« Un coup de hache dans le corps social »

François Olivier

En 1989, François Mitterrand avait confié la direction de la commémoration officielle de la Révolution française à l’histo­rien Jean-Noël Jeanneney. Le même Jeanneney présidait le comité scienti­fique des Rendez-vous de l’histoire de Blois.

Dans une interview au Monde (11oc­tobre), il affirme : « La Révolution fran­çaise, en 1789, constitue un coup de hache dans la nation, dans le corps social ; d’où une rupture qui va durer tout au long du XIXe siècle et une bonne par­tie du XXe siècle-mais progressivement, à mesure que la droite se rallie par vagues successives aux idéaux de 1789 (souligné par nous), on voit une certaine unité du regard s’organiser ».

Ainsi la droite se serait ralliée par vagues successives aux idéaux de 1789, donc à un événement qui a effectivement marqué « un coup de hache dans le corps social ». 1789 serait donc devenu un élément d’une union nationale. Les tonnes d’écrits qui dénigrent la Révolution française et la plupart de ses grands hommes attestent du contraire !

La veille, Jeanneney avait donné une interview au quotidien Ouest-France sur la commémoration de la guerre de 14-18. Il y déclare : « Cette Grande Guerre est un cataclysme affreux, en soi et par toutes les conséquences qu’elle a entraînées : fascisme, bolchevisme (souligné par nous), Secon­de Guerre mondiale… »

Le bolchevisme et donc la révolution d’Octobre sont des « cataclysme affreux ». C’est pourtant l’échec des révolutions allemande et autrichienne, sabotées par la social-démocratie, qui y sème les graines du fascisme en Allemagne et du brutal corpo­ratisme social-chrétien puis le fascisme en Autriche.

Alors que depuis les deux guerres balkaniques, n’importe quel incident mettra le feu aux poudres dont les barils regorgent, rappelant une formule de Voltaire (comme si l’histoire n’avait pas quelque peu progressé depuis l’auteur de L’Ingénu), il ose attribuer en grande partie la guerre à « Sa Majesté le hasard ». Et rappelant les détails de l’assassinat de François Ferdinand, il ajoute : « Je crois qu’une guerre repous­sée, retardée n’aura peut-être jamais lieu ». Donc les appétits des deux blocs d’alliance antagoniques, la volonté de maintenir ou de remodeler le partage du monde ne seraient que des éléments secondaires et contingents. La Grande Guerre ne naîtrait donc pas du choc d’impérialismes rivaux… mais d’on ne sait quoi et d’un in­cident, d’un accident, d’un coup de revolver ou de fusil, bref, du hasard. Certes une étincelle peut faire exploser un tonneau de poudre, mais il faut pour cela que le tonneau soit là et bien rempli. Or, en 1914, les tonneaux de poudre pullulent.

Voilà un historien vraiment bien complaisant qui nous jure : « Il faut commencer par honorer la vaillance des soldats »… victimes envoyées au massacre.