Quelques éléments sur la grève des « penn sardin »

Pierre SACCOMAN

Les « pen sardin » : en breton, cela signifie « tête de sardine », parce que les ouvrières des conserveries devaient porter cette coiffe qui était relevée au dessus des oreilles…

Douarnenez a été la première mairie communiste de France : en 1921, élection de Sebastien Velly qui décède en 1924. Il est aussitôt remplacé par Daniel Le Flanchec. Celui ci est un personnage. Avant guerre, il militait avec les anarchistes et était en liaison avec « le Retif » (Victor Serge).

Tatoué (Mort aux vaches et J’emmerde la société), il s’est fait vasectomisé pour ne pas mettre au monde des exploités. Il était borgne et la légende veut qu’il se soit crevé un oeil pour ne pas faire la guerre (pas sûr du tout). Pendant la guerre, il adhère à la SFIO pour renforcer « le courant anti-guerre ». Contacts avec Loriot, Rosmer et Monate. Délégué au congrès de Tours, il vote l’adhésion à la IIIème Internationale au grand dam de ses anciens camarades anars… Orateur redouté, il a une voix de stentor. Très populaire chez les marins et ouvrières.

Douarnenez est le premier port sardinier de France : 697 bateaux de pêche, 4000 marins-pêcheurs, 21 conserveries de sardines, 3000 ouvrières.

Les conditions de travail sont épouvantables : horaires calqués sur l’arrivée des poissons, métier harassant, paye ridicule, patronat de combat : les filles commencent à travailler dès huit ans, la législation n’est pas respectée.

Le 21 novembre 1924, débrayage à l’usine « Bézier » : 100 penn sardin parcourent les rues en chantant des chants révolutionnaires. Le dimanche 23, des milliers de femmes et de marins envahissent les rues toute la journée. Le lundi et le mardi la grève est générale. Le mot d’ordre : Pemp real à vo (nous voulons 25 sous de l’heure). Le Flanchec est partout, fait élire des comités de grève, entre de force dans les bureaux des patrons.

La grève va durer cinq semaines, la CGT-U délègue Charles Tillon sur place : il aide à l’organisation, Le Flanchec et lui contactent les coopératives de Paris (la Bellevilloise) pour vendre le poisson que les ouvrières refusent de travailler. Des collectes sont organisées, Marcel Cachin vient passer quelques jours : il fait ses discours en breton !, le PC délègue Lucie Colliard, institutrice haut savoyarde condamnée par le tribunal militaire de Grenoble à 2 ans de prison pour propagande anti militariste, elle est radiée de
son poste et devient permanente. Sur place, elle se dévoue à la grève, fait des discours incendiaires, devient très populaire.

Le patronat, excédé fait venir de Paris des briseurs de grève armés : ils tirent sur Le Flanchec qui est blessé gravement à la gorge. C’est l’émeute, les grévistes femmes et marins mettent à sac « l’hôtel de France » où se réunissait le patronat, mettent en déroute les gendarmes : du coup le président du Conseil Chautemps envoie le préfet de Brest qui demande au patronat de céder. Le patronat cède sur tout.

La rue est aux grévistes, on chante pour la première fois « La jeune garde »…

Comme je l’ai dit, les trois principaux dirigeants de la grève seront finalement exclus du PC : Lucie Colliard suit Monate et Rossmer et finira au PSOP de Marceau Pivert.

Le Flanchec, lié amicalement avec Doriot défend Doriot, mais ne le suit pas au PPF : il refusera de mettre le drapeau nazi sur la Mairie et sera déporté. Il meurt à Mathausen officiellement de maladie, mais un de ses amis témoigne qu’il aurait été assassiné par les staliniens… Quand à Tillon on
connaissait son itinéraire.

Dans son livre « On chantait rouge », il raconte la grève des Penn Sardin qui l’avait marqué profondément.