[1] Sauf indication contraire, les mots entre guillemets ou en italiques sont le fait de l’auteur de l’article A.B.
[2] Pour cette thèse, cf. l’introduction de Vittorio Strada au Que faire ? de Lénine (Torino, Einaudi Editore, 1979, p. VII-XCI). [Note du traducteur, dorénavant NdT : Vittorio Strada (1929-2018) a été un des principaux slavisants italiens et a dirigé l’Institut Italien de Culture de Moscou de 1992 à 1996. Lors de son séjour en Union Soviétique dans les années 1960 , il entra en contact avec les milieux oppositionnels et fut proche en particulier des rédacteurs de la revue Novy Mir dirigée par Alexandre Tardovsky. Il quitta le PCI en 1980 mais polémiqua aussi avec les représentants de la Nouvelle gauche auxquels il reprochait leurs complaisances pour le maoïsme ou le castrisme, régimes jugés par lui de même nature que le système soviétique. Il a codirigé une Histoire de la littérature russe en 6 volumes, publiée en français aux éditions Fayard, 1987-2005.
[3] Le « parti nouveau » de Togliatti – à partir du « Tournant de Salerne » – reprend en partie les thèses élaborées par l’Internationale communiste, surtout par Togliatti lui-même d’ailleurs, sur la « démocratie d’un type nouveau ». Cf. surtout Palmiro Togliatti, « Sulle particolarità della rivoluzione spagnola » (Sur les particularités de la révolution espagnole) , in Id., Sul movimento operaio internazionale (Sur le mouvement ouvrier international), Roma, Editori Riuniti, 1972, p. 181-199 ; Id., La via italiana al socialismo, Roma, Editori Riuniti, 1981, p. 729-769.[NdT : On appelle Tournant de Salerne, la ligne politique de mise entre parenthèses de la question institutionnelle (continuité monarchique ou instauration d’une république démocratique) du régime qui devait succéder au fascisme, par le PCI. Cette politique, certainement impulsée par Staline, soucieux de susciter une action militaire plus massive à l’Ouest pour détourner les troupes nazies du front de l’Est, fut annoncée par Palmiro Togliatti (1893-1964), secrétaire général du PCI dans un discours prononcé à Salerne le 31 mars 1944. Elle suscita une grande perplexité au sein même des militants du PCI en raison de la responsabilité écrasante de la Monarchie dans l’arrivée au pouvoir de Mussolini en 1922 et dans toute la politique qu’il suivit jusqu’à se destitution le 25 juillet 1943]
[4] « Le marxisme italien dans les années Soixante et la formation théorique et politique des nouvelles générations » (NdT).
[5] On désigne par cet image les événements qui marquèrent l’automne 1969 (en léger décalage avec le mai 1968 français) le mouvement étudiant mais aussi ouvrier de l’époque en Italie ; les guillemets sont de nous (NdT).
[6] Partito Socialista Italiano di Unità Proletaria (Parti Socialiste Italien, d’Unité Prolétarienne) [NdT :parti né d’une scission de gauche du Parti Socialiste Italien en 1963 sous la direction de Tullio Vecchietti (1914-1999), résistant important et directeur de l’ « Avanti ! », quotidien du PSI de 1951 à 1963. A son IVe Congrès, en 1972, une majorité du PSIUP rejoignit le PCI. Lucio Libertini (1922-1993), député du PSIUP qui rejoignit le PCI en 1972, puis le Parti Rifondazione Comunista qui avait refusé la dissolution du PCI en 1991.
[7] NdT : Ce terme qui vient de l’italien « operaio » (ouvrier), désigne un mouvement qui était né au début des années 1960 à l’initiative d’un intellectuel du Parti Socialiste Italien Raniero Panzieri (1921-1969), fondateur en 1961 de la revue « Quaderni rossi » (Cahiers rouges) qui devint une référence pour tous les intellectuels plus ou moins critiques gravitant dans l’orbite du PCI. Le théoricien Mario Tronti (1931), autre figure importante de ce mouvement diffus, rejoignit plus tard les rangs du Parti Démocrate (né de l’autodissolution du PCI en 1991) et fut même élu sénateur. Le philosophe et homme politique Antonio dit Toni Negri (1933), Professeur de philosophie et fondateur du groupe gauchiste « Potere Operaio » (Pouvoir ouvrier), impliqué dans l’affaire de l’enlèvement suivi de l’assassinat du politicien Aldo Moro en 1978, bien connu en France où il vécut de 1983 à 1997 et auteur de plusieurs livres en langue française qui sont considérés comme des « classiques » d’une conception « autonome » de la lutte anticapitaliste, en particulier Empire écrit en collaboration avec Michael Hardt (Exils, 2000).
[8] Giuseppe Vacca (1939), Historien, Professeur d’Histoire des doctrines politiques à l’Université de Bari de 1968 à 1997 et homme politique. Membre du Comité Central du PCI de 1972 à 1991, puis de la Direction nationale du Parti Démocrate (dernier avatar du PCI après son autodissolution en 1991). Considéré comme un théoricien de la politique suivie par ce courant, il a dirigé l’Istituto Gramsci de Rome de 1988 à 1999 et préside la Commission scientifique pour l’Edition Nationale des écrits de Gramsci. Il est l’auteur de nombreux essais de philosophie et d’histoire politique ainsi que de théorie marxiste.
[9] G. Vacca, Il marxismo italiano negli anni Sessanta e la formazione teorico-politica delle nuove generazioni (Le marxisme italien dans les années Soixante et la formation théorique et politique des nouvelles générations), Roma, Editori Riuniti, 1972, p. 207-208.
[10] NdT : Arcangelo Leone de Castris (1929-2010), Professeur de littérature italienne à l’Université de Bari et critique littéraire spécialiste de littérature italienne contemporaine (D’Annunzio, Pirandello etc.).
[12] NdT : Gian Mario Cazzaniga (1942), Professeur de philosophie morale à l’Université de Pise. Participe à l’expérience opéraïste et collabore à la revue « Quaderni rossi » (cf. note 7 ci-dessus). Il adhère au PCI en 1975 et est successivement membre de la Direction nationale de ce Parti, puis du Partito Democratico della Sinistra (Parti Démocrate de la Gauche), qui succède dans un premier temps au PCI. Il abandonne la politique active en 1997. Plusieurs de ces écrits ont été traduits en français, dont notamment l’ouvrage qu’il publie en codirection avec le philosophe français Yves-Charles Zarka (Penser la souveraineté à l’époque moderne, Paris, Vrin, 2001).
[14] L. Bobbio, Storia di Lotta continua (Histoire de Lotta Continua), Milano, Feltrinelli, 1988. [NdT : « Lotta Continua », (Lutte continue) est un groupe gauchiste et spontanéiste créé en 1969 par Adriano Sofri (1942), actuellement journaliste proche du Parti démocrate qui a été impliqué dans l’assassinat du commissaire de police Luigi Calabresi en 1972 et condamné pour en avoir été l’un des mandants (ce qu’il a toujours nié) à 22 ans de prison en 1997. Libéré pour bonne conduite en 2012 , il est l’auteur de nombreux ouvrages et enquêtes sur la politique et la société italienne contemporaines. En français on peut lire avec intérêt la traduction de l’ouvrage qu’a consacré à son procès le grand historien Carlo Ginzburg : C. Ginzburg, Le juge et l’historien. Considérations en marge du procès d’Adriano Sofri, traduit par Myriem Bouzaher, Adelin Fiorato, Jean-Louis Fournel et alii, Lagrasse, Editions Verdier, 2010 ; Luigi Bobbio (1944-2017), membre de la direction de « Lotta continua » dans les années 1960 et 70. Politologue, Professeur de philosophie politique à l’Université de Turin et auteur de plusieurs ouvrages d’histoire et de théorie politique. Il est le fils de Norberto Bobbio (1909-2004), l’un des grand intellectuels italiens du XXe siècle. Antifasciste et résistant, théoricien éminent en philosophie politique et philosophie du droit. Parmi ses ouvrages traduits en français, on retiendra, entre autres : Le futur de la démocratie, Paris, Le Seuil, 2007].
La décentralisation ou régionalisation est, on le sait, l’un des axes de la Commission européenne, cet organisme hautement démocratique dont aucun des membre n’est élu par personne. Les divers gouvernements français, de « droite » comme de « gauche », l’ont mise en oeuvre avec la docilité du domestique modèle.
L’idée en vient de loin, de la fin du dix-neuvième siècle, un bon siècle avant l’Union européenne. Pour le (bon) père intellectuel – voire spirituel – de la décentralisation, Charles Maurras, l’idéal c’est « l’Etat redevenu Fédération des régions autonomes, la région, la province devenues une Fédération de communes et la commune enfin premier centre et berceau de la vie sociale » (1). Il élabore un projet de division de la France en dix-sept régions. ( Nous en sommes aujourd’hui à treize…).
Deux ans plus tard il précise : « en reliant la plante humaine, l’homme et l’Etat au sol, à la famille, au passé de la race et de la patrie, à tout ce qui dans la nature fortifie mais règle l’existence la vraie théorie de la décentralisation est profondément conservatrice et autoritaire » (2). Profondément conservatrice et autoritaire… on ne saurait définir plus clairement la nature par essence antidémocratique de la décentralisation. Et la suite le confirme surabondamment…
En février 1898, Maurras publie un ouvrage intitulé L’idée de la décentralisation dont il écrit à l’un de ses correspondants : « A cette heure, pratiquement, et quelques antinomies qu’on puisse découvrir entre les mots « décentralisation » ; « régionalisme », «fédéralisme » nous avons pris le parti de les employer tous les trois indifféremment pour obtenir la renaissance municipale et provinciale ». (3)
La réception de l’ouvrage est très éclairante sur la portée politique de la décentralisation. L’un des destinataires de l’ouvrage écrit à son auteur : « Votre travail sur la décentralisation m’a semblé particulièrement remarquable, instructif et pratique. J’espère un jour pouvoir m’en inspirer ». (4)
Ce correspondant enthousiaste, désireux si possible de mettre en oeuvre les propositions de L’idée de la décentralisation est le candidat au trône de France… si celui-ci par miracle venait à être rétabli, le duc d’Orléans. Logique puisque Maurras, le partisan de la décentralisation et l’ennemi acharné du «jacobinisme », c’est-à-dire de la révolution française et de ce qui peut rester de son héritage, est, chacun le sait, un monarchiste enthousiaste. Le duc d’Orléans, expédié par l’histoire au cimetière des bouffons dont elle est une grande consommatrice, n’a pu passer de l’admiration à la réalisation. D’autres s’en chargeront.
La décentralisation telle que la définissait Maurras, chaudement approuvé par le candidat au trône – vacant – de France, apparait bien ainsi comme un rouage essentiel d’un régime politique de type monarchiste, même si le monarque réel, mais anonyme, le Capital, ne descend pas de la glorieuse lignée des Capétiens…
(1) Notes de Provence, La Cocarde, 20 septembre 1894.
(2) La décentralisation rationnelle, Le Soleil, 3 novembre 1897.
(3) Stephane Giocanti, Charles Maurras, le chaos et l’ordre, p. 155.
Au cours du long échange de lettres entre Albert Einstein et le physicien Max Born publié en 1972 par le Seuil ( Albert Einstein, Max Born, Correspondance 1916-1955), ce dernier dans une lettre non datée mais à l’évidence écrite en janvier 1937 écrit à Einstein : « Le nouveau procès contre Radek et ses camarades me semble extrêmement écoeurant». (1) Dans une lettre, elle aussi non datée, mais peu postérieure Einstein lui répond :
« Les indices se multiplient qui donnent à penser que les procès russes ne constituent pas une escroquerie, mais qu’il s’agit, au contraire d’un complot de ceux pour qui Staline est un réactionnaire borné qui a trahi l’idée de révolution. Il est certes difficile à nous autres d’imaginer de telles choses, mais les meilleurs spécialistes de la Russie sont tous de cet avis. Au début j’étais fermement convaincu qu’il s’agissait de manigances d’un dictateur reposant sur le mensonge et la duperie. Mais c‘était une erreur ». (2)
Pour un génie scientifique le raisonnement – si l’on peut dire – étonnamment primaire repose sur l’idée – arithmétiquement contestable – d’une majorité ayant raison parce qu’elle serait majoritaire (« les meilleurs spécialistes de la Russie sont tous de cet avis » !!!) A ma connaissance Einstein n’a pas exprimé publiquement son point de vue sur les procès de Moscou.
Max Born commente ainsi cette lettre :
« Quant aux « procès russes », il s’agit de l’opération d’épuration par laquelle Staline voulait assurer son pouvoir. Comme la plupart des gens en Occident je voyais dans ces procès monstres les actes arbitraires d’un dictateur cruel. Einstein était apparemment d’un autre avis ; il croyait que, menacés par Hitler, les Russes n’avaient pas d’autre solution que d’anéantir tous leurs adversaires dans leur propre camp. Ce point de vue ne me semble pas cadrer avec la nature douce, humaine d’Einstein ». (3)
Cela n’empêche pas Born d’affirmer un peu plus loin à propos d’Einstein : « aucune idéologie politique ou économique, aucun Etat, aucune société n’était digne à ses yeux qu’on lui sacrifie des vies humaines ». (4)