Chostakovitch et Staline, de SOLOMON VOLKOV

Traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton.

Collection Anatolia, Editions du Rocher, 358 pages, 22 euros 90

UN DUEL INEGAL…

Par Jean-Jacques Marie

Le titre de cet ouvrage ne couvre en réalité qu’une partie de ce que l’auteur traite. Si les relations entre Chostakovitch et Staline en constituent le centre, Solomon Volkov les insère dans une étude des relations politiques de Staline avec les artistes et l’intelligentsia qui leur donne leur plein sens. Il s’attarde en particulier sur les relations fluctuantes que Staline entretint avec Maïakovski, Boulgakov, Prokofiev, Eisenstein, et quelques autres encore. Il étudie l’œuvre de Chostakovitch dans ce cadre en examinant le rapport entre la création artistique et la situation dans laquelle se trouve placé à chaque moment le compositeur soviétique, tour à tour adulé, critiqué, dénoncé, flatté, foudroyé.

Quiconque, même dénué de toute connaissance musicale, porte intérêt à l’histoire dramatique et souvent meurtrière des artistes et des arts soviétiques sous Staline se doit de lire le livre de Solomon Volkov, par ailleurs fort bien traduit. S’il ne manifeste aucune complaisance à l’égard de Staline, Volkov se garde d’adopter l’attitude simpliste et simplificatrice à la mode qui réduit le régime à une aveugle répression permanente et sanglante. A propos du dictateur lui-même il note par ailleurs fort justement : « même Staline n’était pas stalinien de naissance. En d’autres termes, en ce qui concerne les normes culturelles, il n’a pas toujours été l’instigateur inflexible du système rigide et dogmatique qui est resté associé à son nom. Staline a changé avec l’âge et l’expérience. Son regard sur la culture a changé aussi. On l’oublie parfois ». Les besoins du système qu’il incarnait ont aussi souvent varié et les réponses qu’il y apporte ne sont pas univoques même si elles sont guidées par la volonté de subordonner toute l’activité artistique aux décisions du Parti (en fait les siennes). Notons en passant que, pour une fois, Volkov se trompe en faisant remonter cette volonté, comme l’affirmaient les thuriféraires staliniens à un article de Lénine sur la littérature de parti en 1905. Ce dernier n’évoquait que les devoirs des « littérateurs » (en, fait surtout des journalistes) membres du Parti social -démocrate, donc de militants, et c’est tout. Il n’évoque nullement les écrivains et les artistes en général.

Solomon Volkov insiste enfin sur une filiation de Staline inattendue mais convaincante.  Pour son attitude à l’égard de la culture il en fait un héritier du tsar Nicolas Ier, l’homme qui tenta d’instaurer un ordre pesant en Russie dans le second quart du XIXème siècle et décida d’être le censeur personnel de Pouchkine. Selon lui d’ailleurs la première définition du « réalisme soviétique » dans l’art a été donné par le chef des gendarmes de Nicolas Ier, Benkendorf. Evoquant le goût de Nicolas Ier pour les uniformes militaires rutilantes Volkov souligne : « En cela comme en beaucoup d’autres choses, Staline était son continuateur direct ». De même il assimile l’attitude de Chostakovitch face à Staline à celle de Pouchkine face au monarque

Le destin de Chostakovitch illustre la dure régularité des apparents caprices du  Chef suprême. Il a été violemment et brutalement dénoncé publiquement (dans la Pravda) par deux fois : une fois en janvier 1936 après la représentation de son unique opéra Lady Macbeth du village de Mzensk. L’opéra après une carrière triomphale de près de deux ans fut condamné par un article de la Pravda dont Solomon Volkov démontre de façon convaincante que la trame et certaines phrases ne peuvent être que de Staline lui-même.

Puis Chostakovitch connut le succès, fut récompensé par plusieurs prix Staline pendant la guerre. Il connut alors le faîte de la gloire. Sa Septième symphonie fut jouée spécialement dans Leningrad assiégée, soumise au blocus de la Wehrmacht et à la famine « Il fallait empêcher l’artillerie ennemie de titrer sur le bâtiment de la Philharmonie. Sur l’ordre du commandant du front de Leningrad, raconte Solomon Volkov, on planifia une opération militaire de grande envergure : le jour du concert l’artillerie soviétique ouvrit préventivement un feu nourri sur les Allemands, déversant sur leurs positions trois mille obus de fort calibre ». Puis la symphonie fut exécutée triomphalement à Washington (dirigée par Toscanini) et dans de nombreuses capitales occidentales.

Mais sous Staline l’artiste vit toujours dans l’incertitude du lendemain. S’il est un régime où la Roche Tarpéienne flanque le Capitole, c’est bien le régime stalinien, pour les artistes comme pour les politiques. Tel est adulé aujourd’hui qui peut se demain se retrouver à la Loubianka, dénoncé comme trotskyste, envoyé au Goulag ou abattu d’une balle dans la nuque. Solomon Volkov s’attache à expliquer ces variations trop souvent prises pour de simples caprices paranoïaques et dont il tente de mettre à jour, avec beaucoup de perspicacité, les intentions et les motifs réels, donc la rationalité cachée.

Chostakovitch a bien en 1939 figuré un moment dans « l’organisation trotskiste des conjurés et saboteurs » dans le milieu artistique aux côtés d’Ilya Ehrenbourg, Boris Pasternak, Iouri Olecha et Serge Eisenstein, mais si les deux prétendus chefs de cette organisation imaginaire, Isaac Babel et Meyerhold furent fusillés, incinérés nuitamment et leurs cendres jetées avec celles du nabot sanglant, Nicolas Iejov, dans une fosse commune, les autres ne furent jamais emprisonnés. C’est bien le signe que Staline ne croyait guère aux complots fantastiques qu’il faisait monter par sa police politique. Mais il avait ainsi un dossier sur chacun Le cœur des prétendus comploteurs fut en revanche soumis à un rude traitement par Staline, qui leur infligeait à tous l’épreuve permanente de ses jeux apparemment capricieux. Ainsi Serge Eisenstein après la colère provoquée chez Staline par la deuxième partie de son Ivan le Terrible, eut un infarctus puis mourut d’une crise cardiaque l’année suivante à 50 ans…

Chostakovitch, malgré son aspect frêle, résista mieux. Pourtant la foudre tomba à nouveau sur lui (et sur quelques autres musiciens) en 1948. Solomon Volkov lie l’offensive alors déclenchée par le Guide suprême de l’Humanité progressiste (selon les termes de l’Humanité d’alors) à son mécontentement devant la Neuvième symphonie de Chostakovitch : il attendait, pour fêter la victoire, une œuvre épique, grandiose… Staline vit dans sa brièveté et son caractère moqueur « un pied de nez musical ». Sans doute, mais il aurait de toute façon frappé, même si Chostakovitch avait composé la symphonie qu’il attendait. Il frappa   en effet les unes après les autres toutes les catégories d’une intelligentsia dont Volkov dit à juste titre qu’elle « était alors marquée par une « résistance généralisée ». Et pas seulement elle. Il suffit en effet de penser au nombre de groupes clandestins antistaliniens qui pullulèrent alors en URSS. La seule catégorie qui échappa à sa peur et à sa colère fut la communauté des physiciens. Beria le prévint en effet que s’il les décimait l’URSS n’aurait pas sa bombe atomique. L’année 1948 est d’ailleurs celle où Staline signe (après l’avoir sans aucun doute lui-même rédigé) le décret créant les « camps spéciaux » à régime… spécialement sévère, destinés entre autres à accueillir « les menchéviks, socialistes-révolutionnaires, trotskystes », tous pourtant alors liquidés et autres « traîtres ». Staline fixe alors à ces camps spéciaux l’objectif d’accueillir 200.000 pensionnaires !

Comment Chostakovitch a-t-il réagi à la contrainte stalinienne. Volkov cite l’un des musiciens soviétiques alors dénoncés comme antipopulaires : Katchatourian. « Katchatourian m’a dit plus d’une fois qu’il enviait beaucoup cette capacité extraordinaire qu’avait Chostakovitch de répondre à la pression en composant une nouvelle œuvre inspirée. »  On pourrait y voir une nouvelle variante du mythe bourgeois du poète maudit trouvant dans sa malédiction la source de son génie. Ce serait très superficiel.

En tout cas Chostakovitch répondit à la tentative stalinienne de le terroriser en composant « l’une des plus mordantes satires de l’histoire de la musique mondiale : Le Petit paradis antiformaliste » dont les personnages sont affublés de noms il est vrai transparents ; les camarades Edinitsyne (l’Unique, Staline), Dvoïnik (Le Doublet, Jdanov) et Troïnik (Chepilov, étoile montante du Secrétariat du Comité central et qui avait participé  aux côtés de Jdanov à la séance ratée de lavage de cerveau des musiciens).

Chostakovitch prit sa revanche en 1967 : dans le huitième mouvement de sa quatorzième symphonie il illustre le poème écrit par Apollinaire à partir d’un tableau du peintre russe Repine : Réponse des Cosaques Zaporogues au Sultan de Constantinople. Il s’y moque de Staline à travers le Sultan dont Apollinaire écrit « Ta mère fit un pet foireux et Tu naquis de sa colique ». Pendant la répétition générale à Moscou un bureaucrate du monde musical « un des persécuteurs les plus acharnés de Chostakovitch à l’époque stalinienne » mourut d’une crise cardiaque, due sans doute à l’indignation.

C’est un bon épilogue aux rapports entre Staline et Chostakovitch, plus généralement entre Staline et le monde des artistes. Là comme ailleurs, les victimes de Staline finirent par lui infliger une déroute : les ouvriers allemands de la Stalin-allee à Berlin-Est en faisant grève à Berlin-Est le 16 juin 1953, les détenus du Goulag à Vorkouta puis à Kinguir en faisant grève et en abattant le système, ou Chostakovitch par ses pieds-de nez géniaux raillant à la face de la bureaucratie son maître qu’elle croyait tout puissant et par l’ensemble de son œuvre.

ARAGON STALINE et TROTSKY

« « Le culte de la personnalité en théorie est, dans le fond, la tentative de résoudre les problèmes théoriques à coups de décrets, par des méthodes bureaucratiques. C’est un abus de pouvoir dans le domaine de la théorie ». Cette remarque d’Ilitchev établit ici une analogie, que devait peu après formuler en France Maurice Thorez, la ressemblance entre le culte de la personnalité de Staline et le trotskisme, qui réglait également les questions par voie bureaucratique, par voie d’autorité »

(Aragon, Histoire de l’URSS tome 2 p. 202)

Un stalinisme mou…

Jean-Jacques Marie

La propagande stalinienne a d’abord, sous sa forme la plus grossière et la plus grotesque, été orchestrée par l’appareil et les apparatchiks du Parti communiste soviétique et des divers partis communistes du monde. C’est ainsi qu’un certain Jean Kanapa, membre du Bureau politique du PCF, peut célébrer en Staline « le plus grand humaniste de tous les temps » (1) .
Ces dithyrambes faisaient écho à ceux, encore plus grotesques, dont la presse soviétique regorgeait. Ainsi la presse soviétique pouvait en 1937 imprimer des vers dithyrambiques bons pour un pharaon : l’un chantait sa domination divine sur la nature elle-même :
Les étoiles de l’aube obéissent à ta volonté.
Un autre le comparait à un dieu tout-puissant :
O toi Staline grand chef des peuples
Toi qui fis naître l’homme,

Ces bouffonneries flattaient sans doute la vanité de Staline mais n’avaient aucun impact politique réel ni à l’intérieur de l’URSS ni à l’extérieur.

Plus pernicieux pour l’extérieur étaient sans aucun doute l’écho apporté pendant des décennies à la propagande stalinienne par des chercheurs, historiens, universitaires, indépendants.

En voici un exemple parmi d’autres.
A la fin des années 50 la Librairie Armand Colin instaure une collection U, dite série « Histoire contemporaine » dirigée par l’historien René Rémond et qui vise un large public « elle s’adresse d’abord aux étudiants entrant dans l’enseignement supérieur (…) aux responsables d’organismes professionnels et politiques, aux militants ouvriers et ruraux, aux animateurs d’associations culturelles ou de mouvements de jeunesse, aux cadres de l’industrie » (p. 2). En 1964, Armand Colin y publie un ouvrage de l’universitaire Pierre Sorlin assistant à la Faculté de Lettres et Sciences humaines de Paris (Nanterre) intitulé « La société soviétique 1917-1964 » dans la collection U.

Certes la vision que Sorlin donne de la société soviétique diffère sur plusieurs points de la peinture rose diffusée par la propagande stalinienne. Il écrit ainsi en conclusion : « Trois fléaux se sont abattus sur l’Union soviétique depuis 1917. D’abord les Allemands quels que soient les crimes nazis, aucun n’atteint l’ampleur de celui qu’ils ont perpétré, non pas à l’encontre des seuls communistes – ennemis idéologiques – mais à l’encontre de tout le peuple russe (…) Les éléments naturels, sécheresse, inondation, disette ont tenu la seconde place. Enfin certaines réformes, celle en particulier de l’exploitation agraire ont complété le massacre » (p. 248-249).
Mais, à lire ces lignes, on se demande où est passé et d’où vient le stalinisme, qui ne saurait se réduire à la collectivisation forcée évoquée dans le troisième point ? Sorlin écrit sous le titre « Les conséquences indirectes de la guerre : le stalinisme » : « De 1945 à 1953, l’Union soviétique vit sous le système stalinien .
C’est la dictature intégrale, la peur, l’espionnage, le régime policier dans toute son horreur 
» (p. 200). Puis il ajoute que les nombreuses explications possibles «  laissent de côté un aspect immense du problème : pendant huit ans les Soviétiques ont tremblé sans arrêt et pourtant Staline est très populaire. A la crainte s’est toujours mêlée une admiration consciente » (p. 200). Comme Hannah Arendt, il prend donc les manifestations officielles, les applaudissements et les sourires obligatoires pour l’expression d’un sentiment réel. Puis il écrit en gras : « Les Soviétiques se sentent rassurés par la vigueur du pouvoir » ( p 205). Etre rassuré en tremblant semble pourtant difficile… Puis « le stalinisme dans son aspect brutal, dans ses conséquences tragiques, est une séquelle de la guerre » (p. 206). Dans l’évocation des années 30, Sorlin écrit d’ailleurs : « Les Soviétiques s’intéressent à l’essor de leur pays et sauf pendant quelques périodes de découragement se sont donné une véritable mystique du bond en avant. Le tableau est au total sympathique, la physionomie de la société soviétique paraît harmonieuse. » (p 137)
C’est donc l’agression nazie qui aurait provoqué la naissance du stalinisme. Il n’existerait donc pas avant 1945 !! Mais alors quel régime politique a connu l’URSS du début des années 30 à 1945, à l’époque du massacre de centaines de milliers d’ouvriers, paysans (qualifiés bien sûr de « koulaks »), de membres de minorités nationales installées en URSS (baltes, finnois, polonais… etc), des procès de Moscou, des massacres d’opposants, dont les trotskystes, dans les camps, à l’époque aussi d’une brutale législation ouvrière qui aboutit en 1940 à l’instauration de la semaine de sept journées de huit heures de travail (soit la semaine de 56 heures !). Au comité central de juillet 1940, Khrouchtchev bafouille : « La discipline du travail ne se trouve pas encore à la hauteur à laquelle elle devrait être. » Staline explose : « De quoi parlez-vous quand les gens refusent de travailler, ne se rendent pas au travail ? Ils disent « Je ne touche pas grand-chose par jour de travail, je ne veux pas aller travailler » […] Il faut les envoyer dans des camps de concentration. Le travail est une obligation dans le socialisme. Nous punissons les ouvriers qui arrivent en retard au travail et le kolkhozien ne va pas du tout travailler et il ne lui arrive rien ». (2)
Loin de cette réalité, évoquant les années 1939-1940, et la première moitié de 1941, Sorlin affirme : « la police ne fait plus sentir sa présence, les critiques sont autorisées » (p. 178). Un système policier où la police devient invisible… Etonnant ! A propos de l’agression allemande du 22 juin 1941, Sorlin écrit : « On a beaucoup reproché aux autorités soviétiques de n’avoir pas prévu le danger, de s’être laissé surprendre. Même dans un état totalitaire, le gouvernement est sensible aux fluctuations de l’opinion. La société soviétique, en 1941, ne veut pas la guerre et n’y croit pas. Quelques observateurs, placés près de la nouvelle frontière, peuvent signaler les préparatifs allemands, s’inquiéter de voir des avions à croix gammée s’égarer de plus en plus souvent au-dessus du territoire soviétique ; le public ne tient aucun compte de ces avertissements » (p. 178-179) … (dont il n’est, à la différence de Staline, pas informé !!). Sur la liquidation de l’état-major de l’armée rouge dénoncé comme lié aux Allemands lors d’un procès à huis-clos des principaux chefs de l’Armée rouge (Toukhatchevski, Iakir, Primakov, Poutna… etc) en juin 1937 et l’épuration massive du corps des officiers et des officiers supérieurs de bas en haut qui a suivi, Sorlin ose écrire : « seuls les cadres supérieur ont été touchés et on les a vite remplacés » (p. 179). Or la campagne de dénonciation systématique organisée par le NKVD a chassé de l’armée près de 40.000 officiers et officiers supérieurs, dont plusieurs milliers fusillés et 11.000 envoyés au Goulag, d’où Staline ne les sortira qu’au lendemain de l’attaque allemande du 22 juin 1941.
Quant à l’alliance Staline-Hitler selon Sorlin, « les accords germano-soviétiques d’août 1939 sont présentés comme un moyen de « supprimer le danger de guerre » et l’opinion les interprète ainsi » ( p 177). Où et comment s’exprime cette « opinion » publique à une époque où nombre de soviétiques craignent d’être dénoncés par un de leurs voisins pour une parole imprudente ? ? Dans la Pravda, les Izvestia ? Il faut ajouter que, dans la Pravda et dans les Izvestia les citoyens soviétiques, dont on ne peut savoir ce qu’ils en pensent, peuvent souvent lire des déclarations de Molotov ou des communiqués de l’agence Tass qui affirment inlassablement, 22 mois durant, que les relations amicales entre l’URSS et l’Allemagne « reposent sur les intérêts étatiques fondamentaux des deux pays », ce que Sorlin avait oublié de signaler, alors que la formule traîne dans les communiqués publiés par la Pravda et les Izvestia.

  1. La Nouvelle critique,mars 1953 , p 1.
  2. 2. Rgaspi, fonds 17,inventaire 2 ,dossier 670, feuillet 157.

Une fâcheuse complaisance envers l’autre révisionnisme : peut-on fournir un voile de respectabilité aux avocats des massacres staliniens?

Comment ne pas être d’accord avec Frank Labrasca ? Les négationnistes qui transforment les crimes du stalinisme ( l’ordre d’exécution de 700.000 individus à choisir par les instances locales du NKVD, donné en juillet 1937 ; la qualification – suivie très souvent de leur assassinat – des adversaires de Staline en agents des nazis alors que le 21 aout 1939 c’est Staline, qui en réponse à une sollicitation d’Hitler pressé de dépecer la Pologne, lui propose sa « collaboration » –  le mot est de lui – dans sa réponse et qui effectivement collabore à la liquidation de la Pologne en tant qu’ Etat et à son partage amical, l’homme qui a instauré la peine de mort pour les enfants de plus de douze ans et qui, de 1936 à 1945, a organisé la déportation d’une quinzaine de peuples entiers, etc. etc. etc.), ont besoin de se camoufler derrière la publication d’ouvrages visant à donner une allure convenable à leur maison d’édition, qui chante sur tous les tons la gloire du massacreur et diffament sans pudeur ses adversaires et ses victimes. Participer à une telle opération n’est vraiment pas glorieux.

Jean-Jacques Marie

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Le mercredi 26 janvier 2022 à 08 : 35 : 00 UTC+1, Société d’études médio- et néo-latines <semen-l@outlook.com> a écrit :

Chers membres de la Semen-L,  

Je vous prie de bien vouloir trouver ci-dessous et en attachement une annonce transmise par Luigi-Alberto Sanchi.  

Bien cordialement  

Lucie Claire. Secrétaire de la Semen-L  

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Chers membres de la Semen-L,   

Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint le troisième fichier – mis gracieusement à disposition pour diffusion par l’Editeur, Delga – de l’ouvrage en préparation de Luciano Canfora, Politique et littérature dans la Rome ancienne. Vous trouverez également ce fichier et les deux précédents sur le site de l’ALLE et sur ma page Academia.   

Bien cordialement,   

Luigi-Alberto Sanchi. Directeur de recherche.

Cnrs – Institut d’histoire du droit Jean Gaudemet (UMR 7184) 

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De : Frank Labrasca  
Envoyé : mercredi 26 janvier 2022 10 : 46
À : Société d’études médio- et néo-latines <semen-l@outlook.

Chers membres de la Semen-L,

Je me permets d’attirer votre attention sur le fait que les Éditions Delga (liées au groupuscule stalinophile et social-chauvin qui s’auto-proclame pompeusement et mensongèrement « Pôle de la Renaissance Communiste en France-PRCF ») sont par ailleurs spécialisées dans la diffusion d’ouvrages nauséabonds visant à réhabiliter le stalinisme et ses falsifications criminelles. Leur dernier « exploit » est d’avoir mis sur le marché une production ordurière traduite de l’italien tentant d’accréditer (en 2021 !!!!!! et après tout ce que l’on sait des horreurs du stalinisme qui, notamment collabora pendant 22 mois d’août 1939 à juin 1941 avec le régime hitlérien et participa avec lui au dépeçage de la Pologne et à la répression des militants communistes authentiques polonais et allemands réfugiés en URSS), l’infâme calomnie d’une imaginaire collusion entre l’opposition de gauche dirigée par Léon Trotsky et le nazisme (« théorie » de l’hitléro-trotskysme qui conduisit, entre autres, à l’assassinat de Trotsky au Mexique en août 1940 et à celui de nombreux militants trotskystes, notamment dans les maquis français. Cf. l’ouvrage de Pierre Broué Meurtres au maquis).

Je trouve absolument déplorable que notre société fasse de la publicité à ces falsificateurs imbéciles et odieux et j’attends des explications sur ce manquement pour moi inexplicable au caractère scientifique d’une association comme la nôtre.

Dans cette attente, j’ai le regret de suspendre mon affiliation à la Semen-L.

Frank La Brasca Professeur retraité du CESR de l’Université de Tours

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Le vendredi 25 février 2022 à 08:01:00 UTC+1, Société d’études médio- et néo-latines <semen-l@outlook.com> a écrit :

Cher collègue,  

Pardonnez-moi le retard avec lequel je réponds à votre message du 26 janvier dernier. J’ai tenu à en donner connaissance au bureau de notre Société, pour qu’il puisse y être apporté une réponse collective.  

Nous sommes navrés que l’annonce de la publication prochaine d’un volume de Luciano Canfora aux éditions Delga ait pu heurter votre sensibilité. Mais, s’agissant d’un ouvrage scientifique intéressant directement nos disciplines, écrit par un spécialiste incontesté et traduit par un membre de la SEMEN-L, il nous est apparu qu’il était impossible de ne pas livrer cette information à nos membres. Le Société ne souhaite par ailleurs pas avoir à vérifier la ligne éditoriale des maisons d’éditions dont elle signale les publications : ce serait un travail trop fastidieux, qui donnerait surtout lieu à des débats sans fin et à des décisions forcément marquées du sceau de la subjectivité. Le seul critère qui nous semble mériter d’être retenu est donc l’adéquation aux exigences d’une démarche scientifique rigoureuse et aux ancrages disciplinaires de la SEMEN-L.  

J’espère sincèrement que cette réponse, à défaut de vous satisfaire pleinement, vous permettra de comprendre dans quel but et de quelle manière nous œuvrons.  

En attendant, conformément à votre requête, j’ai pris bonne note de la suspension de votre adhésion à notre Société et demandé à notre secrétariat d’ôter votre adresse de notre liste de diffusion. Vous y serez réintégré sur simple demande de votre part.  

Croyez, cher collègue, à l’assurance de mes sentiments dévoués,  

François Ploton-Nicollet
Professeur à l’Ecole nationale des chartes
Président de la Société d’études médio- et néo-latines (SEMEN-L)  

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envoyé : 1 mars 2022 à 21:48
de : Frank Labrasca  
objet : Réponse à M. le Président de la SEMEN-L

Monsieur le Président et cher collègue,

J’ai bien reçu votre réponse et vous en remercie.

Je comprends tout à fait le retard relatif que vous voulez bien regretter car je considère qu’il est tout fait normal que vous ayez tenu à prendre l’avis des collègues du bureau de la Semen-L, avant de trancher et de me répondre.

En revanche, comme vous pouvez l’imaginer, je ne peux en accepter la teneur.

En effet, en tant que militant de base du mouvement ouvrier depuis plus d’un demi-siècle et ayant connu personnellement, en raison de mon grand âge, des témoins encore en vie à l’époque des calomnies, des violences physiques, voire des assassinats dont se sont rendus coupables les dirigeants des organisations se réclamant de la contre-révolution stalinienne (et pas seulement en URSS ou dans les pays de l’ex-Pacte de Varsovie, mais en Espagne, en Italie et même dans les maquis de la résistance contre le nazisme en France !!!!), je ne peux considérer comme anodin qu’une maison d’édition se fasse en 2022 (!!!!!!!! et après tout ce que les historiens sérieux nous apprennent des forfaitures et des crimes ignominieux du stalinisme!!!!!) le vecteur complaisant des calomnies et injures véhiculées par de pseudo-historiens spécialisés dans le blanchiment de ces ignominies, et ait en outre l’impudeur, pour donner le change, de publier quelques ouvrages savants et érudits pour s’acquérir une virginité à laquelle elle ne peut absolument pas prétendre puisqu’elle n’est que le porte-voix d’un groupuscule de nostalgiques du stalinisme qui s’intitule pompeusement Pôle de la Renaissance Communiste en France (PRCF).

C’est pourquoi je prends la liberté de vous interroger sur un point :

Dans l’hypothèse où une maison d’édition ouvertement révisionniste au sens actuel de ce terme (cf. Faurisson, Bourbon, Soral, Dieudonné, Ploncard d’Assac, Ryssen etc.), c’est-à-dire du calibre de ces tristes énergumènes qui osent affirmer qu’à Auschwitz « on n’a gazé que des poux » ou que les Juifs participent à un complot universel qui montrent bien la véracité du sinistre Protocole des sages de Sion, publiait par ailleurs une étude de quelque spécialiste sur la république romaine et que la Semen-L se risquait d’aventure à faire une quelconque publicité à un tel ouvrage et donc à cette maison d’édition, pensez-vous sérieusement que ne s’élèverait pas (et à fort juste raison) un tollé général parmi les collègues sociétaires ?

Pour moi, il n’y a pas de différence de nature entre ce type abominable de révisionnisme et celui des imbéciles et des salauds qui crachent aujourd’hui avec une aussi scandaleuse légèreté et des airs patelins de défenseurs de l’histoire et de la culture sur les millions de victimes du stalinisme, cette véritable tragédie historique dont la dramatique actualité toute récente montre encore les effets cataclysmiques à retardement.

Je suis désolé de constater que vous ne partagez pas mon avis sur ce point qui est pour moi de toute première importance et confirme donc ma désaffiliation de la Semen-L.

Veuillez accepter, M. le Président et cher collègue, l’expression de mes sentiments distingués

F. La Brasca

Un historien ou un bouffon ?

Il n’est jamais trop tard pour mal lire… En 2003 paraissait en Grande-Bretagne une biographie de Staline intitulé Staline, la cour du tsar rouge par un certain Simon Sebag Montefiore. L’année suivante ce livre reçut le prix du livre d’histoire de l’année 2004 par le British Book Awards.

L’année suivante il parut en français publié par les éditions des Syrtes qui apprennent au lecteur sur la 4ème de couverture que le livre a déjà été publié dans vingt pays et citent certaines appréciations portées sur ce chef d’œuvre. L’ancien dirigeant américain Henry Kissinger – il est vrai prix Nobel de la paix ! – proclame : « Je pensais ne plus rien apprendre sur Staline. J’avais tort ». Kissinger ne devait pas savoir grand-chose… Le Times le concurrence en écrivant : « Ce  livre fait la lumière sur les complexités du stalinisme ». Quant au Guardian il voit dans ce chef-d’œuvre « Un des rares livres récents sur le stalinisme qui sera lu dans les années à venir ».

Que l’on en juge ! Simon Sebag Montefiore voit en Staline « une personnalité exceptionnelle à tous égards (…) un politicien hyper-intelligent et talentueux (…) un intellectuel aux nerfs à vif », dont « toute l’affectivité était absorbée par le rôle dramatique qu’il jouait au service de la révolution » et dont, « parfois l’amour du peuple confinait à l’absurde ». Dans le chapitre trois intitulé « le charmeur »,il nous assure que « le pouvoir de Staline au sein du Parti ne reposait pas sur la peur mais sur le charme», un charme profondément ressenti par le chef  théorique de l’Etat, Mihaïl Kalinine, dont il envoya la femme au goulag, par son fidèle collaborateur, Lazare Kaganovitch dont il fit fusiller le frère, par son  plus fidèle encore collaborateur, Viatcheslav Molotov, dont il fit condamner la femme, Paulina Jemtchoujina plusieurs fois par le Bureau politique avant de la faire exclure du Parti communiste et exiler en Ouzbekistan en 1949 et tant d’autres dont les épouses ont subi les effets de son charme, à commencer par celle de son secrétaire personnel, Alexandre Poskrebychev.

Montefiore livre ensuite à son lecteur des détails d’une portée historique incontestable. Il prétend ainsi que l’un des plus proches adjoints de Staline, Lazare Kaganovitch, « apprenti cordonnier (…) regardait d’abord les chaussures de son interlocuteur. De plus « constamment armé d’un marteau, il frappait souvent ses subordonnés ou bien les soulevait par les revers de leur veston » ! On comprend que Staline ait promu un tel penseur au bureau politique.

Staline voulait, nous assure Sir Montefiore, « l’amélioration de l’humanité grâce au marxisme-léninisme » ? [1] Les sanglantes purges de masse des années 1936-38 ? Elles visaient à « accélérer l’abolition des barrières de classe et l’avènement du paradis sur terre » ! C’est la fin que Montefiore, entre autres attribue à la décision du Politburo (en fait de Staline lui-même) du 2 juillet 1937 organisant un massacre dans l’ensemble du pays, qui aboutira à l’exécution d’un peu plus de 700.000 victimes considérées comme ennemis du peuple (en particulier des paysans hier opposés à la collectivisation surtout à coups de mitrailleuse et envoyés en exil) sans que les agents du NKVD, chargés de réaliser des quotas d’exécution, puissent leur reprocher des actes précis. Son analyse – si l’on peut utiliser un terme semblable – mérite d’être citée en entier :

 « Le but était d’en finir avec tous les ennemis et ceux qu’il était impossible de convertir au socialisme, de façon à accélérer l’abolition des barrières de classe et l’avènement du paradis sur terre pour les masses. Cette solution finale était un massacre pleinement justifié du point de vue de la foi et des idéaux du bolchevisme, une religion fondée sur la destruction systématique des classes. Le principe consistant à fixer les exécutions comme les quotas industriels du plan quinquennal était donc naturel. » Apparemment Montefiore ne sait pas que dans le b-a-ba du marxisme, et donc du bolchevisme, la suppression des classes passe par la liquidation de l’exploitation de l’homme par l’homme qui permet d’extraire la plus-value du travail de l’ouvrier et non par les pelotons d’exécution. On comprend l’enthousiasme de Kissinger pour ce chef-d’œuvre.

Montefiore apitoie enfin son lecteur par une complainte sur l’extrême modestie de l’existence menée par les bureaucrates au moins à la fin des années 20 et au début des années 30 : «  A l’exception des snobs de Molotov, les potentats vivaient encore simplement dans leur palais du Kremlin, inspirés par leur mission révolutionnaire, avec sa dose obligatoire de modestie bolchevique » (…) En fait les épouses des membres du Politburo avaient à peine les moyens d’habiller leurs enfants et les récentes archives indiquent que Staline lui-même était parfois à court d’argent. » Le pauvre homme ! Comment ne pas céder à l’enthousiasme de son « historien » britannique célébré par des médias si complaisants.

                            Jean-Jacques Marie


[1] P 27,55,61,77,196 ,246

Présentation et 1er exemple

Les CMO ouvrent une série sur les méfaits du stalinisme relayés par des « intellectuels  de gauche » ou « progressistes » jusques et y compris, on le verra, dans des ouvrages et des collections destinés aux étudiants et étudiantes. Ci-après nous reproduisons un article paru dans le Monde des 18-19 janvier 1953 consacré au prétendu « complot des médecins », rédigé par André Pierre, qui était alors le spécialiste de l’URSS dans ce quotidien. Nous rappelons d’abord ci-après les grandes lignes de cette fabrication policière que sa mort empêcha Staline, par ailleurs confronté à quelques difficultés de mise en oeuvre, de mener à bien, malgré l’enthousiasme manifesté par les staliniens français pour cette nième provocation.


Le « complot des médecins »

Article du Monde 18-19 janvier 1953

Le 13 janvier 1953, coup de tonnerre dans un ciel peu serein à Moscou : en haut et à droite de la première page de la Pravda un gros titre dénonce « De misérables espions et assassins sous le masque de professeurs de médecine. » L’article a été revu et corrigé mot à mot par Staline. En page quatre, un communiqué de presse annonce l’« arrestation d’un groupe de médecins saboteurs […] qui cherchaient, en leur administrant des traitements nocifs, à abréger la vie des hauts responsables de l’Union soviétique ». Selon le communiqué, qui n’évoque jamais le nom de Staline, ils ont assassiné deux dirigeants du parti communiste Alexandre Chtcherbakov (en 1945) et Jdanov (en 1946) et préparé le meurtre de cinq chefs militaires soviétiques.
Le communiqué cite neuf médecins dont six sont juifs accusés d’agir au compte de « l’organisation nationaliste juive bourgeoise, le Joint » et des services secrets britanniques et américains . Le communiqué affirme : « L’enquête devrait se conclure prochainement. » Le procès public est donc imminent et doit viser, outre des médecins dits terroristes, des dirigeants accusés de manque de vigilance et donc de complicité avec eux. Un article du même numéro dénonce en effet à la fois l’incurie des ministères de la Sécurité d’État et de la Santé publique. Jusqu’au 5 mars la Sécurité jette au total en prison 37 médecins, dont près d’une moitié de juifs.
Staline prépare donc une nouvelle purge sanglante comme diversion à la crise menaçante. Comme les médecins de Molière, la saignée est son seul remède. Parmi les bruits fantastiques qui courent alors et que l’on prend souvent pour l’écho de faits avérés, la rumeur court que tous les juifs vont être déportés en Sibérie.
La presse des partis communistes du monde entier se déchaîne. France Nouvelle du 24 janvier salue dans « la mise hors d’état de nuire des ignobles médecins espions et assassins, un coup foudroyant aux projets perfides des impérialistes américains fauteurs de guerre. » Il dénonce « la bande de monstres à face humaine, répugnants de lâcheté et hideux d’ignominie […] leurs crimes de cannibales […] et leurs procédés diaboliques, dignes des sorcières du Moyen âge. »
Staline confie alors au premier secrétaire du PC de Moscou, Nicolaï Mikhaïlov, antisémite convaincu, un projet de lettre ouverte à faire signer et publier dans la Pravda. Du 20 au 23 janvier, deux apparatchiks juifs dociles reçoivent des intellectuels juifs au siège de la Pravda ; ils les invitent à signer cette lettre qui propose le transfert, après le procès des médecins assassins, d’une partie de la population juive soviétique vers l’Est pour la protéger de la fureur du peuple indigné.
Certains signent, la honte au ventre, d’autres refusent. Staline reçoit le texte de la lettre le 29 janvier et la fait classer aux archives, d’où elle a disparu… Il demande à Dmitri Chepilov, rédacteur en chef de la Pravda, de rédiger un autre projet.
Le 19 février la Sécurité arrête le vice-ministre des Affaires étrangères, Ivan Maïski, juif, ancien ambassadeur d’URSS à Londres à l’époque où Molotov dirigeait les Affaires étrangères. Le vieux diplomate, pour éviter les coups, avoue avoir été recruté dans les services secrets britanniques par Churchill lui-même. Mais ses aveux extorqués visent Molotov et non les médecins. Le 23 février, tous les agents juifs de la Sécurité d’État, sont invités à rendre immédiatement leurs dossiers, leurs laissez-passer, leur uniforme. Mais la campagne antisémite patine ; seuls trois dirigeants s’y impliquent publiquement ; les autres font le dos rond. Selon Kaganovitch, « la campagne déclinait. Elle déclinait d’elle-même ». Staline, las, hypertendu, privé de médecins pour le soigner, se perd sans doute dans l’enchevêtrement de ses plans trop complexes.
On a longtemps cru, et je l’ai cru moi-même sur la foi de rescapés de l’époque (comme Jacob Etinguer le fils que j’ai rencontré à Moscou en 1989 et 1990, et dont le père, le premier médecin arrêté de la future affaire, était mort en cellule en février 1951 sous les coups), que Staline préparait alors la déportation massive des juifs en Sibérie. Le bruit en courait alors à Moscou et figure encore dans des ouvrages à sensation. Mais la rumeur, surtout dans une société totalitaire, compense le secret dans lequel sont prises les décisions plus qu’elles ne les reflètent. Nul ne sait ce que Staline se préparait alors à faire, même lui sans doute, dépassé par une machination trop incertaine.
Enfin le complot des Blouses blanches est imbriqué dans d’ autres machinations que Staline tente de monter en même temps (les nationalistes mingréliens, l’épuration de la Sécurité d’État) et dont l’ampleur le dépasse.
Staline avait déjà dû laisser en friche  des projets trop ambitieux : ainsi en 1938, avait-il abandonné les deux gigantesques procès destinés à démasquer le noyautage du Comintern et de la diplomatie soviétique par un centre trotskyste mondial clandestin. Mais en 1938 l’idée était restée secrète. Son abandon aussi. En 1953, la mort lui évite un abandon public humiliant et l’échec du « complot des blouses blanches » reflète la crise insoluble de son régime. Le 1er mars, une congestion cérébrale le frappe. Il meurt le 5.
Dans la revue des « intellectuels » du PCF la Nouvelle critique de mars 1953 Jean Kanapa, membre du Bureau politique du PCF, ose écrire : « Nous perdons l’homme pour qui l’homme était le capital le plus précieux, vertu incomparable qui fondait toutes les autres, le plus grand humaniste de tous les temps. » Si l’humanisme repose sur le nombre de fusillés et abattus victimes innocentes d’un système policier totalitaire l’impudique Kanapa a raison.