Au cours du long échange de lettres entre Albert Einstein et le physicien Max Born publié en 1972 par le Seuil ( Albert Einstein, Max Born, Correspondance 1916-1955), ce dernier dans une lettre non datée mais à l’évidence écrite en janvier 1937 écrit à Einstein : « Le nouveau procès contre Radek et ses camarades me semble extrêmement écoeurant». (1) Dans une lettre, elle aussi non datée, mais peu postérieure Einstein lui répond :
« Les indices se multiplient qui donnent à penser que les procès russes ne constituent pas une escroquerie, mais qu’il s’agit, au contraire d’un complot de ceux pour qui Staline est un réactionnaire borné qui a trahi l’idée de révolution. Il est certes difficile à nous autres d’imaginer de telles choses, mais les meilleurs spécialistes de la Russie sont tous de cet avis. Au début j’étais fermement convaincu qu’il s’agissait de manigances d’un dictateur reposant sur le mensonge et la duperie. Mais c‘était une erreur ». (2)
Pour un génie scientifique le raisonnement – si l’on peut dire – étonnamment primaire repose sur l’idée – arithmétiquement contestable – d’une majorité ayant raison parce qu’elle serait majoritaire (« les meilleurs spécialistes de la Russie sont tous de cet avis » !!!) A ma connaissance Einstein n’a pas exprimé publiquement son point de vue sur les procès de Moscou.
Max Born commente ainsi cette lettre :
« Quant aux « procès russes », il s’agit de l’opération d’épuration par laquelle Staline voulait assurer son pouvoir. Comme la plupart des gens en Occident je voyais dans ces procès monstres les actes arbitraires d’un dictateur cruel. Einstein était apparemment d’un autre avis ; il croyait que, menacés par Hitler, les Russes n’avaient pas d’autre solution que d’anéantir tous leurs adversaires dans leur propre camp. Ce point de vue ne me semble pas cadrer avec la nature douce, humaine d’Einstein ». (3)
Cela n’empêche pas Born d’affirmer un peu plus loin à propos d’Einstein : « aucune idéologie politique ou économique, aucun Etat, aucune société n’était digne à ses yeux qu’on lui sacrifie des vies humaines ». (4)
(1) Einstein-Born, op cit p 144.
(2) Ibid, p 145.
(3) Ibid, p 146.
(4) Ibid, p 163.