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24 février 1917

Registre des entreprises en grève le 14 février

La liste comprend 131 entreprises dont certaines ne comptent que 25 ouvriers et d’autres plusieurs milliers, jusqu’à 7000 (usine Franco-Russe), 7 500 (usine méca­nique de Petrograd) et 8 200 (chantier naval de la Baltique). Le nombre total de grévistes est de 158 583.

Publié dans Troud v Rossii (Le Travail en Russie), 1925, n° 1 pp. 192-198.

Extrait du rapport du chef de l’Okhrana au directeur du département de la police, le général Vassiliev, sur les événements dans la capitale

La grève d’hier à cause du manque de pain s’est poursuivie aujourd’hui, au cours de la journée 131 entreprises comptant 158 583 ouvriers ont cessé le travail.

Venus dès le matin à l’usine, les travailleurs des entreprises en grève, après une brève réunion, sont, les uns rentrés chez eux, les autres sortis dans la rue et ont semé le désordre.

A 9 heures, une foule d’ouvriers sortis de l’usine Kan s’est unie, boulevard Grande Pouchkarskaia, aux ouvriers de l’usine Erikson qui venaient en sens inverse et ils ont parcouru le quartier en débauchant les ouvriers qui n’avaient pas troublé l’ordre avant leur arrivée.

C’est ainsi que la foule a atteint 2 000- 3 000 hommes. A l’angle de la perspective Bolchoï et de la rue Grebetskaia, les manifestants ont croisé un détachement de police qui n’était pas assez nombreux pour les arrêter et a dû les laisser passer. Sur la perspective Kamenovski, la foule a été dispersée par les cosaques et la police montée.

Parmi les manifestants il y avait de nombreux lycéens et étudiants.

Après que la rue ait été nettoyée et que les ouvriers aient regagné les trottoirs, de la foule qui se tenait devant le 4 de la perspective Kamenoostrovski, quelqu’un a tiré un coup de revolver sur la police sans résultat. Quelque temps après, de la foule près du n° 8 de la petite rue Possadkaia, où des gens avaient été également refoulés, un inconnu a de nouveau tiré et une femme non identifiée a été mortellement blessée à la tête, elle est morte avant d’arriver à l’hôpital Pierre et Paul A 9 heures environ, 3 500 ouvriers, parvenus à l’usine Aïvaz, se sont réunis dans l’atelier du département automobile et ont tenu une réunion où des orateurs venus de l’extérieur ont prononcé des discours contre le gouvernement et appelé les ouvriers à s’unir et à porter énergiquement à la Douma l’exigence de la démission du gouvernement et ils soulignaient que cette exigence étaient soutenue non seulement par les ouvriers, mais aussi par les employés, à savoir ceux des chemins de fer, du tramway, de la poste et des télégraphes. Ces exigences devaient être soutenues par des manifestations, mais sans violence (pogrom). Ne pas marcher en foule dans les rues, mais par petits groupes pour arriver à la Douma vers 3 heures. A la fin une résolution a été adoptée, exigeant la démission du gouvernement.

Les travailleurs, sortis à 9 heures du matin des usines du quartier n° 1 de Vyborg ont rejoint ceux du quartier n° 2 qui arrivaient et ont voulu passer le pont Alexandrovski, mais un détachement de policiers les a dispersés. Les ouvriers qui avaient quitté l’usine « Promet » ont débauché ceux du secteur des munitions de la cartoucherie.

Les fauteurs de troubles dispersés par la police se mirent à errer (sic !) dans divers quartiers, rassemblant des foules autour d’eux avec lesquelles ils marchaient dans les rues, manifestaient et se livraient à des excès dont les suivants ont été notés.

Une foule d’environ 200 personnes a remonté la rue Basseïnaia aux cris de « Du pain ! ».

Une foule d’ouvriers des quartiers de Vyborg et Petrograd, au nombre de 100 environ, a tenté de débaucher les ouvriers de la fabrique de tabac et de l’usine « Siemens et Galsk » mais a été dispersée par le détachement de police du quartier n° 2 de Vyborg.

Une foule d’ouvriers a pillé la boucherie Staroverov, au 47-49 grande rue Spasskaia. Alors des femmes ont brisé la vitrine de la boulangerie « Chmarov et Ivanov » au 60 de la rue Nikolaevski.

Une foule d’environ 1 000 personnes a arrêté un tramway près de la barrière de Moscou et pris la manette du conducteur.

Une foule d’ouvriers a saccagé une boutique au 19 de la rue Sejinski.

Sur la perspective Nevski, près du grand magasin Gostinny Dvor, une foule d’environ 900 personnes s’est rassemblée et s’est dirigée vers la gare de Nikolaev.

Une foule d’environ 300 ouvriers sortis de l’usine Franco-Russe a fait irruption dans l’usine de F Amirauté, sur l’île Galerny et a débauché 1 300 ouvriers, après quoi tous ont tenté d’arrêter le tramway, mais ils ont été dispersés par la police.

Les ouvriers de l’usine « Siemens et Galsk », au nombre d’environ 2 000, qui parcouraient les rues en chantant des chants révolutionnaires ont été dispersés par la police.

Une foule d’ouvriers a tenté de débaucher les travailleurs de l’usine de Ferblanterie Militaire au 52 de la 17e ligne, mais a été dispersée par la police.

A 1 h 30 de l’après-midi, une foule d’environ 300 personnes s’est à nouveau réunie devant la cathédrale de Kazan et s’est dirigée vers la rue Sadovaia.

A peu près au même moment une foule d’environ 100 ouvriers s’est rassemblée sur la grande perspective de l’île Vassilievski et s’est dirigée vers le pont Nikolaev.

Vers 2 heures, la foule qui faisait la queue a cassé la vitrine de la boulangerie Barski, au 2/62 rue Lakhtinski et du dépôt de pain Erofeev, au 5 perspective Gueslerovski.

Une foule d’environ 300 ouvriers qui remontaient la perspective Nevski, s’est arrêtée au n° 80 et a écouté le discours d’un orateur qui appelait à renverser le régime existant et a proposé de se rassembler le lendemain, 25 février, à midi devant la cathédrale de Kazan.

Les foules qui marchaient ainsi brisaient les vitrines, saccageaient les magasins et arrêtaient les tramways jusqu’à ce que la police arrive et les disperse.

Vers 6 heures, un tramway a été arrêté par la foule rue Chamchevaia. Pendant qu’on rétablissait l’ordre, le conseiller titulaire Vassilev a reçu deux légères blessures à la nuque.

Au même moment deux wagons de tramway ont été renversés à l’angle des rues Vvedenski et Sejinski.

Ce jour, les contrôleurs et conducteurs du parc Rojdestvenski ont présenté des revendicaüons économiques.

Le chef de l’Okhrana de Petrograd, le major-général Globatchev

25 février 2017

Rapport de l’Okhrana de Pétrograd au ministère des Affaires intérieures sur la séance du Comité de Pétersbourg du POSDR (b)

L’organisation de Petrograd du Parti ouvrier social-démocrate russe a décidé, au cours des deux jours de troubles à Petrograd, d’utiliser à des fins partisanes le mouvement qui a surgi et, en prenant la direction des masses qui y participent, de lui donner une orientation révolutionnaire.

Pour cela, ladite organisation se propose :

1/d’éditer un tract aujourd’hui, 25 février (projet joint) ;

2/ de constituer, demain matin, 26 février, un comité pour diriger au mieux et le plus rationnellement les masses d’ouvriers en grève déjà soulevés, mais encore insuffisamment organisées ; il a de plus été décidé, si le gouvernement ne prend pas des mesures énergiques pour écraser les désordres actuels, d’en venir lundi 27 février, à dresser des barricades, couper l’électricité, saboter la distribution d’eau et le téléphone ;

3/ d’organiser immédiatement dans les usines toute une série de comités dont les membres doivent désigner en leur sein des représentants au « bureau d’information » qui servira de lien entre l’organisation et les comités d’usine et dirigera ces derniers, en leur transmettant les directives du comité de Petrograd.

Ce « bureau d’information », dans le projet des conjurés, est appelé à former par la suite un « soviet des députés ouvriers », comme il y en a eu en 1905 ;

4/ Le bureau du comité central de cette organisation projette de missionner des délégués non encore désignés à Moscou et Nijny Novgorod ;

En ce qui concerne les autres organi­sations révolutionnaires, les représentants individuels du parti des socialistes-révo­lutionnaires (ce parti n’a pas d’organisa­tion à Petrograd) soutiennent totalement le mouvement qui a commencé, projettent de s’y associer pour soutenir l’activité révolutionnaire du prolétariat.

Les représentants des courants anarchistes ont aussi décidé d’utiliser la situation pour leurs objectifs et considèrent qu’elle est tout à fait propice pour développer largement la terreur contre les représentants du pouvoir, projetant, par exemple, de faire sauter des sections de l’Okhrana et des gendarmeries en province.

Parmi les étudiants, on observe un soutien complet au mouvement ; dans les établissements, il y a des réunions dirigées par des orateurs. Ils prennent part aux désordres de rue.

Pour couper court aux projets des éléments révolutionnaires, il est proposé de procéder, cette nuit, à200 arrestations parmi les éléments et les jeunes révolutionnaires les plus actifs.

Aujourd’hui, à 8 heures du soir, avec l’autorisation de A. I. Goutchkov, dans le local du comité central de l’industrie militaire, ceux des membres du groupe de travail qui n’ ont pas été arrêtés, se réunissent, avec la participation des membres de la Douma d’Etat Kerenski et Skobelev et de 30 ouvriers, soi-disant pour discuter des questions d’approvisionnement.

Il est proposé de faire intervenir la police à cette réunion, d’y arrêter les membres du groupe de travail et de laisser les autres se disperser.

GARF fonds 5881, inventaire 2, dossier 825, p. 1-1

Publié pour la première fois

Déclaration du général Khabalov, commandant de la région militaire de Pétrograd, interdisant les manifestations et les prises de parole

Les troubles accompagnés de violences et d’attentats à la vie de militaires et de policiers se sont produits ces derniers jours à Pétrograd. J’interdis tout attroupe­ment dans les rues. Je préviens la population de Pétrograd que j’ai confirmé aux troupes qu’elles doivent faire usage de leurs armes et ne reculer devant rien pour rétablir l’ordre dans la capitale.

Télégramme du tsar à Khabalov

Le 25 février, 21 heures

Etat-major général, Khabalov

J’ordonne de faire cesser dès demain dans la capitale les désordres qu’on ne saurait tolérer en cette heure grave de la guerre avec l’Allemagne et l’Autriche.

Nicolas

26 février 2017

Rapport du chef de l’Okhrana au ministère de l’intérieur, sur les événements dans la capitale

Une centaine de membres d’organisations révolutionnaires, dont 5 membres du Comité de Petrograd du Parti ouvrier social- démocrate de Russie, ont été arrêtés cette nuit du 26 février pour les empêcher d’utiliser pour leurs propres buts les désordres surgis spontanément dans la capitale.

De plus, à la réunion qui s’est tenue dans le local du comité central de l’industrie militaire, ont été arrêtés deux membres dudit comité, qui s’étaient échappés au moment de la liquidation, en janvier der­nier, de ce groupe criminel. On a laissé les autres participants se disperser.

Aujourd’hui 25 février, à 3 heures et demi de l’après-midi, une foule s’est ras­semblée près de la douma municipale sur laquelle on a tiré trois fois à blanc et elle s’est dispersée.

En même temps il y a eu une fusillade à balles réelles sur la rue Ligovskaia et des blessés.

Des attroupements importants qui arrivaient de plusieurs rues sur la place Znamenskaia ont également essuyé des tirs, il y a eu des morts et des blessés.

Il y a eu des tirs à balles réelles à l’angle des perspecüves Nevski et Vladimirski où s’était rassemblée une foule d’environ un millier de personnes, et aussi à l’angle de la perspective Nevski et de la rue Sadovaia où l’attroupement comptait environ 5 000 personnes. Là, il n’est pas resté de morts et de blessés, la foule, visiblement les a emportés avec elle.

A 4 heures et demie, la perspective Nevski était nettoyée dans toute sa longueur et sur la place Znamenski des responsables de la police ont amené environ 40 morts et autant de blessés. En même temps on a trouvé le corps d’un enseigne de la garde impériale du régiment Pavlovski, sabre au clair, à l’angle des rues Italianskaia et Sadovaia ; une enquête va être menée sur sa personne et les circonstances de sa mort.

A 5 heures, à l’angle de la rue Rojdesvenski et de la rue Souvorovski, la troupe a tiré sur la foule, faisant 10 morts et plusieurs blessés, d’autres, visiblement, ont été emportés par leurs camarades.

Pendant les désordres d’aujourd’hui, on a pu voir, en divers points de la ville, des élèves des établissements secondaires qui, avec de larges bandeaux de la Croix-Rouge sur la manche de leur uniforme et un tablier sous celui-ci, se diriger, en groupe, vers la perspective Nevski, comme infirmiers volontaires pour relever les blessés et leur apporter les premiers soins. Dans le même but des auditrices des Instituts féminins s’infiltraient sur les lieux où étaient amenés les blessés et se conduisaient de la manière la plus effrontée ( 1 ) envers les responsables de la police qui tentaient de les éloigner.

Pendant les troubles, on a observé, comme un phénomène général, une at­titude extrêmement provocatrice, des attroupements belliqueux vis-à-vis des détachements militaires ; à leur demande de dispersion, la foule répondait en jetant des pierres et des boules de neige. Après une salve en l’air d’avertissement, la foule non seulement ne se dispersait pas, mais répondait par des éclats de rire. Ce n’est que par des salves à balles réelles au cœur de la foule qu’il était possible de les dis­perser, et encore, la plupart se cachaient dans les cours voisines et sortaient à nou­veau dès que la fusillade cessait.

Il faut remarquer que parmi les morts de la place Znamenski, deux étaient en uniforme de soldat, mais comme la foule les a emportés, on peut supposer, selon toute vraisemblance, qu’il ne s’agissait pas de soldats, mais de manifestants ayant revêtu l’uniforme.

Après la dispersion de l’attroupe­ment place Znamenski, les émeutiers ont commencé à se regrouper le long de la perspective Nevski, sur la partie qu’on appelle la « vieille Nevski » (de la place Znamenski à la laure Alexandre Nevski) et le long de la rue Gontcharov, ils se cachaient derrière les maisons d’angle et, de là, tiraient au révolver sur la police.

D’après les informations reçues des agents de l’Okhrana, il est prévu d’organiser, ce soir, à 8 heures, dans la maison Elisseev, sur la perspective Nevski, une réunion secrète des représentants des organisations révolutionnaires, avec la participation du membre de la Douma, A. F. Kerenski, et du fondé de pouvoir assermenté Sokolov, pour discuter de la meilleure utilisation des troubles existants dans des buts révolutionnaires et de la façon d’en prendre la direction organisée. Il est proposé de procéder à leur arrestation.

Le major-général Globatchev

GARF fonds 1788, inventaire 1, dossier 34, pp. 34-35.

(1) « Effrontée » est souligné dans le texte.

Tract du comité de Petersbourg du POSDR(b) appelant à la lutte pour renverser l’autocratie

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Frères soldats !

’est le troisième jour que nous, ouvriers de Petrograd, exigeons ouvertement la li­quidation de l’autocratie, coupable de faire couler le sang du peuple, coupable de la famine qui condamne prématurément vos femmes, vos enfants, vos mères et vos frères.

N’oubliez pas, camarades soldats, que seule l’union fraternelle de la classe ouvrière et de l’armée révolutionnaire apportera la liberté au peuple asservi qui se meurt et mettra fin à une guerre fratricide et insensée.

A bas la monarchie tsariste ! Vive l’union fraternelle de l’armée révolutionnaire et du peuple !

Le comité de Petersbourg du POSDR(b)

GARF fonds 1741, inventaire 1, dossier 11215

Télégramme du président de la Douma d’Etat, M. Rodzianko, à Nicolas II

Votre Majesté,

L’heure est grave. L’anarchie règne dans la capitale. Le gouvernement est paralysé.

Les transports, le ravitaillement en vivres et combustibles sont totalement désorga­nisés. Le mécontentement populaire grandit. Dans les rues on ouvre le feu à tort et à travers. Les unités se tirent dessus. Il faut confier d’urgence à une personne jouissant de la confiance du pays la formation d’un nouveau gouvernement. Sans tarder. Tout retard est un arrêt de mort. Je prie Dieu pour que la responsabilité, à cette heure, ne retombe pas sur la tête du monarque.

27 février 1917

Télégramme du général Khabalov, commandant de la région militaire de Petrograd, au général Alexëiev, chef d’état-major du commandant en chef suprême.

Le 27 février, 20 h 10 mn

Je vous prie de rapporter à Sa Majesté l’empereur que je n’ai pu, comme elle me l’avait intimé, rétablir l’ordre dans la capitale. Les unes après les autres, les unités ont, pour la plu­part, trahi leur devoir, refusé de se battre contre les révoltés. D’autres unités ont fraternisé avec les insurgés et retourné leurs armes contre les troupes dévouées à Sa Majesté. Celles qui sont restées fidèles à leur devoir se sont battues toute la journée avec les émeutiers, au prix de lourdes pertes. Au soir, les rebelles se sont emparés de la majeure partie de la ca­pitale. Restent fidèles au serment de petites unités de divers régiments concentrées autour du Palais d’Hiver sous le commandement du major-général Zankévitch, et c’est avec elles que je vais continuer le combat.

Lieutenant-général Khabalov

Le Lieutenant-général Khabalov

Appel du comité des mejrayonstsy du POSDR de Petersbourg et du parti des S-R

« Camarades soldats ! »

Avec appel à soutenir la révolution qui a commencé.

C’est par la lutte qu’on conquiert ses droits !

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Camarades soldats !

La classe ouvrière traquée par la fa­mine s’est dressée contre nos et vos ennemis, dans la lutte contre la guerre, contre l’autocratie de dirigeants criminels. Elle s’est levée dans la lutte pour la liberté et la terre ! Camarades, depuis deux ans et demi, vous combattez dans les tranchées et les casernes. Depuis deux ans et demi, les commandants inhumains vous tour­mentent. Dur est le sort du soldat. Les chiens ne sont pas moins respectés que vous. Camarades ! Frères ! Tous nos es­poirs reposent sur vous ! Nous tendons vers vous tous nos espoirs ! Nous tendons vers vous nos mains calleuses, déformées par le travail ! Frères ! Certains d’entre vous ont tiré sur le peuple ! Le sang ouvrier a coulé ! Soldats ! Ne rougissez pas vos mains du sang de vos frères. Honte au fratricide ! Honneur et gloire à ceux d’entre vous qui ont soutenu le peuple ! Gloire aux cosaques qui ont chassé les policiers de la place Znamenski ! Gloire à ceux du Pavlovski qui ont vengé les vio­lences policières ! Frères ! Si on vous ordonne de tirer sur le peuple, ürez sur ceux qui vous donnent cet ordre. Que vos baïonnettes se retournent contre les agres­seurs. Nos femmes affamées attendent votre aide. Camarades ! Lisez nos tracts ! Organisez-vous ! Rejoignez les ouvriers ! Nous croyons fermement que les soldats ne trahiront pas le peuple ! Frères ! Ecou­tez notre voix ! Vive l’union de l’armée et du peuple ! A bas l’autocratie ! A bas la guerre ! Vive la révolution ! Toute la terre aux paysans ! Toute la liberté au peuple !

Comité des mejrayonsty du POSDR de Petersbourg

Parti des socialistes-révolutionnaires

GARF fonds 1741, inventaire 1, dossier 35278.

Le manifeste des bolcheviks du 27 février 1917

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

A tous les citoyens de Russie

Citoyens ! Les citadelles du tsarisme russe sont tombées. La prospérité de la bande tsariste, édifiée sur les ossements du peuple, a croulé. La capitale est entre les mains du peuple soulevé. Les troupes révolutionnaires ont passé du côté des insurgés. Le prolétariat révolutionnaire et l’armée révolutionnaire doivent sauver le pays de la perte et de la faillite définitives, que lui réservait le gouvernement tsariste.

Au prix d’énormes efforts, du sang et de la vie de ses fils, le peuple russe a secoué son esclavage séculaire.

La tâche de la classe ouvrière et de l’armée révolutionnaire est de créer un gouvernement révolutionnaire provisoire, qui devra se mettre à la tête du régime nouveau, du régime républicain naissant.

Le gouvernement révolutionnaire provi­soire doit se charger d’établir des lois pro­visoires qui défendraient tous les droits et libertés du peuple, de confisquer les terres conventuelles, domaniales et celles des apanages, pour les transmettre au peuple, d’instituer la journée de travail de huit heures et de convoquer l’Assemblée consti­tuante sur la base du suffrage universel, di­rect, égal, avec le régime du scrutin secret.

Le gouvernement révolutionnaire provisoire doit se charger d’assurer sans délai le ravitaillement de la population et de 1 ’ armée ; à cet effet, doit être confisquée la totalité des provisions stockées par l’ancien gouvernement et la municipalité.

L’hydre de la réaction peut encore relever la tête. La tâche du peuple et de son gouvernement révolutionnaire est de réprimer toutes les entreprises contre- révolutionnaires dirigées contre le peuple.

La tâche urgente, immédiate du gou­vernement révolutionnaire provisoire est d’entrer en relations avec le prolétariat des pays belligérants en vue d’une lutte révo­lutionnaire des peuples de tous les pays contre leurs oppresseurs et asservisseurs, contre les gouvernements de type tsariste et les cliques capitalistes, et en vue de la cessation immédiate de la sanglante bou­cherie imposée aux peuples asservis.

Les ouvriers des fabriques et des usines, ainsi que les troupes soulevées, doivent choisir sans délai leurs représentants au gou­vernement révolutionnaire provisoire, qui doit être constitué sous la garde du peuple révolutionnaire soulevé et de l’armée.

Citoyens, soldats, épouses et mères ! Tous à la lutte ! A la lutte ouverte contre le pouvoir tsariste et ses suppôts !

Par toute la Russie se lève le drapeau rouge de l’insurrection ! Par toute la Russie, prenez en main la cause de la liberté, jetez bas les valets tsaristes, appelez les soldats à la lutte.

Par toute la Russie, dans les villes et les campagnes, créez le gouvernement du peuple révolutionnaire.

Citoyens ! Par les efforts fraternels et unanimes des insurgés nous avons conso­lidé le nouvel ordre naissant de la liberté sur les décombres de l’autocratie !

En avant ! Il n’est pas de retour ! Lutte sans merci !

Rangez-vous sous le drapeau rouge de la révolution !

Vive la République démocratique !

Vive la classe ouvrière révolutionnaire !

Vive le peuple révolutionnaire et l’armée insurgée !

28 février 1917

Adresse du soviet de Petrograd des députés ouvriers à la population de Petrograd et de Russie et appel à serrer les rangs autour des soviets pour la victoire définitive sur le tsarisme et la convocation d’une Assemblée constituante

Le soviet des députés du peuple à la population de Petrograd et de Russie

L’ancien pouvoir a conduit le pays à la ruine et le peuple à la famine. Il était im­possible de le supporter plus longtemps. La population de Petrograd est descendue dans la rue pour exprimer son méconten­tement. On l’a accueillie en la mitrail­lant. Le gouvernement du tsar a donné du plomb au peuple au lieu de pain.

Mais les soldats ont refusé de mar­cher contre le peuple et se sont soulevés contre le gouvernement. Avec le peuple ils se sont emparés des armes, des dépôts militaires et de toute une série d’institu­tions gouvernementales.

La lutte continue : elle doit être me­née jusqu’au bout. L’ancien pouvoir doit être définitivement renversé et céder la place au gouvernement du peuple. C’est ainsi que la Russie peut être sauvée.

Pour achever avec succès la lutte dans les intérêts de la démocratie, le peuple doit constituer son propre organe de pouvoir.

Hier, 27 février, s’est formé dans la capitale un Conseil des députés ouvriers, constitué de représentants élus des usines et des fabriques, des unités militaires insurgées et également des groupes et par­tis démocratiques et socialistes.

Le soviet des députés du peuple, qui siège à la Douma, se fixe comme tâche essentielle l’organisation des forces populaires et la lutte pour assurer la liberté politique et le pouvoir du peuple en Russie.

Le soviet a nommé des commissaires d’arrondissement pour instaurer le pouvoir du peuple dans tous les quartiers de Petrograd.

Nous invitons toute la population de la capitale à s’unir autour du soviet, à former des comités locaux dans les arrondisse­ments et à prendre en leurs mains la direc­tion de toutes les affaires locales.

Tous ensemble, nous unirons nos forces dans la lutte pour l’élimination complète de l’ancien gouvernement et la convocation de l’Assemblée consti­tuante, élue sur la base du suffrage uni­versel, égal, direct et secret.

Soviet des députés du peuple

Izvestia du soviet de Petrograd des députés du peuple, 28 février 1917, n° 1.


Communiqué du journal « Izvestia du soviet de Petrograd de députés du peuple » sur la première séance du soviet des députés du peuple.

Ce soir, au palais de Tauride, s’est ouverte la séance du soviet des députés ouvriers, composé de représentants du prolétariat de Petrograd et de l’armée révolutionnaire.

Tchkéidze a été élu président du soviet, les députés Kerenski et Skobelev ses adjoints. Malgré l’enthousiasme qui remplissait les participants à la réunion, la séance a eu un caractère strictement de réunion de travail.

En premier lieu a été traitée la ques­tion de l’approvisionnement. L’assem­blée a mis en place une commission parti­culière chargée de cette question qui, avec la commission provisoire de la Douma, a commencé immédiatement à élaborer les mesures indispensables pour assurer à la population et à l’armée le pain et la nour­riture nécessaires. Il a été décidé de mettre sous séquestre les réserves de farine dans les entrepôts de l’Etat, de l’intendance militaire, des organes sociaux et d’ali­menter les boulangeries.

L’assemblée a également mis en place une commission militaire pour l’organisation de l’intervention révolutionnaire de l’armée et une commission des publica­tions pour l’édition des journaux, tracts et appels. Dix émissaires provisoires ont aussi été élus pour organiser les sections d’arrondissement du soviet.

La plus grande attention a été portée à la question de l’entrée de représentants du soviet dans la commission provisoire de la Douma. Il a été décidé d’y déléguer les députés Tchkéidze et Kerenski.

La réunion a été plusieurs fois inter­rompue pour acclamer les représentants, qui ne cessaient d’arriver, de nouvelles unités militaires soulevées pour la défense de la liberté et de la révolution.

Le soviet a décidé de siéger sans dis­continuer et, après une brève suspension, a repris son travail à trois heures du matin.

Izvestia du soviet de Petrograd des députés du peuple, 28 février 1917

(supplément au n° 1)


Extraits de la Pravda, « Chronique des évènements à Petrograd les 26-28 février »

Le dimanche 26, vers midi, une foule d’ouvriers en fête affluent des faubourgs vers le centre. En de nombreux points, des patrouilles militaires leur barrent la route, la ville rappelle un camp militaire.

Partout des patrouilles, des barrières, des sorties de cavalerie. La surveillance est renforcée sur toutes les voies qui mènent à la perspective Nevski ; des salves partent d’invisibles embuscades. Il y a beaucoup de morts et de blessés sur la place Znamenski et ailleurs. Dans les cercles démocratiques et révolutionnaires règne une grande exci­tation révolutionnaire.

Le lundi, les manifestations continuent et, en de nombreux endroits, il y a des fu­sillades. Il s’agit essentiellement de mi­trailleuses installées sur les clochers, les derniers étages des maisons, les gares, etc.

Le lundi, de premiers régiments insurgés rejoignent le peuple révolution­naire : les régiments Volinski, Pavlovski et Litovski. Ils font le tour des casernes et soulèvent les soldats. Une partie des offi­ciers se joint à eux. Depuis le début, les cosaques observent une attitude neutre, de temps en temps ils dispersent la foule, mais sans mesures répressives et par endroits se joignent aux ouvriers. C’est ainsi qu’ils libèrent une cinquantaine d’ouvriers assiégés par la police dans une cour de la perspective Nevski.

Les soldats soulevés, accompagnés des ouvriers, se rendent dans les prisons. Ils tirent pour disperser les gardes et libèrent les prisonniers. La journée est claire et ensoleillée, les rues sont en liesse. Sont libérés les prisonniers en préventive, aux Croix et dans d’autres prisons.

Puis commence le saccage des postes de police, des chambres des juges de paix, des locaux de l’Okhrana. Parfois on y met le feu. Le tribunal d’arrondissement est aussi incendié. Une masse de gens entoure le feu et y jette les papiers. Les policiers enlèvent leur uniforme et se cachent. On n’en voit plus aucun dans les rues. Mais l’ordre est maintenu.

Des patrouilles de soldats parcourent les rues en automobile, agitant des drapeaux rouges ; le peuple les accueille en criant « Hourrah ! », sur les trottoirs et aux fenêtres on leur fait signe en agitant des mouchoirs. Il y a une atmosphère de fête et d’excitation.

Cependant, les bandes noires ne se considéraient pas comme vaincues et, pendant plusieurs jours encore, surtout le soir, les passants sont mitraillés depuis les greniers, les églises, les mosquées. Alors les patrouilles de soldats fouillent tous les appartements d’où étaient partis les coups de feu, saisissent les armes et arrêtent tous ceux qui sont soupçonnés de soutenir l’ancien régime. Dans les rues, à tout moment, on pouvait croiser une patrouille convoyant des gens arrêtés : ce pouvaient être des membres de l’Okhrana, des sergents de ville travestis (ils portaient même parfois des habits de femme), des militaires qui ne reconnaissaient pas le nouvel ordre, etc.

Les Izvestias du Conseil des députés d’ouvriers et de soldats et les Izvestias du comité des journalistes ont été distribués gratuitement, la foule s’en emparait avide­ment et lisait jusqu’à une heure avancée.

Des automobiles chargées de soldats en armes, couvertes de drapeaux rouges, étaient acclamées, sur certaines, au ser­vice du parti social-démocrate, étaient peintes les lettres POSDR. Bientôt des rubans rouges apparurent à la boutonnière et sur le chapeau de la plupart des gens, sur les piques des fusils. Des drapeaux rouges flottaient à certaines fenêtres.

La foule en marche détruit tous les emblèmes de l’ordre ancien haï : on brûle les portraits de Nicolas le Dernier et des siens, on arrache les blasons tsaristes ou on les recouvre de drapeaux rouges. L’ex-palais du tsar en est recouvert, c’est désormais la propriété de la nation.

Le palais de Tauride est sévèrement gar­dé, un cordon serré exige des laissez-passer pour protéger les salles d’une foule oisive et curieuse. Dans toute la ville circulent des patrouilles munies de laissez-passer.

Pravda, 1917, 8 mars, n° 3

1er mars 1917

Ordre n° 1 du soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd à la garnison de la région militaire de Petrograd

Ordre n° 1

A tous les soldats de la garde, de l’armée, de l’artillerie et de la flotte de la garnison de la région militaire de Petrograd, pour exécution immédiate et rigoureuse, et aux ouvriers de Petrograd à titre d’information.

Le soviet des députés ouvriers et sol­dats a décidé :

  1. Dans toutes les compagnies, dans tous les bataillons, régiments, batteries, escadrons et les divers services des direc­tions militaires ainsi qu’à bord des bâti­ments de la marine de guerre, d’élire sur-le-champ des comités de représentants élus par les soldats des unités militaires susmentionnées.
  2. Dans toutes les unités militaires qui n’ont pas encore élu leurs représentants au soviet des députés ouvriers, d’élire un représentant par compagnie qui, porteur d’un certificat écrit, se présentera au siège de la Douma d’Etat le 2 mars courant à 10 heures du matin.
  3. Dans toutes ses actions politiques, l’unité militaire obéit au soviet des dépu­tés ouvriers et soldats et à ses comités.
  4. Les ordres de la commission mili­taire de la Douma d’Etat ne doivent être exécutés que s’ils ne contredisent pas les ordres et les décisions du soviet des dépu­tés et soldats.
  5. Tous les types d’armes tels que fusils, mitrailleuses, voitures blindées, etc., doivent être à la disposition et sous le contrôle des comités de compagnie et de bataillons, et ne doivent pas être en aucun cas délivrés aux officiers, même s’ils en font la demande.
  6. Dans les rangs et pendant leur ser­vice les soldats doivent observer la plus stricte discipline militaire, mais en de­hors du rang et du service, dans leur vie politique, civique et privée, les soldats ne sauraient être lésés dans les droits dont jouissent tous les citoyens. Notamment, le garde-à-vous et le salut militaire obligatoire hors service sont abolis.
  7. De même sont supprimés les titres donnés aux officiers -votre excellence, votre noblesse, etc.-, qui sont remplacés par les formules : monsieur le général, monsieur le colonel, etc.

Il est interdit aux militaires de tous grades de maltraiter les soldats, et notamment de les tutoyer, toute infraction au présent point, de même que tout malentendu entre officiers et soldats doivent être, par ces derniers, portés à la connaissance des comités de compagnie.

Donner lecture de cet ordre dans toutes les compagnies, dans tous les bataillons, régiments, équipages, batteries et autres détachements de service actif et auxiliaire.

Le soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd

Le comité exécutif du soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd

2 mars 1917


L’abdication de Nicolas II

« Par la grâce de Dieu, nous, Nicolas II, Empereur de toutes les Russies, tsar de Pologne, grand-duc de Finlande, etc., à tous nos fidèles sujets faisons savoir :

« En ces jours de grande lutte contre l’ennemi extérieur qui s’efforce depuis trois ans d’asservir notre patrie, Dieu a trouvé bon d’envoyer à la Russie une nouvelle et terrible épreuve. Des troubles intérieurs me­nacent d’avoir une réper­cussion fatale sur la marche ultérieure de cette guerre obstinée. Les destinées de la Russie, l’honneur de notre héroïque armée, le bonheur du peuple, tout l’avenir de notre chère patrie veulent que la guerre soit conduite à tout prix jusqu’à une issue victorieuse.

« Notre cruel ennemi fait ses derniers efforts et le moment est proche où notre vaillante armée, de concert avec nos glo­rieux Alliés, l’abattra définitivement.

« En ces jours décisifs pour l’existence de la Russie, nous croyons devoir, pour obéir à notre conscience, faciliter l’union et l’organisation de toutes ses forces pour la réalisation rapide de la victoire.

« C’est pourquoi, d’accord avec la Douma d’Empire, nous estimons bien faire en abdiquant la couronne de l’Etat et en déposant le pouvoir suprême.

« Ne voulant pas nous séparer de notre fils bien-aimé, nous léguons notre héritage à notre frère, le grand-duc Michel Alexandrovitch en lui donnant notre bénédiction, au moment de son avènement au trône. Nous lui demandons de gouverner en pleine union avec les représentants de la nation siégeant aux institutions législatives, et de leur prêter un serment inviolable au nom de la patrie bien-aimée.

« Nous faisons appel à tous les fils loyaux de la patrie, leur demandant d’accomplir leur devoir patriotique et sacré, en obéissant au tsar en ce pénible moment d’épreuve nationale, et de l’aider, avec les représentants de la nation, à guider l’Etat russe dans la voie de la prospérité et de la gloire.

« Dieu aide la Russie !

Le 2 mars 1917. »

Caricature non signée, représentant l’ex-tsar tenant en laisse un aigle déplumé symbolisant la déchéance du pouvoir autocratique. En légende : « Voyons comment ils s’en sortiront sans aigle ».

La réunion refondatrice du comité de Saint-Pétersbourg (1) du Parti bolchevique

Le 2 (15) mars 1917, les respon­sables bolcheviques de Petrograd se réunissent pour refonder leur comité disloqué par la répres­sion et dont les principaux responsables avaient été arrêtés. Le procès-verbal des réunions de ce comité en 1917 a été publié en 1927 sous le titre « Piervy legaklny TsK bolchevikov v 1917 » en entier, à l’exception du procès-verbal du 1er novembre, supprimé car il contenait un jugement trop élogieux de Lénine sur Trotsky.

Les trente-sept présents commencent par discuter des modalités de cette refon­dation dans le respect des statuts et des règles démocratiques (2). Après une dis­cussion sur ce point, le comité engage un débat sur « l’attitude à l’égard du soviet des députés ouvriers de Petrograd et ses décisions ». Au nom des trois bolcheviks présents à la création et aux réunions du soviet (Molotov, Zaloutski et lui-même), Chliapnikov explique :

« Les dirigeants du soviet sont des liquidateurs (3), qui ont usurpé les places qu’ils occupent au soviet sans être l’expression de la majorité de la masse ouvrière consciente. Les Izvestia du soviet de Petrograd des ouvriers et des soldats publiés par ce dernier est un journal très pâle dont le contenu n’indique pas une ligne tactique définie. Le rôle du soviet dans son activité commune avec le Comité de la Douma est si passif qu’il semble ramper à la traîne des éléments réactionnaires de ce dernier. Or les actions du Comité de la Douma sont manifestement orientées vers une union avec la monarchie. C’est ce que confirme le désir manifesté par M. V. Rodzianko (4) d’aller voir le tsar à Bologoie. Et on l’a découvert uniquement parce que Rodzianko a exigé pour y aller un train spécial au dépôt de Nicolaievka. Lorsque ce fait a été découvert, Kerenski s’est hâté de déclarer que le Comité de la Douma n’avait pas eu le temps d’informer le soviet du désir de Rodzianko. Le soviet a blâmé Kerenski pour avoir tardé à l’en informer. »

Dans la discussion qui s’engage en­suite, un orateur insiste sur la nécessité de « changer la physionomie du soviet en rappelant les délégués en place pour les remplacer par d’autres », d’autres insistent sur la nécessité d’obtenir des consignes claires sur la façon de se com­porter au soviet, puis s’engage une discus­sion sur la presse qui se conclut par le vote d’une résolution spécifique sur ce point qui affirme :

« 1) Afin de faciliter le travail du Comité exécutif du soviet de Petrograd des délégués ouvriers et soldats et afin d’accélérer l’édition de publications socialistes, organiser avec les représentants de tous les partis socialistes existants une “commission de la presse”, qui aurait le droit de sanctionner la publication de toutes les éditions possibles. »

A la fin de la réunion, le comité adopte une résolution définissant son orientation. On y lit en particulier :

« 4) Aussi longtemps que la dynastie n ‘est pas brisée, la lutte n ‘est pas termi­née, elle continue ; la convocation d’une Assemblée constituante est nécessaire ;

5) Parvenir à obtenir l ’autorisation du droit d’entrée dans les casernes ;

6) Considérer que la question de la li­quidation de la guerre relève de la compé­tence de l’Assemblée constituante ;

8) Ouvrir une liste d’enregistrement comme membre du parti ;

10) Un membre du comité central doit faire une déclaration au soviet de Petrograd des députés ouvriers sur la censure imposée sur les publications des sociaux-démocrates » (5).

On peut remarquer que le comité adopte une position attentiste sur la question de la guerre puisqu’il renvoie la décision à la réunion indéterminée d’une Assemblée constituante « encore purement virtuelle ». Le comité prendra position le lendemain, après des débats animés… Ce 2 mars, le tsar abdique en faveur de son frère le grand-duc Michel, qui refuse cet honneur que la majorité de la Douma et ses principaux dirigeants (Milioukov, Goutchkov, Rodzianko, etc.) aimeraient pourtant le voir accepter pour sauver le régime tsariste). Après ce relus, la Douma procède à la formation d’un gouvernement provisoire formé de plusieurs de ses membres, plus d’un membre du soviet (Alexandre Kerenski) à titre individuel, et présidé par un grand propriétaire terrien, le prince Lvov. Le comité de Saint-Pétersbourg, dans sa réunion du lendemain, adopte une résolution qui ne figure pas au procès-verbal de la réunion… mais est reproduite dans la Pravda du 7 mars et dans les Izvestia du soviet du même jour. Elle affirme :

« Le comité de Saint-Pétersbourg du POSDR(b), considérant la résolution sur le gouvernement provisoire adoptée par le soviet de Petrograd des délégués ouvriers et soldats, déclare qu’il ne s’oppose pas au pouvoir du gouvernement provisoire, dans la mesure où ses actions corres­pondent aux intérêts du prolétariat et de larges couches démocratiques du peuple et affirme sa volonté de mener la lutte la plus impitoyable contre les tentatives du gouvernement provisoire de rétablir sous quelque forme que ce soit la forme monar­chique du gouvernement » (6).

C’est la ligne que défendra la Pravda, en l’infléchissant encore plus à droite dans le soutien au gouvernement provisoire, sous la direction de Staline et Kamenev, revenus d’exil le 12 mars, jusqu’au retour de Lénine le 3 avril. Ainsi, à la conférence nationale du Parti bolchevique du 27 mars, Staline déclare : « Le soviet mobilise les forces, le gouvernement provisoire en trébuchant, en s’embrouillant, prend le rôle de consolidateur des conquêtes du peuple que ce dernier a en réalité déjà faites » (1).

Jean-Jacques Marie

( 1 ) Les bolcheviks de Petrograd refusent d’adopter le mot de Petrograd. changement décidé en août 1914 par le gouvernement tsariste. par souci patriotique d’effacer un nom… à consonance germanique !

( 2 ) Le procès-verbal de la réunion du 2 mars se trouve pages 2 à 9.

( 3 ) Les « liquidateurs » est le nom donné par Lénine, à dater de 1910. au courant parmi les mencheviks qui considérait qu’il fallait limiter strictement l’activité du POSDR au domaine légal en s’interdisant toute activité de type clandestin ou illégal. Ce sont ces « liquidateurs » que Lénine fait exclure du POSDR à la conférence de Prague, en janvier 1912. décision que tous les autres courants du POSDR rejettent.

( 4 ) Président de la Douma, qui tenta effectivement jusqu’au dernier moment de sauver la monarchie.

( 5 ) La formulation souligne que les responsables bolcheviks de Petrograd se considèrent toujours membres de la social-démocratie.

( 6 ) Cette résolution ( i g tire page 11 du procès-verbal.

( 7 ) Voprossy istorii kpss. n° 5. 1962. p 112. in Jean- Jacques Marie. Staline. Fayard, p. 140.

Manifestation de soldats brandissant deux slogans : « C’est dans la lutte que tu conquerras ton droit » et « A bas la monarchie, vive la République ! »

3 mars 1917


Appel du Comité exécutif de Petrograd des députés des ouvriers et des soldats

« Camarades soldats » adopté à la séance du 3 mars 1917

Camarades soldats

La vieille Russie n’existe plus. Il y a une Russie nouvelle, libre, révolution­naire. Mais le vieux pouvoir n’est pas mort. Nous n’en avons encore saisi qu’une faible part. La constitution d’un nouveau pouvoir n’est pas achevée. On peut même dire que la tâche la plus difficile, conser­ver et renforcer la liberté conquise, est devant nous.

Camarades ! Nous ne devons pas oublier une minute cette tâche. Nous al­lons préserver et renforcer nos conquêtes. C’est en unissant nos forces que nous avons réussi à renverser le vieux pouvoir monarchique. Et nous ne devons pas les désunir aujourd’hui. Nous devons nous souvenir que chaque lutte intestine divise nos forces et facilite la lutte des forces du passé qui sont déjà en campagne contre la liberté. Ces forces prennent toutes les mesures pour jeter le trouble dans nos rangs. Elles sont prêtes à tout, soyez sur vos gardes ! Actuellement, elles veulent semer la discorde entre vous et les officiers qui ont soutenu la révoluüon. Ne mordez pas à l’hameçon des provocateurs, n’ou­bliez pas que les officiers révolutionnaires sont maintenant nos camarades ! Toute agression ou conflit non fondés ou fondés sur d’obscures rumeurs sont inadmissibles et dangereux. Ne croyez pas à ces rumeurs, ne prenez pas de mesures irréfléchies contre nos camarades officiers. Ce n’est que lorsqu’il y a des faits indiscutables qu’il faut en référer immédiatement au Comité exécutif des députés des ouvriers et des soldats. Ne croyez pas non plus les orateurs qui n’ont pas le mandat du Comi­té exécutif ! Le Comité exécutif donne à ses orateurs un mandat à son sceau.

Camarades ! Préservez la liberté conquise, soyez prudents ! La cause de la liberté est entre vos mains, n’en soyez pas les fossoyeurs ! Nous devons aller de l’avant sur la voie du renforcement des conquêtes révolutionnaires aux côtés de nos camarades officiers dévoués à la cause de la révolution.

Vive la liberté ! Vive l’armée révolu­tionnaire ! Vive l’Assemblée constituante !

Izvestia du soviet de Petrograd des députés des ouvriers et des soldats

N° 6- 3 mars 1917

Izvestia du soviet de Petrograd des délégués ouvriers et soldats, 3 mars

L’abdication

Le délégué Karaoulov s’est présenté à la Douma et a signalé que le tsar Nicolas II a renoncé au trône au bénéfice de Mikhaël Alexandrovitch.

Mikhaël Alexandrovitch à son tour a renoncé au trône au profit du peuple.

Des meetings et des ovations gran­dioses se déroulent à la Douma. L’enthou­siasme est indescriptible.

Soviet de Pétrograd en 1917