(Répondant à l’article de Zinoviev Les nouvelles tâches du parti, paru dans la Pravda du 7 novembre, Préobrajenski affirme (dans la Pravda du 28 novembre 1923), que Zinoviev n’a abordé que les problèmes de détail alors que toutes les questions doivent se discuter par rapport à la question suivante : « La ligne fondamentale suivie par notre parti dans les problèmes d’organisation et de politique interne du parti pendant la période de la N.E.P. est-elle ou non correcte ? »)
Pour ma part, à cette question, je réponds non. A mon avis depuis deux ans déjà le parti suit une ligne fondamentalement incorrecte dans les problèmes de vie intérieure du parti. Cette ligne politique est apparue comme profondément contradictoire avec les tâches que la N.E.P. pose devant nous. L’erreur du parti s’est révélée chaque jour avec plus de force ; il est nécessaire de ne pas s’entêter, de le reconnaître le plus vite possible et, avec l’unanimité que l’on pourra réaliser, poser les jalons d’un cours nouveau du parti (…).
La situation dans le cadre de la N.E.P. se caractérise par une extraordinaire complexité des rapports sociaux, par la bigarrure et la confusion, par des transformations rapides dans la base économico-sociale, par l’apparition de nouvelles formes économico-sociales, par le développement des contradictions sociales, et en même temps, par la multiplicité des offensives auxquelles la cellule sociale soumet l’unité physique et spirituelle du parti. Pour s’orienter correctement dans cette situation extrêmement complexe, beaucoup plus compliquée non seulement que le communisme de guerre, mais même que la situation qui existe à l’intérieur purement capitaliste (plus compliquée, s’entend, du point de vue de l’ouvrier) il fallait créer à l’intérieur de nos organisations un mode d’existence différent de celui qu’elles connurent pendant la période de la lutte sur tous les fronts de la guerre civile.
Il fallait liquider les méthodes militaires à l’intérieur du parti, rétablir partiellement le mode de vie que connut le parti pendant les années 1917-1918, développer l’activité et les initiatives des organisations de base et de chaque militant dans la mise en discussion de tous les problèmes fondamentaux concernant le régime du parti et la politique ; il fallait donner la possibilité à chaque membre d’une cellule de mettre en discussion tout problème le préoccupant (et la N.E.P. en suscite par centaines) sans voir le bureau de la cellule gesticuler tristement contre le trouble-fête, sans se voir appeler démagogue, menchévisant, élément chancelant, « déviationniste », etc. Il fallait donner à chaque membre du parti la possibilité d’exposer devant ses camarades ses doutes, ses hésitations intérieures son mécontentement et de recevoir une réponse claire qui puisse le convaincre et non l’irriter et lui ôter l’envie de poser des questions, comme cela se produit lorsque les doutes et les questions ne suscitent que le roulement de tambour des clichés éculés, des réponses toutes faites, des formules simplistes, qui ne correspondent nullement à la complexité de la situation.
Ce n’est pas ce qui s’est passé. Il est significatif qu’alors que l’ennemi nous entourait de toutes parts, la vie du parti était une source beaucoup plus vivante et l’initiative des organisations du parti beaucoup plus grande. Lorsque ranimer la vie du parti et l’adapter aux nouvelles tâches apparut non seulement comme une possibilité objective mais comme une véritable nécessité pour le parti, non seulement nous n’avons pas fait le moindre pas en avant par rapport à la période du communisme de guerre, mais au contraire, nous avons renforcé le bureaucratisme, la routine, multiplié les decisions prises en avance en haut lieu, renforcé la division du parti entre ceux qui prennent les décisions et en sont responsables et la masse des exécutants qui ne prennent pas part à l’élaboration de ces décisions du parti, division qui s’était ébauchée pendant la guerre.
Au lieu de s’orienter vers l’initiative collective des organisations et vers l’élévation de l’ensemble des militants par leur participation vivante à toutes les décisions du parti, en s’appuyant sur la reconnaissance de la responsabilité de chacun pour chacune de ces décisions, on s’est dirigé vers la construction d’un bon appareil et la formation de bons fonctionnaires du parti.
( …)
(Préobrajenski souligne ensuite que, d’après Zinoviev, le niveau des travailleurs sans parti est souvent plus élevé que celui des membres du parti. Préobrajenski explique cela par le fait que ces derniers « ont peur de « faire des gaffes » avant de recevoir les indications d’en-haut, attendent des décisions toutes prêtes et même les motivations toutes prêtes e ces décisions. »)
Les décisions réglées d’avance au sommet sont le produit direct du cours politique actuel du parti. Elles sont aussi le produit de la politique actuelle du parti dans le domaine économique. Nombre de décisions qui tombaient et tombent toutes prêtes de haut en bas auraient évidemment être soumises au préalable au jugement des organisations du parti, et, si l’on avait tenu compte de l’expérience locale avant leur établissement et non après, on n’aurait pas été obligé de compléter ou de corriger de nombreux décrets rédigés à la hâte.
D’un autre côté les principes de la planification tiennent si peu de place dans notre politique économique et l’habitude de régler les problèmes au jour le jour est si tenaces que nos organismes de décision ne savent souvent pas eux-mêmes aujourd’hui ce qu’il leur faudra décider demain en hâte et à l’improviste. Dès lors, et quoi qu’ils veuillent, ils ne peuvent proposer à la discussion du parti des problèmes qui leur tombent sur leur propre tête de façon inattendue. Une politique sans planification mène toujours à de telles surprises. Ainsi la réforme du régime du parti apparaît liée à la nécessité d’une réforme dans le domaine économique (…)
L’isolement des syndicats par rapport aux masses d’un côté, le développement du bureaucratisme de l’appareil soviétique de l’autre sont aussi en grande partie liés au cours actuel de la politique du parti qui renforce le bureaucratisme dans le parti lui-même, et donc affaiblit notre position déterminante dans la lutte contre le bureaucratisme en général. Il n’est pas besoin d’une grande logique pour comprendre à quel point toute l’argumentation du fameux article de Lénine sur le Rabkrin et contre le bureaucratisme de l’appareil soviétique se retourne contre le cours actuel du parti, dès qu’il est montré (et l’expérience des deux années passées le démontre) que ce cours ne s’est pas modifié, mais que le bureaucratisme de l’appareil soviétique s’est spontanément renforcé.
Je n’énumérerai pas les autres conséquences, plus secondaires, du cours actuel : la croissance du carriérisme et de la servilité dans le parti, d’une attitude paperassière à l’égard des problèmes, de l’irresponsabilité de l’appareil par rapport à la périphérie du parti, la croissance de la présomption et de la fatuité, également injustifiée, chez les gens nommés à des postes responsables dans le parti, postes auxquels on était auparavant élu, etc.
Par une ironie du destin, notre parti qui avait décidé au Xème congrès de passer des méthodes militaires aux méthodes de la démocratie dans le régime intérieur du parti, s’est mis alors, dans la pratique à mener une vie politique diamétralement opposée, politique, il est vrai, secouée par les secousses de Cronstadt et qui était peut-être objectivement nécessaire pendant la période de passage à la N.E.P. Mais depuis que ce passage s’est effectué et – entre autres – s’est effectué avec une rare unanimité et de façon très organisée, il est devenu non seulement politiquement possible, mais encore nécessaire de faire passer dans la vie les résolutions du Xème congrès.