« Le FSB est le principal terroriste » Dernier mot d’Azat Miftakhov

du site Samizdat 2 : la voix de l’opposition russe…

Transmis par Karel, Jean Pierre et Robert

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Azat Miftakhov
Commentaire de Robert :
Azat Miftakhov s’adresse à tous ceux qui se sont mobilisés pour lui à l’échelle internationale : répondons à son dernier mot devant le tribunal en faisant connaitre largement son message et rejoignons les initiatives qui ont été prises ici en France en sa faveur. Pour la démocratie c’est contribuer à isoler le dernier tzar stalinien du Kremlin ! Et c’est un outil aussi indispensable que des obus !

https://posle.media/fsb-glavnyj-terrorist/

Ce printemps, le mathématicien et anarchiste Azat Miftakhov a été condamné pour la deuxième fois sur la base de preuves fabriquées de toutes pièces. Après avoir purgé quatre ans de prison pour avoir prétendument brisé la vitre du bureau de Russie Unie, le jeune homme a reçu une nouvelle accusation à sa sortie des cachots – il aurait déjà « justifié le terrorisme » dans la colonie. Après avoir entendu des témoins, dont certains sont en prison, et d’autres sont classifiés, le parquet a requis trois ans. Après le dernier mot d’Azat, le juge lui a accordé un an de plus.
Formellement, cette affaire n’est pas anti-guerre. Mais on sait que dans la colonie, Azat a dissuadé les gens de s’enrôler dans la guerre et a également refusé de participer aux défilés du 9 mai. S’exprimant lors de la dernière audience du tribunal dans la deuxième affaire, le 29 mars 2024 à Ekaterinbourg, Azat a consacré la moitié de son discours à un camarade qui a combattu aux côtés de l’Ukraine et est mort en défendant Bakhmut.
On peut supposer que, comme de nombreux militants anti-guerre, Azat ne se manifestera que lorsqu’une transformation sérieuse du régime commencera. Le sachant très bien, il a fait sa déclaration finale, qui est devenue en soi un geste politique et militant.

***

Au cours de mes années d’emprisonnement dans une précédente affaire pénale, je ne me suis jamais enflammé d’amour pour l’État – et me voilà de nouveau sur le banc des accusés. Aujourd’hui, je suis jugé pour ce que les forces de sécurité voulaient appeler une justification du terrorisme, en falsifiant les preuves de la même manière qu’il y a cinq ans. L’évidence et l’impudence d’une telle falsification ne les dérangent pas du tout, et font même leur jeu. On dirait qu’ils nous disent : « On peut emprisonner n’importe qui, et ça ne nous coûte rien ».
Nous constatons la même impudence dans de nombreux cas de recours à la torture inhumaine par les gardes du régime du FSB, alors que ces gardes ne se soucient pas que leurs actes honteux soient rendus publics. Au contraire, ces actes sont affichés comme une source de fierté. De cette manière, l’État révèle son essence terroriste, que les anarchistes avaient soulignée avant les dernières élections présidentielles, en descendant dans la rue avec le slogan « Le FSB est le principal terroriste ».
Aujourd’hui, ce que nous disions à l’époque est devenu une évidence non seulement dans notre pays, mais dans le monde entier. Nous voyons maintenant comment toute la politique étrangère et intérieure de l’État se réduit à un tapis roulant de meurtres et d’intimidations. Alors que de faux témoins prouvent ma justification du terrorisme, les appels au meurtre massif de ceux qui ne sont pas d’accord avec la politique de l’État sont entendus avec force sur les chaînes fédérales. On voit que l’État, tout en proclamant verbalement la lutte contre le terrorisme, cherche en réalité à maintenir son monopole sur le terrorisme.
Cependant, quelle que soit la manière dont les agents de sécurité tentent d’intimider la société civile, même en ces temps sombres, nous voyons des gens qui trouvent le courage de résister à la terreur qui s’est propagée au-delà des frontières de l’État. Au péril non seulement de la liberté, mais aussi de la vie, ils réveillent par leurs actions la conscience de notre société, dont nous ressentons si cruellement aujourd’hui le manque, et leur résilience jusqu’au bout devient un exemple pour nous tous.
Un exemple pour moi est celui de mon ami et camarade Dmitri Petrov (alias Dima Ecologist), décédé en défendant Bakhmut contre des soldats devenus un instrument de l’impérialisme. Je l’ai connu comme un ardent anarchiste qui, sous la dictature, a tout fait pour nous conduire vers une société fondée sur les principes de l’entraide et de la démocratie directe.
Diplômé de la Faculté d’histoire de l’Université d’État de Moscou et candidat en sciences historiques, il connaissait bien ses convictions concernant la structure de la société et savait bien argumenter sa position, ce qui m’a toujours manqué. Dans le même temps, il ne se limite pas à théoriser, mais participe activement à l’organisation du mouvement partisan, ce qui n’échappe pas à l’attention du FSB. Pour cette raison, il a été contraint de poursuivre ses activités anarchistes en Ukraine.
Lorsque les événements sombres des deux dernières années ont commencé, il n’a pas pu rester à l’écart et, en tant que camarade entreprenant, il a cherché à créer une association de personnes à l’esprit libertaire luttant pour la liberté des peuples d’Ukraine et de Russie. Malheureusement, aucune guerre n’est complète sans victimes, et Dima en fait partie. Ce serait injustifiablement égoïste de ma part d’admirer l’altruisme de personnes que je ne connais pas et de ne pas accepter le sacrifice de ceux qui me tiennent personnellement à cœur. J’en suis bien conscient, même si je regrette que toutes mes communications avec lui appartiennent désormais à un passé irrévocable.
Et pourtant, j’ai du mal à accepter cette perte : sachant qu’il était l’un des meilleurs d’entre nous, et voulant tout mettre en œuvre pour que son sacrifice ne soit pas vain, je dois admettre que ma contribution sera insignifiant comparé à ce dont il était capable.
Peut-être que ce qui précède était inattendu pour certains. Il est possible que certains de ceux qui me soutiennent soient déçus, car, malheureusement, il peut être difficile pour moi de m’exprimer publiquement. Peut-être que quelqu’un ne sera pas d’accord avec mes convictions qui vont à l’encontre du pacifisme.
Cependant, tout en essayant d’être rationnel en tout, je rejette la croyance en des entités non prouvées. Entre autres choses, je ne crois pas à la justice du monde. Je ne crois pas que tout mal soit puni de lui-même. C’est pourquoi je soutiens la résistance active à ce mal et la lutte pour un monde meilleur pour nous tous.
Mais même si certains de mes soutiens ne partagent pas toutes mes convictions, je leur suis néanmoins reconnaissant pour toute l’aide qu’ils m’ont apportée.
Je suis reconnaissant à tous ceux qui m’ont écrit des lettres pleines de chaleur et de bons vœux. Même étant aussi sourd que l’était la colonie, j’en recevais des piles presque chaque semaine. Je suis sûr qu’une telle attention à mon égard a dû être prise en compte par ceux qui cherchaient à me soumettre. Je suis très heureux et touchant que les gens partagent avec moi un morceau de leur vie, qu’il s’agisse d’impressions joyeuses ou d’expériences tristes. Chaque lettre me tient très à cœur et je n’en laisse jamais une seule sans être lue.
Un grand merci à tous ceux qui m’apportent un soutien financier grâce auquel pendant toutes mes années d’emprisonnement je n’ai jamais eu besoin de rien. Il est arrivé que l’argent destiné à mon soutien ait pris fin, mais dès que j’ai poussé un cri, en quelques jours, des gens attentionnés ont de nouveau ramené mon budget à un niveau calme. C’est très agréable et impossible à oublier. Un merci spécial à Vladimir Akimenkov, qui organise depuis plus de dix ans des collectes de fonds en faveur des prisonniers politiques, dont moi-même.
Je suis extrêmement [reconnaissant] envers les militants des collectifs FreeAzat et Solidarité FreeAzat, qui organisent avec moi des actions et des événements de solidarité dont l’ampleur époustoufle mon imagination. Votre récente campagne « Mille et une lettres » en fait partie. Après avoir lu toutes ces lettres, j’ai été agréablement surpris d’apprendre qu’on s’inquiétait pour moi dans des dizaines de pays différents. Merci beaucoup à tous ceux qui ont participé à cet événement, montrant à quel point vous me soutenez.
Je suis extrêmement reconnaissant envers les mathématiciens du monde entier, et en particulier envers le comité Azat Miftakhov, qui m’apporte mon soutien dans le milieu mathématique. Cela me touche beaucoup que les personnes que j’admire, dont je rêve d’atteindre un jour le niveau scientifique, me connaissent et expriment leur solidarité.
Un immense merci à tous ceux qui ont parlé publiquement de moi. Et un merci tout spécial à Mikhaïl Lobanov, qui, pour son soutien actif à mon égard, a été contraint d’émigrer en France. Mais même là-bas, malgré toutes ses difficultés d’émigration, sa solidarité avec moi est aussi forte qu’avant.
Un grand merci aux militants russes, y compris ceux qui ne font pas partie des groupes mentionnés ci-dessus, qui, par solidarité avec moi, risquent leur confort sous la dictature. Je suis très reconnaissant à tous les auditeurs de ce processus qui sont venus me soutenir de leur présence. Certains d’entre vous ont parcouru des centaines de kilomètres pour ce faire, tandis que d’autres l’ont fait plus d’une ou deux fois. Une fois de plus, j’ai été agréablement surpris par une telle attention à mon égard.
Un grand merci à tous les honnêtes professionnels de la presse qui, par leur travail, aident le public à suivre mon procès.
Je remercie ma défenseure Svetlana Sidorkina pour son dévouement au travail, avec lequel elle me défend lors des essais. Je ne cesse d’admirer son professionnalisme et je suis convaincu que j’ai beaucoup de chance de l’avoir. Enfin, je tiens à remercier Léna, mon principal soutien lors de mes épreuves. Avec tout son dévouement, elle m’aide à surmonter toutes les difficultés de mon emprisonnement. Et en plus, je suis heureux de l’aimer.
Je termine mes remerciements et en même temps je ne peux me débarrasser du sentiment que j’ai peut-être oublié quelqu’un. C’est une conséquence du soutien colossal qui ne m’a pas quitté depuis mon arrestation. Je suis heureux de constater que je ne suis pas le seul à avoir reçu votre soutien. Que malgré les sombres événements de ces dernières années, votre solidarité ne connaît pas de frontières territoriales. C’est ce qui me donne l’espoir d’un avenir radieux pour nous tous.

Vente de CAHIERS en ligne

Suite au succès rencontré par la vente de numéros de Cahiers lors de la dernière conférence, « Le centenaire de la naissance de l’opposition de gauche  en URSS », nous proposons la vente de Cahiers par numéro (du n° 1 au 85) ou par lots par thèmes, à 2 euros le numéro, plus les frais de port.
Nous commençons par mettre à votre disposition les lots suivants, à commander intégralement ou en partie :

La révolution allemande : n° 79, 80 et 81

La révolution russe : les numéros spéciaux 51, 52, 73, 74, 75, 76, 77, 78, ainsi que les n° 27, 35, 36

La naissance de l’opposition de gauche : en particulier les n° 62 et 63 (les trotskystes en URSS), mais aussi les n° 2, 4, 9, 17, 20, 21, 27, 29, 35, 53

La guerre civile espagnole (1936-38) : n° 55 et 56

Par exemple, 3 numéros à 2 euros = 6 euros + 4,30 euros de port (tarif « lettre verte »)

Pour la commande, vous pouvez envoyer un mail à l’adresse : redaction@cahiersdumouvementouvrier.org, en nous donnant votre adresse postale ainsi que les lots ou n° que vous voulez.
Nous vous répondrons en précisant la somme que vous devrez nous faire parvenir par chèque au nom des Cahiers du mouvement ouvrier à l’adresse suivante : 36, rue de Picpus, 75012 Paris

Lénine : articles, documents, comptes-rendus de lecture, falsifications

Des CAHIERS    
1 Quand Lénine parle six ans après sa mort Jean-Jacques Marie Falsification
2 Eléments chronologiques de l’histoire du Parti bolchevik et de l’URSS de 1900 à 1956   Article
6 La guerre civile en Russie et les socialistes-révolutionnaires Jean-Jacques Marie Falsification
6 Les bolcheviks et l’argent … américain ! Jean-Jacques Marie Falsification
7 Lénine « un grand soldat de la Révolution » Gérard Longuet Document
7 Les armées blanches en 1919 : pillage, chasse aux juifs, terreur contre les paysans et les ouvriers   Document
8 La révolution russe et l’argent allemand Jean-Jacques Marie Falsification
8 Sur la maladie de Lénine et la manière dont il fut soigné (1) Iouri Lopoukhine Document
9 La maladie de Lénine (2) Iouri Lopoukhine Document
15 Quand Jean-Claude Guillebaud fait parler Lénine après sa mort… Jean-Jacques Marie Falsification
16 Retour sur le film La faute à Lénine Jean-Jacques Marie Article
16 Images de Lénine   Document
16 Souvenir d’un jeune communiste (1920-1927) (1) Mikhaïl Baïtalski Document
17 Souvenir d’un jeune communiste (1920-1927) (2) Premières arrestations Mikhaïl Baïtalski Document
17 La famine en Russie en 1921-1922 Fritjof Nanssen Document
18 Ma rencontre avec Lénine Nestor Makhno Document
19 A propos de la rencontre entre Makhno et Lénine Jean-Jacques Marie Article
20 La famine de 1921 en Union soviétique : une vision nouvelle Jean-Jacques Marie Article
22 Du nouveau à propos du film La faute à Lénine Jean-Jacques Marie Falsification
22 Deux documents inédits : discours du 17 juin 1923 et texte sur la lutte contre la famine Lénine Document
23 L’Occident et l’énigme russe. Du cavalier de bronze au mausolée de Lénine, par Arslane Klioua Martin Malia Compte rendu de lecture
23 La personnalité de Lénine Victor Serge Document
23 Le débat sur la paix de Brest-Litovsk Ivan Vratchev Document
23 Le décret de séparation de l’Eglise et de l’Etat en Russie soviétique   Document
26 Le XIIème congrès du Parti bolchevique (avril 1923) Ivan Vratchev Document
26 Les thèses d’avril Alexandra KollontaÏ Document
26 Le Parti et les thèses d’avril Zalejski Document
26 Discours du 4 avril 1917 (et les Thèses d’avril) Lénine Document
26 Le Parti bolchevique en mars 1917 Jean-Jacques Marie Article
27 Le discours de Lénine du 4 avril 1917 Soukhanov Document
27 Les journées d’avril (1917) Fiodor Raskolnikov Document
33 Lénine et le laboratoire des poisons… Jean-Jacques Marie Falsification
34 La correspondance Martov-Lounatcharski et le retour des exilés par l’Allemagne Katia Dorey Article
35 Les premiers décrets et lois de la révolution russe (octobre 1917-juillet 1918)   Document
36 La révolution d’Octobre en ligne de mire Jean-Jacques Marie Falsification
36 La lutte pour le contrôle ouvrier Anna Pankratova Document
36 Trois lois de la révolution russe (1917-1918) : la démobilisation des entreprises ; l’annulation des emprunts ; le ravitaillement.   Document
37 La révolution d’Octobre et l’art Gérard Masson Article
38 La controverse sur « L’or et le wagon » Boris Souvarine Document
39 La révolution d’Octobre a-t-elle été un échec ? Léon Trotsky Document
40 Lettre ouverte à Lénine John Mac Lean Document
40 Pendre les « criminels-communistes » (décembre 1922) : inédit Lénine Document
43 Octobre 1917 : révolution ou coup d’Etat Jean-Jacques Marie Article
45 Eloge des bolcheviks Boris Souvarine Document
47 Intervention au comité de Pétrograd (1er novembre 1917) Lénine Document
53 Revue Kommunist, Moscou 1918 « Les communistes de gauche contre le capitalisme d’Etat », par Jean-Jacques Marie   Compte rendu de lecture
53 A propos du Lénine, la révolution permanente de Jean-Jacques Marie François De Massot Article
54 Lettre (inédite) de Lénine à Radek sur la situation en Angleterre et la politique de front unique (octobre 1922) Lénine Document
56 Lénine, par Marc Teulin Robert Service Compte rendu de lecture
57 Un ingénieur contre le contrôle ouvrier en Russie en 1917   Document
57 Les bolcheviks de Petrograd en 1917 Fiodor Dingelstedt Document
58 Russie. Révolutions et stalinisme. 1905-1953, par Jean-Jacques Marie Mathilde Aycart, Pierre Vallaud Compte rendu de lecture
60 Lénine et Trotsky en ligne de mire Jean-Jacques Marie Falsification
62 Révolution et contre-révolution en Allemagne, 1918-1920, de la fondation du Parti communiste au putsch de Kapp, par Jean-Jacques Marie Paul Frölich, Rudolf Lindau, Albert Schreiner et Jacok Walcher Compte rendu de lecture
66 Les leçons d’Octobre, par Jean-Jacques Marie Trotsky Compte rendu de lecture
68 La Russie tsariste un paradis ? Jean-Jacques Marie Falsification
72 Lénine et les élections Jean-Jacques Marie Article
72 La guerre civile et le décret sur les otages Marc Teulin Article
79 1917, quand l’espoir des peuples se leva à l’Est, exposé fait lors d’une conférence à Bruxelles Pierre Brocheux Document
80 L’Empire et la révolution. Lénine et les musulmans de Russie, par Eric Aunoble Matthieu Renault Compte rendu de lecture
80 Le Martyre de Kiev – 1919 – L’Ukraine entre terreur soviétique, nationalisme et antisémitisme, par Eric Aunoble Tomas Chopard Compte rendu de lecture
80 Lénine, par Gaston Blanchard Lars T. Lih Compte rendu de lecture
81 Quand la révolution ébranlait le monde ? La vague révolutionnaire de 1917-1923, par Jean Jacques Marie Jacques Legall Compte rendu de lecture
81 Les Bolcheviks par eux-mêmes (réédition), par Claudie Lescot Georges Haupt, Jean-Jacques Marie Compte rendu de lecture
82 AUTRICHE, HONGRIE, BULGARIE : TROIS DEFAITES DE LA REVOLUTION MONDIALE 1918-1923 : Présentation du numéro Jean-Jacques Marie Article
82 Extraits des Leçons d’Octobre (1924) Trotsky Document
82 Sur la question du front unique (la Pravda, 18 décembre 1921) Trotsky Document
83 Il y a 100 ans était proclamée la IIIème Internationale, Kominterm Jean-Jacques Marie Article
83 Discours d’ouverture Lénine Document
83 L’intervention de Gruber (en tant que délégué autrichien) Gruber Document
83 Sur la fondation de l’Internationale communiste   Document
83 Les Soviets en Russie (1905-1921), par Roger Revuz Oscar Anweiler Compte rendu de lecture

 

Dans le CMO  n° 86, uniquement en ligne,

de Lénine : Lettre à l’émir d’Afghanistan Amanoulah-Khan (novembre 1919).

de Trotsky : Lettre de démission du bureau politique  (5 juillet 1919) et réponse collective, signée Lénine, Kamenev, Krestinski, Kalinine, Serebriakov, Staline et Stassova.

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Le Congrès de Tours par Pierre Saccoman

Le Congrès de Livourne et la fondation du Parti communiste en Italie (1921), par Frank La Brasca.

Annexe : Les 21 conditions d’adhésion à la Troisième Internationale

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Rapport du 5 avril 1921 sur les causes de la révolte de Cronstadt, de Jacob Agranov (délégué spécial, puis à dater de 1922, vice-président de la Tcheka).

L’Alliance Internationale des Travailleurs (ou Première Internationale)1922, de Enrico Malatesta.

   

DOCUMENTS INEDITS

 

 

 

NAISSANCE DES SECTIONS FRANCAISE ET ITALIENNE DE LA TROISIEME INTERNATIONALE

 

 

DOCUMENTS RARES

 

Report de la conférence

Les Cahiers du mouvement ouvrier avaient programmé pour le samedi après-midi 25 novembre une conférence sur la formation de l’Opposition de gauche en URSS en octobre 1923.
Nous décidons aujourd’hui de reporter cette conférence que nous espérons pouvoir tenir en janvier 2024.
En réponse aux attentats meurtriers commis par le Hamas en Israël le 7 octobre, le gouvernement Netanyahou, organise depuis lors un massacre de palestiniens de la bande de Gaza, dont rien n’annonce la fin prochaine et qui suscite en réaction rassemblements et manifestations de protestations organisés souvent le samedi après-midi.
Il ne saurait être question pour nous d’opposer l’histoire passée – même si elle garde son actualité – aux exigences que le présent peut présenter à chacun.
C’est pourquoi l’équipe des Cahiers du mouvement ouvrier reporte la conférence initialement prévue le 25 novembre.

Nous vous invitons, en attendant à consulter le dossier sur la naissance de l’opposition de gauche

LA LETTRE DES 46

 

(La lettre des 46, datée du 15 octobre 1923 et qui marque le point de départ de la lutte de l’opposition de gauche, se présente sous la forme d’un texte signé de Préobrajenski, Breslav et Serebriakov, suivi de remarques où les autres signataires affirment leur accord global ou partiel avec le texte. Parmi les principaux signataires : Beleborodov, Rozengoltz, Antonov-Ovseenko, Ivan Smirnov, Piatakov, Ossinski, Mouralov, Sapronov ; Sosnovski, Stoukov, Rafail, Boubnov, Voronski, E. Bosch, Vladimir Smirnov, Benjamin Kossir, Drobnir, Boris Eltsine, Kaganovitch, Iakovleva…

Après une description de la crise économique et sociale que traverse l’URSS, la lettre des 46 insiste surtout – et c’est le trait caractéristique de cette première lutte engagée par l’opposition de gauche – sur la mise en cause du régime du parti, et des méthodes de la direction.)

Nous voyons s’effectuer une division sans cesse croissante et désormais à peine masquée entre la hiérarchie des secrétaires et le « peuple tranquille », entre les cadres professionnels du parti, recruté par en haut et la masse des membres, qui ne participent pas à la vie commune du parti.
C’est un fait bien connu de chaque militant. Les membres du parti mécontents de telle ou telle décision du Comité central ou même d’un Comité provincial, qui ont des doutes, qui notent en privé telle ou telle erreur, telle ou telle irrégularité, tel ou tel désordre, ont peur d’en parler dans les réunions du parti – et même dans leurs conversations, à moins que l’interlocuteur ne soit parfaitement sûr du point de vue de la « discrétion », la libre discussion au sein du parti à pratiquement disparu, l’opinion publique du parti est paralysée. Aujourd’hui ce n’est plus le parti, ce n’est plus la masse de ses militants qui choisit et sélectionne les membres des comités provinciaux et du Comité central du P.C.R. Au contraire – et ce à un degré sans cesse plus grand – c’est la hiérarchie des secrétaires qui recrute les délégués des conférences et des congrès, qui deviennent ainsi de plus en plus les assemblées exécutives de cette hiérarchie.
Le régime établi dans le parti est parfaitement intolérable : il détruit l’indépendance du parti en remplaçant ce dernier par un appareil bureaucratique sélectionné qui fonctionne sans à-coups en période normale, mais est incapable de faire face aux crises et menace d’être totalement inefficace devant les évènements graves à l’ordre du jour.
Cette situation s’explique par le fait qu’une dictature d’une fraction dans le parti – instaurée en fait après le Xème congrès – s’est perpétuée alors qu’elle a fini de jouer son rôle. Nombre d’entre nous ont accepté de se subordonner à un pareil régime. Le tournant politique de 1921 puis la maladie du camarade Lénine exigeaient aux yeux de certains d’entre nous la dictature dans le parti comme une mesure temporaire. D’autres camarades ont dès le début adopter une attitude sceptique ou négative à cet égard. Quoi qu’il en soit, dès l’époque du XIIème congrès ce régime dictatorial avait épuisé ses possibilités ; il se survit et commence à étaler ses aspects négatifs.

 

 

LETTRE DE TROTSKY AU COMITE CENTRAL

  • Lettre du 8 octobre 1923. En annexe à Max Eastman, Since Lenin died, p 142-143.
A l’époque la plus acharnée du communisme de guerre, le système de la nomination des responsables dans le parti n’avait pas le dixième de l’ampleur qu’il a atteinte aujourd’hui. La nomination des secrétaires des comités provinciaux est désormais la règle. Cela donne au secrétaire une position fondamentalement indépendante de l’organisation locale (…).
La XIIème conférence du parti s’était déroulée sous le signe de la démocratie. Nombre des interventions faites alors en faveur de la démocratie ouvrière m’avaient paru exagérées et, une grande partie, démagogiques, étant donné l’impossibilité d’une démocratie ouvrière complète dans un régime de dictature. Mais il était parfaitement clair que le système de pression du communisme de guerre devait laisser place à un système de responsabilité plus vivante et plus large. Mais le régime actuel, qui a commencé à se former avant la XIIème conférence, et qui depuis s’est défini et renforcé est beaucoup plus éloigné de la démocratie ouvrière que le régime de la période la plus acharnée du communisme de guerre.
La bureaucratisation de l’appareil du parti s’est développée dans des proportions inouïes au moyen de méthode de sélection des secrétaires (…). On a ainsi créé une très large couche de permanents qui, en entrant dans l’appareil de direction du parti, renoncent complètement à leurs opinions politiques personnelles ou, du moins, à leur expression ouverte, comme s’ils pensaient que la hiérarchie des secrétaires constitue l’appareil qui crée l’opinion du parti et façonne les décisions.
Sous cette couche de permanents qui renoncent à leurs opinions personnelles se trouve la large masse des adhérents du parti à qui chaque décision apparaît sous la forme d’ordres ou de sommations.
A la base du parti un mécontentement d’une ampleur inhabituelle s’accumule. (…) Ce mécontentement ne se dissipe pas par l’échange ouvert d’opinions dans les réunions du parti et par l’influence que la masse des adhérents du parti devait exercer sur l’organisation du parti lui-même (élection des comités du parti, des secrétaires, etc.) mais elle s’accumule en secret et mène à des tensions intérieures.

LA REPONSE DU BUREAU POLITIQUE

« Nous jugeons nécessaires de dire franchement au parti que le mécontentement du camarade Trotsky, toute son irritation, toutes ses attaques contre le Comité central, qui durent sans interruption depuis des années, sa volonté de semer le trouble dans le parti, reposent sur le fait que Trotsky désire que le Comité central le place, lui et le camarade Kalegaev, à la tête de l’économie du pays. »

 

La « Collaboration »

La collaboration Staline-Hitler

              10 mars 1939-22 juin 1941.

               Août-septembre 1944.

En début de soirée du 22 aout 1939, dans son bureau du Kremlin, Staline, flanqué de Viatcheslav Molotov, commissaire aux affaires étrangères et chef officiel du gouvernement, rédige une courte lettre à Hitler, en réponse à l’épitre urgente que ce dernier lui a fait parvenir la veille. L’intérêt de cette courte réponse est d’autant plus grand que nombre de ceux qui l’évoquent ou bien n’en citent pas une ligne ou, pire encore, la citent en en effaçant la phrase essentielle. Hitler a invité Staline à signer avec lui un accord conjoncturel (un pacte de non-agression) lui permettant d’attaquer la Pologne. Sommé de ne pas perdre de temps par le chancelier allemand, Staline lui adresse la courte réponse suivante, formée de cinq courtes phrases qui, toutes ensemble, forment dix lignes.

 « Je vous remercie de votre lettre. J’espère que l’accord germano-soviétique de non-agression sera un tournant vers une sérieuse amélioration des relations politiques entre nos pays. Les peuples de nos pays ont besoin de relations pacifiques entre eux. L’accord du gouvernement allemand pour signer un pacte de non-agression constituera la base permettant de liquider la tension politique et d’instaurer la paix et la collaboration entre nos pays. » Staline propose donc très clairement à Hitler de passer du simple pacte de non-agression, que ce dernier lui propose, à une « collaboration », et, pour lui, l’objectif essentiel du pacte n’est pas d’écarter la menace de guerre mais de créer les conditions politiques d’une alliance durable, voire d’une entente organique, entre Moscou et Berlin. Il conclut : « Le gouvernement soviétique m’a chargé de vous informer qu’il est d’accord pour que M. Ribbentrop arrive à Moscou le 23 août ».

 Les quatre lignes soulignée en gras ci-dessus seront purement et simplement effacées par nombre d’auteurs qui évoquent cet épisode, dont de nombreux biographes de Staline, alors même que Molotov et Hitler reprendront à leur compte le mot de « collaboration » ; le premier le citera dans son allocution du 31 août 1939 devant le soviet suprême, le second dans son discours du 6 octobre 1939, dont, le 7 octobre 1939, l’agence Tass diffusera un « extrait » publié dans la Pravda du même jour sans le moindre commentaire. Après avoir souligné que l’Etat polonais s’était édifié « sur les ossements et le sang des Allemands et des Russes », Hitler, attribuant la paternité de l’idée à « la Russie », déclare : « La Russie ne voit aucune raison qui interdirait l’établissement d’une étroite collaboration entre nos Etats.[1](…). Le pacte avec l’URSS est un moment tournant dans le développement de la politique extérieure de l’Allemagne, la base d’une collaboration durable et positive entre l ’Allemagne et la Russie. (…) A l’est de l’Europe, les efforts de l’Allemagne et de la Russie instaurent la tranquillité et la paix. Les intérêts de l’Allemagne et de la Russie coïncident ici complètement ». L’agence Tass n’ajoute aucun commentaire à ce résumé des déclarations d’Hitler établi par ses soins.

Pressé d’envahir la Pologne sans se trouver confronté à une guerre sur deux fronts, à l’Ouest avec l’Angleterre et la France alliées de la Pologne et, à l’Est, avec l’URSS, Hitler invite Staline à signer de toute urgence un pacte de non-agression, qui assurera sa tranquillité à l’Est. Ainsi, dans la lettre qu’il lui adresse le 20 août, il affirme qu’il accepte le projet de pacte proposé, le 16 août, par Molotov puis déclare « absolument nécessaire de résoudre par les voies les plus rapides les problèmes qui s’y rapportent ». Il veut que Staline reçoive « le mardi 22 août ou, au plus tard, le mercredi 23 », son ministre des Affaires étrangères, Ribbentrop, qui, «vu la situation internationale, (…) ne peut rester à Moscou qu’un à deux jours au maximum. Il demande « une prompte réponse », car, écrit-il, « la tension entre l’Allemagne et la Pologne est devenue insupportable. (…) La crise peut éclater à n’importe quel moment ». Staline propose donc à Hitler sa « collaboration » en réponse à une requête impérieuse de ce dernier, qui, lui, ne demande qu’un service ponctuel et ne la sollicite pas.

Coupures en stock.

Curieusement sa proposition n’a guère suscité de commentaires, même si l’attaché naval allemand à Moscou affirmera plus tard que Staline était « le pivot de la collaboration germano-soviétique » et le mot lui-même semble tomber vite dans l’oubli… sauf pour Hitler.

Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, les auteurs de Barbarossa, ne citent pas un seul mot de la réponse de Staline du 22 août et ne disent donc rien de la collaboration offerte par le dirigeant soviétique ; effaçant la note de Molotov du 19 août, ils attribuent même l’initiative de l’accord à Hitler : « C’est lui qui en a l’idée, et non Staline. » Or c’est Molotov qui, comme le rappelle Hitler, a proposé un pacte de non-agression ; de plus le passage de l’accord circonstanciel lui permettant d’attaquer la Pologne à une « collaboration » structurelle revient à Staline. Et là est l’essentiel.

Dans l’édition russe de son Staline, l’historien Dmitri Volkogonov publie intégralement la réponse du dirigeant soviétique, mais l’édition française supprime la phrase ici reproduite en gras sans le signaler ni expliquer pourquoi. Dans son Hitler et Staline, élogieusement préfacé par Marc Ferro, l’historien britannique Allan Bullock publie lui aussi sa réponse en y effectuant la même coupure.

Mieux encore, Isaac Deutscher, Boris Souvarine, Jean Elleinstein, François Kersaudy, les historiens britanniques Robert Service, Robert Conquest et Simon Sebag Montefiore, l’historien russe Oleg Khlevniouk (qui consacre six bonnes pages au pacte d’août 1939 et juge, avec un humour sans doute involontaire, « difficile d’évaluer la part des considérations d’ordre moral (sic !) dans les décisions de Staline »), les historiens américains Louis Fischer et Adam B. Ulam, l’historien allemand Heinz-Dietrich Löwe, l’historien italien Raffaello Uboldi font la même impasse dans leurs biographies. Et la liste pourrait s’allonger…

Le Livre noir du communisme de Courtois-Werth-Blum est aussi discret. Les quatre pages consacrées aux « pactes germano-soviétiques » du Dictionnaire du communisme, composé par Stephane Courtois, évoquent certes une « alliance germano-soviétique », mais ne citent pas un mot de ladite réponse. Pourtant de la non-agression que demande Hitler, à la collaboration que propose Staline, il y a plus qu’un pas. L’un n’entraîne pas nécessairement l’autre, loin de là.

Leur admiration pour le dirigeant soviétique pousse sans doute certains biographes, comme Isaac Deutscher ou Simon Sebag Montefiore, à effectuer cette coupure. Dans sa biographie de Staline, Deutscher ne dit mot de la proposition de collaboration faite à Hitler, et glorifie l’activité de Staline, qui, à l’en croire, «tel Cromwell, incarne la continuité de la révolution, à travers toutes ses phases et métamorphoses (…). Afin de sauvegarder cette œuvre pour l’avenir et lui donner toute sa valeur, l’Histoire devra peut-être encore purifier et remodeler l’œuvre de Staline ».

Simon Sebag Montefiore, dans son Staline, réduit, lui, la réponse de Staline à Hitler à sa première phrase affirmant l’espoir que le pacte germano-soviétique soit un tournant marquant dans l’amélioration des relations politiques entre les deux pays. Il supprime les deux suivantes, dont la proposition de « collaboration ». Pour lui, il est vrai Staline était « un intellectuel aux nerfs à vif », dont « toute l’affectivité était absorbée par le rôle dramatique qu’il jouait au service de la révolution » ?

Comment expliquer l’ellipse si fréquente de la proposition de collaboration avancée par Staline et reprise, mot pour mot, par Hitler, autrement que par la pression inconsciente d’une vision  de la seconde guerre mondiale, qui gomme le rôle joué par Staline jusqu’au 22 juin 1941, puis lors de l’insurrection de Varsovie pendant l’été 1944, au motif, réel, que l’Armée rouge a vaincu l’Allemagne nazie, pendant que les Etats-Unis, eux, consacraient l’essentiel de leurs efforts à arracher au Japon le contrôle de l’Océan pacifique ? Mais tel n’était pas l’objectif de Staline en août 1939. Selon sa fille, Svetlana, il a d’ailleurs, exprimé, après la guerre, une nostalgie de cette collaboration inachevée « avec, écrit-elle, ces Allemands, avec lesquels il s’était tant ingénié à établir une longue, une indestructible alliance. (…) Bien après la guerre, il répétait, c’était devenu une habitude : « Quand même, avec ces Allemands nous aurions été invincibles ».« 

Cette ellipse aboutit à valider l’un des éléments centraux de la propagande officielle, qui présente la signature par Staline du pacte de non-agression avec Hitler comme une simple réponse aux manœuvres dilatoires – évidentes – des gouvernements anglais et français depuis l’accord de démantèlement de la Tchécoslovaquie signé à Munich, le 30 septembre 1938, avec Hitler et Mussolini par Chamberlain et Daladier, soucieux d’orienter l’expansion ultérieure de l’Allemagne nationale-socialiste vers l’Est, c’est-à-dire vers l’URSS.

Staline a élaboré lui-même une opération de camouflage dès la question  qu’il pose au début de son discours du 3 juillet 1941, dix jours après l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht : « On peut nous demander : comment a-t-il pu se faire que le Gouvernement soviétique ait accepté de conclure un pacte de non-agression avec des filous de cette espèce et des monstres tels que Hitler et Ribbentrop ? » Accepté ? L’initiative viendrait donc de ces seuls deux derniers et Staline aurait seulement consenti à ’y répondre.

Puis il feint de s’interroger : « Le Gouvernement soviétique n’a-t-il pas en l’occurrence commis une erreur ? » Question purement oratoire. Staline, infaillible, ne saurait se tromper. Il répond : « Non, bien sûr ». Et il précise : « Aucun Etat pacifique ne peut refuser un accord de paix avec une Puissance voisine, même si à la tête de cette dernière se trouvent des monstres et des cannibales comme Hitler et Ribbentrop ». Sans doute, mais le premier objectif avoué du pacte, visait à permettre à Hitler de démembrer la Pologne, en collaboration avec Staline, qui en prit la moitié.

Puis à la question rhétorique : « Qu’a gagné l’URSS ? » Staline répond alors : « Nous avons assuré à notre pays la paix pendant un an et demi et la possibilité de préparer nos forces à la riposte au cas où l’Allemagne fasciste se serait hasardée à attaquer notre pays en dépit du pacte. »

Cette version fabriquée par Staline est le point de départ d’une vulgate largement orchestrée : Staline signe un pacte de non-agression avec Hitler, le 23 août 1939, pour différer le plus possible une guerre, à ses yeux inéluctable, puisque le Führer ne cesse, depuis Mein Kampf, de répéter sa volonté de liquider le « judéo-bolchevisme« . Il aurait conclu une fragile alliance provisoire, avec Hitler, pour gagner du temps et préparer sa riposte à l’inéluctable agression nazie, qui va pourtant le surprendre.

Lors du procès de Nuremberg contre les dirigeants nazis en 1946, les représentants de l’URSS ont fait tout leur possible pour écarter la question du pacte Staline-Hitler.

Les protocoles secrets qui ont accompagné la signature du pacte, puis l’ont enrichi, ont été, jusqu’à la chute de l’URSS, considérés comme des secrets d’Etat. Leur texte ne figurait pas dans les archives du ministère des affaires étrangères mais dans celles, aussi secrètes que les protocoles eux-mêmes, du comité central du parti communiste. Cette dissimulation permettait aux autorités de jurer leurs grands dieux que les dits protocoles n’avaient jamais existé et n’étaient qu’une invention de la perfide propagande antisoviétique.

L’escamotage de la collaboration proposée par Staline à Hitler explique pourquoi certains aspects importants de la politique menée par Staline des années durant, qui mène au pacte, et certaines de ses conséquences sont trop souvent sous-estimés, escamotés, voire camouflés, à l’image de sa proposition même de Staline. On peut y ajouter le silence discret qui entoure sa déclaration au journaliste américain Howard Roy, le 1er mars 1936, affirmant que lui prêter l’intention de promouvoir « la révolution mondiale » relevait d’un « malentendu comique ( …) ou plutôt tragi-comique » ; plus significatif encore, le silence fait sur l’appel lancé en août 1936 par cinquante dirigeants du parti communiste italien, pour certains réfugiés à Moscou, dont son secrétaire Palmiro Togliatti, à une union  des communistes et des fascistes italiens, liés aux nazis, pour appliquer le programme fasciste de 1919, qualifié de « programme de paix et de liberté, de défense des intérêts des travailleurs».

Une étape transitoire vers la coalition antihitlérienne ?

Certains sont allés plus loin encore. Le Manuel (officiel) d ’Histoire du parti communiste français, publié en 1964, présente le pacte Staline-Hitler comme une étape vers la coalition anti nazie dans la guerre mondiale. Les auteurs affirment : « Le traité conduira à l’isolement ultérieur des Etats fascistes et prépare contre eux la coalition des Etats démocratiques que l’URSS a vainement préconisée pour éviter la catastrophe ». [2]  

 Ainsi, par une ruse mystérieuse de la dialectique, le concours apporté à Hitler par Staline, qui, entre autres services rendus, lui fournit les matières premières nécessaires pour combattre l’Angleterre, contribue à isoler l’Allemagne nazie, qui en bénéficie, et prépare ainsi l’alliance de l’URSS avec Londres et Washington contre elle. Cette idée appartient sans doute au département d’agitation et de propagande du comité central du PC de l’URSS, qui, jusqu’à l’ère Gorbatchev, dicte sa loi aux « historiens » soviétiques et des divers partis communistes.

 Cette étrange vision tend à présenter le pacte du 23 août 1939 comme une décision tactique purement conjoncturelle, prise par Staline dans le seul but de repousser une guerre inévitable avec l’Allemagne pendant le temps nécessaire pour s’y préparer, bref à valider la version truquée présentée par lui dans son discours du 3 juillet 1941.

Enfin effacer la proposition faite par Staline à Hitler aboutit à valider la vision officielle trompeuse du pacte comme fondé sur la neutralité que l’Union soviétique affirmait observer dans la guerre mondiale déclenchée dès le 1er septembre.  Maintenir la qualification officielle de « pacte de non-agression », en escamotant la « collaboration », proposée par Staline et acceptée par Hitler, revient à camoufler la réalité de leur entente, dont la Pologne va immédiatement payer le prix.

La police de l’histoire. 

Le régime de Poutine maintient la vision du pacte de 1939 comme une simple manœuvre tactique uniquement destiné à différer le danger de guerre ; il lui donne le statut d’une vérité officielle insérée dans la conception plus large d’une histoire officielle fondée sur le nationalisme chauvin encensé par l’Eglise orthodoxe. Des mesures de police doivent garantir cette refonte de l’histoire. Ainsi, le 19 mai 2009, le président Medvedev, simple exécutant docile de Poutine, a créé une « Commission visant à combattre les tentatives de falsification de l’histoire au préjudice des intérêts de la Russie », chargée de collecter et analyser des informations sur « la falsification de faits et d’événements historiques réalisée dans le but de ternir le prestige de la Fédération russe sur la scène internationale ».

La composition de la commission soulignait sa fonction de haute police : sous la présidence du chef de l’administration présidentielle, Serguei Narychkine, elle comporte des représentants du FSB (ancien KGB) du Service des renseignements extérieurs, du Conseil de sécurité, du ministère des Affaires Etrangères et du ministère de la Justice, y compris le chef d’état major des Armées. Seuls trois de ses vingt-huit membres étaient des historiens (très officiels).

En même temps, Poutine réduit le comportement de Staline face à Hitler à une manifestation de faiblesse et à une volonté d’apaiser le chancelier du Reich pour tenter de différer l’agression. Ainsi, lorsqu’il annonce, le 24 février 2022, sa décision d’envahir l’Ukraine, à qui il dénie le droit à l’existence, il déclare : en 1941, « la tentative de plaire à l’agresseur à la veille de la Grande guerre patriotique a été une erreur qui a coûté cher à notre peuple ». Comparant étrangement l’Ukraine à l’Allemagne nazie, il s’exclame : « Nous ne ferons pas une telle erreur une deuxième fois. Nous n’en avons pas le droit »

En passant un accord avec Hitler, Staline veut bien entendu d’abord éviter de subir le choc d’une guerre inégale avec une Allemagne nazie, dont Staline veut, en ce qui concerne l’URSS, repousser l’échéance le plus tard possible. Mais la collaboration qu’il propose à Hitler se réduit-elle à cette fin immédiate ? La puissance militaire allemande n’a pas, en août 1939, la dimension que va lui donner l’effondrement brutal et inattendu de la Pologne, au lendemain de la signature du pacte, que l’ancien diplomate américain Kissinger, prix Nobel de la paix en 1973, a qualifié de « plus grand coup diplomatique de génie du XXe siècle » ? De plus, même en réduisant l’accord au pacte de non-agression, l’essentiel en est exprimé dans la longue liste des protocoles secrets qui le déclinent, dont l’URSS niera, jusqu’à la fin de décembre 1989, la réalité, longtemps camouflée parce qu’ils l’expriment.

Le souci de différer le plus possible la guerre avec l’Allemagne est, certes, une composante de l’accord du 23 août 1939, mais n’en est nullement, loin de là, l’aspect essentiel. L’historien Gabriel Gorodetsky le suggère « Staline, contrairement à ce que pensaient les historiens, croyait pouvoir éviter totalement la guerre. La collaboration germano-soviétique n’était donc pas transitoire et précaire : elle semble au contraire avoir été envisagée dans la durée ».  Mais avec quel objectif ?

L’historien allemand Bernard Bayerlein, dans un ouvrage publié à Berlin en 2008 puis en Russie, en 2011, souligne : « Jusqu’à ce jour la victoire de l’URSS dans la Seconde Guerre mondiale a rejeté dans l’ombre l ’histoire de la collaboration des deux dictateurs ». Le communiste allemand Wolfgand Leonhard, insiste : « l’accord du 23 août 1939 entre Hitler et Staline n’était pas seulement un acte de politique extérieure, comme on le présente souvent : il concernait aussi la politique intérieure, l’idéologie et l’activité des services secrets. »

Cet ensemble exigeait des fondements plus ou moins permanents.  Jusqu’à la veille de l’agression allemande, les déclarations soviétiques répèteront rituellement « les relations de bon voisinage qui se sont constituées entre l’URSS et l’Allemagne à la suite de la signature du pacte de non-agression (…) reposent non sur des motifs passagers de caractère conjoncturel mais sur les intérêts étatiques fondamentaux de l’URSS et de l’Allemagne ». Cette formule inlassablement répétée, n’est-elle qu’un habile camouflage diplomatique ou exprime-t-elle le véritable objectif de Staline qui l’amène à vouloir se comporter en véritable pilote de cette collaboration ?

Dès 1944, l’ancien ministre des affaires étrangères de Roumanie, Grégoire Gafenco, dans ses Préliminaires de la guerre à l’est, évoquait « la collaboration germano-soviétique », qui visait à établir « une collaboration durable », visant à définir « une organisation rationnelle et définitive de l’Ordre nouveau dans une région où seules l’Allemagne et la Russie avaient le droit désormais de décider conjointement ». Selon lui, donc, Staline et Hitler, par leur accord, auraient visé les mêmes objectifs fondamentaux.

Grégoire Gafenco ignorait le contenu de la discussion à Berlin entre Hitler, Ribbentrop et Molotov, mandaté par Staline, les 12 et 13 novembre 1940 au cours de laquelle a été évoquée l’éventualité que Moscou s’associe au pacte tripartite Berlin-Rome, Tokyo, ainsi transformé en pacte quadripartite chargé d’établir au-delà d’une nouvelle charte de l’Europe orientale, un nouvel ordre mondial. Même s ’il a feint d’en débattre avec Molotov, Hitler, lui, n’en voulait pas. Il n’a plus besoin de Staline, qui pour le satisfaire envisageait – un peu tard – de dissoudre le Comintern, et prépare donc l’invasion de l’URSS.


[1] Souligné par moi.

[2] Les éditions sociales précisent que ledit manuel a été rédigé sous la direction de Jacques Duclos, le secrétaire national du PCF qui avait salué Staline et François Billoux, par une brochette d’historiens dont Emile Tersen, [que j’ai eu l’honneur d’avoir comme professeur d’histoire en khâgne au lycée Louis le Grand en 1955-1956 !]

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