En ces jours d’anniversaire de la Révolution espagnole et de commémoration du 19 juillet 1936, mais aussi de célébration du triomphe anarchiste à Barcelone, il est bon de rappeler où en étaient la CNT et la FAI (et le POUM) juste un an plus tard, après leur choix de la collaboration gouvernementale avec l’état bourgeois et l’antifascisme du front populaire, et à peine un mois après l’interdiction et la persécution du POUM par la contre-révolution stalino-républicaine, et de comparer leur politique à celle du Mouvement pour la IV° Internationale et sa section espagnole, la Section Bolchevique Léniniste d’Espagne (SBLE).
Jusqu’au moment de l’illégalisation du POUM, la SBLE avait centré toute sa tactique sur le redressement de ce parti afin de le conduire à être l’instrument capable de sauver la révolution espagnole – menacée aussi bien par le fascisme que par le front populaire – en y entrant comme fraction, mais la direction du POUM ne le permit pas. La SBLE cependant continua à orienter essentiellement son programme politique en direction des militants du POUM, mais aussi – certes dans une moindre mesure – en direction des militants anarchistes.
Cependant, la SBLE, comprit à juste titre que la question du POUM avait changé radicalement à partir de son illégalisation le 16 juin 1937, en observant qu’aussi bien son illégalisation que son absence de réponse faisait que ce parti n’était plus l’objectif de travail prioritaire pour les bolcheviks-léninistes. C’est pourquoi le délégué politique en Espagne du Secrétariat (S.I) du Mouvement pour la IV° Internationale, Erwin Wolf, décida d’analyser en profondeur la question du POUM, dans un article du début juillet qu’il termina mais qui demeura inédit « Das Ende der POUM »(« la fin du POUM »), ce qui impliquait un tournant important de la politique du S.I à propos de l’Espagne. Dans cet article Wolf considère que le POUM est mort principalement à cause de son « impuissance politique » depuis le mois de juillet 1936 jusqu’aux journées de mai 1937, qui s’était aggravée spécialement après ces journées de mai : son attitude temporisatrice et son « crétinisme juridique » en ne luttant pas contre la suspension de La Batalla fin mai, et d’avoir dénoncé en justice les « calomnies » du PSUC, au lieu de mobiliser la force du parti afin de contester les attaques, ce qui avaient aiguillonné et non pas apaisé l’offensive contre-révolutionnaire. Wolf qualifia également le parti de « centriste », et il expose également les contradictions de ses relations internationales, en particulier par la présence du SAP (signataire du Front Populaire Allemand) au bureau de Londres (auquel appartenait le POUM). Wolf en profite pour citer dans sa critique l’article de Josep Rebull (leader de la gauche du POUM) contre la politique de la direction du POUM pendant les Journées de mai, mais il regrette également le refusde la gauche du parti d’avoir des contacts avec les Bolcheviks – Léninistes. Finalement dans une conclusion qui avait autant un caractère externe qu’interne, Wolf déclarait que le « vieux POUM » était mort, que les tentatives pour le ressusciter étaient stériles, et que si quelqu’un voulait construire un véritable parti révolutionnaire il devait compter inévitablement avec les trotskistes.
« Le vieux POUM est mort. Toute tentative de lui redonner vie est vouée à l’échec. Là où se heurtent des antagonismes de classes, il n’y a pas de place pour des formations centristes hybrides. […] Heureusement il existe encore suffisamment de camarades révolutionnaires du POUM courageux qui trouveront la voie ensemble après les premières semaines de confusion (…) Certains camarades de la gauche du POUM espèrent pouvoir construire un parti réellement révolutionnaire sans se lier à la haine du trotskisme (…) Quiconque veut construire aujourd’hui un parti réellement révolutionnaire ne peut le faire qu’avec les Trotskistes et doit assumer inévitablement la haine sauvage de la réaction mondiale (note 1).»
Le tournant, important, était évident et il impliquait l’abandon de la perspective entriste, précisément par l’analyse, jusque-là, d’un de ses principaux défenseurs. La perspective d’abandonner l’entrisme surgit à nouveau dans le rapport que Wolf écrit deux jours après cet article, même si, à nouveau, il n’essaie pas de dire s’il faut continuer ou ne pas continuer cette politique (étrangement comme s’il ne voulait pas ouvrir un débat au sein du SI).
Mais Wolf répéta à nouveau que le POUM était mort et que, par conséquent, « à l’heure présente un tournant tactique s’impose. Dans le passé on s’occupa presque exclusivement du POUM. Les ouvriers révolutionnaires anarchistes furent trop négligés à l’exception des Amigos de Durruti.», et que par conséquent la, SBLE devait intensifier son travail dans les milieux anarchistes et syndicaux, étant donné l’activité moindre, illégale, du POUM et, au contraire la survie des syndicats et de leurs milliers d’adhérents, où l’on pouvait avoir une activité plus ouverte (note 2) . Bien que le tournant ait une autre motivation, il était évidemment le bienvenu pour G.Munis et Moulin, les dirigeants à Barcelone de la SBLE qui conservaient une attitude résolument anti- entriste à l’égard du POUM. Quelques jours après, à l’occasion du premier anniversaire du 19 juillet, ce nouveau tournant fut plus explicite.
La SBLE pouvait envisager certainement un travail parmi les milieux anarchistes car elle comptait sur des sympathies parmi les secteurs les plus révolutionnaires de ces milieux : à partir de la protection des jeunesses libertaires vis-à-vis des militants bolcheviks-léninistes qui distribuaient la presse et des tracts au sujet des attaques de la JCI (la jeunesse du POUM) allant jusqu’à l’impression de sa presse et de tracts – y compris après l’interdiction du POUM- en passant par les contacts avec les Amis de Durruti, la SBLE était connue et même protégée par des secteurs de militants anarchistes ; Wolf signala qu’y compris de jeunes anarchistes étaient disposés à diffuser, tâche dangereuse, les tracts de la SBLE et à les coller sur les murs (note 3).
Cependant les perspectives à moyen terme n’étaient guère optimistes, car la direction de la CNT décida d’agir très tôt contre le trotskisme et d’arrêter ainsi, le courant de sympathie et de solidarité envers celui-ci.
Défenseurs à outrance de l’unité antifasciste et de la priorité de gagner la guerre ; indifférents aux « querelles intestines entre marxistes » et dociles face à la reconstitution de l’état bourgeois ; le Comité national de la CNT et le Comité péninsulaire de la FAI allèrent jusqu’à élaborer conjointement une note qui fut publiée par la presse principale républicaine (anarchiste, stalinienne et bourgeoise) non seulement en se démarquant d’un tract bolchevik- léniniste (note 4), mais en le « contestant » ; tout laisse à penser que le secrétaire général de la CNT, Marià R. Vázquez, «très fâché» par le tract Bolchevik – Léniniste fut à l’origine de cette réponse (note 5). La note disait que « Nous ne savons pas s’il s’agit d’une manœuvre à caractère politique ou si elle répond à de sales manigances de ceux qui signent le tract » et que en tout cas, il n’existait aucun pacte entre la CNT et le POUM, aucune volonté « d’unité d’action » appelant à la grève, et que personne ne devait suivre d’autres consignes que celles émanant des « comités responsables », et la fin de la note mettait en garde à nouveau les militants contre les sales manigances, « les traîtres » et les « ennemis embusqués » et les assurant qu’on leur donnerait « ce qu’ils méritaient » :
« Comité national de la CNT
Comité péninsulaire de la FAI
Attention aux sales manigances ! Que personne ne tienne compte des mots d’ordre ni des orientations hors de ceux émanant des Comités responsables.
Ce soir est arrivé entre nos mains un tract signé par la Section Bolchevique – Léniniste d’Espagne (pour la IV° Internationale) où l’on parle de grèves, de formation de Comités révolutionnaires etc. et qui dit « VIVE L’UNITÉ D’ACTION CNT-FAI – POUM ».
Nous ne savons pas s’il s’agit d’une manœuvre à caractère politique, ou si ce sont de sales manigances venant de ceux qui signent le tract. Nous ignorons, totalement, qui peut être l’auteur de cette note. Mais qui que ce soit nous devons déclarer publiquement ce qui suit :
1° Il n’existe aucun pacte entre nous et le POUM. Elever notre voix en demandant justice, rien que justice, n’est pas égale à l’existence de pacte ni d’aucune « unité d’action ». Notre mouvement libertaire a suffisamment de personnalité pour agir avec une indépendance absolue.
2° Nous n’avons appelé à aucune grève, et
3° Personne ne doit tenir compte des mots d’ordre ni des orientations si ce n’est de ceux qui proviennent des Comités responsables.
Les moments délicats que nous vivons nous obligent à agir en toute responsabilité.
De ceux qui lancent des mots d’ordre ou qui diffusent des documents où sont citées nos organisations, il faut exiger d’eux responsabilités et leur donner ce qu’ils méritent.
Alerte, camarades contre les sales manigances ! Notre mouvement a trop d’adversaires. Il y a encore trop d’ennemis embusqués, pour nous montrer confiants.
Contre tous les SPÉCULATEURS, ou les traîtres, le mouvement libertaire doit rester sain et indemne, uni, compact et en suivant la trajectoire tracée.
Nous n’avons pas besoin de mentors, et nous ne serons pas les jouets de manœuvre. SACHEZ LE TOUS, à tout hasard, on ne sait jamais.
Le Comité National de la CNT
Le Comité péninsulaire de la FAI
Valence 6 juillet 1937 » (note 6)
Le lendemain, Josep Rabasa, au nom du CR du POUM de Valence, s’empressa de déclarer qu’ils n’avaient rien à voir ni avec la tract ni avec la SBLE (note 7), et presque deux semaines après, en suivant l’exemple du CN de la CNT et du CP de la FAI, la direction clandestine du POUM considéra également qu’il devait continuer à se démarquer du trotskisme et critiqua aussi les tracts de la SBLE dans « La Batalla » clandestine, mais dans une attitude ouvertement sectaire : comme la CNT, il présente son interdiction sans aucune argumentation mais à la différence de celle-ci, elle ne présente même pas les mots d’ordre de la SBLE, sans laisser ainsi le choix à ses militants de prendre connaissance de la justesse ou pas de l’interdiction : la note ne présenta pas un seul argument politique, seulement des discrédits qui allaient de « peu d’éléments » jusqu’à des insinuations de mensonges en passant par l’affirmation selon laquelle les trotskistes demandaient « des choses si absurdes » que c’était une « véritable aberration politique » et un « modèle de confusion », ce qui démontrait « que les pauvres trotskistes espagnols se trouvaient politiquement, dans la stratosphère (note 8) ». (Wolf, souligne très justement que le « Comité Exécutif se garde bien d’informer ses militants au sujet de ces « choses absurdes » préconisées par les « pauvres trotskistes (note 9) »).
Cette attitude ne s’est pas modifiée au cours des mois suivants, sans que la répression contre le POUM mais également contre les militants de la IV° Internationale durant l’été 1937 conduise le premier à abandonner son sectarisme afin de permettre une évidente solidarité élémentaire de base. Bien au contraire, début septembre, lorsque des militants de la SBLE avaient déjà été arrêtés ou assassinés, et que le POUM poursuivi, continuait ses attaques, en utilisant les mêmes « arguments » et en y ajoutant de nouveaux qui, de plus, étaient soit des équivocations soit des falsifications : dans un article au titre long et délirant (« le Parti communiste et ses instruments dans la police et dans la censure préalable protègent les trotskistes et empêchent le POUM de critiquer et de combattre les partisans de Trotski parce qu’ils en ont besoin pour faire endosser au POUM leurs activités» (note 10) ) conduisit à l’affirmation absurde que la censure stalinienne des textes du POUM protégeait les trotskistes. Dans cet article la direction clandestine du POUM, en plein aveuglement sectaire, prétendait démontrer une collusion d’intérêts entre staliniens et trotskistes et affirmait littéralement que « l’on poursuivait le POUM, en l’accusant de trotskisme, alors qu’on protège et dissimule les véritables trotskistes »(sic) ; l’article reprenait les attaques contre les trotskistes en raison du tract de la SBLE qui avait été attaqué par la CNT – FAI, et de plus, attribuait aux bolcheviks –léninistes un texte édité au Mexique dont ils n’étaient pas à l’origine. (note 11)
Bien que Wolf considéra que la publication de la note de la CNT – FAI eût un effet positif car elle « impressionnerait » les militants du POUM et les militants anarchistes, elle parviendrait à vaincre les réticences relatives au nombre de militants, et elle pourrait provoquer des discussions, spécialement avec les anarchistes, Wolf considérait également les évidents effets négatifs, puisque probablement les cadres moyens de la CNT essaieraient d’éviter les discussions et l’accès à leurs locaux. (note 12)
Ce fut probablement ce qui arriva finalement puisque Munis répondit à la note de la CNT – FAI, au nom de la SBLE dans une lettre qu’il envoya au CN de la CNT avec copie à « toute la presse révolutionnaire d’Espagne », mais aucune publication anarchiste (ou du POUM ou socialiste de gauche) ne l’a reproduite ni y a répondu. Le texte signé par Munis défendait la politique de front unique, revendiquait l’action révolutionnaire de la SBLE, prenait à partie la CNT – FAI pour qu’elle démontre ses accusations et rende publiques les arguments donnés par l’organisation bolchevik – léniniste et, par conséquent, de rectifier publiquement leur note :
« Section Bolchevique – Léniniste d’Espagne / pour la IV° Internationale
Au Comité National de la CNT, Valence.
Chers camarades,
dans « Solidaridad Obrera » du 7 de ce mois, le CN en réponse à un de nos tracts « dans lequel sont évoquées les grèves, la formation de Comités révolutionnaires, etc. il est mentionné « vive l’unité d’action CNT – FAI – POUM » et il est ajouté également : « nous ne savons pas s’il s’agit d’une manœuvre de caractère politique ou si cela répond à de sales manigances de la part de ceux qui signent le tract ».
Nous voulons préciser les points suivants :
1) la Section Bolchevique – Léniniste d’Espagne a appuyé et appuie le point de vue de l’unité d’action CNT-FAI-POUM car elle considère que la lutte de ces trois organisations pourrait arrêter l’emprisonnement des révolutionnaires, la fermeture de locaux, les procès monstrueux et l’offensive contre les collectivisations. Nous avons parfaitement le droit de lutter pour ce point de vue et toute autre organisation également.
2) Conseillant l’action du prolétariat dans ce sens, nous avons publié différents manifestes tous signés par notre Comité, qui ne peuvent donner lieu à aucune sorte de confusion.
3) Seulement dans un tract distribué aux barricades ouvrières pendant les journées de mai, était évoqué, non les grèves, mais la grève générale « sauf dans les industries travaillant pour la guerre » comme moyen de combattre la provocation de l’ennemi de classe et de conserver les conquêtes du prolétariat.
Nous sommes donc en droit de vous demander où se trouvent et en quoi consistent les « sales manigances ».
Vous nous avez accusés devant le prolétariat et vous ne pourrez éviter loyalement une explication publique.
Autre chose serait d’aider la calomnie utilisée aujourd’hui par le stalinisme à travers ses campagnes et procédés criminels contre le « trotskysme ».
Nous enverrons une copie de cette lettre à toute la presse révolutionnaire d’Espagne
Dans l’attente d’une rectification publique loyale de vos écrits, nous vous saluons.
Pour la Section Bolchevik – Léniniste d’Espagne. G.M.»
Barcelone16/7/37 13
La direction anarchiste pleinement engagée dans la collaboration gouvernementale et freinant toute initiative révolutionnaire a ignoré le réquisitoire de la SBLE et n’y a pas répondu, pour ne pas avoir à s’engager face à ses propres militants. Comme une défense de l’orientation tactique de la SBLE envers les militants anarchistes, deux jours après l’infâme note de la CNT-FAI le journal NOSOTROS publia un article de la FIJL où celle-ci, à propos d’une polémique vis-à-vis de la JSU, a défendu à sa manière le POUM et même le trotskysme 14 ; mais de juillet 1936 à juillet 1937, la direction anarchiste espagnole est passée de la lutte abstraite pour la révolution à la collaboration avec la contre-révolution, avec un POUM pourchassé, incapable de trouver une réponse révolutionnaire et dans l’obsession de s’éloigner au maximum du trotskysme.
NOTES
1) Wolf Erwin « Das Ende der POUM » (4 – VII -37) p.8 (17370) Leon Trotsky exile papers – Houghton Library ; traduit de l’original en allemand.
2) Wolf Erwin «Rapport Intérieur » (6 – VII – 37) (17371) Leon Trotsky exile papers, Houghton Library , Havard College Library, (traduit dans : documentación histórica del trosquismo español, 1936 – 1948 ; De la guerra civil a la ruptura con la IV° Internacional 1 a ed Madrid : De la Torre 1996 p 141)
3) Idem
4) La note disait que le tract « parle de grèves, formation de Comités révolutionnaires, etc », et dit : « vive l’unité d’action CNT-FAI-POUM !». Je n’ai trouvé aucun tract avec ce texte, rappelant ce que le SBLE avait distribué le 4 mai (ce qui n’aurait pas grand sens de le dénoncer 2 mois après). Il s’agissait donc probablement d’un tract édité effectivement par la SBLE fin juin début juillet appelant au front unique de lutte CNT – FAI – POUM, le principal mot d’ordre politique des bolchevicks-léninistes en Espagne à ce moment-là.
5) Cf : Brockway Fenner Spanish Diary 23 rd june to 12 th july 1937 – personal report of a visit to Spain – London : Independant Labour Party, (1937) p 7-8.
6) C.N de la C.N.T ; C.P de la F.A.I « Attention aux sales manigances ! Que personne ne fasse cas d’autres mots d’ordre ni orientations que de ceux qui proviennent des comités responsables ». Nosotros, porte-parole de la Fédération Anarchiste Ibérique
(7-VII-37) ; la note a été éditée de façon abrégée (sans les quatre derniers paragraphes) dans le « Comité National de la C.N.T répond à un tract de la Section Bolchevique Léniniste d’Espagne ». Solidaridad Obrera (7-VII-37) version qui fut reproduite également dans la plupart de la presse anarchiste, outre celles de la bourgeoisie et stalinienne le même jour.
7) RABASA, Josep « Les choses mises au point » : « entre la C.N.T et la F.A.I il n’existe pas d’unité d’action avec le POUM ». (Nosotros : porte-parole de la Fédération Anarchiste Ibérique (8-VII-37) et « le POUM s’adresse au Comité National de la C.N.T » Solidaridad Obrera (8-VII-37).
8) « A propos de quelques tracts des bolcheviks -léninistes pour la IV° Internationale ». La Batalla (19-VII-37).
9) Wolf Erwin « Rapport sur l’Espagne, 21 juillet 1937 ». Trotski,L. La révolution espagnole – Barcelone : Fontanella, 1977, v2 p 204.
10) « Le Parti Communiste, ses instruments dans la police et dans la censure préalable, protègent les trotskistes : ils empêchent le POUM de critiquer et de combattre les partisans de Trotsky car ils en ont besoin pour faire endosser au POUM leurs activités ». Bulletin de presse : Parti Ouvrier d’Unification Marxiste n° 6 (4-IX-37) p5-7.
11) L’article du POUM n’en donnait pas le titre mais il s’agissait du tract « Le massacre de Barcelone : une leçon pour les travailleurs du Mexique ! : Au Mexique le désastre qui a touché les travailleurs d’Espagne ne doit pas se répéter », qui en réalité n’avait pas été écrit par les bolcheviks – léninistes mais par le groupe des Travailleurs marxistes, groupe en rapport avec la Revolutionary Workers League (R.W.L) et dirigé par Paul Eiffel : ce fut peut être une confusion, mais on ne peut pas écarter que ce fut une falsification intéressée de la part du POUM, car ce texte fut distribué probablement par Russell Blackwell. La direction du POUM savait parfaitement, qu’il n’était pas « trotskiste officiel » mais le représentant de la R.W.L en Espagne.
12) Wolf Erwin. « Rapport Intérieur » (6-VII-37), p 2-3 (17371) Léon Trotski exile papers, Houghton Library, Harvard College Library (traduit dans « Documentación histórica del trosquismo español – 1936 -1948 De la Guerra Civil à la rupture avec la IV° Internationale » – 19° édicion Madrid. De la Torre 1996 p 141).
13) Cette lettre est reproduite – en castillan – dans lettre d’Erwin Wolf au S.I. (21-VII-37), p.2, (5232) Leon Trotsky Soviet papers, Houghton Library, Harvard College Library ; l’emphase est dans l’original et j’ai corrigé les quelques erreurs grammaticales qu’il contient. (La partie finale de la lettre de Wolf – que ne contient pas la lettre de Munis – est traduite dans : WOLF, Erwin. « Rapport sur l’Espagne, 21 juillet 1937 ». Dans « TROTSKY, L. La révolution Espagnole.» Barcelone : Fontanella, 1977, v.2, p. 402- 404).
14) C.N de la F.I.J.L « La Alianza Juvenil, la JSU et le trotskisme »; Nosotros : porte-parole de la Fédération Anarchiste Ibérique (9 – VII – 37).
Ce livre donne une nouvelle vision, inédite, des événements de mai 1937, très originale et totalement différente de celle que propose, jusqu’à ce jour, l’historiographie académique. Il se base, c’est ce qui le caractérise avant tout, sur un travail rigoureux de recherche dans des archives, et sur les entretiens avec plusieurs de ses protagonistes. Ce n’est pas un livre de livres, ces habituels bouquins imbuvables faits d’extraits et de données repris dans d’autres livres et que nous proposent les maisons d’édition commerciales. Il s’agit ici du récit complet, parfois inespéré, des faits qui se sont produits au cours des sanguinaires journées du 3 au 7 mai, faits racontés du point de vue des insurgés qui en furent les protagonistes et à travers une documentation rigoureuse et indiscutable.
Nombreuses sont les nouveautés, totalement inconnues avant l’édition de ce livre, et qui à partir de maintenant seront reproduites et irrémédiablement mal comprises dans le petit monde plagiaire du copier/coller universitaire.
Nous allons faire, ci-dessous, un bref résumé du livre, mais inévitablement, nous n’y retrouverons pas toute la fraîcheur, toute la complexité et toute la richesse qu’il y a dans l’ouvrage dans son ensemble.
Les décrets de la Generalitat [gouvernement autonome de Catalogne] du 4 mars 1937 créèrent un Corps Unique de Sécurité (formé par la garde d’Assaut et la Garde Civile) et ils annoncèrent la dissolution (dans un futur immédiat) des Patrouilles de Surveillance. Ces décrets entraînèrent la réorganisation des comités de défense qui hibernaient jusqu’alors, la démission des conseillers cénétistes [ministres de la Generalitat de la CNT] et une grave crise de gouvernement.
L’assemblée de la Fédération Locale (de Barcelone) des Groupes Anarchistes du 12 avril 1937, radicalisée par la présence des Jeunesses Libertaires et des délégués des comités de défense qui y furent invités, exigea le retrait de tous les cénétistes des postes municipaux ou gouvernementaux, et créa un comité insurrectionnel. Dans cette radicalisation jouèrent un rôle important Julián Merino, Pablo Ruiz et Juan Santana Calero.
Le 15 avril, après une longue et laborieuse négociation, Companys et Manuel Escorza del Val se mirent personnellement d’accord sur une résolution de la crise et la formation d’un nouveau gouvernement (avec l’entrée comme conseller du cenetiste Aurelio Fernández).
L’assassinat d’Antonio Martin à Bellver de Cerdanya, le 27 avril 1937, entraîna la rupture de l’accord si laborieusement obtenu. Manuel Escorza mit les comités de défense en alerte, en révélant l’information sur un prochain coup de force du bloc contre-révolutionnaire. Escorza provoqua l’étincelle, mais il s’opposa à un soulèvement qu’il considérait comme prématuré et sans préparation suffisante, sans objectifs ni coordinationes adéquats.
La provocation du 3 mai, lorsque le stalinien Eusebio Rodriguez Sala prit d’assaut le central téléphonique, mobilisa les comités de défense qui, en deux heures, déclarèrent la grève révolutionnaire, prirent en mains tous les quartiers ouvriers et dressèrent des barricades dans le centre de la ville et à des endroits stratégiques. Les comités supérieurs cénétistes (représentés alors par Dionis Eroles et Josep Asens) essayèrent de contrôler les comités de défense, mais, sans y parvenir, ils furent débordés.
Le 4 mai, dans la matinée, Julian Merino, secrétaire de la Fédération Locale (barcelonaise) de la FAI, convoqua une réunion du comité régional de Catalogne, en parvenant à former un Comité Révolutionnaire secret de la CNT (formé par Julian Merino, Lucio Ruano et le sergent Manzana) et deux commissions pour coordonner et étendre la lutte dans les rues, une Place Espagne et une autre au Centre-Parallèle. À cette réunion, fut également nommée une délégation cénétiste dirigée par Santillan, pour négocier une issue au Palais de la Generalitat. Ruano dirigea les canons de Montjuic sur la Place San Jaime.
La CNT jouait un double jeu: l’insurrectionnel et le négociateur. Companys (président de la Generalitat) et Comorera (secrétaire du PSUC) ne jouait que le jeu de la provocation dans le but très clair d’arriver à annihiler les insurgés, affaiblir la CNT afin de l’annuler et de former un gouvernement fort.
Le 4 mai, dans l’après-midi, les travailleurs barcelonais armés sur les barricades et prêts au combat, ne furent pas vaincus par le PSUC, par ERC ou/et par les forces de l’ordre du gouvernement de la Generalitat. Ces travailleurs finirent par se plier aux messages pacificateurs de la radio. La tentative révolutionnaire de coordonner et de donner un objectif précis à l’insurrection échoua. Alors que l’ensemble de Barcelone était plein de barricades, les ouvriers armés furent vaincus et humiliés par les prédications radiophoniques des comités supérieurs de la CNT, et plus particulièrement par le discours des « embrassades » de Joan García Oliver (celui-ci appelait les ouvriers des barricades à embrasser les gardes d’assaut comme des frères).
Le 5 mai, vers midi, Sesé, secrétaire de l’UGT, se fit tirer dessus depuis le Syndicat des Spectacles de la CNT lorsque la voiture dans laquelle il se trouvait refusa de s’arrêter à un contrôle de barricade. Celui-ci allait prendre son poste de conseiller (ministre Generalitat). En représailles, Companys ordonna à plusieurs reprises à l’aviation de bombarder les casernes et édifices aux mains de la CNT. Les Amis de Durruti lancèrent un tract qui essayait de donner des objectifs concrets à l’insurrection: substitution de la Generalitat par une Junte révolutionnaire, exécution des coupables de la provocation (Rodriguez Sala et Artemi Aguadé), socialisation de l’économie, fraternisation avec les militants du POUM, etc. Les comités supérieurs désavouèrent immédiatement ce tract, qui avait eu la vertu de relancer la lutte sur les barricades.
Les 5 et 6 mai furent l’apogée de la lutte dans la rue. Le bloc contre-révolutionnaire profita des tentatives de trêve ou d’abandon des barricades suite aux consignes radiophoniques et dans la presse pour consolider ses positions ; les révolutionnaires reprenaient alors les combats et retournaient aux barricades.
Le 7 mai, il était évident que le soulèvement avait échoué. Les travailleurs commencèrent à défaire les barricades. Les troupes envoyées de Valence défilèrent avenue Diagonal et occupèrent la ville. Les jours suivants, les comités supérieurs de la CNT essayèrent de cacher ce qui s’était passé, de retoucher les procès-verbaux en cours de rédaction et en définitive d’éviter au mieux la répression prévisible des staliniens et du gouvernement contre leur Organisation et contre les protagonistes les plus en vue. Le POUM était le bouc émissaire nécessaire qui allait tout prendre sur le dos
S’il fallait résumer mai 37 en une phrase, il faudrait y expliquer que les travailleurs armés sur les barricades et totalement décidés furent vaincus par les appels au cessez le feu émis par la radio. La révolte àBarcelonefut vaincue par la radio.
Conclusion
Pour la première fois dans l’histoire, une insurrection a commencé et a perduré contre la volonté des leaders de l’organisation à laquelle appartenait l’immense majorité des insurgés. Mais même si une mutinerie peut être improvisée, une victoire en aucun cas (Escorza) ; et d’autant moins lorsque toutes les organisations ouvrières antifascistes se montrent hostiles au prolétariat révolutionnaire, de l’UGT jusqu’aux comités supérieurs de la CNT.
Les comités supérieurs jouèrent un double jeu, en même temps qu’ils permettaient la formation d’un Comité Révolutionnaire de la CNT, ils formaient une délégation pour aller négocier au palais de la Generalitat. Ils laissèrent très vite tomber la carte de l’insurrection pour miser sur le cessez le feu qui assurait leur avenir comme bureaucrates.
UGT et comités supérieurs de la CNT, ERC et gouvernement de la Generalitat, staliniens et nationalistes transformèrent la magnifique victoire militaire des révolutionnaires, à portée de main (selon Julián Merino de la FAI et Rebull du POUM) en une désastreuse défaite politique qui ouvrit la voix à une répression féroce. Ils le firent tous ensemble, mais de façon différente, pour jouer efficacement leur rôle. Staliniens et républicains directement sur les barricades de la contre-révolution. Anarchosyndicalistes et Poumistes dans l’ambigüité « d’avoir l’air sans avoir l’air du tout », de « se dire révolutionnaire sans l’être» ; les premiers en recommandant la fin de la lutte et l’abandon des barricades ; les deuxièmes en pratiquant « l‘audacieux »suivisme envers les premiers.
Deux petites organisations seulement, les Amis de Durruti et la SBLE (Section Bolchevique Léniniste d’Espagne), essayèrent d’éviter la défaite et de pourvoir le soulèvement d’objectifs clairs et précis. Le prolétariat barcelonais, essentiellement anarchiste, lutta pour la révolution, même contre ses propres organisations et contre ses dirigeants, dans un combat qu’il perdit en juillet 36, à partir du moment où il laissa l’appareil d’État sur pied et qu’il remplaça la lutte de classes par le collaborationnisme et l’unité antifasciste.
Mais il y a des batailles perdues qu’il faut livrer en faveur des générations futures, sans autre objectif que de montrer qui est qui, de quel côté de la barricade se trouvent les uns et les autres, de déterminer les frontières de classe, le chemin à suivre et les erreurs à éviter.
Vous trouverez de nombreux articles déjà parus sur ce thème dans les Cahiers du Mouvement Ouvrier. Pour les lire en ligne ou les télécharger, allez à la page « LES CAHIERS »
Le 20 avril 1963, Julian Grimau, membre du comité central du Parti communiste espagnol, était fusillé à Madrid à l’issue d’un procès expéditif, après son arrestation quelques mois auparavant par la Brigade politico-sociale franquiste et après avoir été torturé dans les locaux de la Direction générale de sécurité. Tous les partis communistes du monde et compagnons de route avaient lancé une intense campagne de protestation pour tenter de sauver celui qui allait devenir leur martyr. On connaît beaucoup moins, en revanche, ce que fut le rôle de Julian Grimau durant la guerre civile d’Espagne. C’est ce que rappelait ce texte d’Agustín Guillamón de mai 2019 que le site de langue espagnole « Ser histórico » vient de republier.
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L’assassinat Le 10 février 1938, à Barcelone, vers dix heures du soir, un jeune homme d’une vingtaine d’années, vêtu de l’uniforme d’un capitaine de l’armée, venait d’allumer une cigarette. Il avait un rendez-vous. C’était une froide journée d’hiver. L’endroit était solitaire et morne, les maisons les plus proches se trouvaient à quelque cinq cents mètres de là. Il attendait dans la rue Legalidad, dans une zone non habitée et non urbanisée, près de la maison connue sous le nom de Can Compte. C’était une rue bordée de deux fossés qui la distinguaient à peine des vergers environnants. Les deux hommes avec lesquels il avait rendez-vous s’approchèrent. En réponse à son salut, le plus proche, sur sa gauche, lui tira dessus, à une distance d’un demi-mètre. La balle traversa le menton à gauche de la bouche, en suivant une trajectoire de bas en haut et de gauche à droite, brisant deux dents, une partie du palais et s’enfonçant dans le crâne, sans orifice de sortie. Le deuxième homme s’assura de sa mort en tirant deux fois dans la tête du capitaine, allongé sur le sol. Un peu de cervelle jaillit du crâne fracassé par les trois balles. Une grande flaque de sang entoura le cadavre, dessinant la silhouette du corps. Au sol, tout près, on trouvait une cigarette, une casquette militaire et deux douilles de balles de calibre 9 millimètres, courtes.
Leon Narwicz, avant et après son assassinat.
Vers 23 heures, Jaime Planella, veilleur de nuit dans le quartier, découvrit le corps d’un homme en uniforme, allongé perpendiculairement au sens de la rue. Il téléphona au commissariat. Lorsque la police et le juge de garde arrivèrent sur les lieux de l’assassinat, le corps fut fouillé et, d’après les documents trouvés, la victime fut identifiée comme étant Leon Narwick, ou peut-être Narwicz ou Narwich, la dernière lettre du nom de famille étant douteuse et totalement étrangère à la graphie espagnole. Il était capitaine dans les Brigades internationales, 1ère compagnie, 4e bataillon, 13e brigade, 45e division de l’armée de l’Est. Le 14 février, le corps de Leon Narwicz fut enterré dans la fosse commune du cimetière du Sud-Ouest de Barcelone. Le 26 mars 1938, le délégué des Brigades internationales, le capitaine Jesús Prados Arrarte, se présenta au tribunal, à la demande du juge, pour répondre à ses questions. Il déclara orgueilleusement que le capitaine Leon Narwicz était de nationalité polonaise, qu’il avait été volontaire dans les Brigades internationales et qu’il travaillait alors au Service d’investigation militaire (SIM) des Brigades internationales. Le prénom Leon en polonais n’a pas d’accent. Il identifia Narwicz à partir des photos qui lui furent montrées. Le capitaine Prados exigea que Kurt Laube, chef du SIM et de la délégation des Brigades internationales à Barcelone, soit autorisé à emporter les papiers et les effets personnels du défunt, qui lui furent finalement remis le 12 avril. Le reçu signé par le chef du SIM de Barcelone détaillait les objets appartenant au défunt : plusieurs photographies, un peu plus de deux cents pesetas, un stylo-plume noir, une montre-bracelet blanche, un briquet, un peigne, un porte-cartes avec des tickets de métro, un mouchoir sans initiales et, bien que cela ne soit pas détaillé dans le reçu, cinq feuilles d’inscription numérotées du Secours rouge du POUM (1), ainsi que ses papiers personnels et un répertoire avec des adresses. Dans le carnet d’adresses de Narwicz figurait celle de Munis, dirigeant de la Section bolchevique-léniniste d’Espagne (SBLE). Le commissaire général ordonna l’installation d’un service de surveillance du quatrième étage de la maison au numéro 308, rue Valencia, dans le but d’arrêter Munis et ses éventuels complices ou collaborateurs. Le commissaire général suivait les instructions de Julián Grimau García. Grimau était au courant de l’opération du SIM, préparée par deux de ses agents, le capitaine Narwicz assassiné et un autre, connu sous le nom de Marx ou Joan. Tous deux travaillaient sur la tentative de la police politique soviétique d’infiltrer les rangs des bolcheviks-léninistes. Le 13 février 1938, à 13 heures, les policiers Antonio Martínez, José del Olmo, Francisco Llobet et Manuel Dayán, à la tête d’un important dispositif policier, se présentèrent au domicile de Munis pour l’arrêter. Avant d’entrer dans la maison, ils avaient déjà arrêté Jaime Fernández Rodríguez et Luis Zanon qui s’apprêtaient à rendre visite à Munis. Lors de la tentative d’arrestation de Munis, celui-ci se jeta sur l’officier Francisco Llobet, lui arrachant son pistolet. Une situation confuse et dangereuse s’ensuivit, qui fut résolue lorsque Munis, entendant l’avertissement que lui lança son ami Jaime comme quoi la maison était cernée par un énorme déploiement policier, abandonna toute résistance et rendit le pistolet. Munis, Jaime Fernández et Zanon ainsi que d’autres militants du SBLE emprisonnés par la suite – l’Italien « Adolfo Carlini » (Domenico Sedran), le Danois Aage Kielso (qui parvint à s’évader), le Tchèque Víctor Ondik et Teodoro Sanz – furent détenus pendant un mois dans la prison clandestine du SIM au sous-sol de la place Berenguer, siège de la Brigade criminelle, soumis à toutes sortes de tortures par une équipe d’agents du SIM, dirigée par Julián Grimau : coups, simulacres d’exécution, cheveux arrachés à la racine avec des tenailles, plusieurs jours sans nourriture ni eau, au point d’être contraints de boire leur propre urine, etc.
Page du rapport d’enquête sur l’assassinat de Leon Narwicz.
Les détenus dormaient à la préfecture de police, rue Layetana, et étaient transférés quotidiennement dans une fourgonnette jusqu’à la place Berenguer, lieu des interrogatoires. Les deux endroits étaient distants d’une centaine de mètres. Zanon qui avait été séparé du reste du groupe, fut le seul à dormir dans les locaux de la Brigade criminelle. Il s’effondra psychologiquement, absolument terrifié. Grimau fit signer à Zanon une « confession » accusant ses camarades de l’assassinat de Narwicz. Il se rétracta ensuite, dès qu’il intégra la prison Modelo de Barcelone. Leon Narwicz, avant les journées de mai (2), s’était présenté comme un sympathisant de l’opposition russe, gagnant la confiance de Nin, Gorkin, Landau et Andrade (3). Avec son appareil photo, il avait fait le tour des différents locaux du POUM. Le groupe d’action du POUM qui avait tué le capitaine Narwicz était composé d’Albert Masó March et de Lluís Puig. Aucun d’eux ne fut arrêté. Avec la mort de cet agent polonais du SIM, le POUM voulait venger l’assassinat de Nin et le déchaînement répressif exercé contre ce parti depuis le 16 juin 1937. Les photos de Narwicz avaient joué un rôle irremplaçable dans l’identification et l’arrestation par la police des dirigeants et militants du POUM. Puig mourut de la tuberculose à la prison de la Santé à Paris en 1939. Masó fut un militant éminent de Socialisme ou Barbarie et, pendant la Transition (4), il participa à la tentative avortée de reconstruction du POUM. Munis, auteur d’ouvrages remarquables sur la théorie marxiste, fonda en 1958 avec le poète surréaliste Benjamin Péret un groupe révolutionnaire (Fomento Obrero Revolucionario) dans lequel milita également Jaime Fernández. Le tortionnaire Julián Grimau, militant du PCE, a été arrêté, interrogé, torturé, jugé, condamné et fusillé à Madrid en 1963. Le régime fasciste en a fait un martyr antifranquiste. Tous ont un point de référence commun : l’assassinat de Leon Narwicz, agent de la police politique soviétique et du SIM, rue Legalidad, le 10 février 1938, il y a maintenant quatre-vingt-un ans.
Penser le « cas Narwicz » Pourquoi le cas Narwicz est-il important ? Qu’apporte-t-il à l’historiographie et comment comprendre un assassinat commis il y a quatre-vingt-un ans ? Le cas Narwicz est important car nous savons qu’il était un agent du NKVD avant mai 1937 et qu’à ce titre il a su gagner la confiance des dirigeants du POUM et obtenir des photographies de ses dirigeants, qui ont ensuite servi à leur identification et à leur détention. Nous savons que Leon Narwicz et Lothar Marx tentèrent d’infiltrer le SBLE. On sait que Léon Narwicz obtint un rendez-vous avec les militants du POUM, qui vivaient déjà dans la clandestinité, dans le but d’obtenir des preuves dans le procès en cours contre leurs dirigeants, et de démanteler l’organisation clandestine de ce parti. Ce rendez-vous lui fut fatal, car le POUM connaissait alors le rôle joué par Narwicz avant mai 1937. C’est pourquoi il fut exécuté par le commando avec qui il avait rendez-vous. Lorsque le chef du SIM de Barcelone identifia son cadavre, il certifia son appartenance au SIM et emporta des documents compromettants pouvant impliquer l’autre agent infiltré : Lothar Marx. Par conséquent, le capitaine polonais des Brigades internationales Leon Narwicz est la preuve évidente qu’un agent du NKVD avant mai 1937 était en février 1938 un agent du SIM. Ce fait irréfutable, certifié par de la documentation, a certaines conséquences : Premièrement : le SIM était la version espagnole du NKVD. Deuxièmement : le NKVD et le SIM partageaient des agents et des informations. Troisièmement : les deux certitudes précédentes nous permettent d’émettre l’hypothèse que le SIM était totalement subordonné au NKVD.
L’assassinat du capitaine Narwicz par un groupe d’action du POUM rompt avec l’image victimaire du POUM que ce parti a toujours voulu présenter, pas toujours sans raison. Et l’image émerge d’un POUM qui, parfois, a su répondre justement au harcèlement répressif des staliniens, car après tout le POUM était un parti marxiste et non une association pacifiste. Lluís Puig et Albert Masó formèrent le commando du POUM qui assassina le capitaine Leon Narwicz, pour se venger de la disparition de Nin, de la dissolution du POUM, de la persécution, de l’assassinat et/ou de l’arrestation de ses militants, et du procès de Moscou contre ses dirigeants. Par ailleurs, le fait que ce soit Julián Grimau qui ait été chargé de l’interrogatoire et de la torture des personnes accusées du meurtre du capitaine Narwicz n’est pas un pur hasard, mais démontre l’intérêt des Soviétiques à venger l’assassinat de leur agent. Cet assassinat fut faussement attribué aux militants de la Section bolchevique-léniniste d’Espagne, car ainsi ils éliminaient ce groupe politique trotskiste. Grimau était à l’époque « l’œil de Moscou » à Barcelone. Un Grimau tortionnaire, comme le montrent clairement les procès-verbaux des interrogatoires signés par lui. Un Grimau tortionnaire, comme en témoignent les trotskistes qu’il a martyrisés, comme le raconte Domenico Sedran (« Adolfo Carlini ») dans ses Mémoires, comme le décrit Zanon, alors libéré de la peur des tortures, depuis la prison Modelo. Grimau, le tortionnaire torturé par la police franquiste, en 1963. Grimau, le tortionnaire fusillé par le régime fasciste de Franco, qui en a fait par là même un martyr antifranquiste. Grimau eut-il à choisir entre l’exclusion du parti et le martyre ? Curieusement, une personnalité politique de premier plan et un bureaucrate rusé du PCE, Santiago Carrillo, gagnait quelle que soit l’option. Paradoxes de l’histoire : l’arroseur arrosé.
(1) POUM : Parti ouvrier d’unification marxiste, né d’une scission du Parti communiste espagnol, anti-stalinien et par là même cible permanente des staliniens.
(2) Les journées de mai 1937 désignent, pour aller vite, les journées d’affrontements, en Catalogne, entre les staliniens du Parti communiste espagnol, d’un côté, et les anarchistes de la CNT-FAI et militants du POUM de l’autre.
(3) Tous dirigeants du POUM.
(4) On appelle Transition, ou Transition démocratique, la période située entre la fin du franquisme et l’établissement de la démocratie parlementaire en Espagne.
De nouveaux détails de première main sur l’enlèvement et la liquidation de Kurt Landau par des agents du NKVD ont émergé de l’autobiographie du Londonien David Crook (1900 – 2000) de Hampstead Heath à Tan An Men. L’autobiographie de David Crook . Probablement achevée eu début des années 90, elle fut publiée en ligne par sa famille sur le site qui lui est dédié (http://www.davidcrook.net/simple/main.html)
En 1928, Crook s’installe aux Etats-Unis avec sa famille, étudie à l’Université de Columbia et, en 1931, rejoint la National Student League à New York, une organisation de jeunesse dirigée par le Parti « communiste » stalinisé. Après avoir obtenu son diplôme il rentre chez lui à l’été 1936 et rejoint le Parti « communiste » de Grande-Bretagne. Il s’engage alors dans les Brigades internationales et arrive en Espagne le 2 janvier 1937. Après six semaines d’entraînement militaire, il est envoyé au front avec le bataillon britannique durant la bataille de Jarama (6-27 février 1937). Mais il est blessé lors de sa première journée de combat. Pendant sa convalescence il rencontre à Madrid le correspondant de l’Humanité Georges Soria, apologiste invétéré du stalinisme qui le met en contact avec deux agents soviétiques.
Après une nouvelle et brève période sur le front il assiste dans le village de Pozo Rubio, dans les environs d’Albacete, à un cours de formation militaire réservé aux officiers des Brigades Internationales, à l’issue duquel il est transféré à Barcelone via Valence où il arrive le 27 avril 1937. Le NKVD lui avait donné pour instructions d’espionner les anarchistes et, surtout, les « trotskistes » du POUM et les organisations étrangères qui étaient en relation avec celui-ci – en raison de leur appartenance commune au dénommé « Bureau de Londres » – et, en particulier, au ILP (Parti Travailliste Indépendant) britannique. Par l’intermédiaire de son « contact » – un agent stalinien qui se présenta sous le nom de Sean O’Brien – le NKVD lui fournit des documents qui démontraient que Crook travaillait comme journaliste pour un hebdomadaire britannique et lui procura une chambre à l’Hôtel Continental, situé sur les Ramblas, où résidaient plusieurs membres de l’ILP, parmi lesquels son représentant officiel, John McNair, l’écrivain Eric Blair connu sous le nom de George Orwell (qui s’était enrôlé dans les milices du POUM) et son épouse Eilen Maud O’Shaughnessy, et le belge d’origine russe Georges Kopp, qui était le commandant militaire du POUM.
En manifestant ouvertement des positions antistaliniennes, Crook s’inséra dans ce milieu et commença à transmettre des informations au NKVD. Peu après il put accéder au bureau de l’ILP situé à l’intérieur de l’Hôtel Falcón, qui avait été réquisitionné par le POUM et converti en son siège principal à Barcelone. Durant les heures de l’almuerzo et de la sieste de l’après-midi, Crook put dérober plusieurs fois dans ce bureau de nombreux documents qui, après avoir été photographiés rapidement dans une « maison sûre » du NKVD, étaient remis en place.
Après les Journées de Mai, Crook fut détenu pendant une dizaine de jours dans la prison où se trouvaient Kopp et d’autres membres du POUM, avec l’unique intention de recueillir des informations pour le NKVD. Libéré, il continua son travail d’espionnage. Parmi les nouvelles tâches qui lui furent assignées figurait celle de se renseigner sur l’endroit où se cachait Kurt Landau. Voici le récit qu’il a laissé à ce sujet :
Tous mes « objectifs » n’étaient pas poumistes comme Kopp. Certains étaient des anarchistes étrangers. Ma détention renforça leur confiance en moi. L’un de mes objectifs était un américain nommé [Abraham] Bluestien, et plus tard un autrichien nommé Kurt Landau.
Landau était passé à la clandestinité après les batailles de rue [les journées de Mai] et mes chefs avaient l’intention de le rencontrer. Sous un prétexte banal j’obtins le numéro de téléphone de Bluestein et je le communiquai comme il me l’avait demandé à Sean [O’Brien]. A la fin des affrontements, les anarchistes avaient perdu le contrôle de Telefónica, et pour mes chefs il devenait alors possible, en connaissant le numéro de téléphone de Landau de remonter jusqu’à son adresse. Elle se situait dans un quartier tranquille, pas loin du consulat soviétique, où ils me conduisirent les yeux bandés (…) pour recevoir mes instructions.
Landau qui ne se doutait de rien avait l’habitude de lire dans le jardin, devant la maison où il se cachait. (…) Ma tâche était de l’identifier sans aucun doute possible. Je ne pouvais le faire qu’en m’approchant suffisamment. Ainsi, pour l’observer, ils m’organisèrent une promenade avec Dolores, une grande blonde séduisante, devant le jardin de la maison, pour voir de près l’homme qui lisait, sans me faire remarquer. Nous nous promenions d’un côté, de l’autre comme un couple d’amoureux, Dolorès me cachant à sa vue. Que lui arriva -t-il à ce pauvre diable ? Plus tard, Sean me dit qu’il avait été emprisonné, placé dans une cage de bois et chargé sur un des bateaux soviétiques qui transportait des aliments ou des armes pour la République [espagnole].
La villa dans laquelle Landau avait trouvé refuge était le domicile du dirigeant du POUM Francisco de Cabo Vives et de sa compagne, la militante du POUM Carlota Durany. Le 19 octobre 1937, presque un mois après l’arrestation de Landau, le logement fut soumis à une perquisition, par ailleurs infructueuse. Une telle action d’intimidation de l’autorité incita Carlota Durany à déposer plainte au tribunal – dont une copie carbone est conservée au Centre Documentaire de la Mémoire Historique de Salamanque – dans laquelle elle dénonçait :
Que la plaignante avait à son domicile, rue Montserrat de Casanovas n° 24, en qualité d’hôtesse, Kurt Landau, de nationalité autrichienne et militant marxiste.
Le 23 de septembre dernier, à 19 heures, approximativement, deux agents du corps de Recherche et de Surveillance vêtus l’un de couleur grise et l’autre de couleur foncée, accompagnés d’un Garde d’Assaut en uniforme (détails fournis par un voisin), procédèrent à l’arrestation, au domicile cité, du camarade Landau. Les agents n’ont effectué aucun contrôle dans l’immeuble, s’emparant du détenu précipitamment. Une fois faites les vérifications pertinentes, il apparut que Kurt Landau n’était détenu ni au Commissariat Général de l’Ordre Public ni dans aucune de ses dépendances ou prison officielle. (…)
Tout ce qui est exposé permet d’affirmer que le camarade Kurt Landau a été détenu en marge des autorités compétentes, sans que le Délégué Général à l’Ordre Public n’en ait eu connaissance. Est-ce que les agents qui l’ont arrêté ont agi pour leur propre compte ? Ont-ils obéi aux ordres d’un quelconque supérieur, le chef de la police, monsieur Burillo ? Par exemple ? Où a été conduit Kurt Landau par les policiers qui l’ont arrêté ? Qu’ont-ils fait de lui ?
La plaignante pense que les faits exposés et les interrogations que ceux-ci entraînent, constituent des cas de délits : détention illégale, séquestration, suspicion d’assassinat c’est pourquoi je les porte à la connaissance de l’autorité judiciaire.
Je demande au TRIBUNAL qu’il enregistre cet écrit et qu’en considération de ce qu’il expose, il serve à ouvrir l’instruction opportune avec pour objectif de découvrir ce qui est arrivé à Kurt Landau et d’appliquer les sanctions pénales correspondantes.
[Cité in Francesc da Cabo, “Carlota Durany : una militante” (2004)
Des trois hypothèses sur le destin final de Landau envisagées dans la biographie publiée en espagnol dans le livre collectif Biografias des 36 (Editeur Descontrol, Barcelone 2016) ainsi que sur le site Ser Histórico (https://serhistorico.net/2018/11/22/landau-kurt-paolo-casciola/), c’est pourquoi celle formulée par sa camarade Katja correspondrait à ce qui s’est réellement produit.
Nous ne savons rien du traitement auquel Landau fut soumis par ses bourreaux. Il fut probablement torturé comme Andreu Nin, le principal dirigeant du POUM qui avait été détenu sous de fausses accusations à Barcelone le 16 juin 1937 et ensuite « séquestré » quelques jours par une poignée de staliniens au service du NKVD, qui en Espagne était dirigé par Alexandre Orlov (Lev Lazarevitch Fel’dbin). Transféré en « une maison sûre », Nin fut soumis à la torture pendant plusieurs jours pour obtenir de (fausses) confessions qui auraient permis à Staline d’orchestrer un « procès de Moscou » à Barcelone. Et il mourut enfin « sous la torture », assassiné de sang froid ou par excès de zèle de ses bourreaux, sans trahir ni lui ni son parti.
Le projet stalinien d’un grand procès – spectacle dans la capitale catalane devait probablement inclure la séquestration et l’assassinat des dirigeants trotskistes Erwin Wolf (détenu à Barcelone fin juillet, plus tard « libéré » et disparu) et Hans David Freund (lui aussi disparu à la mi-août). Leurs cadavres, de même que ceux de Nin et de Landau n’ont jamais été retrouvés.
La responsabilité directe du NKVD dans l’assassinat de Nin fut démontrée, au-delà de tout doute raisonnable, par deux brefs documents, l’un d’entre eux – une lettre d’information de Orlov transmise à Moscou le 24 juillet 1937 – rendait compte de la mort de Nin et énumérait les noms de ceux qui avaient participé au crime comme spectateurs et / ou exécuteurs directs.
Ces nouvelles révélations sur le destin de Nin furent le résultat d’une enquête à Moscou par deux journalistes de la télévision catalane Dolors Genovès et Llibert Ferri, qui réussirent à localiser dans le dossier de Orlov conservé à Moscou dans les archives du KGB la chemise au nom de Nin dans laquelle se trouvaient ces deux documents. On sait que, pour obtenir une photocopie, il fallut payer plusieurs milliers de dollars : c’était le « prix du marché » établi par les épigones du GPU – avec une abominable mercantilisation vénale des sources archivées – étant donné leur importance historico – politique.
Sur la base de la documentation si chèrement acquise, les deux journalistes réalisèrent le documentaire « Opération Nikolaï » diffusé par TV3 en Catalogne le 5novembre 1992 (https://www.youtube.com/watch?v=zLAfmtlCgTU)
Dans ce documentaire ils expliquent que le dossier de Orlov contient quatre autres dossiers sur d’autres cas tout aussi importants d’assassinat politique perpétrés en Espagne par les hommes du NKVD. Les noms des titulaires de ces archives ne furent même pas révélés, dans l’attente évidente que se présentent de riches nouveaux acheteurs. Ceci explique pourquoi aucun document relatif à d’autres victimes connues de la mafia stalinienne en Espagne a émergé jusqu’à maintenant des archives de l’ancienne Union Soviétique. Et il n’est pas absolument impossible que le titulaire de l’un de ces quatre dossiers soit Kurt Landau. L’historien français Pierre Broué l’a affirmé avec une absolue certitude : « Parmi les papiers de Orlov dans les archives du KGB il y a une archive « Landau » (Staline et la révolution. Le cas espagnol [1936-1939], Fayard, Paris 1993, p.184). Si c’était le cas, ce dossier contiendrait la vérité définitive sur les circonstances et la méthode de son assassinat.
David Crook, l’agent du NKVD qui, en l’identifiant, avait permis sa séquestration, fut envoyé par ses patrons durant deux ans à Shangaï, où il arriva à l’été 1938, pour mener à bien des activités d’espionnage contre les trotskistes chinois. Son principal objectif fut le journaliste sud-africain Frank Glass, qui à l’hiver 1935 avait été élu membre du Comité Central Provisoire de la section chinoise du Mouvement pour la Quatrième Internationale. C’est probablement Glass qui lui inculqua les premiers et encore faibles doutes sur la politique de Staline. Mais une analyse des activités de Crook en Chine nous entraînerait trop loin du thème principal de ces lignes. Cependant, il faut mentionner que Crook revint en Chine en 1947 et après la prise du pouvoir par le parti « communiste » dirigé par Mao Zedong, se recycla en professeur d’anglais à Beijing. Qui tue par le fer meurt par le fer, et pour cela même, en 1967, durant la dénommée « Révolution Culturelle » maoïste, fut arrêté, accusé d’espionnage et passa plus de cinq ans en prison, la majeure partie d’entre elles dans une cellule d’isolement.
Après avoir récupéré sa liberté en 1973 Crook repris son activité professorale en Chine maoïste, mais examina cette réalité d’un point de vue chaque fois plus critique et en vint à sympathiser, en avril – juin 1989, avec le mouvement antibureaucratique des étudiants réprimé dans le sang sur la Place Tiananmen, par le régime post-maoïste de Deng Xiaoping. Il est assez curieux que ses mémoires ne furent jamais utilisées par les historiens, si on excepte la biographie de Glass écrite par l’historien sudafricain de tendance trotskiste Baruch Hirson (Frank Glass. The Restless Revolutionary, Porcupine Press, London 2003) qui cependant se limite à une référence fugace à la période chinoise – basée sur les écrits dactylographiques des mémoires de Crook, à l’époque encore inédites – sans faire aucune mention à sa participation dans le « cas Landau ». Enfin, comme pure curiosité, nous signalons que Crook est le protagoniste d’une bande dessinée récemment publiée en France (Julian Voloj {texto] – Herk Rehr [dessins] David Crook.Souvenirs d’une révolution, China Urbana, Paris 2018).
Après les journées révolutionnaires des 19 et 20 juillet 1936 les instances supérieures de la CNT et de la FAI ont tenté de rétablir l’ordre public, c’est-à-dire la loi et l’ordre républicains dans les rues de Barcelone, en réprimant la délinquance et en poursuivant les fascistes embusqués, mais aussi en contenant la violence révolutionnaire des comités de quartiers et des syndicats. Le voile qui dissimulait l’affrontement entre les instances supérieures et les révolutionnaires expropriateurs avait pour propos affiché d’en finir avec les sympathisants fascistes, le clergé et une criminalité arbitraire et opportuniste, qui existait réellement, et qui de toute évidence, était un grave problème. La constante présence de franc-tireurs de la droite : requetès, phalangistes, milices bourgeoises, hommes de main du Lliure (NDT : syndicat «indépendant» patronal), dura plus d’une semaine, provocant de nombreuses morts parmi les passants. Toutes les organisations antifascistes, y compris le gouvernement de la Généralité et les instances supérieures de la CNT confondaient et mélangeaient astucieusement la délinquance et la violence révolutionnaire des comités de quartier et des syndicats. Ceux-ci confisquaient, collectivisaient ou contrôlaient les usines, les ateliers et les terres de culture, exécutaient les fascistes, les hommes de main, de droite, les militaires et les curés ; ils confisquaient les villas, les voitures, les appartements de luxe, les casernes, les églises, les couvents, les hôpitaux, les hospices, les industries, les entreprises, les propriétés abandonnées par les fugitifs factieux, etc. Le processus révolutionnaire, pour beaucoup, était allé trop loin. Le premier pas pour le contrôler consistait à le contenir pour qu’il n’aille pas plus loin. Après arriverait l’heure de reconquérir le terrain perdu. C’est pour cela qu’était apparu le nouveau concept « d’ordre révolutionnaire », qui ne signifiait rien d’autre que d’empêcher d’approfondir la révolution et de considérer « les conquêtes révolutionnaire » de juillet 1936 comme un nouvel ordre, maintenant achevé, qu’il était nécessaire de défendre face aux incontrôlés/révolutionnaires et au désordre et à la délinquance arbitraire, contre la bourgeoisie expropriée et face au fascisme. Les meilleurs militants anarchosyndicalistes avaient quitté Barcelone, enrôlés dans des milices antifascistes, qui formaient le front d’Aragon contre le fascisme et aux militaires insurgés contre leur propre peuple. Pendant ce temps, les gardes d’assaut et les gardes civiles étaient hors de danger installés commodément dans leurs casernes. Ces corps répressifs et anti-ouvriers n’avaient pas été dissous, attendant de se constituer en bras armé de la contre-révolution. Le succès du terme « incontrôlé » provenait justement de cette ambiguïté, qui donnait et mélangeait deux significations différentes : criminelle et révolutionnaire, de manière assez discrète et masquée pour être ainsi acceptée par les comités de quartier, locaux ou syndicaux eux-mêmes, contre qui il était dirigé ; et de façon assez claire et précise comme pour être saisi par les instances supérieures, les partis bourgeois, le stalinisme et le Govern (NDT : exécutif catalan) contre les révolutionnaires, devenus par le qualificatif infamant «d’incontrôlés» tête de turc,objectif de toutes les flèches et objectif prioritaire à abattre. La nécessaire et inévitable répression de la criminalité chaotique et opportuniste se convertissait en une excellente excuse pour freiner et contrôler au passage les révolutionnaires expropriateurs. De cette façon se décantait et se démasquait aussi l’authentique nature du Comité Central des Milices Antifascistes (CCMA) comme organisme de collaboration de classes qui assumait le programme antifasciste, renonçait à la révolution sociale et préparait la participation des anarchosyndicalistes à un gouvernement de front populaire. Le CCMA n’était pas un gouvernement révolutionnaire, mais le premier maillon de la formation d’un nouveau gouvernement de la Généralité, auquel participeraient toutes les organisations syndicales et politiques, ouvrières et bourgeoises, en plus des représentants du gouvernement, avec l’objectif final, conscient ou non, de restaurer tous les pouvoirs et toutes les structures de l’Etat bourgeois. Chaque moment historique établissait l’organe adéquat pour contrôler et canaliser la «révolution de juillet» et préparer, dans le futur la reconstruction de l’Etat. La même chose se produisait avec les Patrouilles de Contrôle. Les «vraies» forces de l’Ordre Public, la Garde Civile et la Garde d’Assaut une fois encasernées une police «révolutionnaire » était nécessaire pour protéger ce nouvel ordre «révolutionnaire», capable de réprimer la délinquance, mais aussi de « contenir» les comités de quartier et les comités syndicaux , avec toutes les contradictions possibles, résultats de cette situation instable des instances supérieures, de dirigeants d’une organisation d’idéologie antiétatique qui participaient aux tâches gouvernementales et de reconstruction de l’Etat capitaliste. Les mouvements révolutionnaires, au cours de l’histoire, n’ont jamais été purs et parfaits, mais hétérogènes et contradictoires, ingénus et éclairés, agaçants et aveugles, surprenants et prévisibles, tout ceci en même temps. Neuf semaines après sa création, le CCMA était dissous le 1° octobre 1936, encore que la CNT avait donné son accord, bien avant, dans une réunion plénière le 17 août 1936. Fin octobre le bilan du CCMA était terrible : On mettait fin aux expropriations ouvrières spontanées et méthodiques d’usines et de propriétés de la bourgeoisie qui furent contrôlées et déformées par un décret de collectivisation et de contrôle ouvrier, dont les dispositions et développement furent mis en œuvre par Taradellas, moyennant 58 décrets financiers et fiscaux…
Le discours de Durruti.
4 novembre 1936
Le 4 novembre 1936 Durruti fit à la radio de la CNT-FAI un discours qui fit grande impression. Ce même jour la presse confirmait la prise de possession de la charge de ministres de quatre anarchistes dans le gouvernement de Madrid : Federica Montseny, Juan Garcia Oliver, Joan López et Joan Peiró. La colonne Durruti n’avait pas réussi à prendre Saragosse. Les difficultés d’approvisionnement en armes étaient les principales difficultés du front. Le 24 octobre la Généralité avait approuvé le Décret de militarisation des Milices, qui mettait en vigueur l’ancien code de justice militaire, à partir du 1° novembre. La colonne Durruti refusait la nécessité d’une discipline de caserne à laquelle s’opposait la supériorité de la discipline révolutionnaire : « Miliciens oui ; soldats jamais ». Durruti en tant que délégué de la Colonne voulait se faire l’écho de l’indignation et de la protestation des miliciens du front d’Aragon face au cours clairement contrerévolutionnaire qui ouvrait le chemin à l’arrière-garde. Durruti disait : « Si cette militarisation décrétée par la Généralité est destinée à nous faire peur et à nous imposer une discipline de fer ils se sont trompés. Vous vous trompez Conseillers, avec le décret de militarisation des milices. Puisque que vous parlez de discipline de fer, je vous dis de venir avec moi en première ligne. C’est là que nous sommes nous qui n’acceptons aucune discipline, parce que nous sommes conscients d’accomplir notre devoir. Et vous verrez notre ordre et notre organisation. Ensuite nous viendrons à Barcelone et nous vous interrogerons interrogerons à propos de votre discipline, de votre ordre, de votre contrôle, dont vous êtes dépourvus. Plusieurs heures après avoir écouté Durruti on continuait à commenter ce qu’il avait dit avec son habituelle énergie et sa franchise. Ses paroles résonnèrent avec force et émotion dans la nuit barcelonaise, incarnant l’authentique pensée de la classe travailleuse. Cela avait été un cri d’alarme qui rappelait aux travailleurs leur condition de militants révolutionnaires. Durruti ne reconnaissait aucun dieu parmi ses semblables, ni que la classe ouvrière ne se reconnaissait en lui-même. Il présumait que les miliciens qui s’affrontaient au fascisme sur les champs de bataille n’étaient pas disposés à ce que quiconque les dépouille de leur contenu révolutionnaire et émancipateur : ils ne luttaient pas pour la République ou la démocratie bourgeoise,mais pour le triomphe de la révolution sociale et l’émancipation du prolétariat. Dans tout le discours il n’y avait aucune phrase démagogique ou rhétorique. C’étaient des coups de clairon pour ceux d’en haut et pour ceux d’en bas. Pour les ouvriers et pour les chefs de la CNT installés dans des centaines de postes de responsabilité, pour les citoyens dans la rue, et pour les conseillers de la Généralité ou les tout nouveaux ministres anarchistes. Une critique contre les dérives bureaucratiques de la situation révolutionnaire créée le 19 juillet, et une condamnation de la politique du governement, avec ou sans confédéral à la tête de cette confusion.
A l’arrière-garde on confondait lamentablement le devoir et la charité, l’administration et le commandement, la fonction et la bureaucratie, la responsabilité et la discipline, l’accord et le décret et l’exemple avec j’ordonne et je commande. Les menaces de « descendre à Barcelone » ravivèrent la terreur des représentants politiques de la bourgeoisie, encore qu’il fut déjà trop tard pour corriger l’inexcusable et ingénue erreur de juillet, quand fut ajournée la révolution au nom de « après la prise de Saragosse », en raison d’insuffisance théoriques et de défaut de perspectives du mouvement libertaire. Mais on ne menace pas le pouvoir en vain : ces paroles, destinées à ses frères de classe, avaient tout d’un testament révolutionnaire. Testament, et non proclamation, parce que celui – ci était une mort annoncée, que la sacralisation posthume convertit en une énigme. La conséquence immédiate du discours radiophonique fut la convocation par Companys le lendemain, le 5 novembre à onze heures du soir, d’une réunion extraordinaire au Palais de la Généralité de tous ses conseillers et des représentants de toutes les organisations politiques et syndicales, pour traiter de la résistance croissante à l’exécution du décret de militarisation des milices, ainsi qu’à la dissolution des comités révolutionnaires et leur substitution par des mairies front – populistes. Durruti était la cause et le réveil du débat, bien que tous évitèrent de prononcer son nom. Campanys exposa la nécessité d’en finir avec « les incontrôlés » qui en marge de toute organisation politique et syndicale « se débarrassent de tout et nous mettent tous dans l’embarras ». Comorera (PSUC) affirma que l’UGT allait expulser de ses rangs ceux qui ne respecteraient pas les décrets, et invita les autres organisations à en faire de même. Marianet , secrétaire de la CNT, après s’être glorifié du sacrifice des anarchistes à leur renoncement à leur propre principes idéologiques, s’inquiéta du manque de tact dans l’application immédiate du Code de Justice Militaire, et assura que suite au décret de dissolution des comités, et grâce à l’effort de la CNT il y avait de moins en moins d’incontrôlés et qu’il s’agissait non pas tant de groupes à expulser que de résistances à vaincre, sans provoquer de rébellion et d’individus à convaincre. Nin (POUM), Herrera (FAI) et Fàbregas (CNT) louèrent les efforts réalisés par toutes les organisations pour normaliser la situation postérieure au 19 juillet et renforcer le pouvoir de l’actuel Conseil de la Généralité. Nin intervint dans le conflit entre Santino, conseiller à la Défense et Marianet sur les causes de la résistance au Décret de militarisation, en disant que « dans le fond ils étaient tous d’accord » et qu’il existait une certaine peur parmi les masses « de perdre ce qu’elles avaient gagné « mais que la classe ouvrière était d’accord pour former une véritable armée ». Nin voyait la solution du conflit actuel dans la création d’un commissariat à la guerre où serait représenté toutes les organisations politiques et syndicales. Comorera, beaucoup plus intransigeant que Companys et Tarradellas, affirma que le problème fondamental se situait dans le manque d’autorité de la Généralité : « » non seulement sur la question de la militarisation et de la direction de la guerre ou du commandement unique, mais aussi à propos de la dissolution des comités et de la formation de municipalités ou en ce qui concerne la collecte d’armes pour l’arrière – garde, ou la mobilisation pour laquelle il prévoyait un échec. Manque d’autorité que Comorera étendait d’abord et avant tout aux collectivisations « qui continuent de se faire en toute fantaisie sans se soumettre au Décret qui les régissent ». Companys accepta la possibilité de modifier le Code Militaire et la création d’un commissariat à a guerre. Comorera et Andreu (ERC) insistèrent pour faire adopter et faire appliquer les décrets. La réunion se conclut par un appel unitaire au peuple catalan au respect discipliné de tous les décrets de la Généralité, et par l’engagement de toutes les organisations à exprimer leur soutien dans la presse à toutes les décisions gouvernementales. Personne ne s’opposa à la militarisation : le seul problème pour les politiques et les bureaucrates était de se faire obéir. Le 6 novembre le Conseil des Ministres de la République décidait, à une unanimité qui incluait le vote des quatre ministres anarchistes, la fuite du gouvernement de Madrid assiégé par les troupes fascistes. Le mépris de la Fédération Locale de la CNT à Madrid se refléta dans un splendide manifeste public qui déclarait : « Madrid, libre de ministres, sera la tombe du fascisme. En avant miliciens ! Vive Madrid sans gouvernement ! Vive la révolution sociale ! » Le 15 une partie de la colonne Durruti combattait déjà à Madrid, sous le commandement d’un Durruti qui avait résisté au départ de l’Aragon, convaincu finalement par Marianet et Federica. Le 19 novembre une balle perdue, ou non, le blessa sur le front de Madrid où il mourut le lendemain. Le dimanche 22 novembre, à Barcelone un innombrable, interminable, chaotique et désorganisé cortège funèbre avançait lentement, tandis que deux fanfares qui ne parvenaient pas à jouer à l’unisson contribuaient à augmenter la confusion. La cavalerie et les troupes motorisées qui devaient ouvrir le défilé étaient bloquées par la multitude. Les voitures qui portaient les couronnes faisaient marche arrière. Chacun des membres de l’escorte de cavalerie essayait d’avancer pour son propre compte. Les musiciens qui s’étaient dispersés essayaient de se regrouper au sein d’une masse confuse qui portait des pancartes antifascistes où ondoyaient des drapeaux rouges, rouge et noir et de drapeaux rayés des quatre barres. Le cortège funèbre était présidé par de nombreux politiques et bureaucrates, pari lesquels se distinguaient Companys, président de la Généralité, Antonov-Ovseenko, consul soviétique et Juan García Oliver, ministre anarchiste de la République, qui prirent la parole devant le monument à Colomb pour faire étalage de leurs dons oratoires devant la multitude. Joan García Oliver anticipa les mêmes arguments de sincère amitié et de confraternité entre antifascistes qu’il utilisera en mai 1937 pour aider à démanteler les barricades de l’insurrection ouvrière contre le stalinisme. Le consul soviétique s’engagea dans la manipulation idéologique de Durruti en faisant le champion de la discipline militaire et du commandement unique. Companys joua à l’insulte la plus vile en disant que Durruti «était mort d’un tir dans le dos comme meurt les lâches… ou comme meurent ceux qui sont assassinés par les lâches». Les trois se retrouvèrent dans l’exaltation par-dessus tout de l’unité antifasciste. L’estrade funèbre de Durruti était déjà la tribune de la contrerévolution. Trois orateurs, éminents représentants du gouvernement bourgeois, du stalinisme et de la bureaucratie de la CNT, se disputaient la popularité du dangereux incontrôlé d’hier et du héros embaumé du jour. Quand le cercueil, huit heures après le début du spectacle, maintenant sans le cortège officiel, mais accompagné par une multitude de badauds arriva au cimetière de Montjuic, il ne put pas être enterré avant le lendemain parce que des centaines de couronnes obstruaient le passage, la fosse était trop petite et une pluie torrentielle empêchait de l’élargir. Peut-être ne saurons-nous jamais comment Durruti est mort, puisqu’il y a sept ou huit versions différentes et contradictoires, mais il est plus intéressant de se demander pourquoi il est mort quinze jours après avoir parlé à la radio. L’allocution radiophonique de Durruti fut perçue comme une périlleuse menace, qui trouva une réponse immédiate lors de la réunion extraordinaire du Conseil de la Généralité et surtout dans la brutalité de l’intervention de Comorera, à peine modérée par les dirigeants de la CNT et du POUM, qui au bout du compte prêtèrent serment en commun de respecter et de faire appliquer les décrets. L’union sacrée antifasciste entre bureaucrates ouvriers, staliniens et politiciens bourgeois ne pouvait tolérer des incontrôlés de l’envergure de Durruti : d’où l’urgence et la nécessité de sa mort. En s’opposant à la militarisation des milices, Durruti personnifiait l’opposition et la résistance révolutionnaire à la dissolution des comités, à la direction de la guerre par la bourgeoisie et au contrôle de l’Etat des entreprises expropriées en juillet. Durruti est mort parce qu’il s’était converti en un dangereux obstacle à la contrerévolution en marche : il était un incontrôlé.
Le défaitisme révolutionnaire des Amis de Durruti
(février 1937)
Le rejet de la militarisation des Milices Populaires créa un grand malaise dans plusieurs unités de miliciens libertaires, qui se concrétisa dans l’assemblée plénière des colonnes confédérales et anarchistes réunie à Valence du 5 au 8 février 1937. Pablo Ruiz y assista comme délégué des miliciens de la colonne Durruti du secteur de Gelsa, réticents quant à la militarisation, et les frères Pellicer comme représentants des miliciens de la Colonne de Ferro. Dans le quatrième groupement de la colonne Durruti, le secteur de Gelsa, ils arrivèrent à une position de désobéissance défiant les ordres reçus des comités régionaux de la CNT et de la FAI pour qu’ils acceptent la militarisation. L’hostilité entre les miliciens de la colonne Durruti qui acceptaient la militarisation et ceux qui la rejetaient, créa de sérieux problèmes, qui furent sur le point de provoquer un affrontement armé, canalisé moyennant la création d’une commission de la colonne présidée par Manzana qui soumit le problème au Comité Régional. Le résultat de ces discussions fut de donner à choisir à tous les miliciens, au terme de 15 jours, entre deux alternatives : l’acceptation de la militarisation imposée par le gouvernement républicain, ou l’abandon du front. Pablo Ruz, délégué du quatrième groupement de la colonne Durruti de Gelsa prit la tête de 800 miliciens qui décidèrent, malgré toutes les pressions, d’abandonner le front, en conservant leurs armes, pour descendre à Barcelone et fonder une organisation révolutionnaire qui s’oppose au constant abandon des principes anarchistes et à la contrerévolution en marche. Ces miliciens furent à l’origine de la fondation de l’Association des Amis de Durruti. En mai 1937 ils avaient diffuser cinq mille cartes d’adhèsion et comptaient quatre cents d’entre eux, armés, luttant sur les barricades. L’Association des Amis de Durruti avait été fondée formellement le 17 mars 1937 encore que ses origines remontaient à octobre 1936. L’association était constituée de la confluence de deux courants principaux : l’opposition des miliciens anarchistes de la colonne Durruti à la militarisation des Milices Populaires, et l’opposition de ceux opposés au gouvernementalisme, qui trouvait sa meilleure expression dans les articles de Jaume Balius (mais pas seulement de Balius) dans Solidaridad Obrera, de juillet jusqu’en novembre 1936, dans Ideas , de décembre 1936 jusqu’à avril 1937, et dans La Nuit, de mars à mai 1937. Les deux courants, le « milicien » de rejet de la militarisation des Milices Populaires, représenté par Pablo Ruiz, et la « journalistique » de critique du collaborationnisme gouvernemental de la CNT-FAI, conduite par Jaume Balius, s’opposaient à l’idéologie circonstancielle et collaborationniste confédérale (qui servait d’alibi à l’abandon des principes caractérisant fondamentalement l’anarchisme) incarné avec diverses nuances, par Federica Montseny, Joan Garcia Oliver, « Diego Abad de Santillán » ou Joan Peiró, entre autres. Les Amis de Durruti posèrent en pratique un des plus remarquables épisodes de défaitisme révolutionnaire de l’histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire : 800 miliciens abandonnèrent le front d’Aragon les armes à la main, pour descendre à Barcelone avec l’objectif de combattre pour la révolution, fondant les Amis de Durruti, qui en mai 1937 vont essayer d’impulser une orientation révolutionnaire à l’insurrection ouvrière contre le stalinisme et le gouvernement bourgeois de la Généralité.
Les sanglantes journées du 3 au 7 mai 1937
Lors de l’assemblée de la Fédération locale des groupes anarchistes du 12 avril 1937, radicalisée par l’invitation des Joventuts Llibertàries (Jeunesses Libertaires) et des délégués des comités de défense , fut exigé le retrait de tous les militants de la CNT de toute charge municipale ou gouvernementale et fut créé un comité insurrectionnel. Dans cette radicalisation jouèrent un rôle important Julián Merino, Pablo Ruiz et Juan Santana Calero. A la mi-avril 1937 Manuel Escorza del Val négocia directement avec Companys une issue à la crise du gouvernement de la Généralité, débutée aux premiers jours de mars 1937, avec les décrets de création du Corps Unique de Sécurité et de dissolution des patrouilles de Contrôle. Taradellas fut écarté par Companys de ces négociations, parce qu’il considérait que celui-ci était trop condescendant à l’égard de la CNT. Companys cherchait un rapprochement du PSUC et du gouvernement de la Généralité, et un éloignement, ou jusqu’à une définitive exclusion de la CNT. De cette façon il pensait parvenir à un gouvernement fort de la Généralité. Après de dures négociations, non exemptes de violents affrontements et de menaces, on arriva à un accord a minima de gouvernement qui prévoyait l’entrée d’Aurelio Fernández comme conseiller. L’assassinat d’Antonio Martin à Bellver de Cerdanya, le 27 avril 1937, rompit le fragile équilibre provisoire conclut lors des discussions des 9-11 avril et dans l’accord personnel Companys/Escorza du 15 avril. Manuel Escorza informa les comités de défense de l’information qu’il possédait sur un prévisible et prochain coup ou action violente des forces d’ordre public de la Généralité qui serait soutenu par le PSUC et l’ERC. Les évènements de Bellver du 27 avril et l’assassinat d’Antonio Martin avaient été le premier acte de ce coup de force qui se préparait à Barcelone. Escorza alluma la mèche qui déclencha l’insurrection, en mettant les comités de défense en état d’alarme. Les constants affrontements, les désarmements réciproques et les escarmouches habituelles entre les Patrouilles de contrôle et les gardes d’assaut ne faisaient qu’annoncer le choc définitif. Les instances supérieures des Comités (Dionís Eroles et Josep Asens) intervinrent dès les premiers instants de l’occupation de Telefonica avec l’objectif d’éviter l’éclatement de l’insurrection, et une fois celle-ci déclenchée, avec l’intention de la contrôler et d’y mettre fin ; mais ils furent débordés par les comités de défense et très vite se virent totalement dépassés. La réunion du CR du 4 mai 1937 fut convoquée à la demande de Julián Merino qui s’exprima comme promoteur (militaire) de l’insurrection en cours, demandant au CR qu’il la dirige, par un comité révolutionnaire (secret) de la CNT catalane et de deux commissions : celle du Centre et celle de Paral.lel –Plaça d’Espanya. Lucio Ruano eut un rôle très actif dans la libération de l’édifice de la Maison de la CNT-FAI au moyen de bombes à main contre les forces qui entouraient l’édifice, ainsi que dans le contrôle des canons de Montjuïc qui dès lors furent pointés sur le Palais de la Généralité. La Commission du Paral.lel – Plaça d’Espanya dirigea la lutte sur cette avenue et sur la place d’Espagne, prenant d’assaut la caserne Casarramona de la garde civile et celle des gardes d’assaut sur la place d’Espagne, faisant prisonniers un total de quelques 600 gardes (d’assaut et garde civile) qui seront détenus dans les dépendances de l’Hôtel numéro 1 et de l’Espagne Industrielle.
La Commission du Centre opéra aux côtés des Amis de Durruti (Pablo Ruiz et Jaume Balius) occupant toute la rue de l’ Hôpital depuis les Ramblas, où se trouvait le siège des Amis de Durruti jusqu’à l’immeuble des Ecoles religieuses (Escolapis), où le Comité de Défense (et de Poble Sec) avait son siège ainsi que de nombreux groupes anarchistes. De l’autre côté de la Rambla ils occupaient le début de la rue Fiveller (aujourd’hui Ferran) et la place Macià (aujourd’hui place Royale) et au-delà des Escolapis établissaient le contact avec Màxim Franco à la Brexta de Sant Pau, lequel avec une quarantaine de miliciens (déserteurs révolutionnaires de la Rouge et Noire) avaient dressé des barricades dans cette zone du Paral.lel Le CR nomma une délégation pour parlementer au Palais de la Généralité, à laquelle participait Santillán, qui avait donné l’ordre aux artilleurs de Montjuïc (Lucio Ruano) de tirer sur l’édifice s’ils ne recevaient pas chaque demi-heure son message téléphonique. Les principaux orateurs anarcho-syndicalistes, les ministres Joan García Oliver et Federica Montseny vinrent de Valence pour lancer à la radio leurs discours conciliateurs. Ils furent les « pompiers » qui éteignirent le feu. Xena, Jover et Manzana organisèrent la défense militaire de l’immeuble de la maison de la CNT-FAI. L’occupation de la Maison du Médecin située face à la Maison de la CNT-FAI , de l’autre côté de l’Avenue Durruti, par des miliciens étrangers de diverses nationalités (surtout italienne et française), obéissait à cette stratégie défensive et à la nécessité de rompre l’encerclement. L’abandon des barricades le 7 mai confirma l’échec politique : la menace de la répression obligea à effacer les empreintes, à cacher les responsabilités et à dissimuler certains rôles. Et ceci affecta la rédaction des comptes-rendus des réunions confédérales.
L’été 1937
Le mercredi 16 juin 1937, des policiers arrivés à Barcelone depuis Madrid arrêtèrent le Comité Central du POUM, parti déclaré illégal le jour même sous la fantastique accusation de faire partie d’un réseau d’espionnage fasciste. La chasse aux incontrôlés commençait, c’est-à-dire, la chasse à ceux non contrôlés ni par le gouvernement ni par les staliniens. Une brutale répression commençait contre le POUM et les secteurs révolutionnaires de la CNT, qui de plus diabolisait et diffamait le caractère et la nature des incontrôlés/révolutionnaires. C’était la première fois dans l’histoire que s’organisait une campagne de tromperies, infamies et calomnies comme substitut à la réalité sociale et historique. Répression et acharnement, sans limites, à l’encontre des vaincus de mai. Les militants du POUM étaient accusés d’être trotskistes/fascistes, les hauts responsables de la CNT de l’ordre public, ou de l’ancien Bureau Juridique, étaient outragés déconsidérés et caricaturés jusqu’à l’absurde, les convertissant en monstrueux assassins et avides voleurs, les isolant du contexte historique, social et révolutionnaire dans lequel ils avaient surgis. Ceux qui maintenant étaient réprimés n’étaient plus les membres de la cinquième colonne et les ennemis embusqués à l’arrière garde, dans une situation de guerre civile, provoquée par le soulèvement de militaires, de curés et de fascistes contre un gouvernement démocratique et légitime. Ils se convertissaient en angelots saints et innocents injustement agressés. On faisait abstraction du coup d’état et de la guerre en cours d’un peuple contre l’armée professionnelle, l’Eglise et la bourgeoisie. C’était une extravagante, grotesque et curieuse manœuvre, mais très effective, qui masquait le rôle des staliniens et des républicains dans les mêmes tâches répressives que les anarchistes. De manière absurde et arbitrairement ils concentraient et personnalisaient toutes les « atrocités », actions répressives et décisions « de gouvernement et d’ordre public » prises durant la période révolutionnaire à Barcelone dans quelques noms stigmatisés et diabolisés : Manuel Escorza, Dionisi Eroles, Aurelio Fernández, Josep Asens, Eduardo Barriobero, Justo Bueno, Antonio Ordaz. Dans le même temps, dans chaque localité émergeait le nom de l’incontrôlé/révolutionnaire de référence : Antonio Martín, « le boiteux de Màlaga », à Puigcerdà, Lino et « ses marmots » à Sabadell, Pedro Alcocer et « ses jeunes » à Terrassa, Aubi « le gros » à Badalone, Marin à Molins, Pascual Fresquet et son autobus de la mort à Falset, et un long etcètera dans toute la Catalogne. L’opération de persécution, de déshonneur, d’élimination, de distorsion de criminalisation de certains des responsables de la CNT, complète et gratuitement dégradante, basse, abstraite, idéologique et irrationnelle masqua la situation révolutionnaire, déclenchée en juillet 1936 par le triomphe sur le coup miltaro-fasciste et le vide du pouvoir qui en résulta, comme une épidémie de monstrueux assassins en série , vampires avides de sang et voleurs impénitents, tous exclusivement anarchistes, provoquée par un étrange virus : la légalité républicaine et la sélective répression gouvernementale et stalinienne. Ce qui est curieux et grave c’est que cette campagne publicitaire et cette chaîne d’infamies pénétra si profondément qu’elle en vint à se substituer à la réalité même, et elle imprègne encore aujourd’hui le récits historiques académiques comme un dogme indiscutable. Ce n’est pas pour rien qu’Orwell tira les caractéristiques essentielles du Grand Frère de ses souvenirs barcelonais.
Présentation et traduction du dossier par Jacqueline Trinquet
Le document qui constitue le prétexte à ce dossier est une lettre de Trotsky de juin juillet 1934 qui n’avait connu qu’une diffusion restreinte sous une forme abrégée. Elle est rétablie ici, en français, dans son intégralité.
Ce dossier comprend :
1 . Lapremière édition complète d’une lettre de Trotsky à l’Izquierda Comunista Espanola (ICE), juin-juillet 1934, avec à la suite l’article d’une présentation précédente par Pelai Pagès dans L’Avenç (2014).
2 . Une lettre d’Alfonso Leonetti au nom du Secrétariat International de la Ligue Communiste Internationale à l’ICE.
3 . Laprésentation du contexte de 1934, de la lettre de Trotsky, publiée pour la première fois de façon complète et en français (langue d’origine), et de celle de Leonetti, ainsi que des péripéties de leurs publications par Sergi Rosés Cordovilla sur le site SerHistórico (Novembre 2020).
C’est à Pelai Pagès, historien, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Barcelone, qu’est revenu l’initiative de diffuser en 2014 pour la première fois depuis longtemps en Espagne et pour la première fois en catalan, la lettre de Trotsky (mais toutefois de façon incomplète), alors qu’un processus de mobilisation pour une République indépendante s’engageait à nouveau en Catalogne. Cette lettre et sa présentation sont parues dans la revue catalane L’Avenç (septembre 2014).
Sergi Rosés, historien, nous a communiqué l’article qu’il a récemment fait paraitre avec la lettre de Trotsky et celle de Leonetti (novembre 2020) sur le site Ser Histórico. Cet article présente le contexte de l’année 1934 et les péripéties de la publication de ces deux lettres, celle de Trotsky publiée de façon complète pour la première fois, et celle de Leonetti totalement inédite.
Qu’ils soient l’un et l’autre remerciés de leur contribution.
Pour améliorer la compréhension de ces textes nous ajoutons des éclaircissements sur quelques sigles évoqués dans ceux-ci. Quand ils apparaissent pour la première fois dans un des textes ils y sont repérés par un astérisque.
C.E.D.A. : Confédération Espagnole des Droites Autonomes. Fondée en février 1933 elle regroupait plusieurs petits partis de droite, des chrétiens démocrates aux fascistes et elle avait le soutien des propriétaires terriens, de certains milieux d’affaires, d’officiers supérieurs et des évêques.
Rabassaire : vigneron qui loue sa vigne par bail emphytéotique. A la fin du XIX° siècle les viticulteurs catalans (rabassaires) dont le bail avait la durée de vie des ceps furent ruinés par le phylloxéra. Ils tinrent congrès en 1893 pour exiger que les terres de “rabassa morta” leur soient cédées à perpétuité.
E.R.C. : Esquerra Republicana de Catalunya. Gauche Républicaine de Catalogne.
P.C.C. : Partit Comunista de Catalunya (1932 – 1936) projection en Catalogne du P.C.E. Fusionne en 1936 avec d’autres partis pour constituer le P.S.U.C. (Parti Socialiste Unifié de Catalogne ),expressiondu P.C.E. en Catalogne.
U.S.C. : Unio Socialista de Catalunya. Issue en 1923 d’une scission de la Fédération catalane du P.S.O.E. Intègre le P.S.U.C. en 1936.
LE CONFLIT CATALAN ET LES TACHES DU PROLETARIAT[1]
L. Trotsky (juin/juillet 1934)
(Lettre du cde P., collaborateur du S.I.)
1. L’appréciation du conflit catalan et des possibilités en résultant doit partir du fait que la Catalogne représente aujourd’hui indubitablement la plus forte position des forces défensives dirigées contre la réaction espagnole et contre les dangers du fascisme. Si cette position tombe, la réaction aura remporté une victoire décisive et pour longtemps. Avec une politique juste de l’avant-garde prolétarienne il est possible de faire de cette position défensive la plus forte, la position de départ d’une nouvelle offensive de la révolution espagnole. Telle doit être notre perspective.
2. Ce développement n’est possible que si le prolétariat catalan réussit à s’emparer lui de la direction de la lutte défensive contre le gouvernement central réactionnaire de Madrid. Mais cela n’est possible que si le prolétariat catalan ne promet pas seulement de soutenir cette lutte, au cas où elle serait déclenchée, – soit par l’intransigeance du gouvernement de Madrid, soit par l’agressivité de la petite-bourgeoisie catalane (cette politique de suivisme est préconisée par nos camarades dans l’Alliance Ouvrière de Catalogne et réalisée contre Maurin) -, mais s’il se met dès le début à la tête de la résistance, s’il dessine des perspectives, lance des mots d’ordre plus hardis et dès le commencement mène la lutte non seulement en paroles, mais en actes.
3. Une résistance victorieuse n’est concevable que si non seulement elle mobilise toutes les forces de masse de la Catalogne (toutes les conditions en sont actuellement données), mais pousse de plus vers l’offensive. C’est pourquoi il est d’une importance décisive que l’avant-garde prolétarienne sache expliquer dès maintenant aux masses ouvrières et paysannes du reste de l’Espagne que par la victoire ou la défaite de la résistance catalane se décidera aussi leur victoire ou leur défaite. La mobilisation de ces alliés de l’Espagne tout entière doit être faite dès maintenant et non pas au moment où l’offensive réactionnaire contre la Catalogne sera devenue un fait (ce qui est la position de nos camarades et de la majorité de l’A.O.).
4. La Catalogne peut être pour longtemps le pivot décisif de la révolution espagnole. La conquête de la direction en Catalogne doit être le centre de notre politique en Espagne. La politique de nos camarades la rend complètement impossible. Cette politique doit être rapidement changée si l’on ne veut pas qu’une situation décisive aboutisse, par notre faute à une nouvelle défaite de la révolution espagnole qui serait décisive pour longtemps. On ne doit pas cacher que la politique de nos camarades dans cette question, jusqu’à maintenant, a fortement nuit au prestige non seulement de notre propre organisation et de l’Alliance Ouvrière, mais à celui du prolétariat lui-même, ce qui ne saurait être réparé que par un tournant radical et convainquant par les faits. La position de nos camarades et de ceux de l’A.O. ne peut être comprise par les masses travailleuses non-prolétariennes que comme suit : le prolétariat s’engage par la voix de ces organisations à participer si les autres commencent ; mais même pour cela il demande son prix (les conditions posées par l’A.O. à l’Esquerra petite-bourgeoise, ignorent complètement l’intérêt particulier des paysans et des petits-bourgeois citadins) ; et cette position cherchera – aussitôt que la possibilité s’y prêtera – à donner à la lutte une direction dans les sens de ses propres buts de classe, la dictature du prolétariat. Au lieu d’apparaître comme le dirigeant de toutes les couches opprimées de la nation, comme le leader de la libération nationale, le prolétariat apparaît ici purement comme un partenaire des autres classes, voire un partenaire très égoïste, auquel il faut donner ou plutôt promettre sa part parce qu’on a besoin de lui et pour aussi longtemps que nécessaire. La petite-bourgeoisie catalane et la grande bourgeoisie et la réaction se fondant sur la carence de cette petite-bourgeoisie ne pourraient demander rien de mieux qu’un prolétariat dans cette position.
5. Le tournant de nos camarades, doit consister tout d’abord en ceci : ils doivent propager (par notre propre organisation et par l’A.O.) la proclamation de la République Catalane Indépendante et doivent demander pour l’assurer l’armement immédiat de tout le peuple. Ils ne doivent pas, pour cet armement, attendre le gouvernement, mais commencer immédiatement à former des milices ouvrières, qui, elles, doivent alors non seulement revendiquer un meilleur armement de la part du gouvernement, mais doivent s’en procurer par elles-mêmes par le désarmement des réactionnaires et des fascistes. Le prolétariat doit prouver par les faits aux masses catalanes qu’il prend un intérêt sacré à la défense de l’indépendance catalane. Dans cela consistera le pas décisif vers la conquête de la direction de la lutte de toutes les couches prêtes à la défense de la ville et de la campagne.
L’armement du peuple doit devenir le centre de notre agitation des prochaines semaines sous les mots d’ordre de :
Continuation du paiement de tous les salaires ;
Le gouvernement et les employeurs doivent se partager le coût de l’armement et de l’approvisionnement ;
Les forces de combat existantes (police, etc.) seront encadrées comme instructeurs dans la formation des milices ;
Les officiers seront élus par les membres de la Milice ;
La base des milices est l’usine, ou bien le lieu d’habitation ;
Les ouvriers des grandes entreprises, des chemins de fer etc. et de toutes entreprises publiques feront automatiquement partie de la milice ;
De plus tous les citoyens sont invités à s’enrôler ;
Toute formation élit son comité, qui, de son côté, envoie son représentant (sans doute par des instances intermédiaires) au Comité central de toutes les formations de milice de Catalogne. Ce comité central (c.à.d. le Soviet central) remplit la tâche d’un état-major politique, mais tout d’abord celle du contrôle, plus tard, de la direction centrale de l’approvisionnement en armes et en vivres, etc. En réalisant cette tâche, il sera obligé de devenir, d’un organe à côté du gouvernement proprement dit, ce gouvernement lui-même. Cela est la forme et le chemin concrets des soviets dans la situation donnée en Catalogne.
6. Etant donné l’extrême division du prolétariat catalan, qui ne permet pas à son hégémonie de se faire jour en Catalogne, le prolétariat dans la situation actuelle ne peut proclamer lui-même l’indépendance catalane. Mais il peut et il doit en appeler la proclamation de toute sa force et l’exiger de l’Esquerra petite-bourgeoise actuellement gouvernante. Il doit répondre à son retard par la revendication de nouvelles élections immédiates : « Nous avons besoin d’un gouvernement qui représente et dirige la volonté réelle de lutte des masses populaires ». Les comités des formations de milice doivent devenir le moyen principal de la réalisation et de la préparation de ces élections. Autrement dit : dans la mesure où les deux côtés de la chose – proclamation de l’indépendance et armement du peuple – peuvent être séparés l’un de l’autre, c’est le dernier par lequel il faut commencer le travail pratique et par le moyen duquel il faut imposer le premier.
7. Non seulement le prolétariat doit mettre en avant des revendications démocratiques générales (la liberté de la presse etc. ; un Etat qui ne soit pas coûteux ; le nivellement des salaires des fonctionnaires ; une économie démocratique – la suppression des impôts indirects, la taxation élevée directe des possédants pour le financement de la résistance, etc.) ; non seulement il doit faire siennes – en dehors de ses propres revendications de classe – toutes les revendications spécifiques aux paysans et aux petits-bourgeois citadins et même dépasser les revendications mises en avant jusqu’alors (il manque ici la connaissance des détails, surtout dans la question agraire), mais avant tout le prolétariat doit dès maintenant et de sa propre initiative lancer les revendications comme mots d’ordre dans les masses et appeler celles-ci à lutter pour elles, – mais non pas poser ces revendications à l’Esquerra qui gouverne comme « conditions » auxquelles on serait prêt à participer à la lutte.
8. Plus haut on parle toujours vaguement de « le prolétariat doit… ». La raison en est que malheureusement on ne peut pas parler du « Parti du prolétariat ». Notre organisation qui – avec une politique juste – pourrait prendre sur elle le rôle du parti, paraît s’être plus ou moins dissoute dans la masse molle d’unité de l' »Alliance ». Dans quelle mesure ici serait possible un tournant rapide qui corresponde à la poussée de l’heure actuelle, il n’est assurément pas possible de le fixer hors du lieu-même. Comme dans la situation actuelle le sort de la Révolution espagnole et de notre organisation en Espagne peut être décidé pour une longue période (naturellement il y a aussi la possibilité que le conflit se résolve – mais même dans ce cas l’influence de notre organisation, si elle continue la politique actuelle, devrait subir parmi les masses prêtes à lutter un dommage extraordinaire capable de la pousser entièrement hors de l’arène politique). L’envoi d’un délégué du S.I. est nécessaire. Son voyage devrait être préparé par une lettre du S.I. à écrire immédiatement et qui exposerait notre position sur la question.
[1] Les lettres majuscules et les termes en italique sont de l’original ; quelques corrections orthographiques ont été faites.
LEON TROTSKY, LE MOUVEMENT COMMUNISTE CATALAN ET LA REPUBLIQUE CATALANE.
Pelai Pages
Lorsqu’à l’été 1934 eut lieu dans toute son âpreté le conflit entre le gouvernement de la Généralité et le gouvernement de la république de Madrid lors de la promulgation de la loi des contrats de Culture, il y avait déjà quelques mois qu’en Catalogne avait été constituée l’Alliance ouvrière, promue fondamentalement par le Bloc ouvrier et paysan dirigé par Joaquim Maurin. A partir de l’Alliance ouvrière contre le fascisme, fondée en mars 1933, fut constituée définitivement le 9 décembre de la même année l’Alliance ouvrière comme réponse au triomphe électoral des partis de droite aux élections du 19 novembre précédent. La menace de régression liée à ce résultat électoral – comprenant des radicaux et la CEDA* comme majorité parlementaire – conduisit à la création d’un Front unique ouvrier dont, en Catalogne, la CNT et le Parti communiste s’écartèrent volontairement. D’après son manifeste de fondation l’Alliance ouvrière avait été créée avec pour objectif fondamental de freiner l’offensive antisociale de la droite espagnole et afin d’éviter un coup d’état imposant une dictature fasciste. L’expérience allemande et l’ascension d’Hitler au pouvoir était trop récente pour qu’une situation similaire ne puisse pas se reproduire dans l’Etat espagnol. L’alliance ouvrière était par conséquent un organisme clairement défensif, qui prétendait rassembler divers efforts afin d’éviter et d’affronter, si le cas se présentait, la réaction des forces d’extrême droite espagnole.
Le développement des événements – la politique clairement antisociale menée par le nouveau gouvernement – finit par provoquer une radicalisation progressive de la situation et ainsi, l’Alliance ouvrière développa une politique beaucoup plus offensive, aussi bien à l’égard du gouvernement de Madrid que finalement, vis-à-vis de celui de Barcelone. Ainsi dès le 13 mars 1934 elle convoqua une grève générale en solidarité avec les ouvriers grévistes de Madrid qui, même si elle échoua à Barcelone, finit par triompher dans la plupart des villes industrielles de Catalogne, bien que boycottée par le gouvernement de la Généralité et sans le soutien de la CNT. Au cours d’un entretien de Maurin et Nin avec la journaliste Irene Polo à propos de cette grève, tous les deux furent d’accord pour affirmer, du côté de Maurin qu’il fallait étendre le mouvement à l’ensemble de l’Etat car seulement ainsi « la classe ouvrière pourra atteindre l’objectif de la prise du pouvoir », quant à Nin il déclara que « le problème est d’être unis afin d’atteindre le même but : vaincre le fascisme par la conquête du pouvoir par la classe travailleuse. Nous sommes tous d’accord là-dessus ; y compris les syndicalistes anarchistes ». Après avoir posé le contentieux avec Madrid – et également, il faut le rappeler, à l’égard des propriétaires catalans de l’Institut agricole catalan de Saint Isidre – en juin 1934, l’Alliance ouvrière catalane organisa une conférence où fut adopté l’accord déclarant textuellement que «si le gouvernement contre-révolutionnaire de Madrid attaque la Catalogne et si de ce fait la République catalane est proclamée, l’Alliance ouvrière soutiendra le mouvement, en faisant tout son possible pour en prendre la direction avec l’objectif de le mener vers le triomphe de la République socialiste fédérale ». Et de nouveau, avant octobre 1934, l’Alliance ouvrière fit une autre démonstration de force lorsque, le 10 septembre elle organisa une manifestation à Barcelone, contre les grands propriétaires de l’Institut agricole catalan, avec la participation de 25 000 personnes.
C’est dans ce contexte que Trotsky écrivit son article, d’un ton franchement critique aussi bien à l’égard des militants trotskystes catalans et espagnols que dirigeait Andreu Nin, que vis-à-vis de Maurin et de l’Alliance ouvrière elle-même. Il faut dire ici, qu’ainsi que le révolutionnaire russe le fit dans beaucoup d’autres circonstances, celui-ci avançait des suggestions en partant de son expérience pendant la révolution russe et en appliquant le modèle que les bolchéviques avaient suivi dans le processus qui avait abouti à leur triomphe d’octobre 1917. De ce fait, en grande mesure, des critiques qui venaient de loin. Il est clair que, les rapports entre Nin, les trotskystes espagnols et Trotsky n’avaient pas été spécialement bons et celui-ci n’avait pas vu d’un bon oeil les rapports que Nin entretenait avec Maurin lorsqu’il était revenu de Russie en Catalogne, en septembre 1930, à tel point qu’il obligea pratiquement Nin à rompre avec Maurin en juin 1931. Plus tard, lors de la crise qui traversa la Gauche communiste de Nin, et qui s’était prolongée jusqu’en 1933 et avec les rapports tendus avec le Secrétariat International trotskyste, les interventions de Trotsky avaient été spécialement critiques. Mais, curieusement au cours de l’année 1934, les articles parus dans la revue « Comunismo » (Communisme), l’organe théorique de la Gauche Communiste, signés par Trotsky, se référaient presque toujours à la situation internationale ou à des aspects historiques – dans le numéro du mois de février fut publié l’article Récapitulation historique sur le front unique – sans qu’il y ait d’article spécifique sur la situation espagnole ou catalane. Et en septembre 1934 un éditorial de « Comunismo » annonçait déjà l’imminente rupture avec Trotsky et le trotskisme international.
Les rapports de Trotsky avec Maurin et le Bloc ouvrier et paysan avaient été historiquement beaucoup plus critiques. Pour Trotsky, Maurin et le Bloc représentaient une option « centriste » qui ne pouvait en aucun cas être capable de diriger un processus révolutionnaire. Déjà en juillet 1931 il avait recommandé à ses partisans espagnols de mener à bien une critique radicale contre la politique de Maurin, « ce mélange de préjugés petits bourgeois, d’ignorance, de « science » provinciale et de roublardise politique ». Les critiques sur le programme et l’intervention du BOC de la part de Trotsky avaient toujours été percutantes et elles avaient trouvé des réponses dans les pages de « La Batalla », l’organe de presse du BOC, avec la signature, entre autres, de Julian Gorkin ou de Jordi Arquer, même s’ils avaient toujours défendu le révolutionnaire russe lorsqu’il était attaqué viscéralement par le stalinisme, et y compris en 1934, ils avaient demandé que l’asile politique lui soit accordé en Espagne.
Il était donc tout à fait normal que des critiques apparaissent de nouveau ainsi que des recommandations sur la façon d’intervenir dans une situation délicate comme l’était alors la situation en Catalogne et dans la République espagnole, dans le seul article que nous connaissons de Trotsky sur la situation catalane publié en 1934. Trotsky faisait partie des révolutionnaires européens, peu nombreux, capable d’estimer l’importance atteint par le processus politique de la République espagnole et même s’il ne disposait pas toujours de toute l’information possible, la stratégie et la tactique qu’il proposait étaient toujours dirigées vers un but très concret qui n’était autre que de rendre possible la prise du pouvoir par la classe travailleuse. Et il n’hésitait pas non plus à réclamer la République catalane, comme une formule qui rende possible un principe qui lui avait toujours paru inaliénable : l’exercice du droit des peuples et des nations à l’autodétermination. Un exercice qui, en première instance, devait être défendu par la classe travailleuse. L’indépendance de classe, l’action prépondérante de la classe ouvrière – qui en aucun cas ne devait être à la remorque de la situation – étaient les autres recommandations qu’exprimait Trotsky dans un article frappant qui, de façon claire et expressive, situait la question catalane au premier plan de la situation conflictuelle républicaine d’alors.
LETTRE D’A. LEONETTI A LA C.E. DE L’I.C.E. (17 JUILLET 1934)
Une lettre avait été préparée par nous au sujet du conflit catalan, avant l’arrivée du cam. M. Les conversations avec ce camarade nous ont confirmé dans la nécessité de vous adresser cette lettre afin de mieux préciser nos points de vue respectifs sur cette question importante.
1 – Nous pensons ne pas avoir de désaccords avec vous sur l’appréciation « que dans les circonstances actuelles le mouvement de l’émancipation nationale de la Catalogne est un facteur progressif dans le développement de la révolution espagnole » (voir votre information « La situation en Catalogne »).
Mais justement, de ce fait, nous estimons que votre position dans le conflit entre Madrid et Barcelone ne correspond pas à la tâche de faire du mouvement d’émancipation nationale de la Catalogne un véritable facteur progressif de toute la révolution espagnole.
2 – Il faut tout d’abord placer clairement le conflit catalan dans les perspectives de la révolution espagnole. Indubitablement la Catalogne représente aujourd’hui la plus forte position défensive contre la réaction clérico-monarchiste. Si cette position tombe, la réaction espagnole aura remporté une victoire décisive et pour bien longtemps. La lutte de la Catalogne se trouve ainsi placée par les circonstances actuelles au centre de tout le mouvement d’émancipation des masses opprimées d’Espagne, c’est-à-dire que la lutte de la Catalogne n’est pas séparable de la lutte des masses ouvrières et paysannes de toute l’Espagne. Mais pour faire du conflit catalan le point de départ d’une nouvelle offensive de la révolution espagnole, il est nécessaire que le prolétariat catalan, soutenu par la classe ouvrière espagnole, sache s’emparer de la direction de la lutte défensive contre Madrid, jusqu’à la séparation. Cela signifie que la tâche de l’avant-garde prolétarienne doit consister à démontrer toute l’impuissance de l’Esquerra de défendre et de réaliser l’émancipation nationale de la Catalogne, dont elle – l’avant-garde prolétarienne – doit prendre la tête. Comment ?
3 – Lutter dans les circonstances actuelles pour l’émancipation catalane signifie pousser à l’extrême le conflit entre Madrid et Barcelone ce qui veut dire lutter pour la séparation. Dans cette voie on démontrera tout l’esprit hésitant, inconséquent, tendant au compromis, etc., de la petite bourgeoisie, voire de l’Esquerra.
Or, la position adoptée par vous et que vous avez fait adopter à l’Alliance Ouvrière nous apparaît une position d’attente et de suivisme. Vous dites :
« Si le gouvernement réactionnaire de Madrid attaquait la Catalogne, la place de la classe ouvrière serait aux côtés de cette dernière » ;
« Si la République catalane était proclamée, nous devrions nous défendre contre l’offensive du pouvoir central et profiter de cette occasion pour pousser le mouvement sur le chemin de la révolution socialiste » (voir votre rapport cité plus haut).
« Si le gouvernement réactionnaire attaquait », « si la République catalane était proclamée… » cela signifie une position « d’attente ».
Non, cette position, nous estimons qu’elle doit absolument et de toute urgence être revue.
Il ne faut pas attendre l’attaque du gouvernement réactionnaire de Madrid. D’ailleurs l’attaque de la part de celui-ci est déjà déclenchée. Il faut dire à la classe ouvrière (et non seulement de la Catalogne, mais de toute l’Espagne) que de la victoire ou de la défaite de la résistance catalane se décidera aussi sa victoire ou sa défaite. La classe ouvrière doit mobiliser toutes les forces des masses de Catalogne pour les dresser contre la réaction, dont Madrid est le centre. Pour cela, la classe ouvrière (et son avant-garde politique) doit poser le problème de l’indépendance de la Catalogne, jusqu’à – nous le répétons – la séparation d’avec Madrid.
4 – Evidemment, nous, marxistes, nous ne sommes pas des « séparatistes » ; mais nous ne sommes non plus des « démocrates ». Néanmoins en luttant pour la « démocratie » nous pensons arriver au socialisme et au pouvoir prolétarien. La même chose pour la question nationale.
En luttant pour l’indépendance catalane, pour la République catalane, en somme, la classe ouvrière ne perd pas de vue un instant que sa tâche est de lutter pour une libre république catalane ouvrière et paysanne dans une libre république ouvrière et paysanne d’Espagne.
5 – Pour que le mouvement de l’émancipation nationale de Catalogne soit un facteur progressif à l’heure actuelle, il faut la mobilisation de tout le peuple catalan contre Madrid, contre la réaction monarchiste-vaticaniste. C’est pourquoi la lutte pour la République catalane indépendante est d’une importance décisive dans les circonstances actuelles. Cela signifie-t-il que Maurín a une position juste ? Nullement. Ce qui nous sépare de Maurín est constitué par tout ce qui nous sépare des « démocrates » et des « opportunistes ». Pour nous la lutte en faveur des libertés démocratiques et par suite la lutte pour la République démocratique catalane est un moyen « pour pousser le mouvement sur le chemin de la révolution socialiste », tandis que pour Maurín et les autres « catalanistes » c’est un moyen pour tromper les masses. Or, si nous voulons démasquer tant les Maurins que les radicaux de l’Esquerra, nous devons justement ne pas les laisser apparaître comme les défenseurs de l’autonomie et de l’indépendance catalane, mais prendre dans nos mains la lutte pour cette indépendance et cette autonomie.
6 – Il se dit que les ouvriers catalans ne sont pas séparatistes et que d’autre part les ouvriers et paysans espagnols se placent à côté de la réaction contre tout mouvement séparatiste. Nous ne mettons pas en doute que de pareilles tendances puissent exister dans la classe ouvrière catalane et espagnole. Mais il s’agit de les comprendre et de les expliquer. La lutte pour la séparation est aujourd’hui la lutte contre la réaction qui a son centre dans le gouvernement de Madrid. Le peuple catalan indépendant et armé signifie un rempart formidable pour la lutte des ouvriers et paysans espagnols contre le fascisme et les forces monarchistes.
La proclamation de la République catalane exige la mobilisation des masses ouvrières et paysannes de l’Espagne tout entière contre le gouvernement central de Madrid. Et de cette manière la lutte pour la Catalogne indépendante peut se transformer en lutte pour la République ouvrière et paysanne de toute l’Espagne.
Donc ne pas attendre la proclamation de la République catalane ; ne pas attendre l’attaque contre elle de Madrid ; mais prendre dès maintenant la direction pour la lutte en faveur de la République catalane contre Madrid ; démontrer l’incapacité de l’Esquerra, l’hypocrisie des Maurín, etc.
7 – La tâche de l’Alliance ouvrière dans ce conflit consiste non pas à discuter si l’on doit ou non donner comme mot d’ordre la proclamation de la République catalane ; mais bien à résoudre les problèmes concrets pour mobiliser l’ensemble des masses catalanes contre Madrid.
Le premier problème qui se pose est celui de l’armement du peuple. Remplacer la milice créée par l’Esquerra par le peuple armé :
a) milice ouvrière et paysanne,
b) éligibilité des officiers,
c) salaires payés aux travailleurs pendant leur service, etc.
Mais ne pas attendre l’armement du peuple de l’Esquerra. Le peuple doit s’armer : c’est la condition fondamentale pour garder et garantir ses droits.
8 – Il ne suffit pas de dire : L’Alliance est avec le peuple dans le conflit avec Madrid. Il faut mettre à nu toute l’impuissance de l’Esquerra dans ce conflit à défendre le peuple. L’armement des masses populaires exigé et entrepris par nous et l’A.O. peut bien mettre à nu tout l’esprit de « compromis » qui anime le gouvernement de Companys.
Vous dites que l’A.O. a été consultée officiellement à Barcelone aussi bien qu’en province au sujet d’une possible « collaboration » avec le gouvernement Companys. Votre réponse que « dans le cas où la Catalogne serait attaquée etc. », « l’Alliance se mettrait aux côtés du peuple » nous semble également fausse. Nous y trouvons -permettez-nous de le dire – toujours la même position attentiste et suiviste. Il ne faut pas attendre, mais prévenir l’attaque ; cela veut dire qu’il faut organiser la résistance ; armer le peuple, les ouvriers et les paysans ; organiser les masses populaires ; les informer, etc. Ne pas promettre seulement de soutenir le peuple catalan contre Madrid, mais dire comment le peuple catalan peut et doit se défendre et mener sa lutte réelle contre Madrid. Cela veut dire qu’il faut distinguer le peuple du gouvernement de Companys.
Il ne peut s’agir nullement de « conditions » à l’Esquerra pour « collaborer » avec elle contre Madrid ; il s’agit de déterminer nettement les conditions qui peuvent seulement permettre au peuple catalan de résister à Madrid et de développer sa résistance. Ces conditions sont :
1) constitution d’une milice ouvrière et paysanne (armement du peuple) ;
2) formation de comités d’Alliance ouvrière et paysanne dans toute la Catalogne ;
3) alliance avec les ouvriers et paysans de toute l’Espagne.
L’Esquerra ne peut que trahir les intérêts du peuple catalan, comme elle l’a déjà trahi une fois. Aucune confiance dans l’Esquerra ; ne pas la soutenir et démontrer ses oscillations et ses faiblesses dans la lutte contre Madrid.
C’est aux masses que l’A.O. doit s’adresser pour leur armement, le désarmement des fascistes, l’expropriation des réactionnaires de la Lliga, etc. Et non seulement par des appels, mais en prenant directement l’initiative. De cette manière, l’influence de l’Esquerra dans les masses populaires sera de plus en plus évincée par l’influence des organisations de l’avant-garde prolétarienne.
9 – La question de l’indépendance catalane se présente aujourd’hui sous l’aspect de la lutte paysanne (loi d’affermage). Il est nécessaire de donner à la lutte pour l’émancipation nationale un contenu social ; ce contenu peut être donné :
1) par la lutte en faveur de la terre aux paysans (à bas l’esclavage du métayage ; affranchissement des rabassaires de tout charge étatique et féodale ; etc.)
2) par la lutte en faveur de la semaine de 40 heures et du contrôle ouvrier, etc.
10 – Nous nous résumons : le prolétariat ne doit ni attendre l’attaque réactionnaire, ni promettre son aide ; le prolétariat doit par son activité se mettre à la tête du mouvement d’émancipation nationale et lui imprimer un cours net et ferme. Pour faire cela, le prolétariat doit lutter pour :
1) la proclamation de la République catalane indépendante,
2) l’armement du peuple,
3) la terre aux paysans,
4) le contrôle ouvrier,
5) la constitution de comités de l’Alliance ouvrière et paysanne,
6) l’alliance avec les masses ouvrières et paysannes de toute l’Espagne,
7) la convocation de nouvelles élections pour la formation d’un gouvernement capable de diriger vraiment la lutte des masses populaires contre « Madrid ».
Des perspectives claires ; des mots d’ordre hardis ; pas d’attente. Par cette voie il est vraiment possible de changer la défense en attaque et de pousser le mouvement sur le chemin de la révolution socialiste.
Fraternellement
pour le S.I. Martin
P.S. : Ci-jointe nous vous transmettons en communication aussi une lettre du cam. P. de la section allemande sur le même sujet.
[1] Les lettres majuscules et les termes en italique sont de l’original ; quelques corrections orthographiques ont été faites.
PRESENTATION DE LA LETTRE DE TROTSKY « LE CONFLIT CATALAN ET LES TÂCHES DU PROLETARIAT » : L’AUTRE TOURNANT DE L’ETE 1934
Sergi Rosés Cordovilla, novembre 2020
1. Le contexte : la situation en Catalogne et en Espagne au premier semestre de 1934, et la position de l’I.C.E.*
La victoire de la droite aux élections de novembre 1933 met fin au dénommé biennium (2 années) réformiste de la Deuxième République espagnole et inaugure le « biennium noir », en transférant la direction des affaires gouvernementales au Parti républicain radical*, soutenu par la C.E.D.A.*, le groupe majoritaire de droite qui resta néanmoins en dehors du gouvernement. En Catalogne, cependant, le gouvernement était resté aux mains du parti représentant la petite bourgeoisie, l’E.R.C.*, qui, dirigé par Lluís Companys dès le début de 1934, incorpora les socialistes de l’U.S.C.* et deux autres petits partis catalanistes.
Au cours du premier semestre de 1934, les contradictions sociales en Catalogne et en Espagne s’étaient approfondies et polarisées. Un bon exemple en fut la création et la croissance de l’Alliance Ouvrière en Catalogne (A.O., un organisme de front unique des organisations ouvrières, sans la participation cependant de la C.N.T. et du P.C.C.*,) et plus tard dans le Pays de Valence et les Asturies, ainsi que le renforcement de la gauche dirigée par Largo Caballero au P.S.O.E., la victoire de l’aile gauche au congrès de la jeunesse socialiste, les grèves de la métallurgie à Madrid, celle des journaliers et des petits fermiers d’Estrémadure, les affrontements à l’Escorial en avril entre les partisans de la C.E.D.A. et les militants ouvriers (en particulier les socialistes) et – particulièrement important au vu de ce qui se passera en octobre en Catalogne – l’approbation de la loi des contrats de culture par le Parlement de Catalogne en mars, qui non seulement suscita des réactions de colère dans la presse, aux parlements et aux gouvernements, mais aussi des actions revendicatives des paysans catalans.
La loi sur les contrats de culture promue par l’E.R.C. apportait une solution partielle aux anciennes revendications des rabassaires* catalans (locataires), modifiant les caractéristiques de la « rabassa morta » et permettant un accès lent à la propriété foncière. Cette réforme agraire partielle avait cependant été combattue par la bourgeoisie catalane, en particulier par le parti régionaliste de la Lliga Catalana* de la grande bourgeoisie et des propriétaires terriens dirigé par Francesc Cambó, qui avait sollicité l’aide de la droite espagnole. La Lliga et les propriétaires terriens (l’Institut Agrícole de Sant Isidre) demandèrent le soutien du gouvernement espagnol pour qu’il introduise un recours devant le Tribunal des garanties constitutionnelles, qui rejeta la loi catalane le 8 juin, en la déclarant inconstitutionnelle. Le gouvernement catalan, cependant, ne se plia pas aux diktats des institutions de l’Etat espagnol, et présenta au parlement une nouvelle loi identique au premier texte, adopté le 12 juin ; dans le même temps, les députés de l’E.R.C. abandonnèrent le parlement espagnol, suivis plus tard par ceux de l’E.A.J.-P.N.V.* L’affrontement redoubla avec l’appel de la droite à l’intervention de l’armée en Catalogne et à la suspension de l’autonomie catalane.
Dans ce contexte, l’Alliance Ouvrière de Catalogne tint sa première conférence le 17 du même mois ; à cette occasion le Bloc Obrer i Camperol (B.O.C.) proposa la proclamation de la République catalane comme un premier pas vers la République socialiste fédérale, un mot d’ordre très similaire à celui prôné par la Gauche communiste espagnole (I.C.E.) dès sa III° Conférence en mars 1932. Mais Nin, étonnamment, ne défendit pas cette position lors de la conférence, mais présenta une attitude plus passive, de compromis, proposant de ne pas se mettre à la tête de l’action de protestation mais de se ranger aux côtés des rabassaires et du peuple catalan pour les conduire plus tard, ce que Trotsky allait critiquer. L’A.O. adopta finalement une résolution plus conforme à celle de l’I.C.E. qu’à celle du B.O.C., ne proposant pas la proclamation de la république catalane, mais appelant à sa défense en«essayant» d’en prendre la direction pour la conduire au triomphe de la république socialiste fédérale seulement dans le cas où elle aurait été proclamée par le gouvernement catalan et attaquée par le gouvernement espagnol [1], et demandant par conséquent l’armement des travailleurs (le gouvernement de la Generalitat a préféré bien sûr, cet été-là, la voie de l’accord et du pacte avec le gouvernement espagnol). Comme on le verra à la lecture du texte de Trotsky, sa position était complètement différente : il fallait prendre la tête du mouvement défensif en proclamant l’indépendance, en formant des milices et en se procurant des armes (pas seulement en les réclamant), également en faisant appel à la solidarité de la classe ouvrière espagnole, afin de pouvoir passer à l’offensive plus tard ; c’est donc à ce conflit catalan que Trotsky fait référence.
Quant à elle l’I.C.E. (Section espagnole de la Ligue communiste internationale (L.C.I.)), elle avait subi une importante lutte de fractions en 1932 et 1933 qui prit fin à l’été de cette dernière année avec le départ d’Henri Lacroix et d’une partie de sa fraction de l’organisation. Au cours de ce combat, la direction de l’organisation accusa Trotsky et le Secrétariat international (S.I.) de la L.C.I. de prendre position pour Lacroix ; en réalité, ni Trotsky ni le S.I. ne s’alignèrent sur Lacroix, mais ils critiquèrent certains aspects de la politique de la faction majoritaire dirigée par Nin (comme, d’autre part, ils critiquèrent aussi Lacroix), et les relations se détériorèrent fortement. À la fin de 1933, cependant, les relations formelles s’améliorèrent considérablement, grâce à la volonté conjointe du S.I. et de l’I.C.E. de travailler ensemble dans la même organisation internationale. L’I.C.E. justifia cependant sa critique de la pratique organisationnelle du S.I., et réaffirma la validité de ses positions politiques et organisationnelles vis-à-vis de ce dernier, ce qui témoignait d’un éloignement progressif des positions.
Le S.I. choisit de continuer sur la voie de l’amélioration des relations et il n’est pas prouvé qu’il soit intervenu de manière excessive dans les affaires espagnoles pendant cette période, mais plutôt dans une attitude assez passive ; le nouvel aiguisement du processus révolutionnaire espagnol comme conséquence de la situation en Catalogne n’avait cependant pas échappé à Trotsky, qui suivait constamment la situation politique et sociale mondiale et il adressa au S.I. ses réflexions sur la situation et proposa des mesures pour l’approfondissement de l’intervention prolétarienne et, par conséquent, fit la critique constructive qui, à son avis, devait être faite dans la section espagnole. C’est donc dans ce contexte qu’au début de l’été 1934, il écrivit le texte « Le conflit catalan et les tâches du prolétariat ».
Depuis la fin de 1933 la formation et le renforcement de l’Alliance Ouvrière était la priorité politique de l’I.C.E., (Nin écrivait que c’était « le but central de son activité » [2]), plus encore que le renforcement et la croissance de l’organisation elle-même, en ignorant surtout les possibilités qu’offrait à celle-ci la radicalisation d’une partie des organisations socialistes, d’abord ignorée puis méprisée. Créée en Catalogne à l’initiative du B.O.C., la politique d’Aliança Obrera (A.O.) a été immédiatement acceptée par Nin puis par le reste de la direction de l’I.C.E., mais conçue davantage comme un facteur de convergence des organisations pour atteindre l’unité organique que comme front unique contre un ennemi commun mais avec liberté de critique et donc comme un moyen de renforcer sa propre organisation et de conquérir l’hégémonie. Cette approche de la manière dont l’I.C.E. interprétait la politique du front unique motiva certaines critiques de Trotsky, mais la question organisationnelle ne reviendrait au premier plan qu’à l’été 1934, avec sa proposition du « tournant » de l’entrée dans les organisations socialistes, que l’I.C.E. refusa.
Face à l’escalade du conflit politique et social en Catalogne au printemps et à l’été 1934, l’I.C.E. présenta une alternative basée sur trois axes : la distributionde grandes propriétés agricoles et l’attribution de terres aux agriculteurs cultivant de petites propriétés ; l’armement du prolétariat, sous la direction de l’A.O. ; et l’unité d’action de toute la classe ouvrière d’Espagne par le biais de l’A.O. [3]. Étonnamment, et malgré les conversations qu’un membre de la direction (probablement Molins i Fàbrega) eut à Paris avec le S.I. en juin ou juillet, le droit à l’autodétermination pour la Catalogne – qui a été le fond du conflit entre les gouvernements catalan et espagnol, avec la question de la terre comme catalyseur – et la propre proposition politique de l’I.C.E. d’une république catalane au sein d’une fédération socialiste ibérique, n’était pas apparu dans sa presse publique pendant les mois du «conflit catalan», et Nin ne la présenta que tardivement fin août et septembre [4]. En concevant la politique d’A.O. comme priorité de l’organisation, l’I.C.E. subordonna ses propres propositions à des résolutions de compromis qui ne brisaient pas l’A.O. Face à cela, les huit points de la lettre de Trotsky étaient un guide pour une politique indépendante et résolue de la section espagnole.
Le texte de Trotsky allait au-delà de la question de la solution à l’oppression espagnole de la Catalogne, et il tourne en fait autour de la manière de faire avancer la révolution ouvrière en Espagne, en préconisant des politiques de front unique et la création et la coordination de milices ouvrières qui déjà laissaient entrevoir des formes que l’on verrait apparaître pendant l’octobre asturien de 1934 et l’été catalan de 1936, critiquant également la politique erronée de l’I.C.E. Mais sans aucun doute l’argument principal du texte et ce qui lui donne une valeur spécifique dans la littérature révolutionnaire marxiste est la défense sans complexes de l’indépendance de la Catalogne, comme moteur de la révolution espagnole mais aussi comme solution à ce moment-là à l’oppression espagnole : si Nin et l’I.C.E. n’ont pas vu – ou n’ont pas osé aller – au-delà de la position toujours maintenue par l’organisation de reconnaissance du droit à l’autodétermination pour la Catalogne (y compris la séparation) mais en même temps prônant comme solution la république fédérale, comme si la séparation d’une nation était possible pour d’autres lieux mais tabou pour l’Espagne, Trotsky n’hésita pas à adapter les mots d’ordre et les tâches à l’évolution politique et sociale de ce moment historique en Catalogne.
La lettre de Trotsky et celle d’Alfonso Leonetti (alors membre du S.I. et l’un des responsables du travail pour l’Espagne) n’ont pas été publiées par l’I.C.E., mais elles sont très probablement parvenues aux mains de sa direction, comme indiqué par deux faits : une copie a été trouvée dans les documents sur l’Espagne des fonds du mouvement trotskyste conservés au R.G.A.S.P.I. ; et les trois écrits de Nin publiés dans les mois d’août et de septembre 1934 étaient précisément consacrés à la question nationale [5] (que lui et l’I.C.E. avaient publiquement ignorée les mois précédents, quand elle était d’actualité). En effet, il ne semble pas logique que Nin ait senti qu’il fallait rédiger trois articles sur la question nationale – dont deux proposaient en outre des solutions pratiques à la question nationale catalane (République catalane au sein de la République fédérale espagnole) – précisément au moment où l’affrontement entre les gouvernements catalan et espagnol s’était atténué en août ; d’autre part, si l’on considère que les lettres de Trotsky et Leonetti avec leurs mots d’ordre de rupture sur la question nationale catalane devaient arriver à Barcelone dans la seconde quinzaine de juillet, alors nous pouvons pleinement comprendre la nécessité pour Nin d’envisager la question nationale de façon théorique et de proposer des mots d’ordre pratiques pour la situation catalane.
Dans la lignée de sa propre trajectoire antérieure sur la question nationale, de la position de l’I.C.E., et de celle de Trotsky lui-même antérieurement, Nin partagea dans ses articles d’août et de septembre le diagnostic posé dans les lettres envoyées par le S.I. en juillet, mais il proposa une solution de moindre rupture, arguant qu’il était nécessaire de «considérer la proclamation de la République catalane comme un acte d’une énorme transcendance révolutionnaire» et que la classe ouvrière devait adopter cette solution afin d’écarter la petite bourgeoisie de la direction. du mouvement national, mais qu’une fois «émancipée du joug espagnol», la Catalogne indépendante serait le premier pas vers l’Union des Républiques socialistes d’Ibérie [6]. Nin exprimait donc de nouveau la position officielle de l’I.C.E. en ce qui concerne la question nationale catalane (autodétermination conduisant à une république au sein d’une république fédérale), mais qu’il n’avait pas défendue en juin à la conférence de l’A.O. et que l’I.C.E. n’avait présenté dans sa presse qu’à la fin du mois d’août.
Dans la même situation par contre, sur la base d’analyses et de préoccupations similaires, Trotsky en déduisit, que la solution à l’époque exigeait l’indépendance, allant au-delà de sa propre position fédéraliste précédente: « Le tournant de nos camarades, doit consister tout d’abord en ceci : ils doivent propager (par notre propre organisation et par l’A.O.) la proclamation de la République Catalane Indépendante et doivent demander pour l’assurer l’armement immédiat de tout le peuple », et du fait que la classe ouvrière n’était pas hégémonique et n’était donc pas assez forte pour proclamer seule l’indépendance, « elle peut et doit en appeler à la proclamation de toute sa force et l’exiger de l’Esquerra petite-bourgeoise actuellement au gouvernement« . Le traitement de la question nationale par Trotsky était dialectique, soulignant le caractère progressif et accélérateur pour la révolution prolétarienne de l’indépendance catalane : l’organisation étatique indépendante ou fédérée ou confédérée ultérieure n’était pas une fin en soi et dépendrait des circonstances historiques, et à cette époque il considérait que la solution révolutionnaire exigeait celle de l’indépendance ; en 1936, dans une situation de révolution impliquant toute l’Espagne, il ne la souleva plus. Comme il l’a fait remarquer dans son dernier grand ouvrage :
«Le parti du prolétariat ne recommande pas que les diverses nationalités restent dans les limites d’un certain État ou s’en séparent ; c’est l’affaire de chacun d’eux. Mais il s’engage à les aider à réaliser leur authentique volonté nationale. Quant à la possibilité de se séparer d’un État, cela dépend des circonstances historiques concrètes et de la corrélation des forces »[7].
La divergence entre Trotsky et Nin (et de toute l’I.C.E. avec lui) sur ce point n’est pas mineure, et explique pourquoi l’I.C.E. n’a pas publié le texte, même dans ses bulletins intérieurs : s’ils partageaient analyse et perspectives, Nin défendait le droit à l’autodétermination et à la séparation mais adhéra à la solution fédérale pour la Catalogne chaque fois que la question catalane se posa [8], notamment à son paroxysme en 1934 (peut-être parce qu’il ne voyait pas de prédisposition au sein de la direction et des militants de l’I.C.E. à la proposition de Trotsky et du S.I.), alors que Trotsky, dialectique, voyait la nécessité historique dans la conjoncture de cette année-là de l’indépendance de la Catalogne. Il est certain que Trotsky a appelé à celle-ci dans le but de favoriser le triomphe de la révolution ouvrière non seulement en Catalogne mais aussi en Espagne, mais il est aussi certain qu’il a préconisé la solution indépendantiste au problème de l’oppression espagnole sur la Catalogne, sans que le fédéralisme soit un fétiche obligatoire pour les marxistes espagnols.
2. Brève histoire du texte de Trotsky « Le conflit catalan et les tâches du prolétariat »
(Ce texte) est la première édition de l’original en français du document complet de Trotsky « Le conflit catalan et les tâches du prolétariat », auquel s’ajoute également une lettre de Leonetti qui l’accompagnait, dans ce cas inédite. Il s’agit d’une copie carbone conforme d’un document dactylographié non daté de trois pages, apparemment une transcription dactylographiée d’une lettre écrite et envoyée au S.I. par le « Camarade P., collaborateur du S.I. ». Quant à la date de son élaboration, tant pour le sujet traité que pour le fait que la lettre de Leonetti qui l’accompagnait date du 17 juillet 1934, elle fut écrite entre la célébration de la première conférence de l’A.O. et cette dernière date, c’est-à-dire de la mi-juin à la mi-juillet 1934. Quant à sa paternité, elle doit certainement être considérée comme écrite par Trotsky, mais la question mérite d’être expliquée plus en détail.
En effet, le document original indique qu’il s’agit d’une lettre du « camarade P., un collaborateur du S.I.», et la fin de la lettre de Leonetti précise que ce camarade P. était de la section allemande. On ne sait pas que Trotsky ait jamais utilisé le pseudonyme «camarade P.» [9], mais il n’y a pas non plus de trace d’un militant de premier plan dans la section allemande à cette époque dont le nom ou le pseudonyme commençait par «P.» [10]. Il y avait certes, un révolutionnaire communiste allemand de premier plan à cette époque dont le pseudonyme commençait par P., l’ancien dirigeant du K.P.D. Arkadij Maslow, qui a utilisé les mots « Parabellum » et « Paul » et qui avec sa camarade Ruth Fischer avait commencé à collaborer avec le S.I. Cependant, il est hautement improbable que Maslow ait été l’auteur du texte sur la Catalogne adressé au S.I., car il avait à peine entamé cette collaboration à partir de février ou mars 1934, sur la suggestion de Trotsky et – ce qui a un sens dans l’affaire qui nous occupe ici – contrairement à l’avis de la direction de la section allemande, qui avait précisément refusé en même temps, le 13 juin, son entrée dans la section et dont il n’était donc pas membre (comme l’était à l’époque, selon Leonetti, le «camarade P.»). Maslow semblait important pour Trotsky, en particulier pour le travail allemand et international (probablement, comme Fischer, pour les pays anglo-saxons [11]), et ses articles dans Unser Wort traitaient de ce travail et aussi des affaires économiques [12], mais aucun d’entre eux de la Catalogne ou de l’Espagne ; en fait, les quelques articles publiés en 1934 sur ces pays dans l’organe bolchevique-léniniste allemand ne traitaient du conflit catalan de cette année-là et aucun d’entre eux n’est de Maslow [13]. En bref, il est hautement improbable qu’un militant allemand exilé récemment à Paris et sans expérience préalable dans la L.C.I. ait adressé une lettre au S.I. traitant d’un sujet aussi spécifique que la Catalogne où il montrait une connaissance suffisante de la situation analysée et du passé de la section espagnole, et où il proposait également d’adopter dans le S.I. et dans l’I.C.E. un mot d’ordre de rupture tel que celui de l’indépendance.
Par contre, un certain nombre de facteurs indiquent que l’auteur du texte doit avoir été Trotsky :
– Formels : à la fois le style d’analyse et le raisonnement des propositions, ainsi que quelques mots (« tournant », qui est le même mot qu’il a utilisé en même temps dans les documents dans lesquels il a proposé l’entrisme ; « rayon », qui est un mot russe, pour district).
– Le niveau de connaissance concernant l’I.C.E. : références négatives sur les positions passées et actuelles (dissolution dans l’A.O.) de l’organisation ; la référence au manque d’information sur la question agraire (l’I.C.E. n’a jamais fini d’élaborer des thèses définitives, elle n’a présenté que des propositions qu’elle n’a jamais adoptées) ; et les mentions au sujet de Maurín.
– Les propositions qui y sont présentées constituent un tournant radical dans la question catalane tant pour l’I.C.E., la L.C.I., que pour celles défendues jusqu’alors par Trotsky lui-même (fédéralisme), et coïncident dans un concept de rupture avec la proposition d’un tournant qu’il avait faite des semaines plus tôt, en juin, avec l’entrisme ; ce tournant «radical et convaincant» se voit non seulement dans cet appel à l’indépendance, mais aussi dans le traitement détaillé des milices dans le document, un problème qu’il avait développé quelques semaines auparavant dans des thèses perdues [14].
– Leadership : l’auteur de la lettre proposa un voyage d’un délégué en Espagne afin de convaincre la section espagnole du nouveau tournant, et aussi qu’une lettre soit envoyée immédiatement en préparation de ce voyage. La documentation disponible ne permet pas de savoir si ce voyage a été effectué, mais il est clair que la lettre préparatoire que l’auteur a demandée a été écrite, et immédiatement : c’est la lettre de Leonetti, dans laquelle celui-ci a endossé le même discours que celui de la lettre originale. Seul Trotsky avait une telle capacité à faire valoir sa position au sein du S.I.
Certains de ces facteurs doivent avoir été pris en compte par les premiers éditeurs du texte (George Breitman, Pierre Broué et Michel Dreyfus), qui ont donc attribué à juste titre leur paternité à Trotsky. Pourquoi, alors, ce texte est-il attribué dans l’exemplaire original et dans la lettre de Leonetti au « camarade P. » ? Et pourquoi Leonetti a-t-il dit qu’il provenait de la section allemande ? Évidemment, nous ne pourrons jamais avoir de réponse sûre à cela, mais le plus raisonnable est de penser que, dans le contexte du passé tendu de la section espagnole avec Trotsky, il a pensé qu’il valait mieux qu’une telle proposition de rupture que la sienne soit considérée de la manière la plus objective possible, et qu’il y parviendrait mieux s’il le faisait sous un pseudonyme, afin d’attirer l’attention sur la proposition et non sur qui l’avait faite [15].
Pour autant que je sache, cette lettre n’a pas été publiée dans la presse bolchevique-léniniste de l’époque, tant interne que publique, qu’elle soit espagnole, d’une autre section ou internationale, dans une manifestation claire de désaccord avec une proposition politique mal comprise et non partagée. Sa non-inscription dans la presse interne de l’I.C.E., c’est-à-dire le boycott de celle-ci – à moins qu’elle ait été interceptée par des agents staliniens, option peu probable mais qu’on ne peut pas écarter non plus – est un indicateur suffisamment significatif de la distance politique progressive entre la direction espagnole et Trotsky, que la question plus importante de l’entrisme, à la même époque, aggraverait.
Ce n’est qu’en 1978 que la première édition de ce texte parut dans la International socialist review, un supplément au journal The Militant, organe du S.W.P. (alors section du Secrétariat Unifié aux États-Unis) ; le texte avait un titre différent de l’original et a été présenté par George Breitman, rédacteur en chef des Writings de Trotsky (avec l’aide de Pierre Broué pour le contexte historique), qui a rapporté qu’il s’agissait d’une traduction de 1934 d’un texte inédit [16]. Breitman, cependant, n’a pas précisé sa provenance (il n’a mentionné que la bibliothèque où cette traduction était conservée à l’époque) ni abordé la question de sa paternité, qu’il attribuait directement à Trotsky. Dans sa longue introduction, il a souligné les deux caractéristiques fondamentales du texte (l’appel à l’indépendance et la formation des milices), tout en soulignant un sentiment d’insurrection pour la libération nationale qui peut expliquer en partie la trajectoire ultérieure du texte. Quant au texte de Trotsky, il se composait de sept points, et certains paragraphes (en particulier le second) avaient des éclaircissements entre crochets apportés par l’éditeur, car le texte de la traduction anglaise comportait des parties incomplètes ou illisibles. Il n’y a aucune certitude quant à la raison pour laquelle la traduction anglaise qui a servi de source à Breitman comportait sept points et non les huit qui apparaissent dans le document original ; n’ayant pas pu consulter cet exemplaire, la raison ne peut être connue avec certitude, mais il est fort probable que le huitième point appartenait à une page qui s’est détachée, ne laissant que sept points dans les pages du texte conservé ; il ne semble donc pas s’agir d’une omission consciente, puisque le contenu du huitième point suit la même logique d’argumentation, de critique et de proposition que les sept précédents.
L’année suivante, les deux premières éditions de ce texte parurent dans des monographies, en anglais et en français. La version anglaise est apparue dans le supplément aux Writings de Trotsky pour les années 1934-1940, également édité par Breitman [17]. Ce texte était le même que celui qui avait paru dans l’International socialist review, mais comprenait également quatre notes explicatives, la première rapportant qu’elle provenait des archives de James P. Cannon et où Breitman mentionnait spécifiquement la question de l’auteur, non pas en l’attribuant au « camarade P. » (comme indiqué dans le document original), mais au « camarade T. »: encore une fois, n’ayant pas eu l’occasion de pouvoir consulter cette copie [18], je ne peux pas savoir si ce changement de « P. » à « T. » était dans la copie originale, ou si elle a été faite par Breitman.
La version française est parue en 1979 dans le quatrième volume des Œuvres de Trotsky, édité par Pierre Broué et Michel Dreyfus [19]. Ces éditeurs ont retraduit le texte en français à partir de la copie anglaise et ont averti que la traduction anglaise était plutôt médiocre et que leur retraduction en français était approximative [20]. Le texte proposé par les Oeuvres ne reprend donc que les sept points, mais Broué et Dreyfus ont choisi de supprimer les éclaircissements entre parenthèses de Breitman et n’ont laissé qu’une phrase incomplète entre parenthèses dans un seul cas ; en outre, ils ont rédigé leurs propres notes explicatives – neuf en tout – bien que leur signification générale coïncide avec celles rédigées par Breitman.
Le texte eut un certain impact immédiat sur le principal dirigeant du S.U., Ernest Mandel, qui le cita dans son livre sur la pensée de Trotsky – initialement publié en 1979 – dans une section sur les variantes des formes et des situations de double pouvoir et qui étayaient en partie son argumentation en montrant le point de vue de Trotsky selon lequel, en Catalogne, en 1934, la création de milices ouvrières et la formation démocratique d’un comité central de celles-ci étaient nécessaires, comme une prémonition de ce qui allait se produire en juillet 1936 [21] (Broué et Dreyfus, cependant, l’avaient déjà signalé dans une de leurs notes [22]) ; cependant, Mandel ne fait aucune référence au point principal du texte, l’appel à l’indépendance de la Catalogne. Cet impact immédiat a cependant rapidement disparu, car le texte ne semble pas avoir été utilisé dans aucun autre document de diffusion publique ; Broué lui-même n’a cité ce texte qu’une seule fois dans un article quatre ans plus tard, soulignant le raisonnement de Trotsky en faveur de l’indépendance catalane comme un pas vers la révolution prolétarienne en Espagne [23], mais je n’ai pas connaissance que le texte de Trotsky ait été publié par aucune section du lambertisme, où Broué était actif à l’époque.
Bien qu’il s’agisse donc depuis 1978, d’un texte connu, la première – et pendant trente ans la seule – édition en castillan n’est arrivée que cinq ans plus tard, en novembre 1984, dans l’édition espagnole d’Inprecor, organe théorique du S.U. publié en Espagne par la L.C.R. [24]. Cette traduction en castillan a été faite à partir de la version française des Oeuvres, mais cinq des notes écrites par Broué et Dreyfus ont été supprimées et les quatre autres ont été retravaillées et raccourcies. Le texte n’a pas eu un grand impact sur les militants qui se réclamaient du trotskysme au niveau catalan, espagnol et international, en raison certainement de facteurs objectifs (le texte ne figurait dans aucun des différents recueils d’écrits de Trotsky sur l’Espagne ni dans les Escritos – la traduction en castillan que la maison d’édition Pluma a faite des Writings, qui n’incluait pas ses suppléments -), mais surtout subjective (les partis qui se réclamaient non seulement spécifiquement du trotskysme mais plus généralement du marxisme ne prônaient pas l’indépendance de la Catalogne ou d’aucune autre nation sous le joug espagnol ; il n’y avait qu’en Catalogne, au Pays basque et en Galice qu’il existait des organisations se réclamant du marxisme que la prônaient, mais aucune ne se réclamait du trotskysme). Ainsi, le raisonnement de Trotsky sur une question fondamentale de la politique catalane et espagnole a été écarté, oublié et / ou caché, inconnu de la plupart des militants, incompris ou rejeté, en tout cas non incorporé pendant près de trois décennies [25], par ceux qui connaissaient ce texte. Le texte souffrait, précisément à cause de sa proposition politique, d’un second boycott, après le premier de l’I.C.E.
Une petite référence incomplète au texte de Trotsky est apparue dans un article de 2009 de l’historien Andy Durgan, qui montrait sa critique de la position passive de Nin sur la question catalane en 1934 [26] ; cependant, Durgan a écrit que Trotsky a défendu la nécessité de la « République catalane » contre Nin sans indiquer que le concept utilisé par lui était lié à celui de l’indépendance: « République catalane indépendante », selon les propres mots de Trotsky.
Ce n’est qu’en septembre 2014, trente ans après la parution de l’édition en castillan dans Inprecor et trente-six ans après sa première apparition publique dans l’International socialist review, que le texte a été retrouvé et traduit en catalan dans le cours du processus d’indépendance en Catalogne, et il a commencé à avoir une certaine distribution non seulement dans les secteurs militants des organisations subjectivement trotskystes, mais aussi dans les secteurs les plus mobilisés de l’indépendantisme de gauche. L’initiative, cependant, n’est partie d’aucune organisation politique, mais de l’historien Pelai Pagès, qui dans le numéro de septembre 2014 du magazine L’Avenç a présenté une introduction [27] à sa traduction en catalan réalisée à partir du texte des Œuvres[28].
Dans cette édition, Pagès a conservé les neuf notes de Broué et de Dreyfus, avec quelques petites extensions. Par la suite, cette même traduction catalane et deux nouvelles traductions en castillan ont été publiées sur papier ou sur internet par quelques groupes ou revues [29], (et elle a été découverte par quelques historiens [30]) bien que sans grande influence dans la grande majorité des organisations qui se réclament du trotskysme, qui continuent de reconnaître le droit à l’autodétermination pour la Catalogne mais sans prôner son indépendance [31] et qui, en fait, continuent de boycotter le texte de Trotsky.
En résumé, c’est donc un texte qui a peu circulé même parmi les militants au cours de ses quatre-vingt-six ans d’existence, sauf de façon relative ces dernières années en Catalogne ; cette faible diffusion est due à des facteurs objectifs mais surtout subjectifs, puisqu’il a subi trois boycotts tout au long de son existence car présentant une proposition non conforme à ce que l’on attend d’une «politique trotskyste». A cette ignorance s’ajoute le fait que le texte qui a été diffusé est incomplet et, sauf dans le cas de la traduction anglaise, avec traduction sans indication d’origine dans le texte original, étant doublement traduit (de la traduction anglaise puis en français) ou triple (retraduction du français en castillan et catalan). Bien que le sens général de l’ensemble du texte soit le même dans ces traductions, il est nécessaire de signaler deux erreurs de sens : au point 2 du texte original, la référence à Maurín est faite pour critiquer la politique de l’I.C.E., non pas la critique de celui-ci, comme il est apparu dans toutes les traductions ; et le point 7 de l’original et de la traduction anglaise dit que l’une des caractéristiques d’une économie démocratique est « plus d’impôts indirects », mais la traduction française, castillane et catalane indiquent « suppression » de ceux-ci.
Ainsi, pour la première fois, le texte intégral est proposé, à la suite de l’original en français du texte « Le conflit catalan et les tâches du prolétariat », d’après un exemplaire conservé au R.G.A.S.P.I. [32]. On ne sait pas comment cette copie est arrivée à Moscou : elle a peut-être été interceptée par des agents staliniens en 1934, mais a probablement été envoyée là-bas deux ans plus tard, lorsque les services secrets soviétiques se sont appropriés les archives de Lev Sedov en novembre 1936 (ou une troisième possibilité serait lors de la saisie des archives de Nin et du POUM en juin 1937).
La lettre de Leonetti (« Martin ») au nom du SI, à la direction de l’I.C.E. [33] envoyé à la demande de Trotsky à la direction de l’I.C.E.,insiste sur le contenu du texte de celui-ci (non sans répétitions et quelques passages équivoques, cependant). Comme ce document, il s’agit également d’une copie provenant du R.G.A.S.P.I. et pour autant que j’ai pu le découvrir, il n’a été reproduit dans aucune publication bolchevique-léniniste de l’époque ou plus tard, et est donc un texte inédit.
[1] Voir : PAGÈS, Pelai. El movimiento trotskista en España, 1930-1935. Barcelona : Península, 1978, p. 200, et PAGÈS, Pelai. « Trotski i la república catalana ». L’Avenç, núm. 404 (setembre 2014), p. 38 ; voir aussi: DURGAN, Andy. « Sobre las Alianzas Obreras ». Viento sur, nº 105 (octubre 2009), p. 45-46.
[2] NIN, Andreu. « Hacia la Alianza Obrera nacional ». La Antorcha, nº 1 (1-V-34), p. 8.
[3] Voir notamment : « La situación en Cataluña ». La Antorcha, nº 2 (30-VI-34), p. 1 ; et « La tierra debe pasar a los campesinos sin indemnización : el pleito de Cataluña en suspenso ». La Antorcha, nº 3 (14-VII-34), p. 1.
[4] Voir : NIN, Andreu. « La República Catalana como factor revolucionario ». La Antorcha, nº 5 (25-VIII-34), p. 3 ; et NIN, Andreu. « El marxismo y los movimientos nacionalistas ». Leviatán, nº 5 (septiembre 1934), p. 39-47.
[5] Les deux articles de la note précédente et : NIN, Andreu. « La cuestión de las nacionalidades y el movimiento obrero revolucionario : antecedentes de la teoría proletaria ». Comunismo, nº 37 (agosto de 1934), p. 22-26. L’année suivante, Nin planifia une étude spécifique sur la question catalane qu’il ne réalisa pas, étudiant uniquement dans le livre Els moviments d’emancipació nacional le thème général de la question nationale qu’il avait commencé dans ses articles de l’été 1934.
[6] NIN, Andreu. « El marxismo y los movimientos nacionalistas », op. cit., p. 47.
[7] TROTSKY, L. Stalin: [una valoración del hombre y su influencia]. 1ª ed. Completado con material inédito, editado y traducido [al inglés] por Alan Woods. [Zaragoza : Lucha de Clases, 2017], v. 1, p. 260. Cette citation est identique à celle qui apparaît dans la première édition en castillan (Stalin. 1ª ed. Compilado y traducido del ruso por Charles Malamuth. [Barcelona : José Janés], 1947, p. 163), mais je l’ai légèrement modifié pour la rendre plus conforme à l’original anglais (Stalin : an appraisal of the man and his influence. Edited and translated from the Russian by Charles Malamuth. London : Hollis and Carter, 1947, p. 155) : j’ai traduit le mot «concret» par «concretas» (et non par «nacionales», comme indiqué dans les deux traductions), et j’ai mis «partido» et «estado» en minuscules, tels qu’ils apparaissent dans l’original. Je remercie Juan José Barrero Menéndez pour son aide dans des certaines vérifications.
[8] Comme je l’ai indiqué précédemment, Nin n’aborde pas spécifiquement la question catalane dans son livre de 1935 Els moviments d’emancipació nacional, mais le modèle de solution avec lequel cette étude s’est terminée, la fédération de l’URSS, indique clairement que, pour le cas catalan, il a continué à prôner l’Union des républiques socialistes d’Ibérie.
[9] Voir : LUBITZ, Wolfgang ; LUBITZ, Petra. « Leon Trotsky’s pen names ». Dans : Lubitz’ TrotskyanaNet (https://www.trotskyana.net/Leon_Trotsky/Pseudonyms/trotsky_pseudonyms.html#pennames).
[10] Voir, par exemple: ALLES, Wolfgang. “German Trotskyism in the 1930s”. Revolutionary history, v. 2, no. 3 (autumn 1989), p. 29-36.
[11] Voir : TROTSKY, L. « [Les difficultés dans l’organisation] ». Dans : TROTSKY, L. Oeuvres, op. cit., p. 99.
[12] Voir : ALLES, Wolfgang, op. cit., p. 31 ; et KESSLER, Mario. A political biography of Arkadij Maslow, 1891-1941 : dissident agains his will. Cham : Palgrave Macmillan, cop. 2020, p. 149, n. 13.
[13] Je remercie Wolfgang Lubitz pour cette information.
[14] Surtout après l’insurrection de Vienne et les événements de Paris en février 1934, la question des milices revint dans plusieurs écrits de Trotsky de cette année-là, au point qu’il y consacra finalement quelques thèses, comme il l’annonça dans une lettre à Leonetti du 15 juin ; malheureusement, ces thèses ont été perdues (voir: TROTSKY, L. « [Les difficultés dans l’organisation] ». Dans: TROTSKY, L. Oeuvres, op. cit., p. 99 et n. 12). Il est possible, cependant, que la signification générale de ceux-ci se trouve dans certains articles de la presse bolchevique-léniniste de l’époque, comme dans : « Por las milicias antifascistas ». La Antorcha, nº 3 (14-VII-34), p. 4.
[15] En fait, Trotsky utilisait habituellement cette procédure lors de son dernier exil, en utilisant quand il le jugeait bon divers pseudonymes, tels que « Crux », « Gourov » et « Vidal ».
[16] TROTSKY, L. « The Catalonian struggle and the Spanish Revolution : a letter from Leon Trotski ». International socialist review : monthly magazine supplement to The Militant, (August 1978), p. 9-10. Confirmant ce que Breitman a écrit, Louis Sinclair n’a mentionné aucune édition précédente dans sa bibliographie (voir: SINCLAIR, Louis. Trotsky : a bibliography. Aldershot : Scholar Press, 1989, v. 2, p. 746) ; je remercie Wolfgang Lubitz pour cette dernière information.
[17] TROTSKY, L. « The Catalan conflict and the tasks of the proletariat ». En: TROTSKY, L. Writings of Leon Trotsky. 1st ed. [Edited by George Breitman]. New York : Pathfinder Press, 1979, suppl. 1934-40, p. 496-499.
[18] Breitman n’a pas donné de détails exacts sur sa localisation, seulement qu’il provenait des archives de Cannon à la Library of Social History, mais Pierre Broué et Michel Dreyfus l’ont fait, affirmant qu’il était dans un dossier de ces archives daté de «1934». (voir paragraphe suivant et note). Mais dans les archives Cannon, actuellement conservées dans les archives de la Wisconsin Historical Society, ce document ne se trouve pas dans le microfilm du dossier « Spain 1931-1934 » ni dans le microfilm de la correspondance générale des « International files » de 1931- 1963, où curieusement le dossier 1934 manque (il passe du dossier 1931-1933 au dossier 1935-1936) ; il semble donc que ce dossier soit perdu ou, à tout le moins, egaré.
[19] TROTSKY, L. « Le conflit catalan et les tâches du prolétariat ». Dans: TROTSKY, L. Oeuvres. Introduction et notes de Pierre Broué et Michel Dreyfus. Paris : Publications de l’Institut Léon Trotsky ; EDI, 1979, v. 4, p. 182-186.
[21] MANDEL, Ernest. El pensamiento de León Trotsky. 1ª ed. Barcelona : Fontamara, 1980, p. 72. La note citant la lettre de Trotsky déclare à tort que ce texte a été inclus dans le recueil des écrits de Trotsky sur l’Espagne La revolución española, d’Editorial Fontanella.
[22] Voir: TROTSKY, L. « Le conflit catalan et les tâches du prolétariat », op. cit., p. 185, n. 7.
[23] BROUÉ, Pierre. « Quand Carrillo était gauchiste… : les Jeunesses socialistes d’Espagne, 1934-1936 ». Cahiers Léon Trotsky, no. 16 (décembre 1983), p. 35-36 ; Broué a également réitéré la question de l’anticipation du Comité central de la milice de 1936.
[24] TROTSKY, L. « El conflicto catalán y las tareas del proletariado ». Inprecor, nº especial [40] (noviembre 84), p. 50-51.
[25] Attitude qui persiste à ce jour dans l’ensemble de la gauche espagnole et internationale : les réflexions de Miguel Romero, ancien dirigeant de la LCR, vingt-cinq ans après l’apparition de l’article dans Inprecor, qui confond les moments de 1934 (le conflit de juin avec le mouvement d’octobre) et déclare qu’il ne comprend pas comment une proclamation pro-indépendance de l’AO aurait aidé le soulèvement d’octobre de cette année-là, lorsque Companys a proclamé l’État catalan au sein de la République fédérale espagnole (voir: ROMERO, Miguel. « Una relectura autocrítica, veinticinco años después ». Viento sur, nº 105 (octubre 2009), p. 81-82). La lettre de Leonetti donne cependant des éléments de réponse à cette attitude.
[27] PAGÈS, Pelai. « Trotsky i la república catalana », op. cit., p. 38-39.
[28] TROTSKY, L. « El conflicte català i les tasques del proletariat ». L’Avenç, núm. 404 (setembre 2014), p. 40-41.
[29] Par exemple, le web Marxists.org, le web et magazin de Lluita Internacionalista, et le web de la revue Sin permiso.
[30] Comme Eduard Puigventos – biographe de Ramon Mercader – qui confondant politique révolutionnaire et politique de front populaire a affirmé étonnament que la conception de Trotsky selon laquelle avec une politique juste de l’avant-garde prolétarienne il était possible de convertir la position défensive de la Catalogne en une position offensive de la révolution espagnole, « elle pourrait bien être attribuée à la majorité des forces loyales à la République à partir de l’éclatement de la guerre civile » (cf : PUIGVENTOS Eduard. “El paper dels catalans en l’asil i l’assassinat de Trotski : Andreu Nin i Ramon Mercader”. Temps i espais de memoria, num. 04 (gener de 2017), p. 3)
[31] A l’exception de En Lluita, Lluita Internacionalista et de la Ligue communiste internationale.
[32] TROTSKY, L. « Le conflit catalan et les taches du prolétariat », Arkhiva Kominterna, f. 552, op. 1, d. 7, ll. 5-7, R.G.A.S.P.I.
[33] Carta d’Alfonso Leonetti a la C.E. de l’I.C.E. (17-VII-1934), Arkhiva Kominterna, f. 552, op. 1, d. 7, ll. 8-9, R.G.A.S.P.I.