Une imposture

Jean-Jacques Marie

Apparemment, il n’y a aucune raison de parler de Guy Debord dans les Cahiers du mouvement ouvrier, car ce personnage n’a rien à voir avec le mouvement ouvrier et il n’a jamais lui-même affirmé avoir avec lui le moindre rapport.

Un petit hic, néanmoins. Une véritable campagne promotionnelle engagée aujourd’hui vise à le présenter comme une incarnation, voire l’incarnation de la révolte. Ainsi, le supplément «Culture et Idées» du Monde daté du 23 mars 2013 le présente en première page en s’interrogeant : « Que reste-t-il de la pensée de cet intellectuel révolté ? » La révolte est-elle un placement financier ? L’article de Raphaëlle Rérolle rap­pelle que la BNF a acheté le fonds Debord « en 2011 à la veuve de Guy Debord, pour la somme astronomique de 2,7 millions d’euros ». Voilà qui manifeste un sens aigu de l’usage raisonné de la révolte.

On apprend à sa lecture que « Debord offre une reformulation de la théorie marxiste à l’âge des médias ». Diable ! La journaliste conclut son long article en affirmant : « Même classique, sa pensée n’a pas perdu ses vertus corrosives. Un bâton de dynamite en somme, qui continue de faire peur, de séduire et de fasciner bien après que son auteur a cessé de le brandir ».

L’ « internationale » ? situâtionniste

Jean-Jacques Marie

Ses thuriféraires exaltent l’internationale situationniste qu’il avait créée en 1957. L’un de ces thuriféraires, Gilbert Lascaut, dans la Quinzaine littéraire datée des 16-30 avril 2013, fait de cette prétendue internationale (dite IS) la des­cription suivante : « Pendant l’entière durée de son existence, l’IS a compté moins d’une centaine de personnes » (en quinze ans, puisqu’elle est morte en 1972). Mais Guy Debord a affirmé, selon Gilbert Lascaut, que cinquante-neuf d’entre eux « n’ont rigoureusement rien apporté, mais ont pourtant été utiles à quelques moments » … On se demande en quoi, puisqu’ils n’ont « rigoureusement rien apporté ».

Gilbert Lascaut continue : « L’IS n’a jamais réuni plus d’une quinzaine d’individus à la fois ». Ce qui ne l’empêche pas de parler d’«organisation» et d’écrire sans rire : « Les contours de l’organisation et sa composition n’ont cessé de se renouveler ». Et l’auteur ajoute, enthousiaste : « Il se révèle, à chaque moment, un théoricien inventif, un chef de guerre, un poète, un cinéaste, un archiviste soigneux, un directeur rigoureux de revue, un maquettiste, un rebelle permanent, un “enragé. Sans aucun doute, il est le fondateur de l’IS, un animateur tenace et coriace du groupe, un acteur prédominant. A juste titre, le philosophe Giorgio Agamben le définit, d’abord, comme un stratège.»

Et avec tous ces talents, ce « chef de guerre » et « stratège » n’a jamais réuni plus de quinze individus à la fois, dont plus de la moitié n’ont,on l’a vu, rien apporté. Un vrai génie, ce Debord, qui gardait le double des lettres qu’il adressait aux autres pour des archives dont on a vu qu’elles ont rapporté gros à sa veuve.

Situationnisme … et liquidités

Jean-Jacques Marie

Guy Debord avait fondé dans les années 1960 une Internationale situationniste dont il était le grand penseur. Auteur, entre autres, de La Société du spectacle, il n’avait pas de mots assez durs pour le mouvement ouvrier. Dans Le Monde diplomatique (août 2006), un auteur du nom de Guy Scarpetta soulignait «la prodigieuse cohérence de sa pensée qui, parce qu’elle n’a jamais renié sa dimension révolutionnaire, offre les meilleures clés pour comprendre notre temps ».

Précisons que qui feuilletterait les deux mille et quelques pages des œuvres de Guy Debord serait bien en peine d’y trouver une explication de la crise qui secoue le monde et en particulier l’Europe depuis 2 006. Une information publiée dans Le Nouvel Observateur ( n°2508, 8 novembre 2012), en page 14 attire l’attention du lecteur sur la valeur des idées de Guy Debord. On y lit « Jusqu’alors les archives des grands penseurs étaient données. C ‘est le cas des archives de Claude Lévi-Strauss, Roland Barthes ou Jacques Derrida. La veuve de Guy Debord est la première à avoir vendu les fonds de son mari : en 2 010, pour contrer une offre de Yale et garder en France les cartons du pape des Situs, la BNF avait déboursé 2,7 millions d’euros ». Certes, feu Guy Debord n’est pas responsable de la décision de sa veuve … Mais que l’œuvre du dénonciateur de la « société du spectacle » acquière une telle valeur marchande pousse néanmoins à réfléchir sur la fonction réelle qu’on voudrait lui faire remplir dans la société d’aujourd’hui, même si en réalité tout le monde se fout du pseudo-révolutionnarisme de Guy Debord.

Vanitas Vanitatum