La « Collaboration »

La collaboration Staline-Hitler

              10 mars 1939-22 juin 1941.

               Août-septembre 1944.

En début de soirée du 22 aout 1939, dans son bureau du Kremlin, Staline, flanqué de Viatcheslav Molotov, commissaire aux affaires étrangères et chef officiel du gouvernement, rédige une courte lettre à Hitler, en réponse à l’épitre urgente que ce dernier lui a fait parvenir la veille. L’intérêt de cette courte réponse est d’autant plus grand que nombre de ceux qui l’évoquent ou bien n’en citent pas une ligne ou, pire encore, la citent en en effaçant la phrase essentielle. Hitler a invité Staline à signer avec lui un accord conjoncturel (un pacte de non-agression) lui permettant d’attaquer la Pologne. Sommé de ne pas perdre de temps par le chancelier allemand, Staline lui adresse la courte réponse suivante, formée de cinq courtes phrases qui, toutes ensemble, forment dix lignes.

 « Je vous remercie de votre lettre. J’espère que l’accord germano-soviétique de non-agression sera un tournant vers une sérieuse amélioration des relations politiques entre nos pays. Les peuples de nos pays ont besoin de relations pacifiques entre eux. L’accord du gouvernement allemand pour signer un pacte de non-agression constituera la base permettant de liquider la tension politique et d’instaurer la paix et la collaboration entre nos pays. » Staline propose donc très clairement à Hitler de passer du simple pacte de non-agression, que ce dernier lui propose, à une « collaboration », et, pour lui, l’objectif essentiel du pacte n’est pas d’écarter la menace de guerre mais de créer les conditions politiques d’une alliance durable, voire d’une entente organique, entre Moscou et Berlin. Il conclut : « Le gouvernement soviétique m’a chargé de vous informer qu’il est d’accord pour que M. Ribbentrop arrive à Moscou le 23 août ».

 Les quatre lignes soulignée en gras ci-dessus seront purement et simplement effacées par nombre d’auteurs qui évoquent cet épisode, dont de nombreux biographes de Staline, alors même que Molotov et Hitler reprendront à leur compte le mot de « collaboration » ; le premier le citera dans son allocution du 31 août 1939 devant le soviet suprême, le second dans son discours du 6 octobre 1939, dont, le 7 octobre 1939, l’agence Tass diffusera un « extrait » publié dans la Pravda du même jour sans le moindre commentaire. Après avoir souligné que l’Etat polonais s’était édifié « sur les ossements et le sang des Allemands et des Russes », Hitler, attribuant la paternité de l’idée à « la Russie », déclare : « La Russie ne voit aucune raison qui interdirait l’établissement d’une étroite collaboration entre nos Etats.[1](…). Le pacte avec l’URSS est un moment tournant dans le développement de la politique extérieure de l’Allemagne, la base d’une collaboration durable et positive entre l ’Allemagne et la Russie. (…) A l’est de l’Europe, les efforts de l’Allemagne et de la Russie instaurent la tranquillité et la paix. Les intérêts de l’Allemagne et de la Russie coïncident ici complètement ». L’agence Tass n’ajoute aucun commentaire à ce résumé des déclarations d’Hitler établi par ses soins.

Pressé d’envahir la Pologne sans se trouver confronté à une guerre sur deux fronts, à l’Ouest avec l’Angleterre et la France alliées de la Pologne et, à l’Est, avec l’URSS, Hitler invite Staline à signer de toute urgence un pacte de non-agression, qui assurera sa tranquillité à l’Est. Ainsi, dans la lettre qu’il lui adresse le 20 août, il affirme qu’il accepte le projet de pacte proposé, le 16 août, par Molotov puis déclare « absolument nécessaire de résoudre par les voies les plus rapides les problèmes qui s’y rapportent ». Il veut que Staline reçoive « le mardi 22 août ou, au plus tard, le mercredi 23 », son ministre des Affaires étrangères, Ribbentrop, qui, «vu la situation internationale, (…) ne peut rester à Moscou qu’un à deux jours au maximum. Il demande « une prompte réponse », car, écrit-il, « la tension entre l’Allemagne et la Pologne est devenue insupportable. (…) La crise peut éclater à n’importe quel moment ». Staline propose donc à Hitler sa « collaboration » en réponse à une requête impérieuse de ce dernier, qui, lui, ne demande qu’un service ponctuel et ne la sollicite pas.

Coupures en stock.

Curieusement sa proposition n’a guère suscité de commentaires, même si l’attaché naval allemand à Moscou affirmera plus tard que Staline était « le pivot de la collaboration germano-soviétique » et le mot lui-même semble tomber vite dans l’oubli… sauf pour Hitler.

Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri, les auteurs de Barbarossa, ne citent pas un seul mot de la réponse de Staline du 22 août et ne disent donc rien de la collaboration offerte par le dirigeant soviétique ; effaçant la note de Molotov du 19 août, ils attribuent même l’initiative de l’accord à Hitler : « C’est lui qui en a l’idée, et non Staline. » Or c’est Molotov qui, comme le rappelle Hitler, a proposé un pacte de non-agression ; de plus le passage de l’accord circonstanciel lui permettant d’attaquer la Pologne à une « collaboration » structurelle revient à Staline. Et là est l’essentiel.

Dans l’édition russe de son Staline, l’historien Dmitri Volkogonov publie intégralement la réponse du dirigeant soviétique, mais l’édition française supprime la phrase ici reproduite en gras sans le signaler ni expliquer pourquoi. Dans son Hitler et Staline, élogieusement préfacé par Marc Ferro, l’historien britannique Allan Bullock publie lui aussi sa réponse en y effectuant la même coupure.

Mieux encore, Isaac Deutscher, Boris Souvarine, Jean Elleinstein, François Kersaudy, les historiens britanniques Robert Service, Robert Conquest et Simon Sebag Montefiore, l’historien russe Oleg Khlevniouk (qui consacre six bonnes pages au pacte d’août 1939 et juge, avec un humour sans doute involontaire, « difficile d’évaluer la part des considérations d’ordre moral (sic !) dans les décisions de Staline »), les historiens américains Louis Fischer et Adam B. Ulam, l’historien allemand Heinz-Dietrich Löwe, l’historien italien Raffaello Uboldi font la même impasse dans leurs biographies. Et la liste pourrait s’allonger…

Le Livre noir du communisme de Courtois-Werth-Blum est aussi discret. Les quatre pages consacrées aux « pactes germano-soviétiques » du Dictionnaire du communisme, composé par Stephane Courtois, évoquent certes une « alliance germano-soviétique », mais ne citent pas un mot de ladite réponse. Pourtant de la non-agression que demande Hitler, à la collaboration que propose Staline, il y a plus qu’un pas. L’un n’entraîne pas nécessairement l’autre, loin de là.

Leur admiration pour le dirigeant soviétique pousse sans doute certains biographes, comme Isaac Deutscher ou Simon Sebag Montefiore, à effectuer cette coupure. Dans sa biographie de Staline, Deutscher ne dit mot de la proposition de collaboration faite à Hitler, et glorifie l’activité de Staline, qui, à l’en croire, «tel Cromwell, incarne la continuité de la révolution, à travers toutes ses phases et métamorphoses (…). Afin de sauvegarder cette œuvre pour l’avenir et lui donner toute sa valeur, l’Histoire devra peut-être encore purifier et remodeler l’œuvre de Staline ».

Simon Sebag Montefiore, dans son Staline, réduit, lui, la réponse de Staline à Hitler à sa première phrase affirmant l’espoir que le pacte germano-soviétique soit un tournant marquant dans l’amélioration des relations politiques entre les deux pays. Il supprime les deux suivantes, dont la proposition de « collaboration ». Pour lui, il est vrai Staline était « un intellectuel aux nerfs à vif », dont « toute l’affectivité était absorbée par le rôle dramatique qu’il jouait au service de la révolution » ?

Comment expliquer l’ellipse si fréquente de la proposition de collaboration avancée par Staline et reprise, mot pour mot, par Hitler, autrement que par la pression inconsciente d’une vision  de la seconde guerre mondiale, qui gomme le rôle joué par Staline jusqu’au 22 juin 1941, puis lors de l’insurrection de Varsovie pendant l’été 1944, au motif, réel, que l’Armée rouge a vaincu l’Allemagne nazie, pendant que les Etats-Unis, eux, consacraient l’essentiel de leurs efforts à arracher au Japon le contrôle de l’Océan pacifique ? Mais tel n’était pas l’objectif de Staline en août 1939. Selon sa fille, Svetlana, il a d’ailleurs, exprimé, après la guerre, une nostalgie de cette collaboration inachevée « avec, écrit-elle, ces Allemands, avec lesquels il s’était tant ingénié à établir une longue, une indestructible alliance. (…) Bien après la guerre, il répétait, c’était devenu une habitude : « Quand même, avec ces Allemands nous aurions été invincibles ».« 

Cette ellipse aboutit à valider l’un des éléments centraux de la propagande officielle, qui présente la signature par Staline du pacte de non-agression avec Hitler comme une simple réponse aux manœuvres dilatoires – évidentes – des gouvernements anglais et français depuis l’accord de démantèlement de la Tchécoslovaquie signé à Munich, le 30 septembre 1938, avec Hitler et Mussolini par Chamberlain et Daladier, soucieux d’orienter l’expansion ultérieure de l’Allemagne nationale-socialiste vers l’Est, c’est-à-dire vers l’URSS.

Staline a élaboré lui-même une opération de camouflage dès la question  qu’il pose au début de son discours du 3 juillet 1941, dix jours après l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht : « On peut nous demander : comment a-t-il pu se faire que le Gouvernement soviétique ait accepté de conclure un pacte de non-agression avec des filous de cette espèce et des monstres tels que Hitler et Ribbentrop ? » Accepté ? L’initiative viendrait donc de ces seuls deux derniers et Staline aurait seulement consenti à ’y répondre.

Puis il feint de s’interroger : « Le Gouvernement soviétique n’a-t-il pas en l’occurrence commis une erreur ? » Question purement oratoire. Staline, infaillible, ne saurait se tromper. Il répond : « Non, bien sûr ». Et il précise : « Aucun Etat pacifique ne peut refuser un accord de paix avec une Puissance voisine, même si à la tête de cette dernière se trouvent des monstres et des cannibales comme Hitler et Ribbentrop ». Sans doute, mais le premier objectif avoué du pacte, visait à permettre à Hitler de démembrer la Pologne, en collaboration avec Staline, qui en prit la moitié.

Puis à la question rhétorique : « Qu’a gagné l’URSS ? » Staline répond alors : « Nous avons assuré à notre pays la paix pendant un an et demi et la possibilité de préparer nos forces à la riposte au cas où l’Allemagne fasciste se serait hasardée à attaquer notre pays en dépit du pacte. »

Cette version fabriquée par Staline est le point de départ d’une vulgate largement orchestrée : Staline signe un pacte de non-agression avec Hitler, le 23 août 1939, pour différer le plus possible une guerre, à ses yeux inéluctable, puisque le Führer ne cesse, depuis Mein Kampf, de répéter sa volonté de liquider le « judéo-bolchevisme« . Il aurait conclu une fragile alliance provisoire, avec Hitler, pour gagner du temps et préparer sa riposte à l’inéluctable agression nazie, qui va pourtant le surprendre.

Lors du procès de Nuremberg contre les dirigeants nazis en 1946, les représentants de l’URSS ont fait tout leur possible pour écarter la question du pacte Staline-Hitler.

Les protocoles secrets qui ont accompagné la signature du pacte, puis l’ont enrichi, ont été, jusqu’à la chute de l’URSS, considérés comme des secrets d’Etat. Leur texte ne figurait pas dans les archives du ministère des affaires étrangères mais dans celles, aussi secrètes que les protocoles eux-mêmes, du comité central du parti communiste. Cette dissimulation permettait aux autorités de jurer leurs grands dieux que les dits protocoles n’avaient jamais existé et n’étaient qu’une invention de la perfide propagande antisoviétique.

L’escamotage de la collaboration proposée par Staline à Hitler explique pourquoi certains aspects importants de la politique menée par Staline des années durant, qui mène au pacte, et certaines de ses conséquences sont trop souvent sous-estimés, escamotés, voire camouflés, à l’image de sa proposition même de Staline. On peut y ajouter le silence discret qui entoure sa déclaration au journaliste américain Howard Roy, le 1er mars 1936, affirmant que lui prêter l’intention de promouvoir « la révolution mondiale » relevait d’un « malentendu comique ( …) ou plutôt tragi-comique » ; plus significatif encore, le silence fait sur l’appel lancé en août 1936 par cinquante dirigeants du parti communiste italien, pour certains réfugiés à Moscou, dont son secrétaire Palmiro Togliatti, à une union  des communistes et des fascistes italiens, liés aux nazis, pour appliquer le programme fasciste de 1919, qualifié de « programme de paix et de liberté, de défense des intérêts des travailleurs».

Une étape transitoire vers la coalition antihitlérienne ?

Certains sont allés plus loin encore. Le Manuel (officiel) d ’Histoire du parti communiste français, publié en 1964, présente le pacte Staline-Hitler comme une étape vers la coalition anti nazie dans la guerre mondiale. Les auteurs affirment : « Le traité conduira à l’isolement ultérieur des Etats fascistes et prépare contre eux la coalition des Etats démocratiques que l’URSS a vainement préconisée pour éviter la catastrophe ». [2]  

 Ainsi, par une ruse mystérieuse de la dialectique, le concours apporté à Hitler par Staline, qui, entre autres services rendus, lui fournit les matières premières nécessaires pour combattre l’Angleterre, contribue à isoler l’Allemagne nazie, qui en bénéficie, et prépare ainsi l’alliance de l’URSS avec Londres et Washington contre elle. Cette idée appartient sans doute au département d’agitation et de propagande du comité central du PC de l’URSS, qui, jusqu’à l’ère Gorbatchev, dicte sa loi aux « historiens » soviétiques et des divers partis communistes.

 Cette étrange vision tend à présenter le pacte du 23 août 1939 comme une décision tactique purement conjoncturelle, prise par Staline dans le seul but de repousser une guerre inévitable avec l’Allemagne pendant le temps nécessaire pour s’y préparer, bref à valider la version truquée présentée par lui dans son discours du 3 juillet 1941.

Enfin effacer la proposition faite par Staline à Hitler aboutit à valider la vision officielle trompeuse du pacte comme fondé sur la neutralité que l’Union soviétique affirmait observer dans la guerre mondiale déclenchée dès le 1er septembre.  Maintenir la qualification officielle de « pacte de non-agression », en escamotant la « collaboration », proposée par Staline et acceptée par Hitler, revient à camoufler la réalité de leur entente, dont la Pologne va immédiatement payer le prix.

La police de l’histoire. 

Le régime de Poutine maintient la vision du pacte de 1939 comme une simple manœuvre tactique uniquement destiné à différer le danger de guerre ; il lui donne le statut d’une vérité officielle insérée dans la conception plus large d’une histoire officielle fondée sur le nationalisme chauvin encensé par l’Eglise orthodoxe. Des mesures de police doivent garantir cette refonte de l’histoire. Ainsi, le 19 mai 2009, le président Medvedev, simple exécutant docile de Poutine, a créé une « Commission visant à combattre les tentatives de falsification de l’histoire au préjudice des intérêts de la Russie », chargée de collecter et analyser des informations sur « la falsification de faits et d’événements historiques réalisée dans le but de ternir le prestige de la Fédération russe sur la scène internationale ».

La composition de la commission soulignait sa fonction de haute police : sous la présidence du chef de l’administration présidentielle, Serguei Narychkine, elle comporte des représentants du FSB (ancien KGB) du Service des renseignements extérieurs, du Conseil de sécurité, du ministère des Affaires Etrangères et du ministère de la Justice, y compris le chef d’état major des Armées. Seuls trois de ses vingt-huit membres étaient des historiens (très officiels).

En même temps, Poutine réduit le comportement de Staline face à Hitler à une manifestation de faiblesse et à une volonté d’apaiser le chancelier du Reich pour tenter de différer l’agression. Ainsi, lorsqu’il annonce, le 24 février 2022, sa décision d’envahir l’Ukraine, à qui il dénie le droit à l’existence, il déclare : en 1941, « la tentative de plaire à l’agresseur à la veille de la Grande guerre patriotique a été une erreur qui a coûté cher à notre peuple ». Comparant étrangement l’Ukraine à l’Allemagne nazie, il s’exclame : « Nous ne ferons pas une telle erreur une deuxième fois. Nous n’en avons pas le droit »

En passant un accord avec Hitler, Staline veut bien entendu d’abord éviter de subir le choc d’une guerre inégale avec une Allemagne nazie, dont Staline veut, en ce qui concerne l’URSS, repousser l’échéance le plus tard possible. Mais la collaboration qu’il propose à Hitler se réduit-elle à cette fin immédiate ? La puissance militaire allemande n’a pas, en août 1939, la dimension que va lui donner l’effondrement brutal et inattendu de la Pologne, au lendemain de la signature du pacte, que l’ancien diplomate américain Kissinger, prix Nobel de la paix en 1973, a qualifié de « plus grand coup diplomatique de génie du XXe siècle » ? De plus, même en réduisant l’accord au pacte de non-agression, l’essentiel en est exprimé dans la longue liste des protocoles secrets qui le déclinent, dont l’URSS niera, jusqu’à la fin de décembre 1989, la réalité, longtemps camouflée parce qu’ils l’expriment.

Le souci de différer le plus possible la guerre avec l’Allemagne est, certes, une composante de l’accord du 23 août 1939, mais n’en est nullement, loin de là, l’aspect essentiel. L’historien Gabriel Gorodetsky le suggère « Staline, contrairement à ce que pensaient les historiens, croyait pouvoir éviter totalement la guerre. La collaboration germano-soviétique n’était donc pas transitoire et précaire : elle semble au contraire avoir été envisagée dans la durée ».  Mais avec quel objectif ?

L’historien allemand Bernard Bayerlein, dans un ouvrage publié à Berlin en 2008 puis en Russie, en 2011, souligne : « Jusqu’à ce jour la victoire de l’URSS dans la Seconde Guerre mondiale a rejeté dans l’ombre l ’histoire de la collaboration des deux dictateurs ». Le communiste allemand Wolfgand Leonhard, insiste : « l’accord du 23 août 1939 entre Hitler et Staline n’était pas seulement un acte de politique extérieure, comme on le présente souvent : il concernait aussi la politique intérieure, l’idéologie et l’activité des services secrets. »

Cet ensemble exigeait des fondements plus ou moins permanents.  Jusqu’à la veille de l’agression allemande, les déclarations soviétiques répèteront rituellement « les relations de bon voisinage qui se sont constituées entre l’URSS et l’Allemagne à la suite de la signature du pacte de non-agression (…) reposent non sur des motifs passagers de caractère conjoncturel mais sur les intérêts étatiques fondamentaux de l’URSS et de l’Allemagne ». Cette formule inlassablement répétée, n’est-elle qu’un habile camouflage diplomatique ou exprime-t-elle le véritable objectif de Staline qui l’amène à vouloir se comporter en véritable pilote de cette collaboration ?

Dès 1944, l’ancien ministre des affaires étrangères de Roumanie, Grégoire Gafenco, dans ses Préliminaires de la guerre à l’est, évoquait « la collaboration germano-soviétique », qui visait à établir « une collaboration durable », visant à définir « une organisation rationnelle et définitive de l’Ordre nouveau dans une région où seules l’Allemagne et la Russie avaient le droit désormais de décider conjointement ». Selon lui, donc, Staline et Hitler, par leur accord, auraient visé les mêmes objectifs fondamentaux.

Grégoire Gafenco ignorait le contenu de la discussion à Berlin entre Hitler, Ribbentrop et Molotov, mandaté par Staline, les 12 et 13 novembre 1940 au cours de laquelle a été évoquée l’éventualité que Moscou s’associe au pacte tripartite Berlin-Rome, Tokyo, ainsi transformé en pacte quadripartite chargé d’établir au-delà d’une nouvelle charte de l’Europe orientale, un nouvel ordre mondial. Même s ’il a feint d’en débattre avec Molotov, Hitler, lui, n’en voulait pas. Il n’a plus besoin de Staline, qui pour le satisfaire envisageait – un peu tard – de dissoudre le Comintern, et prépare donc l’invasion de l’URSS.


[1] Souligné par moi.

[2] Les éditions sociales précisent que ledit manuel a été rédigé sous la direction de Jacques Duclos, le secrétaire national du PCF qui avait salué Staline et François Billoux, par une brochette d’historiens dont Emile Tersen, [que j’ai eu l’honneur d’avoir comme professeur d’histoire en khâgne au lycée Louis le Grand en 1955-1956 !]