Document édité par le PARTI COMMUNISTE INTERNATIONALISTE
(Section Française de la IVe Internationale), août 1945
Présentation par Jean-Jacques Marie
Le 25 août 1939, alors que la menace de la guerre plane sur l’Europe, se déroule à Berlin un épisode bien connu : l’ambassadeur français Robert Coulondre rencontre Hitler, et, selon son témoignage, lui parle des « conséquences d’une guerre qui sera générale, sans doute longue et entraînera avec d’atroces misères d’énormes perturbations sociales ». Et il lui déclare : « Vous pensez être le vainqueur, avez-vous dit, et je pense le contraire. Mais n’avez vous pas envisagé une autre éventualité, celle où le vainqueur sera Trotsky ? », que Coulondre évoque bien entendu non comme individu mais comme le symbole de la révolution mondiale. Hitler ne juge pas l’hypothèse incongrue. Coulondre note : « En effet, il sursaute comme si je l’avais frappé au creux de l’estomac. »
Cette crainte qu’une guerre mondiale ne débouche sur la révolution mondiale, habite toute la bourgeoisie. L’attaché à l’ambassade d’Italie à Berlin, Leonardo Simoni, discerne cette crainte chez ses amis allemands dominés, en octobre 1939, écrit-il, par l’idée que « cette fois-ci encore cela se terminera de même qu’en 1914-17 et qu’une révolution finira par éclater« . Deux mois plus tard, le baron von Herwarth, ancien secrétaire de l’Ambassade d’Allemagne à Rome, lui déclare : « Le Gouvernement doit se rendre compte qu’une victoire qui ne serait pas totale et définitive finirait par faire exploser les sentiments latents de révolte et par nous conduire au bolchevisme ». Llyod George, l’ancien premier ministre britannique déclare à Maïski venu lui rendre visite au début de mars 1940 que, pour le gouvernement britannique de Chamberlain, « mieux vaut perdre la guerre que d’ouvrir la voie au bolchevisme. » Le général Huntzinger, chef de la délégation française aux discussions d’armistice en juin 1940, précise au général von Stülpnagel, qui préside la commission franco-allemande d’armistice : » Le maréchal (…) a accepté, pour sauver son pays de la révolution et de la ruine, de signer l’armistice. »
Cette peur habite la bourgeoisie mondiale et la bureaucratie stalinienne en 1945. Mais les uns et les autres le savent, une révolte sociale, si profonde soit-elle, pour avoir une chance de déboucher sur une révolution, c’est-à-dire, sur un changement social profond qui modifie les formes de propriété et porte au pouvoir des représentants de la classe auparavant exploitée et opprimée doit rencontrer une organisation politique qui se fixe précisément ce but. Sinon la révolte, si profonde soit-elle, débouchera sur une impasse. L’organisation politique qui se fixe ce but va évidemment susciter l’hostilité la plus violente de la classe dominante qui, si elle en a les moyens, va y répondre par la violence, et, y ajouter la calomnie comme ingrédient essentiel. Ainsi en 1917, lorsque les bolcheviks apparaissent susceptibles de traduire la révolte des masses en renversement du pouvoir existant, la bourgeoisie lance-t-elle une campagne de calomnie contre Lénine « agent allemand » et un mandat d’arrêt contre lui, co-signé pour application dans l’arrondissement où vit Lénine, par le futur procureur des grands procès staliniens de Moscou, Andreï Vychinski.
En 1945 la bureaucratie stalinienne, décidée à maintenir par tous les moyens l’ordre capitaliste existant dans le cadre d’un partage de l’Europe qui assure à la bureaucratie la domination sur les pays de l’Est dont la classe dirigeante, (à l’exception de la Pologne démembrée et partagée en 1939 entre Moscou et Berlin engagés alors dans une étroite collaboration), avait collaboré avec les nazis. En 1939 la IVe Internationale était très faible. En 1945 elle l’est plus encore. Les trotskystes, en France, ne sont qu’une poignée. Le Parti communiste français, auréolé à la fois par la victoire de l’URSS sur le nazisme et sa participation massive à la lutte contre Vichy et à la résistance armée contre l’occupant nazi, jouit d’un grand prestige dans la classe ouvrière à laquelle il veut pourtant interdire d’accéder au pouvoir. C’est en tout cas la mission que Staline a confiée à Thorez quand il l’a reçu à Moscou le 17 novembre 1944. et Thorez la remplira bientôt en tant que ministre de De Gaulle.
Malgré la faiblesse numérique des trotskystes la direction du parti communiste français veut à la fois leur interdire toute expression publique et les diffamer sans retenue. Aussi veulent-ils leur interdire la parution légale de leur presse et les disqualifier en les qualifiant d’« hitléro-trotskystes ». En 1945 le PCI, pour répondre à cette campagne, diffuse une brochure intitulée La lutte des trotskystes sous la terreur nazie, dont nous reproduisons ci-après les pages consacrées à ce moment de leur histoire.
Cette reproduction nous paraît d’autant plus pertinente aujourd’hui au moment où une maison d’édition, dont un légitime et vif sentiment de dégoût nous interdit de citer le nom – mais dans laquelle un historien officiellement « trotskyste » n’a pas été, lui, dégoûté de faire publier un de ses livres – diffuse un pamphlet dont la couverture s’orne de la tête de Trotsky barrée par une grande croix gammée. La fin, dit-on, justifie les moyens.