par Jean-Jacques Marie
Dès la page 6 de son petit livre Les marxismes, Jean-Numa Ducange avertit son lecteur : « nous accordons autant d’importance au marxisme-léninisme stalinien qu’aux diverses pensées critiques et dissidentes se réclamant du marxisme dénonçant les régimes politiques de type soviétique ou encore les « trahisons » supposées de la social-démocratie » (pp. 6 et 7).
Il existerait donc un « marxisme-léninisme stalinien » qui, un peu plus loin devient « une doctrine stalinienne du marxisme », puis « un marxisme stalinien » et enfin une « synthèse stalinienne » du marxisme !!! Evoquant plus loin le manuel stalinien Histoire du Parti communiste bolchevik de l’URSS publié en 1938, en plein déchaînement de la terreur contre-révolutionnaire qu’il a entre autres comme fonction de justifier, il affirme qu’il « fixe la doctrine stalinienne du marxisme pour des décennies » et ajoute ! : « ce marxisme stalinien, présente une conception de l’histoire mécaniste, que la postérité jugera sévèrement » (p. 51).
Ainsi pour J-N Ducange le stalinisme est une variante, une conception ou une version du marxisme ! Evoquant sous un titre curieux « Les critiques du dogme : des marxistes contre le stalinisme (années 1920-1940) » il affirme : « quelques intellectuels et responsables politiques formulent au cours des années 1920 des attaques viscérales, plus ou moins argumentées, contre la synthèse stalinienne. » (p. 54)
En quoi consiste cette « synthèse stalinienne », formule qui semble suggérer un enrichissement du marxisme ? Mystère, tout comme on ne sait pas en quoi les critiques transformées en « attaques » sont, elles, insuffisamment (« plus ou moins » !) argumentées !
Présenter le stalinisme comme une synthèse, une version ou une conception particulière du marxisme, c’est effacer sa nature contre-révolutionnaire, et oublier que son bavardage pseudo-théorique n’est qu’un camouflage du réel.
L’idéologie stalinienne est, en effet, d’abord, un gigantesque camouflage du réel : sous le voile ou d’un imaginaire « pouvoir des travailleurs » ou du « peuple », elle camoufle l’existence d’une couche parasitaire que le célèbre romancier soviétique Constantin Paoustovski dénonçait le 22 octobre 1956 dans un discours à la Maison des prosateurs de l’Union des écrivains où il s’écriait : « Le problème est que, dans notre pays, existe impunément et prospère même jusqu’à un certain point une couche sociale tout à fait nouvelle, une nouvelle caste de petits bourgeois. C’est une nouvelle couche de carnassiers et de possédants, qui n’a rien de commun avec la révolution, ni avec notre régime ni avec le socialisme. (Voix dans la salle : “Très juste.”) Ce sont des cyniques, de noirs obscurantistes (…) D’où sortent ces profiteurs et ces lèche-bottes, ces affairistes et ces traîtres, qui se considèrent en droit de parler au nom du peuple, qu’en fait ils méprisent et haïssent, tout en continuant à parler en son nom ? »
L’idéologie stalinienne camoufle le pouvoir totalitaire et terroriste de cette bureaucratie, qui piétine toutes les libertés, sous le voile d’une imaginaire « démocratie soviétique ».
L’idéologie stalinienne camoufle la réalité de l’existence pénible des ouvriers mal payés, mal logés, mal traités et des paysans logés à une enseigne encore pire sous l’annonce de l’avènement prochain du communisme, c’est-à-dire du règne de l’abondance pour tous.
L’idéologie stalinienne camoufle la brutale législation anti-ouvrière promulguée en particulier à partir de 1938 sous le voile du prétendu socialisme réalisé.
L’idéologie stalinienne camoufle le brutal travail forcé du Goulag sous le vocable pédagogique de « travaux correctifs ».
L’idéologie stalinienne camoufle la répression qui s’abat sur quiconque manifeste un désaccord sous la couverture d’une chasse aux agents de l’impérialisme étranger.
Ce ne sont là que quelques traits caractéristiques du camouflage de la réalité de la société soviétique que la bureaucratie stalinienne impose à cette dernière, camouflage auquel on ne peut sérieusement attribuer la moindre portée « théorique », et donc le moindre rapport avec le marxisme.