Le 28 mars 2023, l’Assemblée nationale a adopté une résolution « portant sur la reconnaissance et la condamnation de la grande famine de 1932-1933 connue sous le nom d’holodomor » comme « génocide », bref une nouvelle loi mémorielle. Les élus socialistes et écologistes ont voté ce texte.
Les considérants font référence à des résolutions ou lois du même type, adoptées en Ukraine le 28 novembre 2006, par la commission de coopération parlementaire UE-Ukraine le 27 février 2008, à la résolution du Parlement européen le 23 octobre 2008 et à une seconde, du 15 décembre 2022 intitulée « 90 ans après l’Holodomor : reconnaître que le massacre par la famine constitue un génocide », toutes résolutions et lois reprises dans un considérant selon lequel « cette « grande famine » a été reconnue par le Parlement européen, les parlements ou d’autres institutions nationales représentatives de plus de vingt pays comme un génocide ou comme un crime contre le peuple ukrainien ou contre l’humanité ».
Ainsi les députés de diverses assemblées prétendent dicter une vision officielle définitive de l’Histoire ayant force de loi. A quelle fin ? De quel droit ? Au nom de quelle compétence ?
En quoi cette prétention exorbitante se distingue-t-elle de la pratique des régimes totalitaires, qui écrivent l’Histoire dont ils ont besoin pour camoufler leur réalité ? Certes, bien entendu, à la différence de ces derniers, ni le Parlement européen, ni l’Assemblée nationale ne recourront à la terreur pour imposer cette vision officielle d’une Histoire transformée en dogme. Mais leur ingérence politique dans l’écriture même de l’Histoire n’en est pas moins totalement inacceptable.
L’historien Pierre Nora, président de l’association Liberté pour l’histoire, dénonçait dans le Monde du 28 décembre 2011 la volonté des « responsables élus de la communauté nationale » de donner « à chacun des groupes qui pourraient avoir de bonnes raisons de la revendiquer la satisfaction d’une loi. » Il ajoutait : « c’est l’histoire qu’il faut protéger », et citait l’appel d’un millier d’historiens européens en 2008, qui affirmait : « Dans un Etat libre il n’appartient à aucune autorité politique de définir la vérité historique. » On ne saurait mieux dire.
L’Histoire n’appartient même pas aux historiens, mais eux ne prétendent pas la dicter et eux seuls ont les connaissances et les compétences nécessaires pour l’écrire, voire la réécrire.
Jean-Jacques Marie
Premiers signataires :
Sonia Combe, Historienne, Centre Marc Bloch, Berlin
Frédérique Longuet Marx – Anthropologue
Jacques Sapir – Directeur d’études à l’EHESS, économiste
Jacques Girault – Professeur émérite d’Histoire, Université de Paris 13
Sonia Dayan-Heizbrun – Sociologue, professeure émérite à l’Université de
Paris-Cité
Nicole Abravanel – Chercheuse associée EHESS
Jean Numa Ducange – Professeur des Universités (histoire contemporaine, Rouen)
Eric Aunoble – Historien, spécialiste de l’Ukraine (Université de Genève)
Jean-Guillaume Lanuque
Laurent Henninger
Julien Papp
Jean-Pierre Molenat – Historien, directeur de recherche honoraire, CNRS
Avshalom J. Bellaïche
Sebastian Budgen – Directeur éditorial, Verso Books
Denis Collin – Philosophe
Jean-François Chalot
Jean Paul Salles
Christian Delrue
Pascal Polisset – Enseignant, écrivain
Jean-Pierre Cassard
Jacques Châtillon – Professeur d’Histoire-Géographie
Rémy Janneau
Michael Maschek
Jacques Cotta – Journaliste-réalisateur
Bruno Neullas
Dominique Ferré – Rédacteur
Jean-Pierre Plisson – Photographe, comité de rédaction de la revue d’histoire MOLCER
Paul Klein – Enseignant retraité
Michel Barbe – Professeur d’Histoire-Géographie
Michel Joly
Pascal Buhot
Pierre Salvaing
Philippe Marcelé
Roger Revuz – Professeur d’Histoire-Géographie
Marcel Lamotte – Enseignant retraité
Katia Dorey – Comité de rédaction des CMO
Jacqueline Trinquet – Comité de rédaction des CMO
Bernard Trinquet – Comité de rédaction des CMO
Claudie Lescot – Comité de rédaction des CMO
Colette Hublet – Comité de rédaction des CMO
Odile Dauphin – Comité de rédaction des CMO
Si vous souhaitez, vous aussi, signer ce texte, vous pouvez écrire à : rédaction@cahiersdumouvementouvrier.org
D’autre part, les CMO ont publié plusieurs articles sur la famine des années 1932-1933, notamment en Ukraine. Vous en trouverez mention sur la page UKRAINE, et pourrez les lire et les télécharger à la page LES CAHIERS
N° 4 L’écrivain Mikhail Cholokhov et la collectivisation stalinienne
https://cahiersdumouvementouvrier.org/wp-content/uploads/tous-cmo-pdf/cmo_004.pdf p 93 à 99
N°12 La famine en Ukraine (1932-1933). Jean-Jacques Marie
https://cahiersdumouvementouvrier.org/wp-content/uploads/tous-cmo-pdf/cmo_012.pdf p 60 à 66
N° 53 les famines soviétiques de 1932-33. Charles Allain
https://cahiersdumouvementouvrier.org/wp-content/uploads/tous-cmo-pdf/cmo_053.pdf p 81 à 88