Hannah Arendt apologète de Staline (et d’ Hitler)

Jean-Jacques Marie

Dans sa présentation d’Hannah Arendt le site Babelio écrit : « Ses ouvrages sur le phénomène totalitaire sont étudiés dans le monde entier et sa pensée politique et philosophique occupe une place importante dans la réflexion contemporaine. » Le premier des trois livres cités par ce site, qui, dans les lignes citées ci-dessus, reflète l’opinion dominante dans l’intelligentsia sur la politologue américaine, est Les origines du totalitarisme, présenté comme son « ouvrage fondamental » sur le site Les philosophes.fr

Staline simple « fonctionnaire des masses qu’il conduit » ?
Dans son livre Le système totalitaire, troisième partie de son livre The origins of Totaliarism révisé et republié en 1958 et 1966, après donc le rapport Krouchtchev au XXème Congrès du PCUS en 1956 puis de nombreuses révélations sur la réalité de l’URSS stalinienne, livre où elle présente l’Allemagne nazie et l’URSS stalinienne comme les deux exemples de ce système, Hannah Arendt, cette idéologue américaine longtemps célébrée par de nombreux plumitifs de l’intelligentsia occidentale écrit :
« Le totalitarisme élimine la distance entre gouvernants et gouvernés (…) le chef totalitaire n’est, en substance, ni plus ni moins que le fonctionnaire des masses qu’il conduit ; ce n’est pas un individu assoiffé de pouvoir qui impose à ses sujets une volonté tyrannique et arbitraire. Etant un simple fonctionnaire, il peut être remplacé à tout moment et il dépend tout autant de la « volonté » des masses qu’il incarne que ces masses dépendent de lui ».
Un fonctionnaire est inséré dans un certain nombre de règles qu’il doit observer et faire appliquer. Son initiative personnelle est en général très limitée. Aussi Hannah Arendt enrichit-elle cette vision de Staline (et d’Hitler) comme deux fonctionnaires en les dotant l’un et l’autre d’un atout dont les fonctionnaires, en général, bénéficient fort rarement : « Ni Hitler ni Staline n’auraient pu maintenir leur autorité sur de vastes populations, survivre à de nombreuses crises intérieures et extérieures, et braver les dangers multiples (?) d’implacables luttes intestines s’ils n’avaient bénéficié de la confiance des masses. » Et elle précise : « Ni les procès de Moscou ni la liquidation de Röhm n’auraient été possibles si les masses n’avaient pas soutenu Staline et Hitler ». Quel argument peut-elle avancer en faveur de cette affirmation ? Elle n’ose manifestement pas évoquer les actualités soviétiques qui montrent des réunions dans des usines (avec présence obligatoire) où les ouvriers sont invités à voter à main levée la résolution présentée par un cadre du parti dénonçant les condamnés comme des traîtres et saboteurs trotskystes agents de diverses puissances étrangères. L’ouvrier sait ce qui l’attend s’il ne la vote pas : la prison ou le goulag. Arendt invente donc un fondement théorique : « L’attraction qu’exercent le mal et le crime sur la mentalité de la populace n’est pas nouvelle. » Les masses seraient donc… la populace, c’est-à-dire les couches rejetées aux marges de la société capitaliste par les besoins du profit, ceux que Marx qualifiait de lumpen-prolétaires.

Mais où sont passés les parasites ?
Malgré son extraordinaire perspicacité, ci-dessus soulignée, Hannah Arendt ne s’est pas aperçue que l’ascension de Staline était étroitement liée à l’ascension, au surlendemain de la victoire de la révolution, d’une couche de parasites dont le cœur est l’appareil même du parti et dont Christian Rakovski dessinera un portrait dans sa célèbre lettre à Valentinov du 2 août 1928. Rappelons-en l’essentiel. Il évoque d’abord les mœurs de l’appareil : « Vols, prévarications, violences, extorsions, abus de pouvoir inouïs, arbitraire illimité, ivrognerie, débauche : de tout cela on parle comme de faits connus, non seulement depuis des mois, mais depuis des années » mais qui apparemment paraissent sans importance à notre grande intellectuelle américaine.
Rakovski continue : « La bureaucratie des soviets et du parti est un fait nouveau. Il ne s’agit pas de cas isolés, de bavures dans la conduite de camarades individuels, mais bien d’une catégorie sociale nouvelle », différente de la bureaucratie bourgeoise qui n’est, en règle générale, qu’une excroissance plus ou moins parasitaire tentaculaire de l’Etat bourgeois lui-même, instrument politique du pouvoir de la bourgeoisie capitaliste, et non la couche dirigeante de cet Etat … Arendt, ignorant cette réalité sociale fondamentale ne peut dès lors rien comprendre au stalinisme. Ce qui lui permet d’avancer la superbe thèse suivante « En Union soviétique les révolutions devinrent, sous la forme des grandes purges, une institution permanente du régime stalinien après 1934. » Ainsi, pour la grande politologue Hannah Arendt, le massacre systématique d’opposants politiques déclarés (de plus en plus rares) ou repentis et surtout de centaines de milliers d’opposants imaginaires, dont l’exécution massive vise à terroriser la masse de la population ouvrière et paysanne, serait … une révolution ! Pour elle donc le signe d’une révolution serait le massacre ? On est à peu près là au niveau de la vision de la Révolution française donnée par Joseph de Maistre. Et puis quel bond en avant de l’analyse du régime stalinien présenté non comme le liquidateur mais comme le continuateur d’octobre 1917 !

1. Hannah Arendt, Le système totalitaire, p 49. Souligné par moi.
2. Ibid, p. 28
3. Ibid, p. 29
4. Cahiers Léon Trotsky n° 18, p. 82
5. Ibid, p. 89
6. H. Arendt, op. cit, p. 120