(Extrait de l’introduction)
(…) Mais depuis une vingtaine d’années, dans une nouvelle configuration historique, la Commune fait l’objet d’un important renouvellement historiographique. Grande connaisseuse de la Commune, Michèle Audin le dit d’une façon moins consensuelle : « Dans les dernières années s’est développé un révisionnisme dont je regrette qu’il ait une telle audience… et si peu de contradicteurs » (1). C’est cette révision, désormais dominante, qui a donné le ton du 150ème anniversaire, aussi bien dans les médias que dans les publications.
Professeur d’Histoire et de Géographie dans un lycée des quartiers nord de Marseille, lecteur enthousiaste des écrits des communards, mais loin d’être un spécialiste de la Commune, jamais je n’avais imaginé consacrer une étude à son historiographie. L’idée s’est pourtant imposée à moi durant le printemps 2021, au spectacle du cent-cinquantenaire. Autant dire qu’un profond agacement est à l’origine de ce travail ; causé autant par la nouvelle doxa elle-même que par l’apparent consensus académique lui faisant cortège. Il faut en effet constater, avec Michèle Audin, que les « contradicteurs » ne se bousculent pas du côté des historiens universitaires. Après bien des hésitations, je me suis donc finalement attelé à la tâche durant l’année 2022. Il n’était au départ question que d’un article tirant un bilan critique du 150ème anniversaire, mais il est vite apparu, vu l’ampleur du chantier, c’est-à-dire vu l’ampleur de la falsification, qu’une réfutation sérieuse nécessitait une étude plus systématique. Fondé sur des sources qui sont pour la plupart connues depuis longtemps, d’abord et avant tout les travaux de Jacques Rougerie, ce travail ne prétend à aucune originalité. Il vise simplement à rétablir quelques vérités qui étaient, hier encore, des évidences. Si son titre annonce un parti pris polémique assumé, je me suis efforcé dans son contenu de m’en tenir aux faits et à une argumentation aussi précise que possible. Faut-il enfin le préciser ? Ce livre prend le parti que, cent cinquante ans après, et malgré l’impressionnante bibliographie déjà consacré à l’évènement (2), l’histoire de la Commune n’est pas terminée, qu’elle reste dans une large mesure à écrire, et pas seulement dans les livres.
La première partie de cette étude vise à dégager les principales caractéristiques de la « relecture » proposée par la nouvelle historiographie de la Commune à travers l’analyse des travaux de ses deux plus éminents représentants : l’historien britannique Robert Tombs, d’abord, véritable inspirateur e » ce « renouveau » historiographique, aujourd’hui couramment présenté comme le spécialiste de référence sur la Commune ; Quentin Deluermoz, ensuite, meilleur élève français de Tombs, et historien incontournable du cent-cinquantenaire. La seconde s’intéresse à la manière par laquelle cette historiographie prétend « libérer » la Commune du « grand récit marxiste » qui en aurait trop longtemps dénaturé l’histoire, en s’attaquant à ce qu’elle nomme les « mythes marxistes » sur la Commune et, au-delà, en niant toute pertinence à une lecture de l’évènement en terme de lutte des classes. La dernière partie, intitulée « Falsifier le passé pour apaiser le présent », entend montrer que cette entreprise de révision historique, qui revendique hautement son caractère « scientifique » bien qu’elle prenne de nombreuses libertés avec l’histoire, est en fait marquée par des partis pris idéologiques tout à fait évidents, qui correspondent à des intérêts sociaux non moins évidents. (…)
- Michèle Audin « Contre le révisionnisme… Du sang dans la Seine », paru sur son blog macommunedeparis.com le 8 novembre 2019
- Robert Le Quillec, Bibliographie critique de la Commune de Paris, La boutique de l’histoire, 2006.
Michèle Audin a publié une recension de ce livre sur son blog https://macommunedeparis.com