Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, deux combattants contre la guerre

Karl Liebknecht a constamment associé le combat pour le so­cialisme au combat antimilita­riste : le 3 août 1914, il refusa de voter les crédits de guerre, ainsi que 14 autres députés sur les 111 que comp­tait la députation social-démocrate du Reichstag. Mais il respectait encore la discipline du parti et il ne rendit son refus public que le 2 décembre 1914 en expli­quant au Reichstag : «Il s’agit d’une guerre impérialiste, particulièrement du côté allemand, qui a pour but des conquêtes de grand style. »

Puis, avec le groupe clandesün Spartakus, il rendit publique son opposition. On le retrouve le 1er mai 1916 au milieu d’une dizaine de milliers de manifestants sur la Potsdam Platz à Berlin, venus dire leur refus de la guerre : en habit de soldat réserviste – il a 47 ans et n’est plus mobilisable sur le front – il crie « A bas la guerre ! A bas le gouvernement ! »

Son statut de député du Reichstag qui lui assurait en principe l’immunité politique fut piétiné par la majorité conservatrice de l’assemblée dominée par les hobereaux prussiens qui disposèrent aussi du renfort de la social-démocratie en majorité ralliée à l’impérialisme : le député social-démocrate David se déshonora en expliquant devant la commission chargée d’examiner le cas Liebknecht qu’il était chargé de défendre : un chien qui aboie ne mord pas !

Karl Liebknecht fut déféré devant la justice militaire qui le condamna le 28 juin 1914 à trente mois de réclusion. Il rit appel, ce qui lui valut une sanction aggravée le 23 août : quatre ans de prison, dix ans de privation des droits civiques. Ce procès fit de lui l’homme politique le plus populaire dans les tranchées et il renforça la détermination du groupe Spartakus.

Rosa Luxemburg mit son grand talent de polémiste et toute la force de ses convictions anti-impérialistes au ser­vice du combat de son camarade. Voici quelques extraits du tract spartakiste de l’été 1916 traduit et édité par les éditions de l’Epervier.

« En s’occupant du cas Liebknecht, le Reichstag, la majorité bourgeoise et la majorité du groupe parlementaire so­cial-démocrate ont de loin surpassé leur propre infamie.

C’est en accomplissant son devoir de socialiste de l’internationale, à la mani­festation du Ier mai, que Liebknecht a été appréhendé par les sbires du pouvoir et livré à la justice militaire. Liebknecht est député du Reichstag, il est dispensé du service militaire afin de pouvoir exercer son mandat de représentant du peuple et, pendant les sessions du Reichstag, il n ’est donc pas un soldat mais un représentant du peuple. C’était le devoir le plus élé­mentaire du Reichstag que de le protéger des griffes de la justice militaire comme de toute poursuite d’ordre politique. Tous les parlements du monde considèrent qu’il est impératif pour leur propre dignité de protéger leurs membres des violences des gouvernements. Il s ’est passé ici quelque chose d’inouï, sans précédent dans l’his­toire de tous les gouvernements : c’est le Reichstag lui-même qui a livré l’un de ses membres à la justice militaire ! […]

Le 8 avril, il avait voulu présenter une analyse critique de l’esbroufe qu’on a fait autour du dernier emprunt de guerre allemand ! Et les attaques les plus virulentes de ce suicide parlementaire venaient, en plus, des démocrates radicaux […]. C’est en criant à la haute trahison que les Hulbricht et Millier Meinigen se jettent sur le premier à monter à la tribune du Reichstag pour critiquer le gouvernement. C’est en criant à la haute trahison que les Payer et Lieschling livrent l’immunité de la représentation populaire aux sabres de l’armée. Après ces hurlements libéraux, les Oertel et Heydebrand n’ont plus grand- chose à dire. Et le groupe parlementaire social-démocrate majoritaire ne dit pas un mot pour récuser ces coassements. Il est vrai que les “politiciens jusqu’au boutistes”, les Scheidemann et consorts, prennent pour des traîtres à la patrie tous ceux qui tiennent les principes des sociaux- démocrates en haute estime et luttent contre l’assassinat des peuples.

Trahison ! Trahison ! Lutte de classes- trahison ! Refus du budget-trahison !

Fête du Ier Mai-trahison ! Critique des emprunts du guerre-trahison ! Solidarité internationale-trahison ! Grève pour l’aug­mentation des salaires de misère-trahison ! Discussion publique sur les usuriers qui profitent de la vente des aliments-trahi­son ! Lamentation des femmes qui meurent de faim devant les magasins-trahison ! Ce qui a été dit des milliers de fois par les sociaux-démocrates dans leurs journaux, dans leurs réunions électorales, dans leurs discours au Reichstag est aujourd’hui une trahison. L’ensemble de l’action de la social-démocratie depuis un demi-siècle, qui était dirigée contre la guerre, le milita­risme, la domination de classe, la solidarité de classe, l’unité nationale, les mots d’ordre patriotiques, est devenu une trahison !

Les Payer, Liesching, Hubrich et les David, Landsberg, Scheidemann ont sur­passé tous les procureurs, ont fait rougir de honte les préfets de police… Gare si ces loustics avaient eu à appliquer les lois anti-socialistes de Bismarck ! Ils auraient fait enfermer tous les députés et journalistes sociaux-démocrates en maison centrale, ils auraient envoyé à la potence notre August Bebel et notre bon vieux Wilhelm Liebknecht ! La cli­que Scheidemann s’est permis la comé­die de déposer une requête concernant l’immunité de Liebknecht, mais ils l’ont fondée en disant que son combat n’était pas dangereux, qu’on ne pouvait tout de même pas bousculer le peuple allemand dans son obéissance cadavérique ! Et de même dans la commission du Reichstag, le social-démocrate David a dit en par­lant de Liebknecht : “Un chien qui aboie ne mord pas !”

[…] Ce sont les masses du prolétariat, les masses d’un peuple mourant de faim, asservi et réduit à de la chair à canon qui doivent leur donner la réplique. Et ce faisant, il ne faudra pas oublier les paroles “de chien” du tribun de la majorité social-démocrate.

Est un chien celui qui lèche les bottes des maîtres alors que ceux-là mêmes ne lui ont exprimé leur considération pen­dant des décennies qu’à grands renforts de coups de pied.

Est un chien celui qui remue joyeuse­ment la queue alors qu’il est muselé par l’état de siège et regarde les seigneurs de la dictature militaire dans les yeux en gei­gnant doucement pour obtenir sa grâce.

Est un chien celui qui aboie à tout rompre après quelqu’un qui n’est pas là, qui est dans les fers et qui, ce faisant, rend des services supplémentaires aux poten­tats du moment.

Est un chien celui qui abjure, souille de bave et traîne dans ses excréments, sur ordre du gouvernement, tout le passé de son parti, tout ce qui était sacro-saint pour lui depuis une génération.

Sont et demeurent malgré tout des chiens les David, Landsberg et compa­gnie. Et il ne fait pas de doute qu’ils re­cevront de la classe ouvrière allemande le coup de pied mérité quand le jour des règlements de comptes arrivera […].

Seule la réaction des masses, leur initiative audacieuse, l’action énergique de la lutte des classes sur toute la ligne peut nous faire regagner le droit chemin et mettre fin à l’assassinat des peuples, à la dictature militaire, à la mort lente du peuple par la famine. Et cela les masses ne le réaliseront que lorsqu’elles auront appris à se jeter corps et âmes, comme Liebknecht, dans la lutte pour les idéaux du socialisme international…

Quand des centaines de milliers, des millions de voix reprendront le cri de Liebknecht dans le Reich tout entier :

A bas la guerre !
Prolétaires de tous les pays,
unissez-vous ! »



Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht