Pierre Saccoman
Pour bien comprendre comment la commune a éclaté, il faut essayer d’analyser ce qui se passait alors : 18 ans d’empire et de répression des oppositions démocratique et ouvrière.
Loin d’être «Napoléon le petit» comme l’appelait Victor Hugo, ou «Badinguet» dont l’affublait l’opposition démocratique et républicaine, Napoléon III a su imposer à la France une véritable «révolution économique» et des réformes profondes, dont le premier résultat est une classe ouvrière naissante et dont le poids commence à compter, particulièrement à Paris.
Quelques éléments de réflexion :
L’Empire est né sur la base de la répression féroce de juin 1848 : après la révolution de février 48 qui allait mettre fin au royaume «orléaniste» de Louis Philippe, les ouvriers parisiens qui furent à l’avant garde de cette révolution représentaient une force non négligeable. Une provocation des dirigeants républicains (la suppression des ateliers nationaux, seule source de revenu de dizaines de milliers de travailleurs parisiens) allait déclencher une répression féroce : plusieurs milliers de fusillés, des dizaines de milliers de proscrits (Guyane, Algérie). Sur cette base, Louis Napoléon Bonaparte, neveu de l’empereur Napoléon Ier se fait élire -massivement- président de la République en décembre 1848. En 1851, plutôt que de respecter la constitution (le président ne peut faire deux mandats), il fomente le coup d’état du 2 décembre et se fait proclamer Napoléon III, empereur.
Cet Empire était en état de crise permanente, surtout dans ses dernières années où l’Empereur, diminué par une santé défaillante, cédait le vrai pouvoir à une camarilla de généraux et de barons, autour de l’impératrice Eugénie de Montijo.
Les résultats des élections au « corps législatif » de mai 1868 donnaient 4 438 000 voix aux candidats bonapartistes et 3 550 000 aux oppositions libérales et républicaines. Une gifle. L’Empereur décidait alors de « libéraliser » un peu le régime. De plus, le 10 janvier 1870, intervient l’assassinat du journaliste Victor Noir par un cousin de l’Empereur, Pierre Bonaparte. L’enterrement du journaliste mobilise plus d’un million de personnes, on est au bord de l’émeute.
On est à deux doigts de la catastrophe. Aussi l’entourage de l’Empereur se met à préparer une guerre contre la Prusse. Un référendum le 8 mai 1870 sur un «nouvel empire» dit «libéral» donne 7 350 000 voix pour et 1 538 000 voix contre : c’est un échec de la mobilisation démocrate et ouvrière qui commençait à monter. Les souvenirs de Jules Vallès, de Louise Michel, de Maxime Vuillaume nous montrent la déception du monde militant de l’époque. Les préparatifs de la guerre mobilisent le peuple qui conspue les alliés des prussiens (Jules Vallès se fait rudement molesté car il refusait de crier «à Berlin»). Une grande partie des «républicains» modérés se rallie à l’Empire.
L’espoir d’une révolution, fort en 1869, s’éloigne rapidement.
Mais la guerre ne se passe pas comme prévu. L’armée française, qu’on disait invincible parce qu’elle s’était surtout manifestée dans des guerres coloniales (Algérie, Indochine, Mexique), n’était pas prête à combattre contre une armée moderne et bien organisée : la Prusse mobilise très rapidement 500 000 combattants utilisant à fond le transport ferroviaire et se dotant d’une artillerie puissante. La France tarde à mobiliser et n’oppose aux Prussiens que 280 000 hommes car l’administration et le transport de troupes et de matériel prennent du retard. On parle de l’excellent fusil «Chassepot» mais l’artillerie est déficiente. Les obus français sont «fusants» et éclatent en l’air, les obus des canons Krupp sont «percutants» et explosent à l’impact, provoquant plus de dégâts. L’État Major n’a pas tiré les leçons de la guerre de Crimée, de la guerre du Mexique, alors que les généraux prussiens sont à l’avant garde de la modernité et s’inspirent de la guerre de Sécession américaine.
Le maréchal Bazaine se laisse enfermer dans Metz avec 180 000 hommes, puis se rend le 20 août 1870. L’Empereur et le maréchal Mac Mahon sont capturés avec 85 000 hommes le 1er septembre 1870.
L’armée française est battue à plate couture et les Prussiens arrivent à Paris dont ils font le siège.
A Paris, l’insurrection gagne la population et le 4 septembre est proclamée la déchéance de l’Empire et la naissance de la IIIe République, dirigée par les «républicains» Jules Ferry, Jules Simon, Jules Favre et Gambetta. Thiers qui a des ambitions cachées se propose pour négocier avec les puissances étrangères Angleterre, Italie, Espagne, Autriche et Russie.
Les tentatives de mobilisations populaires de Blanqui le 14 août et de Flourens le 31 octobre sont des échecs.
Dans Paris, une force s’impose : la Garde nationale. Normalement c’est une garde bourgeoise (il faut payer des impôts et payer son équipement) mais pour «soulager» l’armée officielle, bien diminuée par les défaites, on décide en août d’ouvrir la Garde à toute la population et de rémunérer les volontaires à 30 sous par jours : une aubaine pour les nombreux ouvriers condamnés au chômage par le siège mais en même temps un danger de voir 500 000 parisiens armés de fusils et de canons !
Aussi, malgré des déclarations tonitruantes, les «Jules» et les généraux Crochu, Vinoy, Lecompte et Clément-Thomas ne cherchent qu’à gagner du temps. La grande bourgeoisie, l’aristocratie, les banques d’affaires, Thiers ne souhaitent qu’une chose : traiter avec la Prusse quel qu’en soit le prix !
Tous ont une peur bleue du peuple de Paris, tous ne souhaitent qu’une chose : avoir les mains libres pour réprimer la «racaille» !
L’exemple le plus fort : sous l’égide de l’Angleterre, qui craignait une hégémonie prussienne sur l’Europe continentale, s’ouvre une conférence, dite de Londres, avec l’Italie, la Belgique, l’Autriche, qui obtient de Bismark de renoncer à Metz et à la Lorraine. Cependant, Thiers, pressé de «conclure», accepte les prétentions prussiennes. Metz sera allemande !
Il faut ajouter que l’État major et les généraux sont restés profondément bonapartistes et ne veulent pas d’une victoire républicaine. On comprend ainsi pas mal de choses :
1. Quand Gambetta décide de se battre malgré tout, on l’envoie en ballon à Tours pour s’en débarrasser, mais ce «fou furieux» (dixit Thiers), réussit à monter et à mobiliser plusieurs armées bien équipées pour dégager Paris. Malgré quelques succès dûs au nombre et à l’audace, ces armées sont trahies par les généraux, parmi lesquels : d’Aurelle de Paladines, qui, avec l’armée de la Loire (150 000 hommes) aurait pu battre les régiments bavarois (40 000 hommes, moins motivés que les Prussiens) mais prétexte la pluie pour retarder l’assaut alors que la même pluie ne gène pas l’ennemi qui attaque et le bat ! Faidherbe et Bourbaki se laissent surprendre et vaincre, malgré plusieurs succès, remportés par les troupes de Chanzy et de Garibaldi, qui restent ainsi sans lendemain.
2. Pendant que Gambetta et la Garde nationale de Paris veulent se battre, Jules Favre et Thiers négocient en secret avec Bismarck et sont prêts à abandonner l’Alsace et la Lorraine et cinq milliards de francs-or d’indemnité !
3. A Paris les généraux bonapartistes refusent d’utiliser la Garde nationale pour faire une trouée, et de guerre lasse tentent des «sorties» mal organisées (pas de ravitaillement, pas de couvertures pour passer la nuit ) qui se finissent par des déroutes : Champigny et surtout Buzenval, le 19 janvier.
On prétend qu’il n’y a plus de vivres, de nourriture, pour imposer un armistice alors que les restaurants chics de Paris ne ferment pas. Or, le lendemain de l’Armistice, comme par hasard, tout se vend à Paris et cher.
Tout est organisé pour contraindre à une paix humiliante, on organise à la va vite des élections générales pour une assemblée nationale le 8 février 1871, car Bismark ne veut traiter qu’avec des représentants élus. Ces élections sont une mascarade : la paysannerie vote pour la paix à n’importe quel prix, car la plupart des 500 000 prisonniers de guerre sont paysans, la terre réclame leur retour rapide. Ils votent massivement pour les royalistes : 360 députés sont royalistes, contre 150 républicains. C’est une chambre introuvable ! Le seul bémol c’est que les royalistes sont divisés entre légitimistes (le fils de Charles X) et orléanistes (le fils de Louis Philippe). Thiers louvoie et s’impose en se présentant comme la seule alternative contre Paris qui n’a envoyé à l’Assemblée que des députés républicains et rouges.
La situation est explosive : à Paris, 215 bataillons de la garde nationale sur 242 s’organisent et élisent un comité central de la Garde nationale qui s’avère la seule force organisée dans Paris que désertent les bourgeois, les réactionnaires et les «démocrates» modérés, les Jules.
C’est alors que l’Assemblée Nationale décide de «décapitaliser» Paris et s’installe à Versailles sous la protection de l’armée allemande et donnent l’ordre de «désarmer» la Garde nationale.
Une tentative d’insurrection le 31 janvier échoue. Le moral des militants est de nouveau à la baisse.
Les généraux pensent que c’est le moment d’agir : ils envoient la troupe – les divisions Subvielle, Faron et Maud’huy – pour récupérer 271 canons et 146 mitrailleuses ; bien que le Comité central de la Garde nationale prône le «calme», les femmes de Montmartre se mobilisent, font sonner le tocsin, se placent entre la troupe et les canons. Les gardes nationaux les rejoignent et les soldats du 88e bataillon de marche mettent la crosse en l’air.
On est le 18 mars 1871 les soldats massacrent les généraux Lecompte et Clément Thomas qui avaient donné l’ordre de tirer sur la foule.
La commune va commencer…