Première scène : Président de la République ou rien …
Dans France-Soir (20 novembre 2010), une journaliste raconte son petit-déjeuner avec Pierre Moscovici. Bien que les Cahiers du mouvement ouvrier n’aient pas pour fonction d’évoquer la politique actuelle (il y a suffisamment d’organes multiples et divers dont c’est la tâche pour ne pas y ajouter notre très modeste voix), cette interview contient quelques perles qu’il est bon de fixer.
Pierre Moscovici se définit d’abord comme « un Parisien, intellectuel de gauche » (Parisien, certes, intellectuel … s’il le dit … ), parti ensuite à Montbéliard, où il a découvert « la France des usines, des ouvriers ». Pour comprendre cette France-là, « il faut y mettre son cœur et y plonger sans réserve (. . .). Si on pense que la vérité est à Paris, ça ne marche pas ». On a peine à comprendre, car des ouvriers et des usines, il y en a aussi en Ile-de-France. Ceux de Montbéliard seraient-ils donc d’une autre nature ?
Puis la journaliste lui demande : « Qu’est-ce qui fait courir un politique ? » Réponse : « L’adrénaline et le narcissisme ». On se dit pourtant que les ouvriers de Montbéliard ne doivent guère apprécier le narcissisme d’un parlementaire. Se battre pour des idées, pour un programme ? Moscovici n’évoque pas ce type de motivation.
Enfin vient le sommet de l’interview. La journaliste lui demande : « Croyez-vous avoir un destin national ? » Réponse : « Pour avoir un destin, il faut que soient réunis le talent et les circonstances. A droite, il y a de très grands talents qui n’ont jamais eu un destin. Philippe Séguin, François Léotard, Michel Noir, Gérard Longuet … C’est le cimetière des éléphants ». Comme éléphants, on fait mieux, et comme grands talents, nettement mieux …
La conclusion vaut son pesant : « J’ai envie d’aller plus haut, c’est vrai (… ). Je pense juste que je pourrais être un jour président de la République. Aujourd’hui , c’est DSK, et j’espère qu’il le sera ». Donc, DSK en 2012 et Pierre Moscovici en 2017. La journaliste conclut son interview par une question inquiète : « Que ferez-vous après 2017 si vous n’êtes pas devenu entre-temps président ? » Réponse : « Vers 2022, dans ce cas, j’arrêterai la politique ». Ce serait vraiment dommage.
Deuxième scène : Menaces de mort contre Luc Ferry …
Les enseignants s’en souviennent encore : lorsqu’il était ministre de l’Education nationale de Jacques Chirac, Luc Ferry fit imprimer une Lettre aux enseignants, tirée à 800 000 exemplaires (impression payée par le ministère de l’Education nationale) et distribuée aux enseignants, qui, en règle générale, ont jeté son livre à la poubelle ou aux ordures. (Quel gâchis de papier, certes, mais une fois le papier gâché par l’impression, que voulez-vous faire de la prose de Luc Ferry ?) Ceux qui ont gardé le souvenir de cet épisode comique quoique coûteux ne peuvent que lire avec délectation l’interview de Luc Ferry dans Le Monde Magazine en date du 13 novembre 2010. Le journaliste, évoquant La Pensée 68, son opuscule oublié de tous depuis longtemps (sauf de lui-même, de sa femme, de quelques amis complaisants et du journaliste du Monde), lui dit : « En 1985, vous avez publié avec Alain Renaut La Pensée 68 … » Il n’a pas le temps de prononcer sa question que Luc Ferry se décoche à lui-même un violent coup dans les chevilles en déclarant : « Ce livre a énormément compté dans l’histoire intellectuelle française parce que c’était le premier ouvrage qui osait prendre de plein fouet les grands « déconstructeurs » des années 1960, Derrida, Foucault, etc. (. . .). A cause de La Pensée 68, j’ai eu des menaces de mort, c’était fou ». Luc Ferry menacé de mort. .. On en frémit. Il ajoute aussitôt après cet épisode resté virtuel, heureusement pour la philosophie française : « Je me suis rendu compte que ces grands maîtres qui faisaient de l ‘esprit critique le sel de la terre ne supportaient pas que cet esprit critique puisse se retourner contre eux ». Faudrait-il comprendre que Derrida et Foucault auraient menacé Luc Ferry de le tuer ou poussé des séides à le menacer de mort pour un petit pamphlet assez dérisoire ? On n’ose l’imaginer, mais il faut avouer que la lecture des propos de notre ancien ministre pourrait laisser croire à de telles intentions homicides chez les deux « déconstructeurs » cités.
Le journaliste demandant alors à Luc Ferry si le qualificatif de « philosophe à succès » qui lui est attribué lui fait plaisir, Luc Ferry répond très modestement : « Les plus grands philosophes avaient un immense public. On se bousculait aux cours de Kant. » Diable ? Notre ministre serait-il donc de la même pointure ? Et il ajoute : « Le propre de ma génération avec Finkielkraut, Comte-Sponville, etc., c’est d’avoir renoué avec le public ».
Il est devenu ministre … « Quand l’Elysée m’a appelé, déclare-t-il, je suis tombé de ma chaise ». Hélas ! il s’est relevé … Luc Ferry informe le lecteur in fine d’une nouvelle qui ne l’attristera sans doute guère : « Je ne vais pas, à 60 ans, perdre mon temps à faire le guignol dans un ministère. Mon métier, c’est l’écriture ». Il aurait pu y penser plus tôt et pourrait s’arrêter modestement là.
Mais un coup de publicité auto-organisée ne fait pas de mal. Il ajoute donc : « Mon livre le plus important de très loin, c’est La Révolution de l’amour. C’est le livre d’une vie. Il contient tous les autres. » Si La Pensée 68 a « énormément compté dans l’histoire intellectuelle française », imaginons un peu quel sommet doit atteindre La Révolution de l’amour si c’est son livre « le plus important de très loin … » ! Après le mont Blanc, c’est l’Himalaya …