Après avoir été assassiné par Villain, puis par le socialiste Alexandre Zévaès, qui fut l’un des deux avocats de l’assassin et obtint son acquittement, Jaurès le fut par une cohorte de récupérateurs lui faisant dire le contraire de ce qu’il écrivait.
Dans une interview à Direct Matin (2 novembre 2010), Michel Rocard s’assimile à Jaurès. D’abord, il se vante : « Regardez-moi ! Décolonisation, décentralisation, réconciliation avec les catholiques. Pardonnez-moi cette arrogance, mais j’en ai fait autant qu’un président ». On avait cru jusqu’alors que les peuples colonisés s’étaient libérés et décolonisés eux-mêmes dans les années 1950- 1960, alors que Michel Rocard n’a été nommé Premier ministre qu’en 1988.
Puis, c’est le coup de cymbale final : « La dynastie Jaurès, Blum, Mendès, Delors et moi-même, c’est la même chose. » Pauvre Jaurès ! Rappelons quelques-unes de ses déclarations, qui datent toutes de 1895 et 1898, extraites du recueil Jaurès, Rallumer tous les soleils (Omnibus, 2006). « L’histoire donne une réalité indéniable et sanglante à la lutte des classes, et cela depuis la Révolution » (p. 267). « Toujours, sous le déguisement des questions politiques et religieuses ou à découvert, il y a depuis un siècle lutte sociale entre des classes antagonistes » (p. 270). « Parce qu’il y a des classes, l’Etat est perpétuellement obligé d’user de la contrainte (… ), l’Etat est incessamment obligé d’écraser ou d’intimider la force physique des masses par la force physique bien supérieure des armes organisées » (p. 271). « L’Etat a le service énorme de la dette, il est caporal, policier, gendarme » (p. 292). « Par l’effet de l’existence des classes sociales, le règne de la démocratie n’est qu’apparent » (p. 283). Rocard ne pourrait ni ne voudrait signer aucune de ces lignes. La filiation qu’il affirme avec Jaurès est donc un abus grossier.