Jean-Jacques Marie
1er tr 2013
Marc Ferro, qui avait jadis publié une Histoire de la révolution russe sérieuse et honnête, vient de publier un ouvrage sur le sort de la famille impériale. Il y affirme qu’en juillet 1918, les bolcheviks n’ont abattu que le tsar lui-même et sa domesticité, mais que la tsarine, princesse allemande, et ses filles, princesses à demi-allemandes ont survécu, les dirigeants bolcheviques ayant négocié avec le gouvernement impérial allemand. Lorsqu’il évoque ces négociations – bien entendu si ultra secrètes qu’aucun document n’en atteste ! – il précise dans une interview à Ouest-France Dimanche (16 décembre 2012, p. 7) : « Tout se joue entre une nébuleuse de princes car les principaux dirigeants du Parti bolchevique sont tous – sauf un – des nobles et des aristocrates ».
Tous les dirigeants du Parti bolchevique, sauf un, étaient donc « des nobles et des aristocrates » ! Alors là pour un scoop, c’est un scoop ! Mais, comme nombre de scoops, il est totalement imaginaire. Prenons la liste des principaux dirigeants du Parti bolchevique en 1 917-1918.
Lénine est noble, mais c’est le seul, son père, inspecteur des écoles primaires ayant été anobli …
Trotsky est fils d ‘un paysan très aisé.
Léon Kamenev est l e fils d’un ingénieur des chemins de fer.
Grigori Zinoviev est le fils d’un paysan plutôt aisé.
Joseph Staline est fils d’un savetier et d’une femme de ménage. Certaines rumeurs fantaisistes l’ont bien présenté comme le fils d’un prince, Egnatachaviii, mais pas un seul historien sérieux ne prend cette fable pour autre chose qu’une de ces rumeurs dignes de la poubelle ou de la presse dite people.
Jacob Sverdlov est le fils d’un artisan graveur, propriétaire d’un petit atelier de typographie et d’imprimerie.
Nicolas Boukharine est fils d’un couple d’instituteurs.
Grigori Sokolnikov est le fils d’un médecin.
Ivar Smilga est le fils de propriétaires terriens aisés.
On pourrait ajouter à ces noms ceux des autres membres du comité central de 1917 et 1918 (Artiorn-Sergueiev, fils de paysans, Nicolas Krestinski, fils d’un professeur de lycée, etc.), on ne trouvera de trace d’appartenance à la noblesse et à l’aristocratie chez aucun d’eux. On pourrait tout juste, à la rigueur, si on veut, y ranger Felix Dzerjinski, fils de petits hobereaux polonais ; mais la petite noblesse polonaise ou « szlachta »,souvent pauvre, ne saurait, malgré ses prétentions dérisoires à y figurer, relever de l’aristocratie : en Pologne, les aristocrates sont les « magnaty » … caste à laquelle étaient fort loin d’appartenir les parents de Felix Dzerjinski.
L’affirmation pour le moins surprenante, sinon délirante, de Marc Ferro ne plaide pas par ailleurs en faveur du sérieux de la thèse qu’il développe.