Dans l’URSS de Staline… LES MUTINS DU GOULAG ET DU QUOTIDIEN.

 

Jean-Jacques Marie

Les éditions ROSSPEN de Moscou ont publié en 2004 une Histoire du goulag stalinien de la fin des années 20 au milieu des années 50 en sept volumes dont le volume six, de 730 pages, constitué de documents rassemblés par les Archives d’Etat de la Fédération de Russie est consacré selon son titre aux Insurrections, révoltes et grèves organisées par les détenus du goulag, surtout de 1936 à 1954. Les documents publiés montrent que dans des conditions effroyablement difficiles une parti non négligeable des détenus (sauf, bien entendu, les truands de la pègre !) prolongent au goulag, sous la forme d’un sabotage quotidien organisé, le combat sourd et difficile que mènent ouvriers et paysans soviétiques contre l’oppression et les conditions de travail et de vie insupportables que la bureaucratie parasitaire et vorace leur impose.
Trois mois après le début de la guerre…
Dès le 12 juillet 1941, trois semaines à peine après le début de l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht, le chef de la section opérationnelle du camp de la Petchora note : « La guerre a accru l’activité des éléments contre-révolutionnaires du camp. Un état d’esprit insurrectionnel et terroriste se fait jour chez les détenus des 1ère, 8ème, 9ème et 10ème zones ». Un an plus tard, le 21 juillet 1942, son successeur soulignera l’aggravation des tensions qu’il liera explicitement à la détérioration de la situation militaire.
Auparavant, le 15 septembre 1941, un groupe indéterminé d’ouvriers de l’Oural dénoncent, dans une lettre, évidemment anonyme, à Staline, l’introduction de ce qu’ils appellent un « système fasciste en URSS »« Conformément à ce système, fasciste, affirment-il, les ouvriers se sont mis à payer des amendes, représentant jusqu’à 25 % de leur salaire ou à passer en prison de trois mois à trois ans. Ce système a pris la plus large extension au point que la majorité absolue des travailleurs dans les entreprises se sont mis à payer des amendes ou ont été placés en situation de prisonniers détenus. » En un mot la situation de nombreux ouvriers ressemble à celle des victimes du goulag.
Le 21 octobre 1941, en pleine débâcle des armées soviétiques face à l’offensive allemande des grèves éclatent dans plusieurs usines textiles de la région d’Ivanovo au sud de Moscou : un rapport du secrétaire régional, publié en français dans le volume de Nicolas Werth et Gael Moullec Rapports secrets soviétiques, sous le titre Classes laborieuses, classes dangereuses raconte : « Dans un grand nombre d’entreprises textiles de la région d’Ivanovo ont eu lieu récemment des arrêts du travail. Des groupes entiers d’ouvriers ont cessé leur travail avant la fin du temps réglementaire (…) Une inspection sur place a montré que la majorité des ouvriers des principales usines textiles de la région étaient prêts, sous l’influence d’éléments hostiles à faire grève. » Puis l’auteur du rapport s’interroge : « Qu’est-ce qui motive le mécontentement ouvrier et donne aux éléments hostiles l’occasion de mener un travail de sape dans les entreprises ? » La réponse que donne ce responsable est éclairante, non seulement sur la situation des ouvriers et ouvrières d’Ivanovo, car ce qu’il explique vaut pour l’URSS tout entière : « Une baisse conséquente du salaire, une nette dégradation de l’approvisionnement, une forte hausse des prix surtout sur le marché libre, un fonctionnement exécrable des coopératives et des cantines ouvrières. » Et il précise : « Le salaire de la plupart des ouvriers du textile a diminué, au cours des derniers mois de 30 à 40 % et plus. Ainsi les meilleurs tisserands de l’usine Noguine qui gagnaient 800 roubles par mois avant guerre n’en gagnent plus que 400 (…) ». Or « ­au marché la viande coûte 35 à 40 roubles le kilogramme. L’approvisionnement en viande et en lait reste très limité et d’immenses queues se forment même au marché pour ces produits. »
Pire encore les ouvriers et ouvrières tirent des conclusions politiques de cette situation, qui, souligne le secrétaire du comité régional, « suscite un fort mécontentement, voire des humeurs antisoviétiques », dont il donne quelques exemples éclairants : « A l’usine Bolchevik ont été tenus les propos suivants : « On nous nourrit mal, il y a peu de pain. Il faudra se mettre en grève pour que ça change. »» Il cite ensuite une ouvrière qui dans l’assemblée des travailleurs de son usine a dénoncé la collaboration Staline-Hitler en déclarant : « Ce n’est pas Hitler qui a pris notre pain, ce sont nos chefs qui le lui envoyaient. Maintenant, ils ne nous donnent plus de pain. Est-ce qu’ils le gardent pour eux ? ». Si elle le déclare ainsi, certes avec modération mais publiquement, c’est qu’elle est persuadée que nombre d’ouvriers et de paysans ressentent péniblement le fossé qui sépare les millions de bureaucrates, convenablement logés, qui se gavent pendant qu’eux, entassés dans des logements minuscules, se serrent la ceinture et manquent de tout ou presque.
Le chef de la section opérationnelle du goulag affirme, dans un rapport adressé au vice-commissaire du peuple à l’Intérieur, Tchernichov, le 22 décembre 1941 que, depuis le début de la guerre, le 22 juin 1941, 11.000 détenus ont été accusés de « crimes contre–révolutionnaires » (c’est-à-dire d’actes – très imprécis – de contestation ou de protestation, voire de simples propos moqueurs ou critiques) et 2 408 d’entre eux fusillés. Il ajoute qu’au cours de ces six mois « plus de 70 groupes insurrectionnels rassemblant au total 650 détenus » ont été découverts et liquidés. A l’en croire, dans le camp proche de la ville de Norilsk, un groupe insurrectionnel « comptant plus de 100 membres, en majorité formé d’anciens militaires condamnés pour crimes contre-révolutionnaires » (sans doute lors de la grande purge de 1937-1938) envisageaient de prendre le contrôle du camp pour s’emparer de la ville même de Norilsk ! Il précise que 59 d’entre eux ont été arrêtés, sans dire ce que sont devenus les quarante et quelques autres, puis énumère une demi-douzaine d’autres groupes insurrectionnels, dont l’un est accusé d’avoir préparé la prise de la ville Komsomolsk avant que 32 de ses membres ne soient arrêtés. Il ajoute enfin : « Des organisations et des groupes insurrectionnels similaires ont été découverts et liquidés » dans six camps de Sibérie « et dans d’autres camps ».
Dans un rapport ultérieur, un autre dirigeant du goulag, Nassedkine, affirme : « la majorité des membres de ces organisations et groupes insurrectionnels se donnaient comme but de préparer des attaques armées, de désarmer la garde armée des camps et des colonies et de passer du côté des armées fascistes allemandes ».
Trois mois après la victoire
La propagande stalinienne a longtemps imposé la vision, certes atténuée depuis la fin de l’URSS, d’une population soviétique galvanisée par la victoire (pourtant très coûteuse en victimes !) sur l’Allemagne nazie. Or la conférence donnée par la romancière Marietta Chaguinian à la section communiste des écrivains de Moscou, le 21 août 1945, évoque une réalité différente… D’après le rapport scandalisé qu’envoie le secrétaire de la section au 1er secrétaire du PC de Moscou, qui relaie cette dénonciation à Malenkov, secrétaire du comité central, Chaguinian déclare à ses collègues, dont certains l’applaudissent : « Attention je vais raconter des choses effroyables, ce qui se fait chez nous. J’ai été dans l’Oural. Là bas 15.000 ouvriers de l’usine Kirov se sont révoltés, la plus authentique des révoltes, parce qu’ils ont des mauvaises conditions (…). On nourrit les invalides de la guerre patriotique avec un mélange de farine et d’eau. Ils meurent de faim. Dans les usines un grand nombre de gosses travaillent, on exploite la marmaille, on les use, on les condamne ». L’auteur du rapport ajoute : « elle ne termine pas sa pensée. Elle dénonce ensuite l’exploitation du travail des enfants qui « meurent de faim » dans les usines. » Elle complète ce tableau de la misère ouvrière par celui de la belle vie des cadres dirigeants qui se gavent : « J’ai été dans l‘Altaï et là c’est effrayant ce qui se passe. Les comités régionaux, les comités de district s’engraissent, ils bouffent les rations des ouvriers et les ouvriers meurent de faim, ils vont comme des ombres, fatigués, épuisés. »
Evoquant ensuite l’invitation faite à une jeune écrivaine de céder sa place en première classe d’un train à un général, elle commente sarcastique : « Où voit-on que cela se fait ? Nos généraux circulent, se promènent et à eux le respect, les honneurs. » Et pour conclure elle dénonce la propagande : « Et avec tout ça chez nous, on écrit beaucoup de louanges. » Pour conclure elle invite les écrivains à décrire la réalité !
Cette grève et d’autres similaires ont voisiné avec des mouvements qui agitent le goulag et ont été répertoriés et décrits dans ces diverses formes de protestations, longtemps brutalement réprimées, constituent une sorte de prolongation de la lutte quotidienne sourde menée par les ouvriers et les paysans soviétiques pour se défendre contre le pillage auquel la bureaucratie dirigeante les soumet, lutte sourde que le régime stigmatise comme du « sabotage ».
Or, Soljenitsyne le rappelle, les détenus du goulag sabotent systématiquement le travail qui leur est imposé et produisent donc de la camelote. « Tout ce que les détenus du camp, écrit-il, fabriquent pour leur cher Etat est du travail ouvertement et au suprême degré bousillé ». Il évoque ainsi la ligne de chemin de fer Salekhard-Igarka, longue de 1 200 kilomètres, dont les rails se gondolent tant qu’aucun train ne peut l’emprunter, ou la ligne Oussa-Vorkouta, dont les rails, eux aussi, « flottent » et sur laquelle le train tangue … même après l’exécution des constructeurs, fusillés pour « sabotage ».
Du « sabotage » quotidien à la grève ou au soulèvement.
Ce « sabotage » quotidien est la forme élémentaire et la base d’une résistance qui, au fil des ans, débouchera sur les évasions collectives, la grève déclarée, voire l’insurrection. Cette résistance pouvait apparemment menacer l’ordre existant puisque les auteurs des sept volumes de ROSSPEN, parmi lesquels figure Soljenitsyne lui-même font précéder les documents portant sur la période de la guerre, d’une phrase tirée du rapport d’un responsable du goulag : « Si nous n’instaurons pas un ordre sévère, nous perdrons le pouvoir » ! Le rejet du système policier du stalinisme se manifeste y compris dans la formation de groupes antistaliniens par des adolescents, voire des enfants comme les gamins âgés de 11 à 13 ans qui ont fondé la Société des Jeunes révolutionnaires de Saratov et collé un jour d’avril 1944 sur les murs de leur quartier des tracts manuscrits proclamant entre autres « Le pays est dirigé par la bande des réactionnaires staliniens. Les porteurs de galons dorés étouffent à nouveau tout ce qui est vivant. Une cascade d’impôts pillent les travailleurs. »
La crainte exprimée ci-dessus est certes exagérée, mais, comme le souligne la réaction affolée de Beria devant l’idée qu’ils puissent distribuer leurs quelques tracts manuscrits dans une manifestation du 1er mai ou du 7 novembre, la création régulière de groupes d’adolescents reflète la fragilité de l’ordre stalinien, en général dénoncé pour sa sauvagerie répressive, mais souvent vanté pour sa solidité apparente.
« Ils perdront le pouvoir » ? Vraiment ?
Après l’écrasement sanglant des grèves de la faim (relativement) massives des années 1936-38, un lent cheminement mène peu à peu aux tentatives de constituer dans les camps des groupuscules secrets, vite découverts, puis à des  esquisses de protestation suivies, dès la guerre, de grèves ou de révoltes ouvertes qui vont s’étendre peu à peu jusqu’à la mort de Staline puis exploseront dans les mois qui suivront et déboucheront sur l’agonie du goulag… et sur le rapport Khrouchtchev contre Staline en 1956.
« Des insurgés sans insurrection » ?
La direction du NKVD, dans une synthèse de ses rapports effectuée à la fin de la guerre, affirmera avoir démantelé dans le goulag, de 1941à 1944, 603 groupes et organisations insurrectionnels auxquels auraient « pris part activement 4.640 individus », soit une moyenne de 7 à 8 participants par groupe, bien peu pour prendre le contrôle d’un camp ou d’une ville ! Mais l’insubordination des détenus, le plus souvent rampante, parfois affirmée est si réelle que les auteurs de ROOSPEN titrent la seconde partie de leur volume consacrée à la période de la guerre (juin 1941-mai 1945) : « Des insurgés sans insurrection » … mais dont les protestations vont bientôt déboucher sur des actions collectives.
De la révolte à l’organisation de groupes.
La débâcle initiale de l’armée rouge, due, entre autres, à la passivité avec laquelle les soldats soviétiques ont d’abord répondu à l’offensive allemande, suscite chez de nombreux détenus la volonté de combattre le pouvoir qui les a jetés au goulag. Ainsi Beria, dans une circulaire du 27 janvier 1942 adressée à tous les commandants de camps, ainsi alertés décrit une insurrection qui vient alors d’éclater à Vorkouta : « Le 24 janvier de cette année, 125 détenus du camp de Vorkouta ont désarmé la garde armée du camp, ont attaqué le centre régional d’Oust-Oussa, se sont emparés de la poste, ont arraché les fils téléphoniques, massacré les gardiens de la prison, libéré 42 détenus, dont 27 se sont ensuite associés à la bande. A la suite des mesures que nous avons prises nous avons abattu 11 bandits et arrêté 32 autres », soit 43 insurgés sur 125 (152 si l’on ajoute les 27 détenus ralliés à eux). La majorité des insurgés ont donc réussi à fuir… sans doute pas pour longtemps. Il évoque ensuite « des tués et des blessés parmi les gardiens, les membres du NKVD et les cadres du parti ». Le récit de Beria débouche sur six instructions rigoureuses. Le vice-commissaire à l’Intérieur, Krouglov, affirmera plus tard, dans une circulaire interne du NKVD, que cette insurrection a coûté la vie à « plus de 40 collaborateurs du NKVD et membres des cadres des soviets et du parti ».
 
Combat réel ou protestation symbolique ?
Les rapports du NKVD évoquent la découverte de groupes de détenus, dont les noms qu’ils se donnent expriment une volonté de combat désespérée face à l’énorme machine oppressive du goulag : « La société russe de vengeance contre les bolcheviks », le  « Comité d’autolibération des colonies » , le « Parti national-socialiste de Russie », le « Parti populaire russe des réalistes », le « Groupe de combat de la libération », « La libération populaire », « L’Union de libération des peuples de Russie », « Le groupe populaire du Travail ». Les noms de ces groupes expriment une volonté de défier le régime politique policier, sans rapport avec leur force réelle. En ce sens, ces détenus semblent réagir comme les enfants et les adolescents qui constituent, à moins d’une dizaine, le « Parti panrusse contre Staline » à Oulianovsk en 1938 ou la « Société des Jeunes révolutionnaires » (une demi-douzaine !) créée à Saratov en 1943 et dont l’unique tract collé sur les murs voisins, avant leur arrestation proclamait « Camarades, dressez-vous pour le combat. Anéantissez la bête sauvage Hitler et ensuite renversez Staline ! » Les ambitions des groupes qui se forment dans les camps sont beaucoup plus limitées que ces rêves d’adolescents, qui affolent pourtant la police politique acharnée à arrêter leurs auteurs avant qu’ils ne puissent distribuer leurs tracts manuscrits dans une manifestation du 1er mai ou du 7 novembre. Les groupes, même minuscules, de détenus parviendront, eux, à agir, de plus en plus au fil des années, sous la pression des conditions insupportables de leur existence.
Des détenus sur le front
L’Armée rouge ayant été décimée d’un côté par la reddition de centaines de milliers de soldats pendant les six premiers mois puis par les coûteuses offensives frontales massives dont était friand Staline, ce dernier a envoyé sur le front près d’un million de détenus qui, préférant les dangers de la guerre à la famine du goulag acceptent souvent de se déclarer volontaires. La population du goulag passe ainsi de 2.300.000 le 22 juin 1941 à 1.200.000 le 1er décembre 1944.
 
Les lendemains difficiles de la victoire et les erreurs de Staline.
La guerre et surtout sa fin modifient brutalement la composition des camps et l’attitude des déportés. Mais le massacre, pendant la guerre, de quelques trente millions de soviétiques, soldats et civils, en majorité des hommes, provoquait en 1945 un manque de main d’œuvre dramatique alors qu’il fallait reconstruire une industrie ravagée par les gigantesques destructions de la guerre. Quoique lui-même fort peureux, Staline considérait comme traître tout soldat ou gradé soviétique qui s’était rendu à l’ennemi au lieu de se suicider. Combien de fois n’a-t-il pas répété ?  « Chez nous il n’y a pas de prisonniers, il n’y a que des traîtres ». Mais, en 1945, il décide de répondre au déficit grave de force de travail en envoyant au goulag une grande partie du million de prisonniers soviétiques libérés des camps allemands. Pour donner une couleur humanitaire, de pure propagande, à cette décision purement économique, il abrogera en 1947 la peine de mort, sous les applaudissements admiratifs d’hommes politiques et d’intellectuels dits progressistes, qui se montreront moins diserts quand il la rétablira trois ans plus tard. Mais en envoyant au goulag des rescapés d’une guerre finalement victorieuse, qui, dans les camps allemands, ont pu entrer en contact avec des prisonniers d’autres nationalités et cultures, Staline introduit au goulag l’un des germes de sa dislocation.
Il en introduit un autre en y installant des rescapés de l’armée russe du général Vlassov pronazi et des Ukrainiens, dont des nationalistes, des partisans du fasciste déclaré Bandera, qui avait proclamé à Lvov le 30 juin 1941 un éphémère gouvernement ukrainien ouvertement pronazi, vite dissous par Hitler, pour qui  les Ukrainiens n’étaient que des « lapins », dès lors indignes d’avoir un gouvernement à eux, même pro-nazi et dont la première et unique mesure fut l’organisation d’un massacre des juifs à Lvov.  A ces forces hostiles au régime qui les a maltraités et, en particulier, affamés, il ajoutera en 1948, puis 1949 près de 160.000 Estoniens, Lettons et Lituaniens, tous qualifiés de « nationalistes » comme les membres des maquis antisoviétiques, dits frères des forêts… où ils se terraient, liquidés à la fin de 1949.
Ces derniers groupes, formés en majorité d’individus qui avaient combattu la domination soviétique, étaient dans de tout autres dispositions d’esprit que les victimes soviétiques des purges des années 30, souvent hébétés par une répression brutale souvent sans aucun rapport avec leur activité, voire leurs opinions, réelles et donc persuadés d’être victimes d’une erreur.
En dehors d’eux se constituent ici et là des groupes d’adolescents et d’étudiants critiques du régime politique. On peut juger de la crainte que suscitent chez Staline ces tracts et les groupes de jeunes, qui les rédigent et les diffusent très modestement, à la lecture du rapport que, le 6 novembre 1946, lui adresse le ministre de l’Intérieur de l’URSS, Sergueï Krouglov qui lui annonce la découverte de six tracts, « d’un contenu contre-révolutionnaire » non précisé « rédigés à la main d’une écriture trafiquée », une semaine avant la manifestation anniversaire de la révolution le 7 novembre. Sur ces six tracts « « Trois avaient été jetés dans la rue, l’un était collé sur la porte d’entrée d’un immeuble d’habitation, un autre sur une palissade et un autre déposé dans une boite aux lettres (…) Des mesures sont prises pour retrouver les auteurs de ces tracts ». Ces six tracts manuscrits suffisent donc à émouvoir le ministre de l’Intérieur, qui juge nécessaire d’informer Staline des mesures prises pour retrouver leurs auteurs. Comment mieux souligner l’extrême fragilité de la domination de Staline et de sa nomenklatura sur la population ?
Deux ans plus tard, cette crainte prend des allures de panique, apparemment irrationnelle : à la fin d’octobre 1948, les agents de la Sécurité d’Etat (appelée, depuis 1946, le MGB) de Leningrad découvrent, collés dans plusieurs arrondissements de la ville, cent quarante quatre tracts manuscrits, annonçant, à la fois, la constitution d’une organisation intitulée « Le bonheur du peuple » et sa décision de distribuer, dans la manifestation du sept novembre suivant, des tracts,  dont l’un est titré « Sur le vrai et le faux socialisme » !
La direction de la Sécurité d’Etat s’affole : elle décide aussitôt d’envoyer en urgence « un groupe de tchékistes expérimentés » en renfort à ses milliers d’agents de Leningrad, pour débusquer, avant la manifestation, cette redoutable organisation de « criminels ». Elle craint, à l’évidence, l’effet que de tels tracts pourraient produire sur certains manifestants. Elle informe Staline de la gravité du danger et de l’ampleur des mesures prises pour l’affronter. Or « Le bonheur du peuple » ne comporte que deux jeunes étudiants, qui se proposent, certes, de recruter quelques adhérents, mais n’en ont encore attiré aucun. L’armada policière d’agents du MGB arrête in extremis ces deux adversaires, à ses yeux redoutables, du régime, dans la nuit du cinq au six novembre, juste à temps. Elle confisque les soixante-sept tracts manuscrits qu’ils se préparaient à distribuer le sept. L’impuissance apparente des groupes de gamins et d’adolescents dissimule donc, aux yeux de Staline, une puissance redoutable, qu’il ne veut pas laisser se développer et veut liquider sans délai.
Les groupes, même minuscules, de détenus parviendront, eux, à agir, de plus en plus au fil des années, sous la pression des conditions insupportables de leur existence. Les auteurs de l’histoire du goulag publiée par ROSSPEN les présentent comme des « insurgés sans insurrection » ; la formule peut-être exagérée reflète néanmoins un aspect des tensions qui ravagent l’univers policier du goulag. Ces tensions, déboucheront au lendemain de la mort de Staline sur la dislocation du système ; elle exprime donc une inquiétude peut-être grossie, mais nullement imaginaire. C’est pourquoi, dès janvier 1948, une lettre conjointe à Staline du ministre de l’Intérieur Krouglov et du ministre de la Sécurité, Abakoumov, fixe l’objectif d’interner au goulag 100.000 détenus politiques jugés particulièrement dangereux. Il veut donc les retirer de la société pour les isoler et les neutraliser derrière les barbelés des camps.
Deux mois plus tard, un ordre des ministères de l‘Intérieur et de la Sécurité d’Etat du 16 mars 1948 reflète la même crainte. Il décide de constituer des camps spéciaux au régime particulièrement sévère destinés aux « espions, saboteurs, terroristes, trotskystes, droitiers, menchéviks, socialistes-révolutionnaires, anarchistes, nationalistes, émigrés blancs, membres d’autres organisations et groupes antisoviétiques et personnes présentant un danger à cause de leurs liens antisoviétiques et de leur activité hostile » qui, de plus, « ne seront pas libérés à l’expiration de leur peine ». Les groupes politiques ici stigmatisés n’existent plus – ce qui n’empêchera pas les statistiques du goulag de recenser, par exemple, dans ses rangs, à la mort de Staline, la présence de 1.825 trotskystes… pour l’essentiel imaginaires.
Cette inquiétude découle aussi de la violence avec laquelle le régime en place traite la masse de la population. Ainsi, en réponse à la famine, qui ravage une partie de l’URSS en 1946 et 1947, Staline  promulgue, le 4 juin 1947, deux décrets, l’un sur « la responsabilité pénale pour vol de la propriété sociale », le second sur « le renforcement de la propriété privée des citoyens », publiés dans la Pravda du lendemain et enrichis d’un additif secret concernant les « petits vols sur le lieu de production » (un pain dans une boulangerie par exemple), sanctionnés d’une peine de prison de 7 à 10 ans (contre un an auparavant). Ces décrets, promulgués dans un pays qui compte près de dix millions de veuves de guerre, confrontées à la nécessité de se débrouiller pour pouvoir nourrir leurs enfants, reprennent les dispositions de la loi du 7 août 1932, dite loi des cinq épis, tombée en désuétude, qui punissait de dix ans de camp ou de la mort les petits larcins – surtout de lait, de beurre, de pain, de viande, voire d’épis glanés après la moisson – commis par une population affamée. Le fidèle stalinien Kaganovitch lui-même, pourtant docile second de Staline, évoquera devant le comité central de juillet 1953 le cas de femmes condamnées à trois ans de camp « pour une petite botte de paille ». Ces décrets envoient au goulag, de 1947 à 1953, 2.200.000 individus, surtout des femmes qui, après avoir, pendant la guerre, remplacé aux champs ou à l’usine les hommes partis au front, ont chapardé un peu pain, de beurre ou de lait pour nourrir leurs enfants affamés et que les décrets assimilent aux voleurs et truands. Le Goulag n’abritait plus en 1944 que 1.200.000 détenus. Les condamnés de la faim constituent en 1953 une bonne moitié de ses 2.526.402 prisonniers.
Les conditions d’existence imposées à la population laborieuse provoquent ici et là des mouvements de protestation malgré la brutalité de la férule bureaucratique. Ainsi en mai 1948 des troubles éclatent dans l’usine de moteurs et de turbines de Sverdovsk dans l’Oural. L’usine est le produit de la fusion de deux usines jusqu’alors distinctes. Au lendemain de la fusion le directeur décide de modifier le régime de laissez-passer pour l’entrée du personnel dans l’usine sans l’expliquer aux travailleurs. Des conflits éclatent entre eux et les gardiens lorsqu’ils veulent accéder à leur atelier. Le directeur ne prend aucune mesure pour apaiser la tension. Le 13 mai à 7 heurs 30 du matin un garde tire sur un jeune ouvrier de 16 ans qui tente d’entrer dans l’usine avec son père et le blesse grièvement. L’incident suscite l’indignation des ouvriers qui arrêtent massivement le travail. Le directeur déclare : « La garde a tiré et tirera. » Le syndicat officiel n’étant qu’un appendice de l’appareil d’Etat, les ouvriers, sans organisation, reprennent le travail…
Un an plus tard, le 27 mai 1949, les ouvriers de l’usine de chaussures Ouralobouv de Sverdlovsk las des conditions de vie lamentables qui leur son imposées se mettent massivement en grève. « La majorité des logements collectifs de l’usine étaient installés dans des vieux bâtiments et des baraquements provisoires privés de blanchisserie, de services sanitaires et de salles de bain. Le bois de chauffage était fourni irrégulièrement. Les cuisines manquaient de l’équipement nécessaire pour faire à manger. La majorité des habitations manquaient de lavabos, de tabourets, de tables de nuit, d’armoires et ne reçoivent que très irrégulièrement du bois de chauffage. » L’historienne russe qui relate ce mouvement de grève en soulignant qu’il éclate l’année même où les répressions staliniennes se renforcent et donc que les ouvriers devaient « être poussés à l’extrémité du désespoir pour se mettre ainsi en grève », note en même temps : « Néanmoins les manifestations des ouvriers de Sverdlovsk n’étaient pas accidentelles. Elles reflétaient l’état d’esprit général des soviétiques qui espéraient des changements dans leur existence après la conclusion victorieuse de la guerre et qui avaient été trompés dans leur attente. »
 
« A tâtons nous rompons nos chaînes », ou de la grève à l’insurrection
Nassedkine exagère certes la menace que font peser les groupes évoqués ci-dessus sur l’administration des camps, mais il ne l’invente pas, comme le montrent les insurrections qui éclatent dans les camps après la guerre. Ainsi un rapport du 24 avril 1946 évoque la découverte… en juillet 1945 dans le camp du Nord de l’Oural d’un groupuscule de nationalistes ukrainiens nommé le Parti populaire démocratique d’Ukraine, fort de six membres, tous arrêtés. Le même rapport évoque ensuite la découverte d’une organisation, bien entendu qualifiée d’insurrectionnelle, intitulée « Gamaleia », dont le NKVD a arrêté 10 membres, réels ou supposés. En 1947, un groupe d’une cinquantaine de détenus du centre atomique d’Arzamas désarment la garde et s’enfuient. Ils sont tous rattrapés et abattus. En 1948, deux tentatives du même genre se produisent sur un chantier du Kamychlag. En 1949, un groupe de détenus du Berlag, dirigés par le général Semenov, déporté, s’emparent de dizaines de fusils parviennent à s’évader puis sont repris et tous fusillés.
A la fin de 1949 et au début de 1950, un groupe formé à la fois de détenus politiques et de droit commun du camp d’Elgenougol, chargé de l’extraction minière à Kolyma, organise un soulèvement armé vite maté. Peu après, un autre soulèvement armé au Berlag est, lui aussi, vite écrasé. En juillet 1950, dans un camp du Dalstroï, la direction arrête 7 détenus, accusés d’avoir fondé au total trois groupes clandestins avec d’anciens officiers de l’Armée rouge. Le 6 novembre, dans un camp d’Estonie, le MVD arrête 6 détenus, tous anciens matelots de la Flotte rouge, fondateurs de l’Union de la lutte révolutionnaire clandestine, accusés de quatre crimes …
En 1951, cinq cents détenus d’un camp de l’île de Sakhaline déclenchent une grève de la faim qui dure cinq jours. Peu après, plusieurs centaines de détenus du camp d’Oukhktijem déclenchent à leur tour une grève de la faim. Pour les punir on les transfère dans le camp spécial de Norilsk. La même année, deux soulèvements armés éclatent au Krasslag, eux aussi, vite écrasés.
En janvier 1952, plusieurs centaines de détenus du camp d’Ekibastouz, dans lequel Soljenitsyne passe sa dernière année de camp, déclenchent une grève de la faim massive, que Soljenitsyne raconte, malgré la distance qu’il prend avec elle, dans un chapitre intitulé A tâtons nous rompons nos chaînes, formule applicable aux mouvements de protestation qui se développent et se renforcent peu à peu au goulag depuis 1947. Soljenitsyne conclut : « Le virus de la liberté, cependant se répandait, et comment le bouter hors de l’Archipel ? » Il ajoute plus tard : « D’évidence, au début des années 50, le système stalinien des camps, notamment dans les camps spéciaux, était mûr pour la crise. Du vivant même du Tout Puissant, les indigènes avaient déjà commencé à rompre leurs chaînes ».
Reflet de la crise qui ronge de plus en plus le régime stalinien et pousse Staline dès le début de 1952 à préparer une nouvelle purge sanglante, le vent de liberté souffle de plus en plus fort au goulag. Le 16 avril 1952, le ministre de l’Intérieur Krouglov affirme avoir découvert dans le camp de Beregovoï une « organisation antisoviétique de détenus ukrainiens qui préparaient une évasion armée » et en avoir arrêté 12 membres. Dans un rapport du 6 août 1952, le lieutenant général Dolguikh, chef du goulag, dresse un bilan des mouvements de protestation au cours du premier semestre : 285 cas d’activité contre-révolutionnaire (qualification qui peut recouvrir n’importe quelle expression de mécontentement), 1.458 évasions, 378 refus de travailler, forme de protestation individuelle qui peut souvent prendre une forme collective. Le 13 février 1953, dans le camp de Kizliiv un gardien abat un détenu d’un coup de fusil. 300 détenus décrètent aussitôt la grève. Le midi du 1er mai 1953, deux mois après la mort de Staline, dans le camp de Krasnoiarsk, un capitaine du camp énervé entre dans la cantine où mangent les détenus, renverse un plat de nourriture sur la tête d’un détenu. Aussitôt plus de 600 détenus déclarent une grève de la faim. L’ordre concentrationnaire commence à se fissurer. La mort de Staline va accélérer ce mouvement… avec l’aide involontaire de Beria.
Une mutinerie paysanne silencieuse
Les kolkhozes doivent livrer à l’État une bonne moitié du blé qu’ils récoltent et plus de la moitié de la viande et du lait qu’ils produisent à des prix qui ne couvrent même pas leurs frais de production. En 1950, 22,4 % des kolkhoziens n’ont pas touché un kopeck pour leur travail. Ils ont travaillé gratuitement toute l’année ! 20 % ont touché eux pour toute l’année… UNE LIVRE de grains. En 1957, un membre du comité central, Kirill Mazourov expliquera : « En 1953 les kolkhozes avaient même cessé de planter des pommes de terre, parce que l’État leur payait 3 kopecks le kilo pour le stockage ; on coupait le lin à la racine, l’élevage s’effondrait. »  Les kolkhoziens travaillent donc le moins possible au kolkhoze et concentrent tous leurs efforts sur leur petit lopin individuel, que Staline accable d’impôts pour les décourager, y compris un impôt sur les arbres fruitiers, si lourd que certains préfèrent les abattre. L’URSS est confrontée à une sorte d’immense grève passive des paysans et à un déficit alimentaire, dissimulé par des baisses de prix annuelles, exaltées par l’Humanité, sur des produits de plus en plus introuvables. Pour combattre cette grève passive… mais efficace, Staline propose d’augmenter les impôts prélevés sur les kolkhoziens de 15 milliards de roubles à 40 milliards, somme qui dépasse leurs revenus.
En juillet 1953, au comité central Mikoian affirme : depuis deux ans l’URSS souffre d’ « un déficit aigu de légumes et de pommes de terre » que les paysans s’acharnent à ne pas cultiver dans les kolkhozes et les sovkhozes en réservant leurs efforts à leurs minuscules lopins individuels.
Une amnistie explosive
Au lendemain de la mort de Staline, Beria, ministre de l’Intérieur, convaincu que le goulag loin d’être rentable, est fort coûteux, prépare un vaste projet d’amnistie. Le 24 mars, il soumet au présidium du comité central un document affirmant que, sur 2.526.042 détenus, le goulag ne compte que « 221.435 criminels particulièrement dangereux pour l’Etat (espions, saboteurs, terroristes, trotskystes, socialistes-révolutionnaires, nationalistes et autres) détenus dans les camps spéciaux ». Il estime les victimes des décrets économiques de juin 1947 à 1.241.919 détenus, dont « environ 198.000 souffrent de graves maladies incurables et sont absolument inaptes au travail », précision sans doute incontestable, à la différence des imaginaires trotskystes et socialistes-révolutionnaires cités parmi les politiques étiquetés « criminels dangereux », sans parler des prétendus « terroristes ». Pour se débarrasser de cette main d’œuvre non rentable, il fait amnistier le 27 mars 1953 tous les détenus (soit un million deux cent mille détenus) condamnés au maximum à une peine de cinq ans de détention, les condamnés à plus de cinq ans de camp étant considérés comme des « politiques ». Cette amnistie laisse derrière les barbelés tous les détenus « politiques » – même très vaguement – qui effraient le régime et vont très vite le menacer. Mais les 221.435 exclus de l’amnistie pour une condamnation souvent privée de fondement réel constituent un groupe soudé par cette exclusion même qui leur apparait injuste. En même temps cette amnistie enrage la masse des 220.000 gardiens de camp promis à une reconversion douteuse. Les auteurs de ROSSPEN titrent sa quatrième partie La mutinerie du goulag (fin mai 1953-1954), qui débouche sur l’explosion du goulag, dont ne subsisteront que de menus débris, utiles pour intimider les quelques centaines de futurs dissidents.
La grève victorieuse
Le 25 mai, près de 20.000 détenus des mines de Norilsk débrayent pour protester contre la conduite de plus en plus violente des gardes, énervés par l’amnistie sélective. Le 5 juin, Beria envoie à Norilsk un haut cadre du MVD, qui, sur mandat de son chef, engage la discussion avec les leaders de la grève et promet de transmettre leurs revendications à Beria ; il leur demande, en échange, de reprendre leur travail, si précieux pour la patrie. Il divise ainsi les grévistes. Certains reprennent le travail, d’autres continuent la grève. Le procureur de la ville promet à ces derniers qu’ils ne seront pas punis, s’ils arrêtent leur mouvement. La liquidation de Beria ne va pas arranger les choses et la grève se prolongera par saccades jusqu’au 10 juillet.
De la grève des ouvriers de Berlin-Est à la grève du goulag
Loin de Moscou, la décision prise le 15 juin1953, par le gouvernement de la RDA d’augmenter de 10 % les normes de travail et donc de baisser à peu près d’autant le salaire réel provoque une explosion chez les ouvriers de Berlin-Est, puis de RDA, que le gouvernement de Walter Ulbricht et d’Otto Grotewohl est incapable de mater. Moscou envoie donc ses troupes et ses chars qui massacrent des centaines de manifestant, que l’Humanité en première page qualifiera aimablement de « nazis ».
42 soldats et officiers soviétiques fusillés
La nouvelle de la grève va cristalliser la protestation de milliers de détenus du goulag, en même temps qu’un événement resté longtemps méconnu (et très rarement évoqué depuis qu’il ne l’est plus) confirme la justesse des craintes du Kremlin sur la fragilité de son régime. Après l’écrasement de la grève, un tribunal militaire soviétique condamne à mort 42 soldats et officiers soviétiques, coupables d’avoir refusé de tirer sur les manifestants. Nul ne le sait alors. Cet acte d’insoumission, éloquent sur l’état d’esprit réel d’une partie de la population ne sera révélé, beaucoup plus tard, que par le journal Literatournaia Gazeta du 10 juin 1998, sous le titre « Quand la conscience ne se soumettait pas aux ordres. » Le journaliste souligne que « Tout se déroula dans le plus grand secret ». Selon le Parquet militaire de Russie, à qui il s’est adressé, « la liste des condamnés à mort figure dans un dossier particulier, conservé dans des archives particulières portant l’estampille « ultra-ultra-secret ». Pour lui, « ces quelques dizaines de soldats et d’officiers soviétiques ont eu le courage de lancer un défi au régime », qui reflète sans doute un rejet plus discret et plus prudent de la masse de la population laborieuse.
Si ce défi reste ignoré de tous, la rumeur fait vite connaitre celui qu’ont lancé les ouvriers de RDA. La nouvelle de leur grève brutalement écrasée provoque un choc dans le goulag. L’intitulé des rapports des commandants de camp suffit à indiquer l’ampleur des mouvements de protestation qui le secouent alors : « Désordres de masse parmi les détenus du camp De Norilsk (sections n° 5,6,13 et 35) l es 11, 17 et 25 juillet 1953) », « Désordres de masse des détenus du secteur n° 19 du camp de Viatks dans la nuit du 12 au 13 juillet 1953 ». Cette tension débouche sur ce qu’un rapport qualifie d’Insurrection des détenus du camp de Retchny en juillet-août 1953.
Elle va provoquer une grève massive dans le camp de Vorkouta. Selon l’un des survivants, « cette grève n’aurait pas été possible sans l’activité des groupes clandestins de résistance déjà existant ». Avant le 17 juin, souligne-t-il, aucun des prisonniers ou des chefs des groupes de résistance n’avait pensé à faire grève. » Tous les préparatifs avaient été faits en prévision d’une guerre. Le 17 juin vint tout changer ». Les wagons prétendus de charbon livrés par la mine à la ville arrivent souvent vides et que le charbon y était remplacé par des inscriptions du genre « Donnez-nous la liberté ! »
Un second choc : l’arrestation de Beria.
Le 26 juin 1953 les autres dirigeants soviétiques accusent Beria de complot et le font arrêter. La nouvelle provoque un choc dans le pays et le goulag. Les détenus de la région minière de Norilsk avaient, depuis plusieurs jours, déclenché une grève, qui avait gagné plusieurs camps du complexe et débouché sur des affrontements sévères avec les troupes spéciales du MVD. Les nombreuses pertes subies lors des affrontements n’avaient pas brisé le mouvement. Beria étant le symbole du régime policier, les détenus ressentent son arrestation comme une victoire et arrêtent leur grève. Mais, le plus souvent, à l’inverse, la nouvelle sert de catalyseur à la protestation. Le 19 juillet, 350 détenus du camp de Retchny cessent de travailler et exigent une discussion avec le procureur et le chef de l’administration du camp. Le 21 juillet, la direction de la mine du camp n° 1 découvre sur le panneau d’affichage sept tracts, signés Le comité d’action, qui proclament : « Détenus et bagnards ! (…) Exigez la révision immédiate de vos affaires et une libération totale. Exigez : – la suppression des camps extraordinaires du MVD – la liquidation du bagne – la réduction maximale de la durée des peines. »
Au camp minier voisin de Vorkouta, un groupe de détenus se met aussitôt en grève en affirmant : « C’est l’ennemi du peuple Beria qui nous a internés, maintenant on doit nous relâcher ». Le 25 juillet une deuxième équipe refuse de descendre au fond. Les détenus déclarent : « Nous avons été condamnés seulement à la suite de l’activité hostile de Beria, nous avons besoin d’être totalement libérés. » Dans une autre section, les détenus diffusent des tracts qui exigent, « la liberté, l’amnistie, la journée de huit heures, un vrai salaire sans retenues, la révision de leurs affaires, la liberté de correspondance et de visites ». Ils ajoutent qu’ils ne reprendront le travail qu’après avoir rencontré un représentant du comité central.
Au 1er avril 1954, après l’amnistie décrétée en mars 1953, et au lendemain des grèves qui l’ont secoué, il reste au goulag un peu plus d’1.360.000 détenus que le ministère de l’intérieur répartit en 448.000 auteurs de crimes contre-révolutionnaires (! ! !) environ et 680.000 sont des détenus de droit commun.
Le début de la fin
L’explosion du système se produit dans le camp de Kenguir, partie constituante du système des camps dit du Steplag, installés dans la steppe du nord du Kazakhstan, qui rassemblent à la fois des camps agricoles et des camps miniers de mines de cuivre et de charbon où, vu l’absence des mesures de sécurité élémentaires, la mortalité est très élevée.
Près de 25.000 détenus sont entassés dans les trois camps ou « zones » de Kenguir. Le 17 mai 400 détenus pénètrent dans la zone réservée aux femmes et détruisent les deux murs destinés à séparer les hommes et les femmes. La garde les mitraille. Bilan officiel : 14 morts, 32 blessés graves et 27 blessés légers. La colère des survivants explose. Le 19 mai, 5.000 détenus cessent le travail et élisent des délégués pour discuter avec le pouvoir. Le vice-ministre de l’Intérieur du Kazakhstan se rend aussitôt sur les lieux, discute avec les délégués des grévistes, écoute leurs doléances et les transmet aussitôt, le 20, à Moscou. « Les représentants des détenus qui participent aux pourparlers se conduisent de manière provocatrice ; ils exigent (…) la punition des responsables de l’utilisation des armes à feu, après quoi seulement ils reprendront les pourparlers. » Ces représentants des détenus se sentent donc incarner une force qui leur permet de prétendre débattre d’égal à égal avec ceux du pouvoir. La grève prend par là même, une portée nationale.
Le 27, les détenus élisent un comité de grève de neuf membres, présidé par un ancien lieutenant-colonel de l’Armée rouge, Kouznetsov. Ce comité réunit une assemblée générale de plus de 2.000 détenus, qui élaborent une liste de dix revendications portant surtout sur les conditions de vie des détenus complétée par l’exigence renouvelée que les responsables de la fusillade soient châtiés.
Signe de l’inquiétude qui envahit les dirigeants soviétiques, le chef du goulag, le lieutenant-général Dolguich, descend en personne à Kenguir. Le 29 mai, pour tenter d’apaiser les détenus révoltés, il révoque les quatre gradés et le vice-commandant du camp, tous jugés responsables de la fusillade du 17 mai ; il répond aussi à d’autres revendications des détenus en annonçant la suppression des verrous et cadenas aux portes et aux fenêtres des bâtiments et la liquidation de la cellule d’instruction où l’on isolait les détenus suspects de « menées antisoviétiques » ; il promet de régler le salaire (minime) des détenus, de leur assurer un repos quotidien de huit heures sans interruption et annonce des libérations.
Ces importantes concessions partielles, loin d’apaiser les grévistes leur donnent le sentiment de leur force nouvelle. Le 4 juin, Krouglov et Roudenko, par crainte de la contagion aux camps voisins, recommandent la prudence. Ils écrivent : « Ne pas faire entrer pour le moment les forces armées afin d’éviter la nécessité d’utiliser les armes à feu. Encercler la zone (…) Elaborer et mettre en œuvre des mesures complémentaires visant à démoraliser les détenus qui désobéissent à l’administration du camp, en suscitant en eux le sentiment d’une situation sans espoir, d’une impasse, de l’inéluctable issue lamentable de leurs actions. »
Le lendemain, le chef du goulag lui-même s’adresse par radio aux grévistes. Il leur rappelle les concessions qu’ils ont obtenues : l’introduction du décompte des jours de travail, l’attribution d’un salaire etc. (…) Certains de vos camarades ont été mis en liberté après révision de leurs affaires. » Après quoi, il dénonce la grève et le comité élu qui la dirige : « Au lieu de remercier notre parti pour le soin qu’il prend de vous, vous cédez à des provocations d’aventuriers et semez le désordre depuis trois semaines ». Mais, il le jure, il « n’y aura pas « de victimes. » Il invite ensuite les grévistes à se ressaisir : « En parole, leur lance-t-il, vous êtes des patriotes. Mais tout en nous l’affirmant, vous ne remarquez pas que trois semaines de désordre dans le camp ce n’est pas un comportement patriotique, mais antisoviétique (…) Rétablissez l’ordre dans le camp et engagez-vous dans la cause populaire de l’édification du communisme ! » Il les exhorte à ne pas croire « les provocateurs et aventuriers qui les ont emmenés dans une impasse ». Et il leur enjoint : « Finissez-en avec ces aventuriers criminels ! »
Cette double invitation n’ébranle pas la détermination des 5.251 grévistes recensés. Le 15 juin, Dolguikh télégraphie à Moscou : « La situation est toujours aussi tendue (…) Les détenus transforment près de 5.000 bouteilles en grenades à main en les remplissant de chaux. » Brusquement, le 20 juin les ministres de la Construction mécanique et de la Métallurgie, furieux que les livraisons des mines exploitées par les détenus se soient effondrées, exigent que le conseil des ministres » contraigne Krouglov « à rétablir l’ordre dans un délai de dix jours ». Les grévistes de Kenguir provoquent donc une crise gouvernementale, situation impensable du temps de Staline… mort depuis un an même pas et demi !
Le 21 juin, Krouglov annonce l’arrivée de la première division blindée Dzerjinski du MVD, avec cinq chars T-34, mais, conscient que l’extrême tension qui règne à Kenguir peut se muer en explosion, il ajoute : « Il nous semble qu’il faut utiliser les tanks plus comme un facteur moral et comme un bélier, en évitant d’utiliser la puissance de feu. » Le bélier ne fonctionne pas. Le facteur moral non plus. Et, le 24 juin, Krouglov ordonne de « mettre un terme à l’insubordination du camp n°3 et à l’activité criminelle de ses organisateurs. »  Pour y parvenir, il veut d’abord susciter « le désarroi parmi les détenus » et insiste pour « s’efforcer par tous les moyens de ne pas provoquer de victimes humaines », avec néanmoins une restriction : « On ne doit utiliser les armes que contre les organisateurs et les bandits. » Dans ce texte, alors ultra-secret, il demande de « prendre les mesures nécessaires pour éviter la publicité autour de la mise en ouvre de l’opération et des résultats ». Il craint donc que l’écrasement de la révolte de Kenguir, s’il est connu, ne suscite d’autres Kenguir, voire provoque des troubles dans la population. La grève des détenus exprime, en effet, sous forme outrée dans l’enfer concentrationnaire, la résistance, elle aussi élémentaire, qu’oppose au régime la masse des ouvriers soviétiques et qu’un ouvrier de Stalingrad, venu en février 1961 à Léningrad voir son frère, l’un de mes étudiants à cette époque où je travaillais comme lecteur à l’Université de la ville, exprima en me disant lors d’une conversation: «  Les ouvriers de mon usine à Stalingrad et pas seulement eux, ailleurs aussi, pensent : on cessera de faire mine de travailler quand ils cesseront de faire mine de nous payer. » Les uns et les autres ne cesseront jamais.
A Kenguir, Krouglov déclenche l’attaque le 26 juin à 3 heures 30 du matin. A l’en croire, la radio du camp aurait sans interruption, de 3 heures 30 à 4 heures du matin, invité les détenus à déposer les armes et à quitter la zone ou à se calfeutrer dans les baraquements, puis l’assaut commence. Les soldats mettent une heure et demie pour reprendre le camp n°3, capturer les dix membres de la commission, plus une liste de suspects d’incitation à la grève, au total 36 détenus, arrêter au total 400 meneurs, plus un millier d’autres détenus, accusés d’avoir « soutenu les émeutiers », dispersés ensuite dans des camps du Dalstroï.
Si l’on en croit le rapport rédigé par Krouglov et ses adjoints, la répression du soulèvement aurait fait 37 morts, 61 blessés plus ou moins graves et 54 blessés légers. Le chiffre de 37 morts au bout d’une heure et demie de combat, où les soldats, confrontés à la résistance acharnée de grévistes armés de piques et de bouteilles remplies de chaux tirent à balles réelles, parait curieux ; les auteurs du rapport osent de plus, affirmer qu’une partie, non précisée, de ces 37 morts se sont suicidés… sans doute pour échapper à la mort !
Les dirigeants de la grève sont condamnés à de lourdes peines allant de 10 à 25 ans de camp ans. Un rapport ultra-secret du collège du MVD, signé Krouglov en date du 16 septembre 1954 tente de tirer les leçons de la longue grève écrasée. Il reconnait la faillite du système en recommandant « Lors d’actions d’insubordinations massives de détenus s’efforcer d’y mettre fin par un travail d’explication et en tentant de disloquer le groupe des meneurs ». Krouglov tout en jugeant nécessaire de faire des concessions aux révoltes collectives pour les apaiser, insiste en même temps sur le refus de reconnaître à leurs meneurs éventuels la moindre représentativité : « néanmoins ne pas transformer ce travail d’explication en « négociations » car cela ne peut pas donner de résultats positifs. » Pourquoi ? Krouglov ne le dit pas. La raison est purement politique. « Négocier » signifierait reconnaître officiellement une fonction de représentation aux délégués élus par les révoltés et donc remettrait en cause le monopole du parti unique, comme seul représentant du peuple.
Trop tard
Les concessions annoncées par Krouglov arrivent trop tard. Pour sauver l’ordre politique lui-même il faut aller beaucoup plus loin. C’est ce que comprend, après Beria, le premier secrétaire du PCUS, Khrouchtchev, en présentant, dans une séance à huis clos du congrès du PCUS, en février 1956, son rapport critique de Staline, qui, bien que secret, sera lu à près de 25 millions de soviétiques. Khrouchtchev n’y dit certes pas un mot du goulag ni des divers lois et décrets coercitifs et répressifs dictés par Staline, de la loi dite des 5 épis d’août 1932, aux décrets antiouvriers de 1940 ou au décret du 4 juin 1947, qui avait envoyé des centaines de milliers de mères de familles au Goulag. Malgré ces impasses sa critique de Staline est explosive. Le dissident soviétique Levitine-Krasnov, sorti du goulag trois mois après, se réjouit : « C’était l’explosion d’une bombe ; une bombe qui provoqua la plus grande vague explosive de l’histoire. »
Le système, improductif et dégradant, du travail forcé de masse est alors en effet à la veille de sa dislocation définitive et la terreur stalinienne est en train d’être remplacée par un simple système policier promis à la dislocation tardive. Le Steplag sera dissous en 1956… Ce n’est certes pas la fin d’une époque, mais c’en est l’un des premiers signes.

 

 

Les voix des bourreaux. Des officiers du NKVD discutent des préparatifs des massacres…

Dmitri Volchek

Extrait de  Samizdat 2 : la voix de l’opposition russe…

(Avril 2024)

Il y a 85 ans, en 1937, des milliers d’employés du NKVD, dirigés par Nikolaï Ejov, reçurent l’ordre de lancer une campagne visant à identifier, arrêter et détruire les « éléments contre-révolutionnaires ». Le 16 juillet, Yezhov a tenu une réunion avec les chefs des départements régionaux du NKVD pour discuter de l’opération à venir. Participant à la réunion, le chef de l’UNKVD pour le territoire de la Sibérie occidentale, Sergueï Mironov, de retour de Moscou, le 25 juillet 1937, a tenu une réunion opérationnelle des chefs des points opérationnels, des secteurs opérationnels, GO et RO UNKVD pour la ZSK de l’URSS et leur expliqua les détails de l’opération. La première étape consistait à prendre tous les « atouts de la contre-révolution ».
« La limite pour la première opération est de 11 000 personnes, c’est-à-dire que vous devez emprisonner 11 000 personnes le 28 juillet. Eh bien, en emprisonner 12 000, peut-être 13 000 et même 15 000, je ne vous indique même pas ce nombre. Vous pouvez même en emprisonner 20. dans la première catégorie 20 000 personnes. »
Après avoir expliqué comment identifier et arrêter les contre-révolutionnaires et que faire des membres de leurs familles, Mironov est passé aux « questions techniques » : comment tuer et enterrer les personnes arrêtées.
« Que doit faire le chef du secteur des renseignements lorsqu’il arrive sur les lieux ? Trouver un endroit où les condamnations seront exécutées et un endroit où enterrer les cadavres. Si c’est dans la forêt, il faut couper le gazon à l’avance puis recouvrir cet endroit de ce gazon, afin de dissimuler par tous les moyens le lieu où la sentence est exécutée car ces lieux peuvent devenir un lieu de fanatisme religieux pour les contre-conspirateurs, pour le clergé. Ne sachant en aucun cas ni le lieu où les peines sont exécutées, ni le nombre sur lequel les peines sont exécutées, il ne faut absolument rien savoir car notre propre appareil peut devenir un diffuseur de cette information. C’est simple. À Mariinsk, par exemple, il faudra exécuter environ 1 000 peines, en moyenne 30 à 40 par jour. »
Afin de transporter les personnes arrêtées puis les corps des exécutés, les transports suivants seront nécessaires :
« Nous devons nous occuper du carburant. C’est la période des récoltes et des difficultés avec le carburant sont possibles. Nous augmentons la quantité de carburant de 35 tonnes par mois. Nous avons besoin que cet approvisionnement soit un fonds d’urgence local, sinon vous ne pourrez pas en apporter chez ceux qui ont été arrêtés ou faire sortir ceux qui ont été exécutés. »
La transcription contient également une explication sur la manière d’enterrer les personnes exécutées afin que l’administration du cimetière n’intervienne pas.
«Tous les responsables des cimetières, s’ils sont contre-insurgés, devraient être directement arrêtés. Pendant ce temps, vous pouvez mettre vos employés parmi les agents de qui vous voulez et payer ce que vous voulez. Confiez cette tâche à un membre du parti parmi la police et les coursiers, commencez cela demain, puis nous nous réassurerons. Lorsque vous aurez votre propre personne au cimetière, vous aurez les mains libres. Je ne peux pas imaginer un seul gestionnaire de cimetière qui ne puisse pas être emprisonné. Sélectionnez le matériel et la plante. »
Lire la suite sur le site :
https://www.sibreal.org/a/golosa-palachey-/28759894.html

Chostakovitch et Staline, de SOLOMON VOLKOV

Traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton.

Collection Anatolia, Editions du Rocher, 358 pages, 22 euros 90

UN DUEL INEGAL…

Par Jean-Jacques Marie

Le titre de cet ouvrage ne couvre en réalité qu’une partie de ce que l’auteur traite. Si les relations entre Chostakovitch et Staline en constituent le centre, Solomon Volkov les insère dans une étude des relations politiques de Staline avec les artistes et l’intelligentsia qui leur donne leur plein sens. Il s’attarde en particulier sur les relations fluctuantes que Staline entretint avec Maïakovski, Boulgakov, Prokofiev, Eisenstein, et quelques autres encore. Il étudie l’œuvre de Chostakovitch dans ce cadre en examinant le rapport entre la création artistique et la situation dans laquelle se trouve placé à chaque moment le compositeur soviétique, tour à tour adulé, critiqué, dénoncé, flatté, foudroyé.

Quiconque, même dénué de toute connaissance musicale, porte intérêt à l’histoire dramatique et souvent meurtrière des artistes et des arts soviétiques sous Staline se doit de lire le livre de Solomon Volkov, par ailleurs fort bien traduit. S’il ne manifeste aucune complaisance à l’égard de Staline, Volkov se garde d’adopter l’attitude simpliste et simplificatrice à la mode qui réduit le régime à une aveugle répression permanente et sanglante. A propos du dictateur lui-même il note par ailleurs fort justement : « même Staline n’était pas stalinien de naissance. En d’autres termes, en ce qui concerne les normes culturelles, il n’a pas toujours été l’instigateur inflexible du système rigide et dogmatique qui est resté associé à son nom. Staline a changé avec l’âge et l’expérience. Son regard sur la culture a changé aussi. On l’oublie parfois ». Les besoins du système qu’il incarnait ont aussi souvent varié et les réponses qu’il y apporte ne sont pas univoques même si elles sont guidées par la volonté de subordonner toute l’activité artistique aux décisions du Parti (en fait les siennes). Notons en passant que, pour une fois, Volkov se trompe en faisant remonter cette volonté, comme l’affirmaient les thuriféraires staliniens à un article de Lénine sur la littérature de parti en 1905. Ce dernier n’évoquait que les devoirs des « littérateurs » (en, fait surtout des journalistes) membres du Parti social -démocrate, donc de militants, et c’est tout. Il n’évoque nullement les écrivains et les artistes en général.

Solomon Volkov insiste enfin sur une filiation de Staline inattendue mais convaincante.  Pour son attitude à l’égard de la culture il en fait un héritier du tsar Nicolas Ier, l’homme qui tenta d’instaurer un ordre pesant en Russie dans le second quart du XIXème siècle et décida d’être le censeur personnel de Pouchkine. Selon lui d’ailleurs la première définition du « réalisme soviétique » dans l’art a été donné par le chef des gendarmes de Nicolas Ier, Benkendorf. Evoquant le goût de Nicolas Ier pour les uniformes militaires rutilantes Volkov souligne : « En cela comme en beaucoup d’autres choses, Staline était son continuateur direct ». De même il assimile l’attitude de Chostakovitch face à Staline à celle de Pouchkine face au monarque

Le destin de Chostakovitch illustre la dure régularité des apparents caprices du  Chef suprême. Il a été violemment et brutalement dénoncé publiquement (dans la Pravda) par deux fois : une fois en janvier 1936 après la représentation de son unique opéra Lady Macbeth du village de Mzensk. L’opéra après une carrière triomphale de près de deux ans fut condamné par un article de la Pravda dont Solomon Volkov démontre de façon convaincante que la trame et certaines phrases ne peuvent être que de Staline lui-même.

Puis Chostakovitch connut le succès, fut récompensé par plusieurs prix Staline pendant la guerre. Il connut alors le faîte de la gloire. Sa Septième symphonie fut jouée spécialement dans Leningrad assiégée, soumise au blocus de la Wehrmacht et à la famine « Il fallait empêcher l’artillerie ennemie de titrer sur le bâtiment de la Philharmonie. Sur l’ordre du commandant du front de Leningrad, raconte Solomon Volkov, on planifia une opération militaire de grande envergure : le jour du concert l’artillerie soviétique ouvrit préventivement un feu nourri sur les Allemands, déversant sur leurs positions trois mille obus de fort calibre ». Puis la symphonie fut exécutée triomphalement à Washington (dirigée par Toscanini) et dans de nombreuses capitales occidentales.

Mais sous Staline l’artiste vit toujours dans l’incertitude du lendemain. S’il est un régime où la Roche Tarpéienne flanque le Capitole, c’est bien le régime stalinien, pour les artistes comme pour les politiques. Tel est adulé aujourd’hui qui peut se demain se retrouver à la Loubianka, dénoncé comme trotskyste, envoyé au Goulag ou abattu d’une balle dans la nuque. Solomon Volkov s’attache à expliquer ces variations trop souvent prises pour de simples caprices paranoïaques et dont il tente de mettre à jour, avec beaucoup de perspicacité, les intentions et les motifs réels, donc la rationalité cachée.

Chostakovitch a bien en 1939 figuré un moment dans « l’organisation trotskiste des conjurés et saboteurs » dans le milieu artistique aux côtés d’Ilya Ehrenbourg, Boris Pasternak, Iouri Olecha et Serge Eisenstein, mais si les deux prétendus chefs de cette organisation imaginaire, Isaac Babel et Meyerhold furent fusillés, incinérés nuitamment et leurs cendres jetées avec celles du nabot sanglant, Nicolas Iejov, dans une fosse commune, les autres ne furent jamais emprisonnés. C’est bien le signe que Staline ne croyait guère aux complots fantastiques qu’il faisait monter par sa police politique. Mais il avait ainsi un dossier sur chacun Le cœur des prétendus comploteurs fut en revanche soumis à un rude traitement par Staline, qui leur infligeait à tous l’épreuve permanente de ses jeux apparemment capricieux. Ainsi Serge Eisenstein après la colère provoquée chez Staline par la deuxième partie de son Ivan le Terrible, eut un infarctus puis mourut d’une crise cardiaque l’année suivante à 50 ans…

Chostakovitch, malgré son aspect frêle, résista mieux. Pourtant la foudre tomba à nouveau sur lui (et sur quelques autres musiciens) en 1948. Solomon Volkov lie l’offensive alors déclenchée par le Guide suprême de l’Humanité progressiste (selon les termes de l’Humanité d’alors) à son mécontentement devant la Neuvième symphonie de Chostakovitch : il attendait, pour fêter la victoire, une œuvre épique, grandiose… Staline vit dans sa brièveté et son caractère moqueur « un pied de nez musical ». Sans doute, mais il aurait de toute façon frappé, même si Chostakovitch avait composé la symphonie qu’il attendait. Il frappa   en effet les unes après les autres toutes les catégories d’une intelligentsia dont Volkov dit à juste titre qu’elle « était alors marquée par une « résistance généralisée ». Et pas seulement elle. Il suffit en effet de penser au nombre de groupes clandestins antistaliniens qui pullulèrent alors en URSS. La seule catégorie qui échappa à sa peur et à sa colère fut la communauté des physiciens. Beria le prévint en effet que s’il les décimait l’URSS n’aurait pas sa bombe atomique. L’année 1948 est d’ailleurs celle où Staline signe (après l’avoir sans aucun doute lui-même rédigé) le décret créant les « camps spéciaux » à régime… spécialement sévère, destinés entre autres à accueillir « les menchéviks, socialistes-révolutionnaires, trotskystes », tous pourtant alors liquidés et autres « traîtres ». Staline fixe alors à ces camps spéciaux l’objectif d’accueillir 200.000 pensionnaires !

Comment Chostakovitch a-t-il réagi à la contrainte stalinienne. Volkov cite l’un des musiciens soviétiques alors dénoncés comme antipopulaires : Katchatourian. « Katchatourian m’a dit plus d’une fois qu’il enviait beaucoup cette capacité extraordinaire qu’avait Chostakovitch de répondre à la pression en composant une nouvelle œuvre inspirée. »  On pourrait y voir une nouvelle variante du mythe bourgeois du poète maudit trouvant dans sa malédiction la source de son génie. Ce serait très superficiel.

En tout cas Chostakovitch répondit à la tentative stalinienne de le terroriser en composant « l’une des plus mordantes satires de l’histoire de la musique mondiale : Le Petit paradis antiformaliste » dont les personnages sont affublés de noms il est vrai transparents ; les camarades Edinitsyne (l’Unique, Staline), Dvoïnik (Le Doublet, Jdanov) et Troïnik (Chepilov, étoile montante du Secrétariat du Comité central et qui avait participé  aux côtés de Jdanov à la séance ratée de lavage de cerveau des musiciens).

Chostakovitch prit sa revanche en 1967 : dans le huitième mouvement de sa quatorzième symphonie il illustre le poème écrit par Apollinaire à partir d’un tableau du peintre russe Repine : Réponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de Constantinople. Il s’y moque de Staline à travers le Sultan dont Apollinaire écrit « Ta mère fit un pet foireux et Tu naquis de sa colique ». Pendant la répétition générale à Moscou un bureaucrate du monde musical « un des persécuteurs les plus acharnés de Chostakovitch à l’époque stalinienne » mourut d’une crise cardiaque, due sans doute à l’indignation.

C’est un bon épilogue aux rapports entre Staline et Chostakovitch, plus généralement entre Staline et le monde des artistes. Là comme ailleurs, les victimes de Staline finirent par lui infliger une déroute : les ouvriers allemands de la Stalin-allee à Berlin-Est en faisant grève à Berlin-Est le 16 juin 1953, les détenus du Goulag à Vorkouta puis à Kinguir en faisant grève et en abattant le système, ou Chostakovitch par ses pieds-de nez géniaux raillant à la face de la bureaucratie son maître qu’elle croyait tout puissant et par l’ensemble de son œuvre.

ARAGON STALINE et TROTSKY

« « Le culte de la personnalité en théorie est, dans le fond, la tentative de résoudre les problèmes théoriques à coups de décrets, par des méthodes bureaucratiques. C’est un abus de pouvoir dans le domaine de la théorie ». Cette remarque d’Ilitchev établit ici une analogie, que devait peu après formuler en France Maurice Thorez, la ressemblance entre le culte de la personnalité de Staline et le trotskisme, qui réglait également les questions par voie bureaucratique, par voie d’autorité »

(Aragon, Histoire de l’URSS tome 2 p. 202)

Un stalinisme mou…

Jean-Jacques Marie

La propagande stalinienne a d’abord, sous sa forme la plus grossière et la plus grotesque, été orchestrée par l’appareil et les apparatchiks du Parti communiste soviétique et des divers partis communistes du monde. C’est ainsi qu’un certain Jean Kanapa, membre du Bureau politique du PCF, peut célébrer en Staline « le plus grand humaniste de tous les temps » (1) .
Ces dithyrambes faisaient écho à ceux, encore plus grotesques, dont la presse soviétique regorgeait. Ainsi la presse soviétique pouvait en 1937 imprimer des vers dithyrambiques bons pour un pharaon : l’un chantait sa domination divine sur la nature elle-même :
Les étoiles de l’aube obéissent à ta volonté.
Un autre le comparait à un dieu tout-puissant :
O toi Staline grand chef des peuples
Toi qui fis naître l’homme,

Ces bouffonneries flattaient sans doute la vanité de Staline mais n’avaient aucun impact politique réel ni à l’intérieur de l’URSS ni à l’extérieur.

Plus pernicieux pour l’extérieur étaient sans aucun doute l’écho apporté pendant des décennies à la propagande stalinienne par des chercheurs, historiens, universitaires, indépendants.

En voici un exemple parmi d’autres.
A la fin des années 50 la Librairie Armand Colin instaure une collection U, dite série « Histoire contemporaine » dirigée par l’historien René Rémond et qui vise un large public « elle s’adresse d’abord aux étudiants entrant dans l’enseignement supérieur (…) aux responsables d’organismes professionnels et politiques, aux militants ouvriers et ruraux, aux animateurs d’associations culturelles ou de mouvements de jeunesse, aux cadres de l’industrie » (p. 2). En 1964, Armand Colin y publie un ouvrage de l’universitaire Pierre Sorlin assistant à la Faculté de Lettres et Sciences humaines de Paris (Nanterre) intitulé « La société soviétique 1917-1964 » dans la collection U.

Certes la vision que Sorlin donne de la société soviétique diffère sur plusieurs points de la peinture rose diffusée par la propagande stalinienne. Il écrit ainsi en conclusion : « Trois fléaux se sont abattus sur l’Union soviétique depuis 1917. D’abord les Allemands quels que soient les crimes nazis, aucun n’atteint l’ampleur de celui qu’ils ont perpétré, non pas à l’encontre des seuls communistes – ennemis idéologiques – mais à l’encontre de tout le peuple russe (…) Les éléments naturels, sécheresse, inondation, disette ont tenu la seconde place. Enfin certaines réformes, celle en particulier de l’exploitation agraire ont complété le massacre » (p. 248-249).
Mais, à lire ces lignes, on se demande où est passé et d’où vient le stalinisme, qui ne saurait se réduire à la collectivisation forcée évoquée dans le troisième point ? Sorlin écrit sous le titre « Les conséquences indirectes de la guerre : le stalinisme » : « De 1945 à 1953, l’Union soviétique vit sous le système stalinien .
C’est la dictature intégrale, la peur, l’espionnage, le régime policier dans toute son horreur 
» (p. 200). Puis il ajoute que les nombreuses explications possibles «  laissent de côté un aspect immense du problème : pendant huit ans les Soviétiques ont tremblé sans arrêt et pourtant Staline est très populaire. A la crainte s’est toujours mêlée une admiration consciente » (p. 200). Comme Hannah Arendt, il prend donc les manifestations officielles, les applaudissements et les sourires obligatoires pour l’expression d’un sentiment réel. Puis il écrit en gras : « Les Soviétiques se sentent rassurés par la vigueur du pouvoir » ( p 205). Etre rassuré en tremblant semble pourtant difficile… Puis « le stalinisme dans son aspect brutal, dans ses conséquences tragiques, est une séquelle de la guerre » (p. 206). Dans l’évocation des années 30, Sorlin écrit d’ailleurs : « Les Soviétiques s’intéressent à l’essor de leur pays et sauf pendant quelques périodes de découragement se sont donné une véritable mystique du bond en avant. Le tableau est au total sympathique, la physionomie de la société soviétique paraît harmonieuse. » (p 137)
C’est donc l’agression nazie qui aurait provoqué la naissance du stalinisme. Il n’existerait donc pas avant 1945 !! Mais alors quel régime politique a connu l’URSS du début des années 30 à 1945, à l’époque du massacre de centaines de milliers d’ouvriers, paysans (qualifiés bien sûr de « koulaks »), de membres de minorités nationales installées en URSS (baltes, finnois, polonais… etc), des procès de Moscou, des massacres d’opposants, dont les trotskystes, dans les camps, à l’époque aussi d’une brutale législation ouvrière qui aboutit en 1940 à l’instauration de la semaine de sept journées de huit heures de travail (soit la semaine de 56 heures !). Au comité central de juillet 1940, Khrouchtchev bafouille : « La discipline du travail ne se trouve pas encore à la hauteur à laquelle elle devrait être. » Staline explose : « De quoi parlez-vous quand les gens refusent de travailler, ne se rendent pas au travail ? Ils disent « Je ne touche pas grand-chose par jour de travail, je ne veux pas aller travailler » […] Il faut les envoyer dans des camps de concentration. Le travail est une obligation dans le socialisme. Nous punissons les ouvriers qui arrivent en retard au travail et le kolkhozien ne va pas du tout travailler et il ne lui arrive rien ». (2)
Loin de cette réalité, évoquant les années 1939-1940, et la première moitié de 1941, Sorlin affirme : « la police ne fait plus sentir sa présence, les critiques sont autorisées » (p. 178). Un système policier où la police devient invisible… Etonnant ! A propos de l’agression allemande du 22 juin 1941, Sorlin écrit : « On a beaucoup reproché aux autorités soviétiques de n’avoir pas prévu le danger, de s’être laissé surprendre. Même dans un état totalitaire, le gouvernement est sensible aux fluctuations de l’opinion. La société soviétique, en 1941, ne veut pas la guerre et n’y croit pas. Quelques observateurs, placés près de la nouvelle frontière, peuvent signaler les préparatifs allemands, s’inquiéter de voir des avions à croix gammée s’égarer de plus en plus souvent au-dessus du territoire soviétique ; le public ne tient aucun compte de ces avertissements » (p. 178-179) … (dont il n’est, à la différence de Staline, pas informé !!). Sur la liquidation de l’état-major de l’armée rouge dénoncé comme lié aux Allemands lors d’un procès à huis-clos des principaux chefs de l’Armée rouge (Toukhatchevski, Iakir, Primakov, Poutna… etc) en juin 1937 et l’épuration massive du corps des officiers et des officiers supérieurs de bas en haut qui a suivi, Sorlin ose écrire : « seuls les cadres supérieur ont été touchés et on les a vite remplacés » (p. 179). Or la campagne de dénonciation systématique organisée par le NKVD a chassé de l’armée près de 40.000 officiers et officiers supérieurs, dont plusieurs milliers fusillés et 11.000 envoyés au Goulag, d’où Staline ne les sortira qu’au lendemain de l’attaque allemande du 22 juin 1941.
Quant à l’alliance Staline-Hitler selon Sorlin, « les accords germano-soviétiques d’août 1939 sont présentés comme un moyen de « supprimer le danger de guerre » et l’opinion les interprète ainsi » ( p 177). Où et comment s’exprime cette « opinion » publique à une époque où nombre de soviétiques craignent d’être dénoncés par un de leurs voisins pour une parole imprudente ? ? Dans la Pravda, les Izvestia ? Il faut ajouter que, dans la Pravda et dans les Izvestia les citoyens soviétiques, dont on ne peut savoir ce qu’ils en pensent, peuvent souvent lire des déclarations de Molotov ou des communiqués de l’agence Tass qui affirment inlassablement, 22 mois durant, que les relations amicales entre l’URSS et l’Allemagne « reposent sur les intérêts étatiques fondamentaux des deux pays », ce que Sorlin avait oublié de signaler, alors que la formule traîne dans les communiqués publiés par la Pravda et les Izvestia.

  1. La Nouvelle critique,mars 1953 , p 1.
  2. 2. Rgaspi, fonds 17,inventaire 2 ,dossier 670, feuillet 157.

Une fâcheuse complaisance envers l’autre révisionnisme : peut-on fournir un voile de respectabilité aux avocats des massacres staliniens?

Comment ne pas être d’accord avec Frank Labrasca ? Les négationnistes qui transforment les crimes du stalinisme ( l’ordre d’exécution de 700.000 individus à choisir par les instances locales du NKVD, donné en juillet 1937 ; la qualification – suivie très souvent de leur assassinat – des adversaires de Staline en agents des nazis alors que le 21 aout 1939 c’est Staline, qui en réponse à une sollicitation d’Hitler pressé de dépecer la Pologne, lui propose sa « collaboration » –  le mot est de lui – dans sa réponse et qui effectivement collabore à la liquidation de la Pologne en tant qu’ Etat et à son partage amical, l’homme qui a instauré la peine de mort pour les enfants de plus de douze ans et qui, de 1936 à 1945, a organisé la déportation d’une quinzaine de peuples entiers, etc. etc. etc.), ont besoin de se camoufler derrière la publication d’ouvrages visant à donner une allure convenable à leur maison d’édition, qui chante sur tous les tons la gloire du massacreur et diffament sans pudeur ses adversaires et ses victimes. Participer à une telle opération n’est vraiment pas glorieux.

Jean-Jacques Marie

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Le mercredi 26 janvier 2022 à 08 : 35 : 00 UTC+1, Société d’études médio- et néo-latines <semen-l@outlook.com> a écrit :

Chers membres de la Semen-L,  

Je vous prie de bien vouloir trouver ci-dessous et en attachement une annonce transmise par Luigi-Alberto Sanchi.  

Bien cordialement  

Lucie Claire. Secrétaire de la Semen-L  

***   

Chers membres de la Semen-L,   

Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint le troisième fichier – mis gracieusement à disposition pour diffusion par l’Editeur, Delga – de l’ouvrage en préparation de Luciano Canfora, Politique et littérature dans la Rome ancienne. Vous trouverez également ce fichier et les deux précédents sur le site de l’ALLE et sur ma page Academia.   

Bien cordialement,   

Luigi-Alberto Sanchi. Directeur de recherche.

Cnrs – Institut d’histoire du droit Jean Gaudemet (UMR 7184) 

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De : Frank Labrasca  
Envoyé : mercredi 26 janvier 2022 10 : 46
À : Société d’études médio- et néo-latines <semen-l@outlook.

Chers membres de la Semen-L,

Je me permets d’attirer votre attention sur le fait que les Éditions Delga (liées au groupuscule stalinophile et social-chauvin qui s’auto-proclame pompeusement et mensongèrement « Pôle de la Renaissance Communiste en France-PRCF ») sont par ailleurs spécialisées dans la diffusion d’ouvrages nauséabonds visant à réhabiliter le stalinisme et ses falsifications criminelles. Leur dernier « exploit » est d’avoir mis sur le marché une production ordurière traduite de l’italien tentant d’accréditer (en 2021 !!!!!! et après tout ce que l’on sait des horreurs du stalinisme qui, notamment collabora pendant 22 mois d’août 1939 à juin 1941 avec le régime hitlérien et participa avec lui au dépeçage de la Pologne et à la répression des militants communistes authentiques polonais et allemands réfugiés en URSS), l’infâme calomnie d’une imaginaire collusion entre l’opposition de gauche dirigée par Léon Trotsky et le nazisme (« théorie » de l’hitléro-trotskysme qui conduisit, entre autres, à l’assassinat de Trotsky au Mexique en août 1940 et à celui de nombreux militants trotskystes, notamment dans les maquis français. Cf. l’ouvrage de Pierre Broué Meurtres au maquis).

Je trouve absolument déplorable que notre société fasse de la publicité à ces falsificateurs imbéciles et odieux et j’attends des explications sur ce manquement pour moi inexplicable au caractère scientifique d’une association comme la nôtre.

Dans cette attente, j’ai le regret de suspendre mon affiliation à la Semen-L.

Frank La Brasca Professeur retraité du CESR de l’Université de Tours

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Le vendredi 25 février 2022 à 08:01:00 UTC+1, Société d’études médio- et néo-latines <semen-l@outlook.com> a écrit :

Cher collègue,  

Pardonnez-moi le retard avec lequel je réponds à votre message du 26 janvier dernier. J’ai tenu à en donner connaissance au bureau de notre Société, pour qu’il puisse y être apporté une réponse collective.  

Nous sommes navrés que l’annonce de la publication prochaine d’un volume de Luciano Canfora aux éditions Delga ait pu heurter votre sensibilité. Mais, s’agissant d’un ouvrage scientifique intéressant directement nos disciplines, écrit par un spécialiste incontesté et traduit par un membre de la SEMEN-L, il nous est apparu qu’il était impossible de ne pas livrer cette information à nos membres. Le Société ne souhaite par ailleurs pas avoir à vérifier la ligne éditoriale des maisons d’éditions dont elle signale les publications : ce serait un travail trop fastidieux, qui donnerait surtout lieu à des débats sans fin et à des décisions forcément marquées du sceau de la subjectivité. Le seul critère qui nous semble mériter d’être retenu est donc l’adéquation aux exigences d’une démarche scientifique rigoureuse et aux ancrages disciplinaires de la SEMEN-L.  

J’espère sincèrement que cette réponse, à défaut de vous satisfaire pleinement, vous permettra de comprendre dans quel but et de quelle manière nous œuvrons.  

En attendant, conformément à votre requête, j’ai pris bonne note de la suspension de votre adhésion à notre Société et demandé à notre secrétariat d’ôter votre adresse de notre liste de diffusion. Vous y serez réintégré sur simple demande de votre part.  

Croyez, cher collègue, à l’assurance de mes sentiments dévoués,  

François Ploton-Nicollet
Professeur à l’Ecole nationale des chartes
Président de la Société d’études médio- et néo-latines (SEMEN-L)  

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envoyé : 1 mars 2022 à 21:48
de : Frank Labrasca  
objet : Réponse à M. le Président de la SEMEN-L

Monsieur le Président et cher collègue,

J’ai bien reçu votre réponse et vous en remercie.

Je comprends tout à fait le retard relatif que vous voulez bien regretter car je considère qu’il est tout fait normal que vous ayez tenu à prendre l’avis des collègues du bureau de la Semen-L, avant de trancher et de me répondre.

En revanche, comme vous pouvez l’imaginer, je ne peux en accepter la teneur.

En effet, en tant que militant de base du mouvement ouvrier depuis plus d’un demi-siècle et ayant connu personnellement, en raison de mon grand âge, des témoins encore en vie à l’époque des calomnies, des violences physiques, voire des assassinats dont se sont rendus coupables les dirigeants des organisations se réclamant de la contre-révolution stalinienne (et pas seulement en URSS ou dans les pays de l’ex-Pacte de Varsovie, mais en Espagne, en Italie et même dans les maquis de la résistance contre le nazisme en France !!!!), je ne peux considérer comme anodin qu’une maison d’édition se fasse en 2022 (!!!!!!!! et après tout ce que les historiens sérieux nous apprennent des forfaitures et des crimes ignominieux du stalinisme!!!!!) le vecteur complaisant des calomnies et injures véhiculées par de pseudo-historiens spécialisés dans le blanchiment de ces ignominies, et ait en outre l’impudeur, pour donner le change, de publier quelques ouvrages savants et érudits pour s’acquérir une virginité à laquelle elle ne peut absolument pas prétendre puisqu’elle n’est que le porte-voix d’un groupuscule de nostalgiques du stalinisme qui s’intitule pompeusement Pôle de la Renaissance Communiste en France (PRCF).

C’est pourquoi je prends la liberté de vous interroger sur un point :

Dans l’hypothèse où une maison d’édition ouvertement révisionniste au sens actuel de ce terme (cf. Faurisson, Bourbon, Soral, Dieudonné, Ploncard d’Assac, Ryssen etc.), c’est-à-dire du calibre de ces tristes énergumènes qui osent affirmer qu’à Auschwitz « on n’a gazé que des poux » ou que les Juifs participent à un complot universel qui montrent bien la véracité du sinistre Protocole des sages de Sion, publiait par ailleurs une étude de quelque spécialiste sur la république romaine et que la Semen-L se risquait d’aventure à faire une quelconque publicité à un tel ouvrage et donc à cette maison d’édition, pensez-vous sérieusement que ne s’élèverait pas (et à fort juste raison) un tollé général parmi les collègues sociétaires ?

Pour moi, il n’y a pas de différence de nature entre ce type abominable de révisionnisme et celui des imbéciles et des salauds qui crachent aujourd’hui avec une aussi scandaleuse légèreté et des airs patelins de défenseurs de l’histoire et de la culture sur les millions de victimes du stalinisme, cette véritable tragédie historique dont la dramatique actualité toute récente montre encore les effets cataclysmiques à retardement.

Je suis désolé de constater que vous ne partagez pas mon avis sur ce point qui est pour moi de toute première importance et confirme donc ma désaffiliation de la Semen-L.

Veuillez accepter, M. le Président et cher collègue, l’expression de mes sentiments distingués

F. La Brasca

Un historien ou un bouffon ?

Il n’est jamais trop tard pour mal lire… En 2003 paraissait en Grande-Bretagne une biographie de Staline intitulé Staline, la cour du tsar rouge par un certain Simon Sebag Montefiore. L’année suivante ce livre reçut le prix du livre d’histoire de l’année 2004 par le British Book Awards.

L’année suivante il parut en français publié par les éditions des Syrtes qui apprennent au lecteur sur la 4ème de couverture que le livre a déjà été publié dans vingt pays et citent certaines appréciations portées sur ce chef d’œuvre. L’ancien dirigeant américain Henry Kissinger – il est vrai prix Nobel de la paix ! – proclame : « Je pensais ne plus rien apprendre sur Staline. J’avais tort ». Kissinger ne devait pas savoir grand-chose… Le Times le concurrence en écrivant : « Ce  livre fait la lumière sur les complexités du stalinisme ». Quant au Guardian il voit dans ce chef-d’œuvre « Un des rares livres récents sur le stalinisme qui sera lu dans les années à venir ».

Que l’on en juge ! Simon Sebag Montefiore voit en Staline « une personnalité exceptionnelle à tous égards (…) un politicien hyper-intelligent et talentueux (…) un intellectuel aux nerfs à vif », dont « toute l’affectivité était absorbée par le rôle dramatique qu’il jouait au service de la révolution » et dont, « parfois l’amour du peuple confinait à l’absurde ». Dans le chapitre trois intitulé « le charmeur »,il nous assure que « le pouvoir de Staline au sein du Parti ne reposait pas sur la peur mais sur le charme», un charme profondément ressenti par le chef  théorique de l’Etat, Mihaïl Kalinine, dont il envoya la femme au goulag, par son fidèle collaborateur, Lazare Kaganovitch dont il fit fusiller le frère, par son  plus fidèle encore collaborateur, Viatcheslav Molotov, dont il fit condamner la femme, Paulina Jemtchoujina plusieurs fois par le Bureau politique avant de la faire exclure du Parti communiste et exiler en Ouzbekistan en 1949 et tant d’autres dont les épouses ont subi les effets de son charme, à commencer par celle de son secrétaire personnel, Alexandre Poskrebychev.

Montefiore livre ensuite à son lecteur des détails d’une portée historique incontestable. Il prétend ainsi que l’un des plus proches adjoints de Staline, Lazare Kaganovitch, « apprenti cordonnier (…) regardait d’abord les chaussures de son interlocuteur. De plus « constamment armé d’un marteau, il frappait souvent ses subordonnés ou bien les soulevait par les revers de leur veston » ! On comprend que Staline ait promu un tel penseur au bureau politique.

Staline voulait, nous assure Sir Montefiore, « l’amélioration de l’humanité grâce au marxisme-léninisme » ? [1] Les sanglantes purges de masse des années 1936-38 ? Elles visaient à « accélérer l’abolition des barrières de classe et l’avènement du paradis sur terre » ! C’est la fin que Montefiore, entre autres attribue à la décision du Politburo (en fait de Staline lui-même) du 2 juillet 1937 organisant un massacre dans l’ensemble du pays, qui aboutira à l’exécution d’un peu plus de 700.000 victimes considérées comme ennemis du peuple (en particulier des paysans hier opposés à la collectivisation surtout à coups de mitrailleuse et envoyés en exil) sans que les agents du NKVD, chargés de réaliser des quotas d’exécution, puissent leur reprocher des actes précis. Son analyse – si l’on peut utiliser un terme semblable – mérite d’être citée en entier :

 « Le but était d’en finir avec tous les ennemis et ceux qu’il était impossible de convertir au socialisme, de façon à accélérer l’abolition des barrières de classe et l’avènement du paradis sur terre pour les masses. Cette solution finale était un massacre pleinement justifié du point de vue de la foi et des idéaux du bolchevisme, une religion fondée sur la destruction systématique des classes. Le principe consistant à fixer les exécutions comme les quotas industriels du plan quinquennal était donc naturel. » Apparemment Montefiore ne sait pas que dans le b-a-ba du marxisme, et donc du bolchevisme, la suppression des classes passe par la liquidation de l’exploitation de l’homme par l’homme qui permet d’extraire la plus-value du travail de l’ouvrier et non par les pelotons d’exécution. On comprend l’enthousiasme de Kissinger pour ce chef-d’œuvre.

Montefiore apitoie enfin son lecteur par une complainte sur l’extrême modestie de l’existence menée par les bureaucrates au moins à la fin des années 20 et au début des années 30 : «  A l’exception des snobs de Molotov, les potentats vivaient encore simplement dans leur palais du Kremlin, inspirés par leur mission révolutionnaire, avec sa dose obligatoire de modestie bolchevique » (…) En fait les épouses des membres du Politburo avaient à peine les moyens d’habiller leurs enfants et les récentes archives indiquent que Staline lui-même était parfois à court d’argent. » Le pauvre homme ! Comment ne pas céder à l’enthousiasme de son « historien » britannique célébré par des médias si complaisants.

                            Jean-Jacques Marie


[1] P 27,55,61,77,196 ,246

Présentation et 1er exemple

Les CMO ouvrent une série sur les méfaits du stalinisme relayés par des « intellectuels  de gauche » ou « progressistes » jusques et y compris, on le verra, dans des ouvrages et des collections destinés aux étudiants et étudiantes. Ci-après nous reproduisons un article paru dans le Monde des 18-19 janvier 1953 consacré au prétendu « complot des médecins », rédigé par André Pierre, qui était alors le spécialiste de l’URSS dans ce quotidien. Nous rappelons d’abord ci-après les grandes lignes de cette fabrication policière que sa mort empêcha Staline, par ailleurs confronté à quelques difficultés de mise en oeuvre, de mener à bien, malgré l’enthousiasme manifesté par les staliniens français pour cette nième provocation.


Le « complot des médecins »

Article du Monde 18-19 janvier 1953

Le 13 janvier 1953, coup de tonnerre dans un ciel peu serein à Moscou : en haut et à droite de la première page de la Pravda un gros titre dénonce « De misérables espions et assassins sous le masque de professeurs de médecine. » L’article a été revu et corrigé mot à mot par Staline. En page quatre, un communiqué de presse annonce l’« arrestation d’un groupe de médecins saboteurs […] qui cherchaient, en leur administrant des traitements nocifs, à abréger la vie des hauts responsables de l’Union soviétique ». Selon le communiqué, qui n’évoque jamais le nom de Staline, ils ont assassiné deux dirigeants du parti communiste Alexandre Chtcherbakov (en 1945) et Jdanov (en 1946) et préparé le meurtre de cinq chefs militaires soviétiques.
Le communiqué cite neuf médecins dont six sont juifs accusés d’agir au compte de « l’organisation nationaliste juive bourgeoise, le Joint » et des services secrets britanniques et américains . Le communiqué affirme : « L’enquête devrait se conclure prochainement. » Le procès public est donc imminent et doit viser, outre des médecins dits terroristes, des dirigeants accusés de manque de vigilance et donc de complicité avec eux. Un article du même numéro dénonce en effet à la fois l’incurie des ministères de la Sécurité d’État et de la Santé publique. Jusqu’au 5 mars la Sécurité jette au total en prison 37 médecins, dont près d’une moitié de juifs.
Staline prépare donc une nouvelle purge sanglante comme diversion à la crise menaçante. Comme les médecins de Molière, la saignée est son seul remède. Parmi les bruits fantastiques qui courent alors et que l’on prend souvent pour l’écho de faits avérés, la rumeur court que tous les juifs vont être déportés en Sibérie.
La presse des partis communistes du monde entier se déchaîne. France Nouvelle du 24 janvier salue dans « la mise hors d’état de nuire des ignobles médecins espions et assassins, un coup foudroyant aux projets perfides des impérialistes américains fauteurs de guerre. » Il dénonce « la bande de monstres à face humaine, répugnants de lâcheté et hideux d’ignominie […] leurs crimes de cannibales […] et leurs procédés diaboliques, dignes des sorcières du Moyen âge. »
Staline confie alors au premier secrétaire du PC de Moscou, Nicolaï Mikhaïlov, antisémite convaincu, un projet de lettre ouverte à faire signer et publier dans la Pravda. Du 20 au 23 janvier, deux apparatchiks juifs dociles reçoivent des intellectuels juifs au siège de la Pravda ; ils les invitent à signer cette lettre qui propose le transfert, après le procès des médecins assassins, d’une partie de la population juive soviétique vers l’Est pour la protéger de la fureur du peuple indigné.
Certains signent, la honte au ventre, d’autres refusent. Staline reçoit le texte de la lettre le 29 janvier et la fait classer aux archives, d’où elle a disparu… Il demande à Dmitri Chepilov, rédacteur en chef de la Pravda, de rédiger un autre projet.
Le 19 février la Sécurité arrête le vice-ministre des Affaires étrangères, Ivan Maïski, juif, ancien ambassadeur d’URSS à Londres à l’époque où Molotov dirigeait les Affaires étrangères. Le vieux diplomate, pour éviter les coups, avoue avoir été recruté dans les services secrets britanniques par Churchill lui-même. Mais ses aveux extorqués visent Molotov et non les médecins. Le 23 février, tous les agents juifs de la Sécurité d’État, sont invités à rendre immédiatement leurs dossiers, leurs laissez-passer, leur uniforme. Mais la campagne antisémite patine ; seuls trois dirigeants s’y impliquent publiquement ; les autres font le dos rond. Selon Kaganovitch, « la campagne déclinait. Elle déclinait d’elle-même ». Staline, las, hypertendu, privé de médecins pour le soigner, se perd sans doute dans l’enchevêtrement de ses plans trop complexes.
On a longtemps cru, et je l’ai cru moi-même sur la foi de rescapés de l’époque (comme Jacob Etinguer le fils que j’ai rencontré à Moscou en 1989 et 1990, et dont le père, le premier médecin arrêté de la future affaire, était mort en cellule en février 1951 sous les coups), que Staline préparait alors la déportation massive des juifs en Sibérie. Le bruit en courait alors à Moscou et figure encore dans des ouvrages à sensation. Mais la rumeur, surtout dans une société totalitaire, compense le secret dans lequel sont prises les décisions plus qu’elles ne les reflètent. Nul ne sait ce que Staline se préparait alors à faire, même lui sans doute, dépassé par une machination trop incertaine.
Enfin le complot des Blouses blanches est imbriqué dans d’ autres machinations que Staline tente de monter en même temps (les nationalistes mingréliens, l’épuration de la Sécurité d’État) et dont l’ampleur le dépasse.
Staline avait déjà dû laisser en friche  des projets trop ambitieux : ainsi en 1938, avait-il abandonné les deux gigantesques procès destinés à démasquer le noyautage du Comintern et de la diplomatie soviétique par un centre trotskyste mondial clandestin. Mais en 1938 l’idée était restée secrète. Son abandon aussi. En 1953, la mort lui évite un abandon public humiliant et l’échec du « complot des blouses blanches » reflète la crise insoluble de son régime. Le 1er mars, une congestion cérébrale le frappe. Il meurt le 5.
Dans la revue des « intellectuels » du PCF la Nouvelle critique de mars 1953 Jean Kanapa, membre du Bureau politique du PCF, ose écrire : « Nous perdons l’homme pour qui l’homme était le capital le plus précieux, vertu incomparable qui fondait toutes les autres, le plus grand humaniste de tous les temps. » Si l’humanisme repose sur le nombre de fusillés et abattus victimes innocentes d’un système policier totalitaire l’impudique Kanapa a raison.

Staline et le stalinisme

A propos de NOVOTCHERKASSK, A propos de Novotcherkassk

La lutte contre le trotskysme dans le PC de Yougoslavie, Document rédigé en collaboration avec Pavlusko Imsirovic

Le vrai destin de Kurt Landau. Les révélations d’un agent stalinien., Paolo Casciola

· La bureaucratisation à pas de géant : en 1927, un membre sur deux du parti communiste soviétique est un permanent !, Jean-Jacques Marie

· L’URSS et la « propriété sociale », Jean-Jacques Marie

· Pourquoi ils n’ont pas défendu la propriété d’Etat, Jean-Jacques Marie

· Albert Einstein et les procès de Moscou

· Un document injustement méconnu surtout par les guépéoutistes d’opérette d’aujourd’hui qui déploient tant d’infructueux efforts pour accréditer les calomnies criminelles de leur mentor Joseph Staline sur le prétendu « hitléro-trotskysme », Frank Labrasca, Jean-Jacques Marie

· L’âge d’or stalinien : … 1949 une année de déportations massives, revue Europe, mars 1949

· Quand le parti socialiste (SFIO) apportait son soutien aux procès de Moscou, article du Populaire de mars 1938

· La collaboration Staline-Hitler Jean-Jacques Marie

· Quand Joseph Staline démolit Grover Furr. Jean-Jacques Marie

Leon Narwicz et Julian Grimau, de Agustín Guillamón

. Des gamins contre Staline de Jean-Jacques MARIE . Article de Guillaume Malaurie dans HISTORIA, (mensuel 906) en juin 2022,  » les jeux interdits des enfants soviétiques« .

Les voix des bourreaux. Des officiers du NKVD discutent des préparatifs des massacres…  par Dmitri Volchek

Dans l’URSS de Staline… LES MUTINS DU GOULAG ET DU QUOTIDIEN. par Jean-Jacques Marie

De nombreux articles sur ce thème sont parus dans les 83 premiers numéros des Cahiers (numérisés sur le site à la page LES CAHIERS). En voici la liste :

https://cahiersdumouvementouvrier.org/themes/urss/

 

https://cahiersdumouvementouvrier.org/themes/stalinisme-hors-urss/