Jean-Jacques Marie
La décentralisation ou régionalisation est, on le sait, l’un des axes de la Commission européenne, cet organisme hautement démocratique dont aucun des membre n’est élu par personne. Les divers gouvernements français, de « droite » comme de « gauche », l’ont mise en oeuvre avec la docilité du domestique modèle.
L’idée en vient de loin, de la fin du dix-neuvième siècle, un bon siècle avant l’Union européenne. Pour le (bon) père intellectuel – voire spirituel – de la décentralisation, Charles Maurras, l’idéal c’est « l’Etat redevenu Fédération des régions autonomes, la région, la province devenues une Fédération de communes et la commune enfin premier centre et berceau de la vie sociale » (1). Il élabore un projet de division de la France en dix-sept régions. ( Nous en sommes aujourd’hui à treize…).
Deux ans plus tard il précise : « en reliant la plante humaine, l’homme et l’Etat au sol, à la famille, au passé de la race et de la patrie, à tout ce qui dans la nature fortifie mais règle l’existence la vraie théorie de la décentralisation est profondément conservatrice et autoritaire » (2). Profondément conservatrice et autoritaire… on ne saurait définir plus clairement la nature par essence antidémocratique de la décentralisation. Et la suite le confirme surabondamment…
En février 1898, Maurras publie un ouvrage intitulé L’idée de la décentralisation dont il écrit à l’un de ses correspondants : « A cette heure, pratiquement, et quelques antinomies qu’on puisse découvrir entre les mots « décentralisation » ; « régionalisme », «fédéralisme » nous avons pris le parti de les employer tous les trois indifféremment pour obtenir la renaissance municipale et provinciale ». (3)
La réception de l’ouvrage est très éclairante sur la portée politique de la décentralisation. L’un des destinataires de l’ouvrage écrit à son auteur : « Votre travail sur la décentralisation m’a semblé particulièrement remarquable, instructif et pratique. J’espère un jour pouvoir m’en inspirer ». (4)
Ce correspondant enthousiaste, désireux si possible de mettre en oeuvre les propositions de L’idée de la décentralisation est le candidat au trône de France… si celui-ci par miracle venait à être rétabli, le duc d’Orléans. Logique puisque Maurras, le partisan de la décentralisation et l’ennemi acharné du «jacobinisme », c’est-à-dire de la révolution française et de ce qui peut rester de son héritage, est, chacun le sait, un monarchiste enthousiaste. Le duc d’Orléans, expédié par l’histoire au cimetière des bouffons dont elle est une grande consommatrice, n’a pu passer de l’admiration à la réalisation. D’autres s’en chargeront.
La décentralisation telle que la définissait Maurras, chaudement approuvé par le candidat au trône – vacant – de France, apparait bien ainsi comme un rouage essentiel d’un régime politique de type monarchiste, même si le monarque réel, mais anonyme, le Capital, ne descend pas de la glorieuse lignée des Capétiens…
(1) Notes de Provence, La Cocarde, 20 septembre 1894.
(2) La décentralisation rationnelle, Le Soleil, 3 novembre 1897.
(3) Stephane Giocanti, Charles Maurras, le chaos et l’ordre, p. 155.
(4) Ibid. p. 156.