Ken Loach
Les Cahiers du mouvement ouvrier publient ci-dessous la lettre rédigée par Ken Loach à propos de son exclusion du Labour Party et de la véritable chasse aux sorcières menée par le secrétaire du Labour Party, Keir Starmer, admirateur de Tony Blair, contre tous ceux qui tentent d’affirmer des positions et des propositions différentes de l’alignement complet sur la bourgeoisie britannique mis en œuvre par la direction actuelle du Labour.
Il faut bien avouer que l’itinéraire de Keir Starmer n’est pas exactement celui d’un militant ouvrier. Ses principaux faits d’armes sont éclairants : en 2002 Keir Starmer est nommé conseiller de la Reine par cette dernière, qui voyait manifestement en lui un élément prometteur, en 2008 il est nommé procureur général de Grande Bretagne, en 2014 la Reine l’anoblit.
Certes il se refuse, paraît-il, à se faire appeler Sir, mais c’est bien la seule marque d’une très mince indépendance à l’égard des institutions de la monarchie, dont il est un rouage.
Article paru dans The Guardian, traduit par Catherine Jaouen. https://www.theguardian.com/commentisfree/2021/sep/28/democracy-keir-starmer-labour-left-ken-loach?CMP=Share_iOSApp_Otherhttps://www.fischer02003.over-blog.com/2021/10/loach-contre-starmer.html
La démocratie est morte au Parti travailliste de Starmer.
Toute critique du chef est interdite alors que des milliers de militants ont été exclus, ou, dégoûtés, ont quitté le parti.
Depuis quelques semaines, j’ai l’honneur d’avoir rejoint le rang des exclus et suspendus du Parti travailliste. Mon crime ? Avoir soutenu une tendance, récemment proscrite, d’opposition aux exclusions injustifiables. Voilà la réalité des purges starmeriennes.
Bien avant de s’attaquer à l’influence de la base militante du Parti, Starmer a mené la guerre aux dissidents et poussé des milliers de membres à quitter le parti. Un de ses acolytes au parlement a admis sans vergogne : « Lui, a su se débarrasser de l’extrême gauche ».
La démocratie est morte au Parti travailliste. Avec Starmer de nouvelles règles ont été inventées et de manière rétroactive infligées aux instances locales dont les élus ont été remplacés par des fidèles de droite. Des candidats centristes sont alors imposés indépendamment de la volonté des instances locales. Les motions opposées à Starmer ou qui soutiennent son prédécesseur Corbyn sont déclarées irrecevables et les dirigeants locaux qui les autorisent sont suspendus. La critique de Starmer est interdite et même la critique de cette intolérance est interdite.
Nombre de vieux militants ont été harassés, et, découragés, enragés, exténués, sont partis. Une telle brutalité dans ce Parti est sans précédent. Pourtant les médias qui normalement se délectent des divisions dans le Parti travailliste sont silencieux. Les éditorialistes nous disent que Starmer « remet de l’ordre dans la maison ». Quel ordre ! Entre 100 000 et 150 000 militants ont quitté le parti depuis l’avènement de Starmer : beaucoup ont été exclus, la majorité s’en est allée dégoûtée.
En 2019 il a soutenu Corbyn pour les élections avant de le trahir à la première opportunité. Quand Corbyn est élu à la tête du Parti travailliste, la droite du parti n’a d’autre objectif que de le renverser. Et quand, avec John Mc Donnell et leurs alliés, il développe un programme de transformation de la société au bénéfice de la classe ouvrière, elle est apoplectique.
Les élites sont horrifiées. Quand en 2017, le Parti travailliste de Corbyn remporte presque les élections sur un programme radical, il leur faut faire quelque chose ; le Parti doit être remis en ordre. L’arme de destruction utilisée sera l’accusation toxique d’antisémitisme, que Corbyn aurait banalisé dans le Parti. Les assassins sont assis à ses côtés sur les bancs du parlement, ce sont ses collègues députés travaillistes.
Starmer a promis l’unité sachant très bien qu’il déclarait la guerre à la gauche. Quelques uns ont cru à ses dix promesses de poursuivre les engagements du Labour Party en particulier sur les nationalisations. Il est vite revenu sur ces promesses de nationalisation des six plus grosses compagnies énergétiques du pays.
C’est sous prétexte de nettoyer le Parti de son antisémitisme que Starmer et ses conseillers Nouveau Labour ont abusé des règlements intérieurs du Parti pour harceler et exclure à tout va. Le courant « Jewish Voice for Labour », lui, dénonce une purge des militants juifs de gauche et assure que ces derniers sont quatre fois plus nombreux que les militants non juifs à faire face à des mesures disciplinaires. Leur propre plainte pour mauvais traitement est ignorée par le Parti. Quelle ironie ! Aujourd’hui tout souvenir du radicalisme récent du Parti travailliste est à éradiquer. Corbyn est peu entendu alors que les aides et rédacteurs de discours de Tony Blair sont présentés comme de grands sages malgré leur apologie des privatisations et d’une guerre illégale.
Pour la droite du Labour, les succès électoraux découlent de la confiance que peut lui accorder la classe possédante quant à la préservation de ses richesses et de son pouvoir entre les mains du Parti travailliste. La gauche doit se satisfaire de son second rôle traditionnel de protestataire. Rupert Murdoch va adouber Starmer ou son successeur comme il avait adoubé Blair.
Que peut répondre la gauche ? Comment accomplir les changements structuraux nécessaires ? Tous ceux qui ont été inspirés par Corbyn sont toujours là, à l’intérieur comme à l’extérieur du Parti. Il y a un retour de la gauche dans les syndicats. Il y a tant de campagnes à mener – contre le racisme et l’austérité, pour protéger la sécurité sociale et pour l’environnement – la liste est longue qui montre l’ampleur de l’insatisfaction dans notre société.
Nous sommes si nombreux à vouloir un monde où le bien commun prévaut sur la cupidité, et où tous peuvent jouir de la sécurité et de la dignité. Nous sommes à un moment charnière mais si nous n’agissons pas maintenant, la gauche se fragmentera de nouveau et retombera dans le sectarisme. Des centaines de milliers se retrouveront sans domicile politique.
Un nouveau parti aurait les mêmes difficultés que par le passé. Mais nous avons besoin d’une nouvelle initiative – un mouvement, grand, inclusif, indépendant, qui unit ceux dans et à l’extérieur du Parti travailliste. Il devrait être dirigé par des personnes reconnues, de principe, de confiance et le soutien des syndicats de gauche serait essentiel.
Nous avons des tonnes de talents : de jeunes militants, des hommes politiques émergents, des universitaires, des médecins, des économistes et aussi de grands leaders dans les communautés et les associations. Ils comprennent très bien ce qui se passe et parlent avec clarté et passion. Un tel mouvement doit s’établir sur des principes qui vont à la racine de nos problèmes. J’ai rejoint le Parti travailliste en 1964 et les mots inscrits sur ma première carte de parti sont toujours d’actualité : « Pour assurer aux travailleurs manuels ou intellectuels le juste fruit de leur labeur… sur la base de la propriété commune des moyens de production, de distribution et d’échange ». Qu’attendons nous ?